PREMIERE CHAMBRE CIVILE-SECTION B
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ARRÊT DU 20 DECEMBRE 2012
(Rédacteur : Monsieur Louis-Marie Cheminade, président)
No de rôle : 12/ 06236
Monsieur Lionel X...
Monsieur David Y...
LA S. A. R. L. INSIA
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocatsDécision déférée à la cour : ordonnance sur requête rendue le 22 octobre 2012 (R. G. 12/ 920) par le président du tribunal de grande instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 31 octobre 2012,
APPELANTS :
1o/ Monsieur Lionel X..., né le 1er Mai 1969 à JONZAC (17), de nationalité française, demeurant ...
2o/ Monsieur David Y..., né le 22 Juin 1972 à LORIENT (56), de nationalité française, demeurant ...,
3o/ LA S. A. R. L. INSIA, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, sis 27, rue de Fontarabie 75020 PARIS,
Représentés par la S. C. P. Patrick GUILLEMOTEAU-Lionel BERNADOU-Mathieu RAFFY, Avocats Associés au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Claire BOUSSEAU, substituant Maître Pierre CUSSAC, Avocats au barreau de PARIS,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 décembre 2012 en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Louis-Marie CHEMINADE, Président, Monsieur Patrick BOINOT, Conseiller, Madame Caroline FAURE, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marceline LOISON
ARRÊT :
- contradictoire
-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Le 22 octobre 2012, Lionel X..., David Y... et la société à responsabilité limitée INSIA (INstitut Supérieur d'Informatique Appliquée) ont présenté au président du tribunal de grande instance de Bordeaux une requête fondée sur les articles 145 du code de procédure civile et 6 de la loi du 21 juin 2004, tendant à faire ordonner la communication, par la société Facebook, de l'adresse IP et des données d'identification des profils " Muriel Z..." et " David A...", et, par la société Twitter, de l'adresse IP et des données d'identification du compte ....
Par ordonnance du même jour, le président du tribunal de grande instance a rejeté la requête au motif qu'elle nécessitait " un débat contradictoire (l'accès limité aux seuls « amis » de ces titulaires de compte Twitter et Facebook caractérise un accès non public qui s'oppose à l'application de la jurisprudence de 2004 et pose un problème en termes de secret dû aux correspondances privées) ".
Lionel X..., David Y... et la société INSIA ont relevé appel de cette ordonnance par déclaration de leur avocat faite au greffe du tribunal de grande instance de Bordeaux le 31 octobre 2012.
Le dossier a été communiqué au ministère public qui l'a visé le 10 décembre 2012.
L'affaire a été plaidée par le conseil de l'appelante à l'audience du 10 décembre 2012, et mise en délibéré au 20 décembre 2012.
DISCUSSION :
Les appelants exposent que Lionel X... et David Y... sont les fondateurs du groupe Auvence, composé de sociétés spécialisées dans l'éducation supérieure et propriétaire de plusieurs écoles d'informatiques à l'enseigne " Ingesup ", et que par acte sous seing privé du 1er juillet 2011, l'association OG INSIA a cédé à la société à responsabilité limitée Newco Fontarabie, filiale du groupe Auvence désormais dénommée INSIA, un fonds de commerce d'enseignement de l'informatique exploité à Paris. Ils indiquent qu'ils ont pris connaissance de propos calomnieux, injurieux et diffamants, relatifs à cette cession, diffusés sur le réseau social Facebook par des auteurs non identifiables sous les profils " Muriel Z..." et " David A...". Ils ajoutent qu'une liste comprenant les numéros de téléphone professionnels et les adresses électroniques de certains dirigeants et salariés du groupe Auvence, dont ceux de David Y..., a été publiée sur le profil Facebook " Muriel Z..." et sur le compte Twitter ..., ce qui constitue une atteinte à la vie privée, sanctionnée par l'article 9 du code civil. Ils s'estiment fondés à obtenir les données permettant l'identification des auteurs de ces propos et communications, afin de pouvoir engager des poursuites contre eux.
Selon l'article 145 du code de procédure civile, " s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ". Par ailleurs, l'article 6- II alinéa 1 de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique énonce que " les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I ", c'est-à-dire les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne (1 du I) et celles qui assurent, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services (2 du I), " détiennent et conservent les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont elles sont prestataires ", l'alinéa 3 du même texte ajoutant que " l'autorité judiciaire peut requérir communication auprès des prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I des données mentionnées au premier alinéa ". La définition de ces données est précisée à l'article 1er du décret no 2011-119 du 25 février 2011 relatif à la conservation et à la communication des données permettant d'identifier toute personne ayant contribué à la création d'un contenu mis en ligne.
En vertu des textes précités, des personnes qui ont fait l'objet d'un avis dénigrant sur un site en ligne ou dont des données et renseignements personnels ont été mis, contre leur volonté, à la disposition du public sur un tel site, justifient d'un intérêt légitime à se faire communiquer les données leur permettant d'identifier les auteurs des avis et mises à disposition incriminés, afin de leur permettre d'exercer leurs droits à leur encontre. La demande tendant à faire enjoindre à l'éditeur d'un site en ligne de communiquer les données d'identification des auteurs de ces avis et de ces mises à disposition, c'est-à-dire des informations que l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 l'oblige à conserver et à communiquer à l'autorité judiciaire, constitue une mesure légalement admissible, au sens de l'article 145 du code de procédure civile.
En l'espèce, il résulte d'un procès-verbal de constat d'huissier du 02 août 2012 que sur le profil " Muriel Z..." du site Facebook, auquel l'huissier de justice a pu accéder par le compte d'une collaboratrice de son étude, figuraient, d'une part les coordonnées personnelles (prénom et nom, fonction, numéros de téléphone fixes et mobiles, numéro de fax et parfois adresse électronique) de sept personnes, dont David Y..., appartenant toutes au groupe Auvence ainsi qu'en attestent leurs fonctions, d'autre part un long texte signé " Muriel Z...", dénigrant en des termes extrêmement violents et polémiques le rachat de l'école d'informatique INSIA, texte qui commence par ces mots : " La fin de toute une époque, je voudrais rendre un hommage à tous ceux et celles qui ont étudié (e) s et travaillé (e) s à l'INSIA avant que Benito Mussolini inspire Lionel X... et David Y... à racheter cette école qui venait à peine de sortir la tête de l'eau pour tout démolir en trois étapes ", et, après le détail des trois étapes ainsi annoncées, s'achève par ces paragraphes : " Historique : AUVENCE gère des maisons de retraite.// AUVENCE après avoir fait fortune sur le dos des vieux, AUVENCE rachete des écoles, INFOSUP/ INSIA/ INGESUP...// AUVENCE utilise la marque INGESUP et comptait sur le RNCP d'INFOSUP qui a expiré, et celui de l'INSIA qui ne pourront pas utiliser.// AUVENCE/ INGESUP = tous les mêmes bras cassés, la merde peut changer d'apparence mais ça reste de la merde a cause de son odeur si particulière ". Il ressort également de ce constat d'huissier que sur le profil Facebook " David A..." était reproduit le logo " INSIA " et que sur le compte Twitter ... figuraient les coordonnées personnelles des mêmes personnes que celles mentionnées sur le profil Facebook " Muriel Z...".
Les appelants produisent également deux copies d'écran du profil Facebook " INGESUP ", c'est-à-dire du profil de l'école acquise par la société INSIA, la première contenant un message posté par " David A..." le 11 juillet 2012 et ainsi rédigé : " Quelle honte ! Et des mensonges par millier et n'oublie pas ton petit chéquier parceque vous devrez vous payer votre ordinateur portable ! Je suis content de voir que le fascisme n'a pas disparu :)- Bisous de l'italie, benito mussolini ", la seconde comportant un autre message du même auteur, posté à une date non précisée et se terminant par ces mots : " publicité mensongère chez Ingesup ?- Je suis content de voir que le fascisme n'a pas disparu :)- Bisous de l'italie, benito mussolini ".
Contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, les textes, messages et mises à dispositions de données qui précèdent sont publics, ce qui résulte du fait que l'huissier de justice a pu y avoir accès par le profil Facebook de l'une de ses collaboratrices, qui n'est pas une " amie ", au sens du site Facebook, des profils " Muriel Z..." et " David A...". Il en est de même du compte ... sur Twitter. Enfin, le profil " INGESUP " sur lequel ont été postés les messages de David A...est également public. La preuve est donc rapportée de l'intérêt légitime de Lionel X..., de David Y... et de la société INSIA à obtenir les données permettant d'identifier les personnes physiques s'exprimant sous les profils et comptes précités. S'agissant d'une simple demande de renseignements, qui ne porte aucune atteinte grave aux droits des sociétés Facebook et Twitter, la communication de ces informations peut être prescrite par ordonnance sur requête. Il y a donc lieu d'infirmer la décision entreprise et de faire droit à la demande.
Les appelants prient la cour d'assortir sa décision d'une astreinte et de s'en réserver la liquidation. Il convient de faire droit à la première de ces demandes, mais non à la seconde, dans la mesure où il n'existe aucune raison de priver les parties du premier degré de juridiction en cas d'instance en liquidation de l'astreinte. Les appelants demandent également à la cour de dire qu'il lui en sera référé en cas de difficulté, par application de l'article 141 du code de procédure civile. Cependant ce texte n'est applicable qu'au cours d'une instance, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il y a donc lieu de dire qu'il en sera référé à la cour, en cas de difficulté, sur le fondement de l'article 496 alinéa 2 du même code, texte applicable en matière d'ordonnance sur requête.
PAR CES MOTIFS
LA COUR :
Statuant publiquement, et en dernier ressort,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Reçoit Lionel X..., David Y... et la société INSIA en leur appel ;
Infirme l'ordonnance sur requête rendue le 22 octobre 2012 par le président du tribunal de grande instance de Bordeaux ;
Statuant à nouveau :
Vu l'article 145 du code de procédure civile :
Ordonne la communication à Lionel X..., à David Y... et à la société INSIA, par la société Facebook Ireland Limited, dont le siège social est situé Hanover Reach, 5-7 Hanover Quay, Dublin 2, Irlande, des données d'identification des profils " Muriel Z..." et " David A..." mentionnées à l'article 6- II alinéa 4 de la loi du 21 juin 2004 et à l'article 1 du décret du 25 février 2011, à savoir :
- l'identifiant de la connexion à l'origine de la communication-l'identifiant attribué par le système d'information au contenu, objet de l'opération-les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus-la nature de l'opération-les date et heure de l'opération-l'identifiant utilisé par l'auteur de l'opération lorsque celui-ci l'a fourni ;
Ordonne la communication à Lionel X..., à David Y... et à la société INSIA, par la société Twitter Inc, 1355 Market Street, Suite 900, San Francisco, CA 94103, USA, des données d'identification du compte ... mentionnées à l'article 6- II alinéa 4 de la loi du 21 juin 2004 et à l'article 1 du décret du 25 février 2011, à savoir :
- l'identifiant de la connexion à l'origine de la communication-l'identifiant attribué par le système d'information au contenu, objet de l'opération-les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus-la nature de l'opération-les date et heure de l'opération-l'identifiant utilisé par l'auteur de l'opération lorsque celui-ci l'a fourni ;
A cet effet, commet tout huissier de justice territorialement compétent qu'il plaira aux appelants de choisir, avec autorisation et mission :
- dans un premier temps, de demander par courrier simple à chacune des sociétés susnommées communication des données mentionnées ci-dessus, ladite demande devant comporter copie de la requête, de l'ordonnance infirmée et du présent arrêt ;
- dans un deuxième temps, à défaut de réponse dans le délai d'un mois de l'envoi de la lettre simple, de notifier le présent arrêt à chacune des sociétés susnommées ;
Dit que dans la seconde hypothèse, les sociétés Facebook et Twitter disposeront d'un délai d'un mois à compter de la réception de la notification de l'arrêt pour communiquer à l'huissier les informations demandées, à défaut de quoi elles devront payer chacune une astreinte provisoire de 100, 00 € par jour de retard ;
Dit que par application de l'article 496 alinéa 2 du code de procédure civile, les sociétés Facebook et Twitter pourront en référer à la cour, en cas de difficulté d'exécution du présent arrêt ;
Dit que l'huissier de justice commis devra recevoir l'ensemble des données communiquées et les transmettre à Lionel X..., à David Y... et à la société INSIA ;
Condamne Lionel X..., David Y... et la société INSIA aux dépens de l'appel ;
Signé par Louis-Marie Cheminade, président, et par Marceline Loison, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT