COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 1er JUILLET 2015
(Rédacteur : Madame Maud Vignau, Président)
PRUD'HOMMES
N° de rôle : 14/05261
Monsieur [I] [W]
c/
SARL Le Noailles
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par
voie de signification (acte d'huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 juillet 2014 (RG n° F 13/00078) par le Conseil de Prud'hommes - formation paritaire - de Bordeaux, section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 08 septembre 2014,
APPELANT :
Monsieur [I] [W], né le [Date naissance 1] 1962, de nationalité française,
demeurant [Adresse 2],
Représenté par Maître Nathalie Bernat, avocat au barreau de Bordeaux,
INTIMÉE :
SARL Le Noailles, siret n° 325 337 053 00012, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 1],
Représentée par Maître Christophe Biais de la SELARL Christophe Biais - Frédéric Biais & Associés, avocats au barreau de Bordeaux,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 mai 2015 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Maud Vignau, Président,
Madame Marie-Luce Grandemange, Conseiller,
Madame Isabelle Lauqué, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière.
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Monsieur [I] [W] a été engagé par la SARL Le Noailles qui exploite une brasserie, restaurant par contrat de travail à durée indéterminée en date du 04 décembre 2000, en qualité de cuisinier. Le 1er janvier 2010, il est promu en qualité de chef de cuisine -statut cadre-.
Le 13 septembre 2012, Monsieur [W] donne sa démission. Il effectue son préavis jusqu'à son terme, soit le 13 décembre 2012.
Monsieur [W] rachète un fonds de commerce en liquidation, le 06 septembre 2012 et signe les statuts de sa nouvelle société le 17 octobre 2012.
Le 11 janvier 2013, Monsieur [W] saisit le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux, aux fins de voir condamner son employeur à lui verser les sommes dues pour les heures supplémentaires effectuées non payées, requalifier sa démission en prise d'acte aux torts de l'employeur produisant ainsi les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement en date du 29 juillet 2014, le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux, section Encadrement, a jugé les demandes de Monsieur [W] infondées et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes. Monsieur [W] a été condamné à verser à la SARL Le Noailles la somme de 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens et frais d'exécution.
Monsieur [W] a régulièrement interjeté appel de cette décision le 08 septembre 2014.
Par conclusions du 28 avril 2015, développées oralement à l'audience, Monsieur [W] sollicite de la Cour qu'elle :
- réforme le jugement précité en toutes ses dispositions,
- dise qu'il a effectué des heures supplémentaires non rémunérées,
- que la SARL Le Noailles n'a pas exécuté, de bonne foi, son contrat de travail,
- que sa démission s'analyse en une prise d'acte de la rupture ayant les effets d'un licen- ciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamne, l'employeur à lui verser les sommes suivantes :
' 73.274,92 € à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,
' 7.327,49 € à titre de congés payés afférents,
' 15.130,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice
résultant des repos compensateurs non pris,
' 2.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour non information au titre
du repos compensateur,
' 31.582,53 € à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
' 79.600,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause
réelle et sérieuse,
' 15.917,31 € à titre d'indemnité de licenciement,
' 8.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du
contrat de travail,
et enfin :
' 3.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonne à la SARL Le Noailles la remise des documents de fin de contrats rectifiés, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à venir,
- condamne la SARL Le Noailles aux entiers dépens et frais éventuels d'exécution.
Par conclusions du 06 Mai 2015, développées oralement à l'audience, la SARL Le Noailles sollicite de la Cour qu'elle :
- confirme, en toutes ses dispositions, le jugement suscité,
- dise que la démission de l'appelant est dépourvue de toute équivoque,
- déboute l'appelant de toutes ses demandes,
- condamne l'appelant à lui verser la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de la présente procédure et éventuels
frais d'exécution.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées, oralement reprises.
SUR CE, LA COUR :
Sur la demande d'heures supplémentaires
Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au
juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ;
le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'ins-truction qu'il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cepen-dant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.
En l'espèce, Monsieur [W], au soutien de son appel, fait valoir qu'il travaillait dès 9 heures du matin pour réceptionner la marchandise et finissait au mieux à 14 heures souvent à 14 heures 30 voir 15 heures (soit 5 heures, 5 heures 30 pour le service du matin) et effectuait entre 4 heures, 4 heures 30 pour le service du soir. Il indiquait ainsi effectuer 45 heures de travail en moyenne par semaine, au lieu des 35 heures rémunérées, soit systématiquement dix heures supplémentaires par semaine non rémunérées. Il demande la somme de 73.274,92 € à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires.
Pour étayer sa demande il produit des tableaux établis pour les besoins de la cause reprenant systématiquement les mêmes horaires et les attestations de plusieurs salariés.
Il s'ensuit que le salarié produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande.
L'employeur conteste que le salarié ait, comme il le prétend, systématiquement commencé son service du matin à 9 heures et non à 11 heures. L'employeur rapporte la preuve que contrairement à ses dires, Monsieur [W], chef cuisinier, ne réceptionnait pas les marchandises lors des livraisons. Il ne les réception-nait que très ponctuellement, l'employeur produit non seulement des bons de livraison signés par d'autres personnels de l'établissement mais également des attestations de personnels qui contredisent formellement les témoignages produits par Monsieur [W].
L'employeur conteste formellement que Monsieur [W] ait effectué 10 heures supplémentaires non rémunérées ni récupérées par semaine, l'employeur établit que Monsieur [W], en sa qualité de chef de cuisine, était chargé d'établir les emplois du temps et les plannings de tous les salariés affectés à ce service, y compris le sien. Ce qui est confirmé par les attestations de plusieurs salariés, et par le chef de cuisine qui a succédé à Monsieur [W].
L'employeur précise que les heures supplémentaires étaient compensées par des repos qui étaient intégrés aux plannings par Monsieur [W], et il produit les attestations de plusieurs salariés qui témoignent que les heures supplémentaires étaient bien compensées par des jours de repos (pièce 19 du salarié). Contrairement à ce qu'il prétend, Monsieur [W] ne démontre pas que les témoignages produits par l'em-ployeur l'aient été sous la contrainte ou la menace.
L'employeur produit une attestation établie par Monsieur [W], lui-même, le 03 mars 2013, au soutien d'un autre salarié en litige avec l'employeur Monsieur [S] [N], dans ce témoignage Monsieur [W] indique que les 'horaires de travail de Monsieur [S] [N] au cours des cinq dernières années ont été pratiquement identiques aux miens car nous avions presque toujours les mêmes jours de repos, soit une moyenne hebdomadaire de 42-43 heures'. Ce qui est en contradiction avec ses propres conclusions et les heures qu'il sollicite.
L'employeur fait valoir que durant toute la durée du contrat de travail y compris dans sa lettre de démission le salarié n'a jamais revendiqué pas plus d'ailleurs qu'aucun autre des salariés de l'entreprise, de ne pas avoir récupéré les heures supplémentaires effectuées.
Enfin, surtout, contrairement à ce que soutient Monsieur [W] page 21
de ses conclusions, l'inspecteur du travail qui s'est déplacé au sein de la société, en mars 2013, à la demande du salarié et de Monsieur [S] [N], (pièce 35 du salarié) soit trois mois seulement après la fin du préavis de Monsieur [W], et deux mois après la saisine du Conseil de Prud'hommes par ce dernier, n'a pas constaté de violation ni le non respect par l'employeur des dispositions légales et conventionnelles concernant le temps de travail. En effet, suite aux réponses apportées par la SARL Le Noailles le 07 juin 2013 (pièce 40 de l'employeur) à ses propres constatations opérées sur place en mars 2013, l'inspecteur n'a établi aucun constat ni relevé aucune infraction à la durée du temps de travail pour les salariés de l'entreprise, durant la période considérée.
Il en résulte, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, que la Cour a la conviction que Monsieur [W] n'a pas effectué les heures supplémentaires alléguées.
Sa demande relative aux heures supplémentaires doit par conséquent être rejetée.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur la demande du salarié pour exécution déloyale du contrat de travail
Le salarié ne produit aucun élément en dehors de deux attestations particulièrement vagues pour établir que l'employeur ne respectait pas ses obligations en matière d'hygiène et de sécurité. L'employeur produit des photographies de la totalité de l'établissement, des cuisines, ainsi que des témoignages qui démentent les faits dénoncés par le salarié.
Le salarié a démissionné le 13 septembre 2012. La rupture du contrat de
travail est intervenue à cette date. Dès lors, Monsieur [W] ne peut utilement demander à la Cour de retenir au titre de l'exécution déloyale de son propre contrat de travail, des faits survenus à l'encontre d'autres salariés, plusieurs mois après cette rupture.
Il s'ensuit que la Cour déboute le salarié de sa demande non fondée.
Sur la requalification de la démission en prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeurs ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits
invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.
L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.
Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.
En l'espèce, Monsieur [W] dans sa lettre de démission adressée le
13 septembre 2012 n'évoque aucun manquement, aucun grief à l'encontre de son employeur.
Ce n'est qu'à la fin de son préavis le 05 décembre 2012 que son avocat demandera à l'employeur de verser des heures supplémentaires non payées ni récupérées.
Monsieur [W] demandera à l'inspection du travail d'effectuer un contrôle peu après son départ effectif (page 44 de ses conclusions).
Or, à la suite de ce contrôle, l'inspection du travail n'a établi aucun man-
quement, aucune violation de l'employeur à ses obligations légales et conventionnelles concernant tant la durée du travail que l'hygiène et la sécurité du salarié.
Monsieur [W] ayant été débouté de sa demande d'heures supplémen-
taires, il n'établit aucun grief à l'encontre de son employeur suffisamment grave pour justifier que la prise d'acte soit prononcée aux torts de l'employeur et dès lors, la Cour dit que la rupture de son contrat de travail produit les effets d'une démission.
Ce d'autant que l'employeur établit que Monsieur [W] a racheté un
fonds de commerce en liquidation le 06 septembre 2012 une semaine avant sa démission et signé les statuts de sa nouvelle société le 17 octobre 2012 pour reprendre un établissement de restauration à son propre compte.
L'équité et les circonstances de la cause commandent Monsieur [W], succombant en cause d'appel, de le condamner à verser la SARL Le Noailles la somme de 1.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
' Confirme la décision attaquée dans toutes ses dispositions.
Y ajoutant :
' Condamne Monsieur [W] à verser à la SARL Le Noailles la somme de 1.000 € (mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Signé par Madame Maud Vignau, Président, et par Madame Anne-Marie Lacour-Rivière, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Anne-Marie Lacour-Rivière Maud Vignau