COUR D'APPEL DE BORDEAUX
3ème CHAMBRE FAMILLE
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ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024
N° RG 21/01721 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MAOD
[V] [W]
[B] [W]
[U] [W]
c/
[G] [W]
[M] [W]
[H] [W] épouse [J]
Nature de la décision : AU FOND
28A
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 février 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (RG n° 18/10191) suivant déclaration d'appel du 23 mars 2021
APPELANTS :
[V] [W]
né le [Date naissance 5] 1981 à [Localité 23]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 16]
[B] [W]
né le [Date naissance 3] 1973 à [Localité 23]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 17]
[U] [W]
né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 23]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 15] (SUISSE)
Représentés par Me Laeticia CADY de la SELAS GAUTHIER-DELMAS, avocat au barreau de BORDEAUX substitué par Me Lola BONNET
INTIMÉS :
[G] [W]
né le [Date naissance 10] 1952 à [Localité 25]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 9]
[M] [W]
né le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 25]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 12]
[H] [W] épouse [J]
née le [Date naissance 13] 1955 à [Localité 25]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 18]
Représentés par Me Michel PUYBARAUD de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 avril 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :
Présidente : Hélène MORNET
Conseillère : Danièle PUYDEBAT
Conseillère : Isabelle DELAQUYS
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Véronique DUPHIL
Greffière lors du prononcé : Florence CHANVRIT
Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
De l'union de M. [L] [W] et de Mme [K] [C], mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts le [Date mariage 7] 1942, sont issus 5 enfants:
- M. [F] [W],
- M. [M] [W],
- M. [G] [W],
- Mme [H] [W], épouse [J],
- M. [O] [W].
Aux termes d'un acte reçu le 10 novembre 1979 par Maître [Z], notaire à [Localité 25] (10), M. [L] [W] et son épouse Mme [K] [C] ont fait donation entre vifs à leurs cinq enfants à titre de partage anticipé, conformément aux dispositions des articles 1075 du code civil, chacun pour un cinquième, de la nue-propriété de plusieurs biens immobiliers situés sur les communes de [Localité 20] (74), [Localité 19] (83), [Localité 25] (10), [Localité 24] (10) et de [Localité 21].
Par suite, ainsi qu'il est mentionné à l'acte de donation, les donataires, avec le concours et sous la médiation des donateurs avaient procédé au partage des biens et droits immobiliers donnés. La consistance de la masse à partager ne permettant pas de former des lots d'égale valeur et afin que les cinq enfants soient attributaires de droits égaux, il avait été mis à la charge :
- de M. [F] [W] le paiement :
* d'une soulte de 38.550 francs au profit de M. [M] [W],
* d'une soulte de 19.800 francs au profit de M. [G] [W],
* d'une soulte de 20.100 francs au profit de Mme [H] [W],
- de M. [O] [W] le paiement d'une soulte de 10.950 francs au profit de Mme [H] [W].
Aux termes d'une contre-lettre du 10 novembre 1979, écrite par M. [L] [W] et signée par les 5 donataires, il est exposé que "les susnommés reconnaissent que les soultes dont il est fait mention dans l'acte de donation partage reçue en date de ce jour par Maître [Z], n'ont fait l'objet d'aucun règlement et qu'il devra en être tenu compte à l'occasion de la liquidation de la succession du survivant de leurs parents.
Ils sont d'accord pour reconnaître d'autre part que M. [F] [W] a reçu à l'occasion de son mariage la somme en frs 65.000 représentant la moitié de la valeur d'acquisition de l'immeuble [Adresse 4] et la moitié des frais d'acquisition de cet immeuble en sus de cette somme.
Dans les mêmes conditions [M] a reçu la somme en numéraire de 70.000 francs pour l'acquisition de l'immeuble [Adresse 22] et en sus les frais de cette acquisition".
M. [L] [W] est décédé le [Date décès 6] 1998.
M. [F] [W] est décédé le [Date décès 14] 2008 et a laissé pour recueillir sa succession ses trois enfants majeurs, MM. [B] [W], [U] [W] et [V] [W].
Mme [K] [W] est décédée le [Date décès 8] 2013.
Dans le cadre des opérations de succession de Mme [K] [W], M. [G] [W], M. [M] [W] et Mme [H] [W] épouse [J] ont sollicité auprès de M. [B] [W], M. [U] [W] et M. [V] [W], venus en représentation de leur père, de leur payer les soultes mises à la charge de celui-ci par l'acte du 10 novembre 1979.
M. [B] [W], M. [U] [W] et M. [V] [W] se sont opposés via leur notaire au paiement de ces soultes au motif notamment de la rupture de l'équilibre du partage, suite au legs consenti par Mme [K] [W] par testament olographe du 25 juin 2009 au profit de ses quatre enfants toujours en vie.
Aussi, par actes d'huissier distincts en date des 29 et 30 octobre 2018 et 2 novembre 2018, M. [G] [W], M. [M] [W] et Mme [H] [W] épouse [J] ont assigné M. [B] [W], M. [U] [W] et M. [V] [W] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux pour obtenir le paiement par eux desdites soultes revalorisées.
Par jugement en date du 18 février 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- débouté M. [B] [W], M. [U] [W] et M. [V] [W] de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné in solidum M. [B] [W], M. [U] [W] et M. [V] [W] à payer à :
* M. [M] [W] la somme de 88.114,14 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2015,
* M. [G] [W] la somme de 45.257,30 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2015,
* Mme [H] [W] épouse [J] la somme de 45.942,77 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2015,
- débouté les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum M. [B] [W], M. [U] [W] et M. [V] [W] aux dépens de l'instance dont distraction au profit de la S.C.P. Guillemoteau Bernardou Raffy,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Procédure d'appel :
Par déclaration d'appel en date du 23 mars 2021, M. [B] [W], M. [U] [W] et M. [V] [W] (les appelants) ont formé appel du jugement de première instance en toutes ses dispositions.
Selon dernières conclusions en date du 4 janvier 2023, les appelants demandent à la cour de :
- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 18 février 2021 entre les parties en ce qu'il a :
* débouté M. [B] [W], M. [U] [W] et M. [V] [W] de l'ensemble de leurs demandes,
* condamné in solidum M. [B] [W], M. [U] [W] et M. [V] [W] à payer à :
** M. [M] [W] la somme de 88.114,14 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2015,
** M. [G] [W] la somme de 45.257,30 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2015,
** Mme [H] [W] épouse [J] la somme de 45.942,77 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2015,
Statuant à nouveau, à titre principal,
- déclarer nulle et de nul effet la contre lettre signée le 10 novembre 1979,
- en conséquence, rejeter toute demande de paiement formée à l'encontre de M. [V] [W], de M. [U] [W], de M. [B] [W],
Statuant à nouveau, à titre subsidiaire,
- rejeter toute demande de paiement formée à l'encontre de M. [V] [W], de M. [U] [W], de M. [B] [W], faute d'avoir été formée dans le cadre d'une instance en partage judiciaire comme exigée par la contre lettre du 10 novembre 1979,
Statuant à nouveau, à titre infiniment subsidiaire,
- ordonner le paiement des soultes en moins prenant dans le cadre du partage amiable de la succession de Mme [K] [C] pour leur montant initial fixé de manière contractuelle dans l'acte de donation partage du 10 novembre 1979 à l'exclusion de toute réévaluation et sans intérêt,
Statuant à nouveau à titre très infiniment subsidiaire,
- rejeter la demande de revalorisation des soultes, et ordonner un paiement au montant nominal constaté dans l'acte authentique de donation partage du 10 novembre 1979,
- rejeter la demande de fixation d'intérêt au taux légal, ou à minima la limiter à la date de la décision à intervenir,
Statuant à nouveau, et en tout état de cause,
- condamner in solidum Mme [H] [J], M. [G] [W], et M. [M] [W] à restituer à M. [V] [W] les sommes perçues en exécution du jugement réformé, soit :
* 35.352,59 euros à rembourser par M. [M] [W] avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil, à compter du 18 février 2021, date du règlement initial,
* 18.157,86 euros à rembourser par M. [G] [W], avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil, à compter du 18 février 2021, date du règlement initial,
* 18.432,86 euros à rembourser par Mme [H] [W] épouse [J], avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil, à compter du 18 février 2021, date du règlement initial,
- condamner in solidum Mme [H] [J], M. [G] [W], et M. [M] [W] à restituer à M. [B] [W] les sommes perçues en exécution du jugement réformé, soit :
* 35.352,59 euros à rembourser par M. [M] [W], avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil, à compter du 18 février 2021, date du règlement initial,
* 18.157,86 euros à rembourser par M. [G] [W], avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil, à compter du 18 février 2021, date du règlement initial,
* 18.432,86 euros à rembourser par Mme [H] [W] épouse [J], avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil, à compter du 18 février 2021, date du règlement initial,
- rejeter toutes les demandes formées par Mme [H] [J], M. [G] [W], et M. [M] [W],
- condamner in solidum [H] [J], M. [G] [W], et M. [M] [W] à verser à Messieurs [V], [B] et [U] [W] la somme de 5.000 euros chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon dernières conclusions en date du 23 mars 2023, les consorts [W]-[J] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
- débouter les appelants de toutes leurs demandes, fins moyens et prétentions,
- condamner les appelants in solidum à payer aux concluants :
* une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et injustifié.
* une somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner enfin aux entiers dépens d'instance et d'appel, avec faculté de recouvrement direct au profit de la S.E.L.A.R.L. Mathieu Raffy ' Michel Puybaraud, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 mars 2024.
L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 9 avril 2024 et mise en délibéré au 4 juin 2024. Le délibéré a été prorogé au 11 juillet 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nullité de la contre lettre du 10 novembre 1979 :
Les appelants soulèvent la nullité de la contre-lettre, au 1er motif que celle-ci n'a pas été signée par toutes les parties à l'acte authentique apparent de donation-partage, en l'espèce elle n'a pas été signée par les deux parents donateurs.
Les intimés opposent que la jurisprudence de la Cour de cassation n'exige pas, pour valider la contre-lettre, que l'écrit valant contre-lettre soit signé de toutes les parties à l'acte apparent.
L'article 1321 du code civil (devenu article 1201) applicable à l'instance, disposait que "les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes ; elles n'ont point d'effet contre les tiers".
L'article 1321-1 disposait en outre que "est nulle et de nul effet toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d'un office ministériel et de toute convention ayant pour but de dissimuler partie du prix de vente d'immeubles ou d'une cession de fonds de commerce ou de clientèle ou d'une cession d'un droit à un bail ou du bénéfice d'une promesse de bail portant sur tout ou partie d'un immeuble et tout ou partie de la soulte d'un échange ou d'un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle".
Ainsi, la notion de contre-lettre suppose l'existence de deux conventions, l'une ostensible, en l'espèce l'acte notarié de donation-partage en date du 10 novembre 1979, l'autre occulte, soit la lettre dont il n'est pas discuté qu'elle a été rédigée de la main de M. [L] [W], père donateur et qu'elle n'a été signée le même jour que par les cinq enfants [W], cette dernière destinée à modifier les stipulations de l'acte apparent, la donation partage.
Toutefois, ainsi que le précise explicitement la contre-lettre du 10 novembre 1979, ce document mentionne que "Les susnommés (soit les cinq enfants donataires) reconnaissent que les soultes dont il est fait mention dans l'acte de donation partage reçu en date de ce jour par Maître [Z], notaire à [Localité 25], n'ont fait l'objet d'aucun règlement et qu'il en sera tenu compte à l'occasion de la liquidation de la succession du survivant de leurs parents".
Il en résulte que la contre-lettre n'avait pour but, ni de modifier ou d'annuler la répartition des biens donnés par les parents donateurs entre les donataires, ni de remettre en cause le principe ou le montant des soultes fixées à l'acte notarié, mais uniquement d'en constater l'absence de règlement, contrairement à ce qu'affirmait l'acte authentique, et de différer ce règlement à la liquidation de la succession du survivant de leurs parents donateurs.
Ainsi, cette convention occulte ne concernant que les relations entre les donataires, puisque sans incidence sur l'objet et la valeur des biens donnés, elle ne peut encourir la nullité prétendue pour n'avoir pas été signée par les deux donateurs, lesquels n'étaient pas et n'avaient pas à ête parties à cette convention, dès lors que la contre-lettre ne remettait pas en cause l'étendue de leur engagement de donateurs ni le montant des soultes prévues à l'acte apparent.
De 2ème part et au regard de la force obligatoire des conventions entre les parties, la contre-lettre ne peut davantage être annulée, dès lors que seuls les cinq enfants donataires étaient parties à leur convention occulte portant sur le règlement des soultes, et venant en cela modifier les dispositions de l'acte notarié.
Dès lors, l'absence des donataires à l'acte occulte est sans effet sur sa validité.
De 3ème part, la cour estime que le fait que la contre-lettre litigieuse comporte en outre reconnaissance de dons manuels reçus par [F] et [M] demeure sans aucun effet sur la validité de l'acte occulte, s'agissant du règlement des soultes fixées par l'acte de donation-partage du même jour.
En dernier lieu, les appelants invoquent l'absence de connaissance de la contre-lettre par Mme [K] [C], ainsi qu'en atteste le testament rédigé par elle le 25 juin 2009, qui lègue à ses quatre enfants [M], [G], [H] et [O] un bien immobilier à [Localité 25] pour des raisons d'équité.
Ce testament, attribué sans discussion à Mme [K] [C], veuve [W] et daté du 25 juin 2009 stipule explicitement
"Dans un souci d'équité et afin de corriger les inégalités des valeurs apparues avec le temps dans la donation-partage faite avec mon mari (hausse très importante de la valeur du chalet de [Localité 20] par rapport aux autres biens donnés), je lègue à titre préciputaire ma maison de [Localité 25], [Adresse 11] à mes quatre enfants (ou à leurs représentants) [M], [A], [H] et [O]".
Il en résulte que la volonté non équivoque de la testatrice était bien de corriger les inégalités de valeurs apparues avec le temps, soit 20 ans après l'acte de donation-partage, plus précisément concernant le bien de [Localité 20], attribué en nue-propriété à [F], pour une valeur de 525 000 francs, montant supérieur à sa part dans la totalité des biens donnés, justifiant le versement par lui à ses copartageants d'une soulte de 78 450 francs.
Or, ainsi que le concluent les intimés, un testament n'est pas de nature à modifier les dispositions d'un acte antérieur de donation-partage.
Dès lors, le testament demeure sans effet sur la validité de la contre-lettre, dont la connaissance ou l'ignorance par la testatrice était sans incidence sur le contenu de la contre-lettre, s'agissant d'un legs destiné à rééquilibrer l'évolution de la valeur des biens partagés en 1979, sans pouvoir modifier leur évaluation de l'époque ni le montant de la soulte alors fixée dans la donation-partage.
En tout état de cause, le contenu de la donation-partage, en ce qui concerne la valeurs des biens et le montant des soultes, ne peut être modifié et conduire à une revalorisation des soultes, indépendamment de l'existence du legs.
Le même raisonnement vaut pour le produit de la vente de l'usufruit de Mme [C] sur le lot attribué à [F] qu'elle aurait transmis, pour 300 000 euros à ses quatre autres enfants, dans un même souci de rééquilibrage des valeurs données.
Enfin, les appelants font état de la jurisprudence qui exige que la contre-lettre doit être signée par toutes les parties à l'acte apparent et qu'à défaut, elle ne peut pas modifier celui-ci.
Il a toutefois été précédemment rappelé qu'en l'espèce, la contre-lettre n'est venue modifier ni la valeur des biens donnés, ni celle des soultes mise à la charge de certains des copartageants et qu'en ne portant que sur le moment du règlement des soultes entre eux, elle n'encourrait pas la nullité du seul fait de l'absence des donateurs.
L'authencité de l'écrit, signé par les cinq copartageants, n'est pas au demeurant discutée.
Il convient dès lors de confirmer la validité de la contre-lettre litigieuse.
Sur la demande subsidiaire tendant à intégrer le montant des soultes en moins prenant dans le cadre du partage de la succession de Mme [K] [C]
A titre subsidiaire, les appelants font valoir que la contre-lettre ne prévoit pas de délais de paiement, mais un paiement par compensation avec leurs droits dans la succession, en moins prenant.
Ils en déduisent qu'il convient de réformer le jugement, en ce qu'il accueille la demande de paiement formée à l'encontre des concluants, faute d'avoir été faite dans le cadre d'une demande de partage.
Il est toutefois constant que la donation-partage a un caractère définitif et produit les effets d'un partage dès le jour de la donation. Les copartagés acquièrent immédiatement et irrévocablement la propriété des biens mis dans leur lot.
Il résulte des dispositions de l'article 1078 du code civil que, "nonobstant les règles applicables aux donations entre vifs, les biens donnés seront, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage pour l'imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l'ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l'aient expressément accepté, et qu'il n'ait pas été prévu de réserve d'usufruit portant sur une somme d'argent".
Dès lors, les biens reçus par les copartageants, pour leurs valeurs au jour de la donation-partage, ont été fictivement inclus dans l'actif successoral, ainsi qu'il résulte de la déclaration de succession de Mme [K] [C] (pièce n°4 des intimés) afin de calculer le montant de la réserve et de l'imputation.
Il n'en résulte nullement que le règlement des soultes litigieuses, résultant de la convention passée, suivant contre-lettre reconnue valable, entre les donataires, doive figurer dans l'acte de liquidation et de partage des successions des époux [W]-[C], sauf accord des cohéritiers pour que le montant de ces soultes y apparaisse au titre des compensations à faire entre les copartageants ou décision d'intégration ordonnée dans le cadre du présent litige.
Tel est le sens de la "condition particulière" mentionnée en page 30 de l'acte de liquidation et de partage signé en date du 6 octobre 2021, laquelle indique :
" Les parties rappellent que des contestations demeurent entre elles concernant le paiement des soultes contenues dans l'acte de donation-partage du 10 novembre 1979 qui sont actuellement soumises à l'appréciation de la cour d'appel de Bordeaux dans le cadre d'une procédure pendante devant la 3ème chambre famille de ladite cour sous le n° RG 21/01721.
Les parties rappellent expressément que la signature du présent acte de partage n'entraîne pas désistement d'instance ou d'action, acquiescement ou renonciation totale ou partielle à toutes les demandes formées devant la cour d'appel, ni concessions réciproques ou transaction sur leurs demandes respectives dans le cadre de ladite instance.
La signature du présent acte ne fait par ailleurs pas obstacle à l'application totale de l'arrêt qui sera rendu par la cour d'appel et notamment à la signature d'un acte complémentaire de liquidation et partage de la succession de Mme [K] [C] quant au paiement des soultes s'il venait à être considéré par la cour d'appel que le paiement de celles-ci doit être intégré à la liquidation de la succession présentement partagée".
En conséquence de l'autonomie de l'instance en paiement des soultes, résultant de la validité reconnue à la contre-lettre du 10 novembre 1979, exécutoire entre les seuls donataires signataires ou leurs représentants, il n'y a pas lieu, en l'espèce, d'intégrer ce paiement à la liquidation et au partage desdites successions.
La demande subsidiaire sera dès lors rejetée.
Sur la demande infiniment subsidiaire relative à l'inapplicabilité de l'article 828 du code civil :
Il résulte des dispositions de l'article 828 du code civil que lorsque le débiteur d'une soulte a obtenu des délais de paiement et que, par suite de circonstances économiques, la valeur des biens qui lui sont échus a augmenté ou diminué de plus du quart depuis le partage, les sommes restant dues augmentent ou diminuent dans la même proportion, sauf exclusion de cette variation par les parties.
L'article 1075-4 précise que les dispositions de l'article 828 sont applicables aux soultes mises à la charge des donataires, dans le cadre des libéralités-partages, nonobstant toute convention contraire.
La cour confirmant que l'effet de la contre-lettre est bien de différer le terme du règlement des soultes au jour de la liquidation de la succession du dernier vivant des donataires, ne peut qu'approuver l'application des dispositions précitées aux soultes dues par les appelants.
Dès lors, les moyens repris par ceux-ci, pour contester l'application de l'article 828 et la revalorisation du montant des soultes, précédemment invoqués et écartés pour rejeter leur demande de nullité de la contre-lettre, à savoir:
- la contradiction de la contre-lettre au contenu de l'acte authentique de donation-partage, en ce qu'il mentionne que le montant des soultes a été acquitté,
- du fait de la compensation de valeur réalisée par testament ou bénéfice d'une assurance vie,
- en l'absence des donateurs à la contre-lettre,
ne sauraient davantage prospérer, au regard des éléments précédemment rappelés pour valider la contre-lettre.
Il convient dès lors de confirmer le montant des soultes revalorisées telles que retenues par le jugement déféré.
S'agissant enfin de la condamnation contestée aux intérêts au taux légal, sur les sommes dues, à compter du 12 septembre 2015, il convient de la confirmer, au visa des dispositions de l'article 1231-6 du code civil, lequel énonce que " les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure".
Les intimés ont justifié avoir mis en demeure, par lettres recommandées avec accusés de réception en date du 12 septembre 2015, les appelants de s'acquitter du montant des soultes revalorisées (pièces n° 11 à 14).
Les appelants s'étant acquittés des sommes fixées, avec exécution provisoire, par le jugement déféré, seront condamnées au surplus aux intérêts au taux légal dûs depuis leur règlement et jusqu'à complet paiement.
Sur les autres demandes :
Les appelants qui succombent seront condamnés aux entiers dépens de l'appel.
L'appel constituant une voie de recours ouverte à tout justiciable, garantissant son accès au juge et la possibilité de contester une décision contraire à ses prétentions, ne peut être qualifié d'abusif que dans des circonstances particulières caractérisant la faute de l'appelant.
En l'espèce, aucune faute n'est établie à l'endroit des appelants susceptible de caractériser un abus de droit. Les intimés seront en conséquence déboutés de leur demande de dommages et intérêts.
L'équité commande toutefois de les condamner, in solidum, à s'acquitter d'une somme de 1 500 euros au profit de chacun des intimés, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
CONFIRME le jugement déféré ;
Y ajoutant,
DIT que les sommes restant dues porteront intérêts au taux légal jusqu'à parfait paiement ;
CONDAMNE les appelants, M. [B] [W], M. [U] [W] et M. [V] [W], in solidum, aux entiers dépens de l'appel ;
Les CONDAMNE, in solidum, à payer à chacun des trois intimés, M. [G] [W], M. [M] [W] et Mme [H] [W] épouse [J], la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties de toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;
Le présent arrêt a été signé par Hélène MORNET, présidente, et par Florence CHANVRIT, Adjointe Administrative Principale faisant fonction de greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,