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28/08/2024 | FRANCE | N°21/05557

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 28 août 2024, 21/05557


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 28 AOUT 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/05557 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MLDR













Madame [V] [J]



c/



S.N.C. THABAC

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée le :
>

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 septembre 2021 (R.G. n°F 20/00297) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 06 octobre 2021,





APPELANTE :

Madame [V] [J]

née le 22 Septembre 1972 à [Localité 6] de nationalité Française,...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 28 AOUT 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/05557 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MLDR

Madame [V] [J]

c/

S.N.C. THABAC

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 septembre 2021 (R.G. n°F 20/00297) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 06 octobre 2021,

APPELANTE :

Madame [V] [J]

née le 22 Septembre 1972 à [Localité 6] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Elsa MATTHESS-MAURIAC, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SNC Thabac (Société de Thalassothérapie de la Baie d'[Localité 3]), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 434 976 718

représentée par Me Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Me Valérie ROUVREAU, avocat au barreau de CHARENTE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 juin 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Tronche, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [V] [J], née en 1972, a été engagée, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er juin 2001, en qualité de plongeur-aide de cuisine par la SNC SHAA Novotel [Localité 3], aux droits de laquelle est venue par la suite la SNC Thabac, exploitant son activité sous l'enseigne Thalazur [Localité 3].

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des hôtels, cafés, restaurants.

Mme [J] a été placée en arrêt de travail à plusieurs reprises au cours de la relation de travail, notamment à compter du 17 novembre 2017, prolongé jusqu'au 4 janvier 2019.

Le 16 mai 2018, elle a déposé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, prise en charge comme telle par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie le 22 octobre 2018 au titre du tableau n°57 concernant : « les affections péri-articulaires provoquées par certains gestes et postures de travail ».

La salariée a repris son travail le 5 janvier 2019 dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, le médecin du travail préconisant la suppression de port de charges supérieures à 5kg.

Le mi-temps thérapeutique a pris fin le 21 avril 2019, et suite à une période de congés payés, Mme [J] a repris son travail à temps complet le 3 juin 2019.

Lors d'une visite de reprise du 5 juin 2019, le médecin du travail a préconisé un travail allégé et maintenu la restriction du port de charges.

Mme [J] a de nouveau été placée en arrêt de travail pour maladie professionnelle du 13 juin au 1er septembre 2019, avant d'être consolidée le 2 septembre suivant.

Entre temps, le 23 août 2019, elle a déposé une demande de reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur auprès de la CPAM.

Lors d'une visite de reprise du 3 septembre 2019, la salariée a été déclarée inapte, le médecin du travail précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par lettre datée du 5 septembre 2019, Mme [J] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 16 septembre suivant, avant d'être licenciée pour inaptitude à l'emploi par lettre datée du 19 septembre 2019.

A la date du licenciement, elle avait une ancienneté de 18 ans et 3 mois, et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Le 25 février 2020, Mme [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux, contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, considérant que l'employeur avait manqué à ses obligations de sécurité et de reclassement.

Par jugement rendu le 16 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a :

- jugé que la société Thabac n'a pas manqué à son obligation de sécurité et de reclassement,

- dit que le licenciement pour inaptitude professionnelle de Mme [J] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté Mme [J] de l'ensemble de ses demandes,

- mis les dépens à la charge de Mme [J].

Par déclaration du 6 octobre 2021, Mme [J] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 septembre 2023, Mme [J] demande à la cour de

- infirmer le jugement entrepris,

- constater l'absence de consultation du CSE,

- constater l'absence de recherche de reclassement au niveau des groupes,

- constater la discrimination du fait de son état de santé,

- constater le non-respect de l'obligation de sécurité,

En conséquence,

- juger que le licenciement est nul ou à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :

* à titre principal, 49.544,16 euros nets de CSG/CRDS (correspondant à 24 mois de salaire) à titre d'indemnité pour licenciement nul,

* à titre subsidiaire, 49.544,16 euros nets de CSG/CRDS (correspondant à 24 mois de salaire) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, si la cour acceptait de déroger au barème d'indemnisation dit barème Macron,

* à titre infiniment subsidiaire, 29.932,93 euros nets de CSG/CRDS (correspondant à 14,5 mois de salaire) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, si la cour appliquait le barème Macron,

En tout état de cause,

- condamner son employeur au paiement des sommes suivantes :

* 20.000 euros nets à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur,

* 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- prononcer l'anatocisme,

- condamner l'employeur aux dépens et frais éventuels d'exécution.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 mai 2024, la société Thabac demande à la cour, outre de juger recevable mais infondé l'appel interjeté par Mme [J], de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement critiqué,

- la condamner à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre à supporter les dépens de la présente instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 mai 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 25 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Pour infirmation de la décision entreprise, Mme [J] soutient que son licenciement, d'une part, serait dénué de cause réelle et sérieuse, l'employeur ayant manqué à son obligation de reclassement et violé son obligation de sécurité et d'autre part, serait nul en raison de la discrimination du fait de son état de santé.

L'employeur conclut au bien-fondé du licenciement de Mme [J] au regard de son inaptitude professionnelle.

Sur la nullité du licenciement en raison d'une discrimination et l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, à l'origine de l'inaptitude.

Mme [J] affirme avoir été victime de discrimination à raison de son état de santé, l'employeur n'ayant pas pris en compte son état de santé, qu'il n'ignorait pas, ni aucune mesure de nature à ne pas l'aggraver, contraignant ainsi le médecin du travail à établir une déclaration d'inaptitude à l'emploi dans l'entreprise.

* * *

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail applicable au litige, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en raison de son état de santé.

L'article L.1134-1 du même code prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination , et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Par ailleurs, aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu, pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, de prendre les mesures nécessaires qui comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés; il doit veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

La charge de la preuve du respect de l'obligation de sécurité pèse sur l'employeur qui doit démontrer qu'il a pris toutes les mesures figurant aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Il est constant que lorsque l'inaptitude physique du salarié a pour origine un comportement fautif de l'employeur, cette inaptitude ne peut constituer un motif légitime de rupture et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

* * *

Au soutien de la discrimination et du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, Mme [J] invoque tout à la fois l'absence totale d'aménagement et d'allégement de sa charge de travail dès 2014 hormis un mi-temps thérapeutique, l'absence de fiche de poste et de formation aux gestes et postures, l'obligation de s'occuper, le soir, des containers de poubelles en les tirant jusqu'au point de collecte, l'absence de réunion du CHSCT évoquant son cas ainsi que l'absence de document unique d'évaluation des risques mis à jour.

Mme [J] verse aux débats :

- ses arrêts de travail du 17 novembre 2017, du 24 novembre 2017 au 4 janvier 2019, du 5 janvier au 2 avril 2019, du 9 mai 2019, du 13 juin 2019, du 21 juin au 2 septembre 2019,

- la notification de la prise charge de sa maladie professionnelle du 22 octobre 2018,

- les attestations de suivi établies par le médecin du travail les 7 novembre 2018, 4 décembre 2018, 5 juin 2019 et 18 juin 2019,

- l'avis de consolidation du 12 août 2019 à effet au 2 septembre suivant,

- l'avis d'inaptitude du 3 septembre 2019, son état de santé faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi,

- ses bulletins de salaire,

- sa lettre de saisine de la CPAM du 23 août 2019 demandant la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,

- un mail que M. [F], employeur, lui a adressé le 28 décembre 2018 :« comme demandé par le médecin, reprise de travail en mi-temps thérapeutique et en demi-journée. Nous avons aménagé le temps de travail comme suit : jeudi-vendredi-samedi-dimanche de 18h45 à 23h30 soit 19 heures de travail effectif. Le médecin du travail viendra sur site le 16 janvier pour une étude de poste' », ce que confirment les plannings versés,

- trois notes de services remises à la salariée, l'une s'adresse à l'ensemble des salariés et les deux autres sont en réalité des messages manuscrits d'une de ses collègues se plaignant de son travail et n'émanent pas de l'employeur contrairement à ce qui est soutenu,

- des documents médicaux,

- son dossier MDPH et l'attribution d'une rente,

- une liste des tâches qu'elle accomplissait notamment celle de sortir les poubelles, mais établie par ses soins,

-une check list des tâches à effectuer l'après-midi mais elle s'adresse à l'ensemble des salariés présents pendant ces horaires,

- une page internet sur le poids d'un container,

- des photographies de la montée-descente empruntée par les containers.

Cependant, il résulte de ces pièces que Mme [J] a été placée en arrêt de travail du 17 novembre 2017 au 4 janvier 2019. Entre-temps, elle a fait l'objet :

- d'une attestation de suivi le 7 novembre 2018 accompagnée de propositions de mesures individuelles consistant en un mi-temps thérapeutiques de 3 mois au poste de plongeur avec suppression du port de charges supérieures à 5 kg et visite à la reprise prévue le 1er décembre 2018,

- d'une visite de pré-reprise le 4 décembre 2018 au terme de laquelle le médecin du travail a délivré l'avis suivant : «dans la recherche du maintien de l'emploi dans le cadre du mi-temps thérapeutique accordé par la CPAM à Mme [J], je préconise d'effectuer celui-ci par demi-journée de 4 heures et en respectant la restriction de port de charges inférieures à 5 kg selon l'examen médical effectué ce jour, en l'absence d'aménagement de poste permettant au salarié de ne pas porter de charges de plus de 5 kilos et d'évolution de l'état de santé du salarié, le salarié ne pourra reprendre son poste de travail ».

Ensuite de cette visite, Mme [J] a été destinataire d'un mail de son employeur le 28 décembre 2018, qu'elle produit, l'informant de l'aménagement de son poste à raison de demi-journées de 18h45 à 23h30 à compter de sa reprise, le 4 janvier 2019.

Son mi-temps thérapeutique a été mis en place du 5 janvier au 21 avril 2019, ainsi qu'en attestent ses bulletins de salaire.

Du 22 avril au 2 juin 2019, elle a bénéficié de congés payés et devait reprendre son activité à temps complet le 9 mai 2019 tel que cela résulte du certificat médical établi le même jour.

A l'issue de ses congés, le 5 juin 2019 une visite de pré-reprise a été organisée préconisant la : « nécessité d'un travail « allégé » compte tenu des conséquences physiques de sa pathologie afin de pouvoir maintenir Mme [J] dans l'emploi : voir avec M. [F] ». Cependant, l'objectif de l'examen de pré-reprise étant notamment de permettre à l'employeur d'anticiper la reprise de travail du salarié sans pour autant lui imposer de formuler des propositions d'aménagement ou de reclassement avant d'être informé de la reprise, il ne peut être fait reproche à l'employeur de ne pas avoir organisé la mise en 'uvre de cette dernière préconisation alors que la salariée a été placée en arrêt de travail dès le 13 juin 2019 et ce, jusqu'à la fin de la relation contractuelle et le 3 septembre 2019, le médecin du travail a délivré un avis d'inaptitude faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi.

En outre, la documentation relative au poids des containers ainsi que les photographies destinées à rendre compte des difficultés de Mme [J] à tirer les containers poubelles jusqu'au point de collecte, sont insuffisants à étayer le non-respect du port d'une charge supérieure à 5 kg d'autant que plusieurs salariés témoignent de ce qu'elle ne s'occupait pas de ces containers.

S'agissant de l'absence de formation aux gestes et postures, il convient de relever qu'à compter du 17 novembre 2017 et des différents avis du médecin du travail, Mme [J] a été très peu présente dans l'entreprise, plaçant cette dernière dans l'incapacité d'organiser de telles formations.

Enfin, en ce qui concerne le défaut de production par la société d'un DUER mis à jour, la cour observe qu'en dépit d'un suivi médical régulier, le médecin du travail n'a jamais attiré l'attention de l'employeur, sur un risque particulier autre qu'un aménagement du temps de travail de Mme [J] et le respect du non-port de charges supérieures à 5 kg de sorte qu'à supposer ce manquement établi, fait défaut l'existence d'un lien de causalité avec l'inaptitude.

Ces éléments ainsi présentés par la salariée ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination de sorte que la nullité du licenciement fondée sur ce motif et les demandes subséquentes de Mme [J] seront rejetées.

S'agissant de ces mêmes éléments présentés au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, aucun d'entre eux ne caractérise un quelconque comportement fautif de l'employeur, ce dernier justifiant des mesures prises au regard des plannings mensuels démontrant la présence de trois salariés sur les horaires de Mme [J] et de leurs témoignages selon lesquels, d'une part, Mme [J] ne s'occupait pas des containers poubelles et d'autre part, était assistée pour certaines de ses tâches : «  nous lui sortions donc les containers à poubelles et tout le matériel de cuisine qui lui était trop lourd ». En conséquence, l'existence d'un lien de causalité entre l'inaptitude de la salariée et un manquement de l'employeur à ses obligations de sécurité faisant défaut, la demande de Mme [J] au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sera rejetée. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur l'absence de consultation du CSE et l'absence de reclassement

Mme [J] argue d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse car provoqué par la carence de l'employeur dans la recherche d'un poste au niveau du groupe Thalazur auquel l'entreprise appartient et mené sans consultation du CSE.

En réplique, l'employeur conclut au rejet de cette demande sur le fondement de l'article L. 1226-10 du code du travail au regard de la dispense de reclassement figurant sur l'avis d'inaptitude délivré le 3 septembre 2019 par le médecin du travail. Il dénie toute appartenance à un groupe en expliquant que le groupe Thalazur n'existe pas, qu'il s'agit d'une marque commerciale ne préfigurant aucun lien entre les sociétés exploitantes qui demeurent indépendantes les unes des autres.

* * *

Il résulte de l'article L.1226-10 du code du travail que lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, et que cette proposition doit prendre en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.

Selon l'article L.1226-12 du même code, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

Il s'ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel.

En l'espèce, l'avis d'inaptitude du 3 septembre 2019, précise que l'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi de sorte que le moyen tiré de l'absence de consultation du CSE et inopérant.

Dans le cadre de cet avis d'inaptitude, le médecin du travail a indiqué que l'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi et précise : « après échanges avec l'employeur, l'état de la salariée est incompatible avec un reclassement dans l'entreprise ».

Il en résulte que la SNC Thabac était dispensée, comme elle le soutient à juste titre, de rechercher un reclassement de la salariée en son sein.

Toutefois, les pièces versées par la salariée- notamment sa pièce 33 ( liste des hôtels) au soutien de l'appartenance de l'entreprise au groupe Thalazur sont confortées par une consultation du site de Thalazur qui se présente ainsi : «Chiffre d'affaires: 12.8 millions EUR (2021). Thalazur est un groupe qui gère différents centres de thalassothérapie. Un des principaux acteurs du secteur en France, Thalazur est un groupe de thalassothérapie né au début des années 1990 avec le regroupement du Novotel et l'institut de thalassothérapie de [Localité 8]. Depuis, la chaîne s'est agrandie jusqu'à accueillir 9 établissements ([Localité 4], [Localité 7], [Localité 5]'), qui entretiennent des activités d'hôtel, de thalassothérapie et de séminaires pour entreprises'».

Par voie de conséquence et à défaut de présenter un extrait k-bis, la SNC Thabac qui appartient de toute évidence au groupe Thalazur, affirme à tort être dispensée de toute recherche de reclassement alors qu'elle se devait de rechercher sérieusement et loyalement un reclassement dans les autres entités du groupe.

En effet, en vertu des articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du Code du travail, les possibilités de reclassement doivent être recherchées (d'abord) à l'intérieur de l'entreprise, ce qui inclut tous les établissements, mais aussi, le cas échéant, dans le groupe parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. L'emploi de l'expression « dans l'entreprise » emportait ainsi que la dispense de recherche de reclassement ne pouvait valoir que pour l'entreprise employant la salariée inapte, et ne couvrait donc pas les autres entreprises du groupe.

Par voie de conséquence, le licenciement de Mme [J] pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse à défaut de recherches loyales et sérieuses de reclassement auprès des autres entreprises du groupe. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur l'indemnité au titre du licenciement abusif

Mme [J] sollicite l'allocation d'une somme de 49.544,16 euros nets de CSG/CRDS correspondant à 24 mois de salaire après exclusion du barème Macron en application de plusieurs jurisprudences, de la convention 158 de l'organisation internationale du travail ainsi que de la charte sociale européenne. Elle sollicite, titre subsidiaire, celle de 29.932,93 euros nets de CSG/CRDS correspondant à 14,5 mois de salaire.

L'employeur ne conclut pas autrement qu'en demandant la confirmation de la décision critiquée.

Aux termes de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (l'OIT), si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Les dispositions susvisées de l'article 10 qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers et qui, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale de la convention ainsi qu'à son contenu et à ses termes, n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire, sont d'effet direct en droit interne.

Selon le Conseil d'administration de l'Organisation internationale du travail, le terme "adéquat" visé à l'article 10 de la Convention signifie que l'indemnité pour licenciement injustifié doit, d'une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part raisonnablement permettre l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

Or, la cour relève, qu'aux termes de l'article L.1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l'article L. 1235-3 du même code, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il en ressort, d'une part, que les dispositions susvisées de l'article L. 1235-3 du code du travail permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, d'autre part, que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions précitées de l' article L.1235-4.

Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-4 du code du travail étant de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Il résulte de ces constatations que les dispositions de l'article L.1235-3 sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention précitée. Il n'y a donc pas lieu d'en écarter les dispositions.

S'agissant des dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application selon les modalités prévues par l'annexe de la Charte et l'article I de la partie V de la charte, consacré à la "mise en oeuvre des engagements souscrits", dont les Etats parties ont réservé le contrôle au seul système spécifique prévu par l'annexe de la Charte.

Il en résulte que les dispositions de la Charte sociale européenne, dont l'article 24, n'ont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, et que le moyen tiré de l'article 24 ne peut avoir pour effet d'écarter l'application des dispositions de l'article L.1235-3.

Il apparaît enfin qu'une réparation par application des dispositions précitées de l'article L.1235-3 du code du travail, constitue une réparation adéquate du préjudice et appropriée à la situation d'espèce telle qu'elle ressort des pièces produites aux débats par l'appelant.

Par conséquent les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail sont applicables aux faits d'espèce.

Mme [J], qui comptait une ancienneté au service de son employeur de 18 ans et 3 mois peut, par application des dispositions précitées, prétendre à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi, comprise entre 3 et 14,5 mois de salaire.

En l'état des pièces produites et compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [J], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 16 000 euros nets et donc exempte de toutes charges de CSG et de CRDS qui seront à la charge de l'employeur, à titre d'indemnité pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail.

La décision déférée sera infirmée de ce chef.

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié. Il sera par conséquent ordonné à la société le remboursement à l'organisme les ayant servies, des indemnités de chômage payées à Mme [J] dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Sollicitant l'infirmation du jugement déféré et l'allocation de la somme de 20.000 euros à ce titre, Mme [J] invoque le non-respect par l'employeur des prescriptions du médecin du travail au moment de la reprise de son emploi en mi-temps thérapeutique puis à temps complet, et « vraisemblablement » la non-prise en compte dans le DUER du risque professionnel qu'elle a subi.

En réplique, la société se contente de demander la confirmation de la décision déférée.

S'agissant des prescriptions du médecin du travail et de l'absence de mise à disposition d'un DUER mis à jour, il a été retenu supra d'une part que l'employeur avait respecté l'ensemble des préconisations du médecin du travail et que fait défaut l'existence d'un lien de causalité entre l'inaptitude et la non-prise en compte dans le DUER du risque professionnel que Mme [J] ne précise pas.

Par voie de conséquence cette demande sera rejetée et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2.

La société, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens de la procédure de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à Mme [J] la somme de 3.000 euros au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme la décision entreprise sauf en ce qu'elle a débouté Mme [J] de sa demande au titre de l'exécution déloyale du contrat,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Mme [J] est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SNC Thabac à verser à Mme [J] les sommes suivantes :

- 16.000 euros nets, exempte de toutes charges de CSG et de CRDS qui seront à la charge de l'employeur, au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel,

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Ordonne à la SNC Thabac le remboursement à France Travail de Nouvelle Aquitaine des indemnités de chômage payées à Mme [J] dans la limite de six mois d'indemnités,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SNC Thabac aux dépens de première instance et d'appel.

Dit que l'arrêt sera notifié à France Travail de Nouvelle Aquitaine

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/05557
Date de la décision : 28/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-28;21.05557 ?
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