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04/09/2024 | FRANCE | N°23/02233

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 04 septembre 2024, 23/02233


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 04 SEPTEMBRE 2024









N° RG 23/02233 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NIF5







[Z] [S]

[L] [W]

S.A.S. B&B



c/



S.A.R.L. CLEF DE SOLS



























Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DE REFERE











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Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 23 février 2023 par le Président du Tribunal judiciaire de LIBOURNE (RG : 22/00148) suivant déclaration d'appel du 11 mai 2023





APPELANTS :



[Z] [S]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 13] -...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 04 SEPTEMBRE 2024

N° RG 23/02233 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NIF5

[Z] [S]

[L] [W]

S.A.S. B&B

c/

S.A.R.L. CLEF DE SOLS

Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DE REFERE

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 23 février 2023 par le Président du Tribunal judiciaire de LIBOURNE (RG : 22/00148) suivant déclaration d'appel du 11 mai 2023

APPELANTS :

[Z] [S]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 13] - FRANCE

[L] [W]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 13] - FRANCE

S.A.S. B&B agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 13] - FRANCE

Représentés par Me David BONNAN, avocat au barreau de LIBOURNE

INTIMÉE :

S.A.R.L. CLEF DE SOLS agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis LIEU-DIT [Adresse 13] / FRANCE

Représentée par Me Antoine CARBONNIER, avocat postulant au barreau de LIBOURNE et assistée par Me Alexia THOREUX, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LOUWERSE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Paule POIREL, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

Roland POTEE, président, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Isabelle LOUWERSE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Greffier lors des débats : Séléna BONNET

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE.

M. [L] [W] et M. [Z] [S] sont propriétaires indivis des parcelles cadastrées sections AN N°[Cadastre 7] (en copropriété), AN n°[Cadastre 8], AN n°[Cadastre 4], AN n°[Cadastre 12], sises [Adresse 13] à [Localité 14], en vertu d'un acte authentique reçu le 5 avril 2019.

La Sarl Clef de Sols dont le gérant est M. [F] [R] a pour activité la culture de la vigne et l'exploitation du domaine viticole [Adresse 10] depuis le 1er décembre 2009.

Sur la parcelle section AN n°[Cadastre 7], figure un immeuble détenu en copropriété entre MM. [S] et [W] d'une part M. [F] [R] et M. [M] [R] d'autre part se composant comme suit :

- une partie de la copropriété est composée de divers locaux agricoles dont un chai et cuvier ainsi qu'un grenier exploitée par la Sarl Clef de sols, concernant l'exploitation de son domaine viticole (Lot 2) ;

- sur l'autre partie de la copropriété est édifiée une habitation appartenant à M. [L] [W] et M. [Z] [S] lesquels y exploitent des chambres d'hôtes par le biais de la SAS B&B (Lot 1).

Une servitude de passage existe sur la parcelle n°[Cadastre 8] située au Nord et jouxtant les parcelles n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3] appartenant à MM. [F] et [M] [R] situées au Sud, ledit passage étant en nature d'allée en terre aboutissant sur une dalle en béton se trouvant devant le chai et l'appentis du domaine viticole. A la suite d'une donation-partage en date du 25 août 2022, M. [F] [R] est devenu propriétaire des parcelles cadastrées section AN n° [Cadastre 3] et n°[Cadastre 7] commune de [Localité 14] au lieu-dit [Adresse 13].

Par acte du 11 août 2022, MM. [Z] [S] et [L] [W] et la SAS B&B, propriétaires, ont assigné la Sarl Clef de Sols devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Libourne, afin de lui voir interdire, sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile, sur la parcelle cadastrée section AN N°[Cadastre 8] et sous astreinte provisoire de 500 euros par manquement dûment constaté :

- le stockage et l'entreposage de toutes matières, de tous outillages, matériels et engins

- le stationnement de tous véhicules et de laisser grande ouverte la porte du garage

- d'exercer toute activité sur cette parcelle

- d'éclairer cette parcelle

- de maintenir fermé l'appentis situé au Nord du bâtiment qu'elle exploite

- de laisser libre l'assiette de la servitude de passage dont elle bénéficie sur ladite parcelle.

Ils demandaient par ailleurs que la Sarl Clef de Sols soit condamnée à leur verser, à chacun :

- une provision de 10 000 euros, à valoir sur la réparation de leurs préjudices

- la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que sa condamnation en tous les dépens de l'instance.

Par ordonnance du 23 février 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Libourne a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes présentées par M. [Z] [S], M. [L] [W], la SAS B&B, tendant à voir constater l'existence de troubles manifestement illicites caractérisés par une occupation illégale de la parcelle cadastrée section AN N°[Cadastre 8] et l'abus de la servitude de passage grevant cette même parcelle et par suite, sur les mesures conservatoires subséquentes visant, d'une part, à interdire à la Sarl Clef de Sol, sous astreinte, de stocker et d'entreposer toutes matières, de tous outillages, matériels et engins sur cette parcelle, d'y stationner tous véhicules, de maintenir ouverte la porte du garage, d'y exercer toute activité, et tendant d'autre part, à ordonner à la Sarl Clef de Sol, sous astreinte, de laisser libre l'assiette de la servitude de passage dont elle bénéficie sur ladite parcelle ;

- rejeté la demande des consorts [S]-[W] et SAS B&B tendant avoir interdire à la Sarl, sous astreinte, d'éclairer la parcelle cadastrée section AN N°[Cadastre 8];

- rejeté la demande des consorts [S]-[W] et SAS B&B tendant à voir ordonner à la Sarl, sous astreinte, de maintenir fermée la porte de son appentis situé au Nord du bâtiment qu'elle exploite ;

- dit n'y avoir lieu a référé sur les demandes présentées par M. [Z] [S], M. [L] [W], la SAS B&B tendant a la condamnation de la Sarl Clef de Sol à payer à chacun d'eux, à titre provisionnel, une indemnité au titre du préjudice moral, préjudice de jouissance et préjudice commercial ;

- rejeté les demandes formées par M. [Z] [S], M. [L] [W], la SAS B&B et la Sarl Clef de Sol au titre des frais irrépétibles ;

- dit que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles et non compris dans les dépens ;

- rejeté la demande formée par M. [Z] [S], M. [L] [W], la SAS B&B au titre des dépens ;

- dit que les dépens de l'instance, incluant les frais de constats d'huissier de justice seront supportés par M. [Z] [S], M. [L] [W], la SAS B&B ;

- débouté les parties au surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 11 mai 2023, M. [S], M. [W] et la SAS B&B ont relevé appel de cette ordonnance.

Par ordonnance du 8 juin 2023, l'affaire relevant de l'article 905 du code de procédure civile a été fixée pour être plaidée à l'audience de plaidoiries du 22 novembre 2023, avec clôture de la procédure au 8 novembre 2023.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 30 avril 2024, les appelants demandent à la cour, sur le fondement des article 835 du code de procédure civile, de :

- déclarer M. [Z] [S], M. [L] [W] et la SAS B&B recevables et bien fondés en leur appel,

- infirmer l'ordonnance de référé rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de LIBOURNE le 23 février 2023 (RG 22/00148) en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes présentées par M. [Z] [S], M. [L] [W], la SAS B&B, tendant à voir constater l'existence de troubles manifestement illicites caractérisés par une occupation illégale de la parcelle cadastrée section AN n°[Cadastre 8] et l'abus de la servitude de passage grevant cette même parcelle et par suite, sur les mesures conservatoires subséquentes visant, d'une part, à interdire à la Sarl Clef de Sol, sous astreinte, de stocker et d'entreposer toutes matières, de tous outillages, matériels et engins sur cette parcelle, d'y stationner tous véhicules, de maintenir ouverte la porte du garage, d'y exercer toute activité, et tendant d'autre part, à ordonner à la Sarl Clef de Sol, sous astreinte, de laisser libre l'assiette de la servitude de passage dont elle bénéficie sur ladite parcelle;

- rejeté la demande des consorts [S]-[W] et la SAS B&B tendant à voir interdire à la Sarl, sous astreinte, d'éclairer la parcelle cadastrée section AN n°[Cadastre 8] ;

- rejeté la demande des consorts [S]-[W] et la SAS B&B tendant à voir ordonner à la SARL, sous astreinte, de maintenir fermée la porte de son appentis situé au Nord du bâtiment qu'elle exploite ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes présentées par M. [Z] [S], M. [L] [W], la SAS B&B tendant à la condamnation de la Sarl Clef de Sol à payer à chacun d'eux, à titre provisionnel, une indemnité au titre du préjudice moral, préjudice de jouissance et préjudice commercial ;

- rejeté les demandes formées par M. [Z] [S], M. [L] [W], la SAS B&B et la SARL Clef de Sol au titre des frais irrépétibles ;

- dit que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens ;

- rejeté la demande formée par M. [Z] [S], M. [L] [W], la SAS B&B au titre des dépens ;

- dit que les dépens de l'instance, incluant les frais de constats d'huissier de justice, seront supportés par M. [Z] [S], M. [L] [W], la SAS B&B;

- débouté les parties au surplus de leurs demandes.

Et statuant à nouveau,

- juger que la Sarl Clef de Sol a causé à M. [Z] [S], à M. [L] [W] et à la SAS B&B un trouble manifestement illicite en stockant de manière répétée des matières, de l'outillage et du matériel, et en stationnant de manière répétée et continue des véhicules agricoles, utilitaires et de tourisme, sur la parcelle cadastrée section AN n°[Cadastre 8] ;

-juger que la Sarl Clef de sols a causé à M. [Z] [S], à M. [L] [W] un préjudice de jouissance et un préjudice moral, et à la SAS B&B un préjudice commercial, du fait de ces stockages, entreposages et stationnements;

En conséquence,

- interdire à la Sarl Clef de Sols le stockage et l'entreposage de toutes matières, de tous outillages, matériels et engins sur la parcelle cadastrée section AN n°[Cadastre 8] ;

- interdire à la Sarl Clef de Sols le stationnement de tous véhicules sur la parcelle cadastrée section AN n°[Cadastre 8] ;

- ordonner à la SARL Clef de Sols de laisser libre l'assiette de la servitude de passage dont elle bénéficie sur la parcelle cadastrée section AN n°[Cadastre 8] ;

- interdire à la SARL Clef de Sols l'éclairage de la parcelle cadastrée section AN n°[Cadastre 8];

- ordonner à la SARL Clef de Sols de maintenir fermée la porte de son appentis situé au Nord du bâtiment qu'elle exploite ;

- juger que ces interdictions et obligations sont assorties d'une astreinte provisoire de 500 € par manquement dûment constaté.

- condamner la SARL Clef de Sols à verser à Messieurs [Z] [S] et [L] [W] une provision de 10.000 € à valoir sur la réparation de leur préjudice ;

- condamner la SARL Clef de Sols à verser à la SAS B&B une provision de 10.000€ à valoir sur la réparation de son préjudice ;

- débouter la Sarl Clef de Sols de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions;

- condamner la Sarl Clef de Sols à verser à Messieurs [Z] [S] et [L] [W] et la SAS B&B la somme de 3.000 € à chacun, par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la Sarl Clef de Sols aux entiers dépens, en ceux compris le coût des procès-verbaux d'huissier des 9 octobre 2019, 21 juillet 2020 et 26 septembre et 14 octobre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 août 2023 puis le 27 mai 2024, la Sarl Clefs de Sols demande à la cour, sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile, de :

- recevoir la Sarl Clef de Sols en son appel, ainsi qu'en ses demandes, fins et conclusions, déclarés fondés ;

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Libourne en date du 23 février 2023 en toutes ses dispositions ;

- débouter M. [W], M. [S] et la SAS B&B de l'intégralité de leurs demandes;

Y ajoutant :

- condamner M. [W], M. [S] et la SAS B&B à une amende civile eu égard au caractère abusif de la voie de recours ;

- condamner M. [W], M. [S] et la SAS B&B à verser chacun la somme de 4000 euros à la Sarl Clef de Sols au titre de dommages et intérêts ;

- condamner M. [W], M. [S] et la SAS B&B, chacun à la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 8 novembre 2023, la Sarl Clef de Sol a sollicité le report de l'ordonnance de clôture. A l'audience du 22 novembre 2023, l'affaire a été renvoyée à l'audience du 29 mai 2024 sans rabat de l'ordonnance de clôture.

Par conclusions notifiées le 28 mai 2024, MM. [S] et [W] et la Sarl BB sollicitent le rejet des conclusions notifiées le 27 mai 2024 soit 48 heures avant l'audien ce de plaidoiries celles-ci étant tardives et ne respectant pas le principe du contradictoire.

Par application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément fait référence aux conclusions susvisées pour un exposé complet des prétentions et des moyens en fait et en droit développés par chacune des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

Sur le rabat de l'ordonnance de clôture et la demande de rejet des conclusions notifiées le 27 mai 2024 par la Sarl Clef de sols.

En l'absence d'opposition de MM. [S] et [W] et compte tenu du renvoi de l'affaire, il y a lieu d'ordonner le rabat de l'ordonnance au jour de l'audience.

La Sarl Clef de Sols invoque dans ses dernières conclusions notifiées le 27 mai 2024, à deux jours de la clôture, l'article 1253 dans sa version issue de la loi n°2024-346, selon lequel « Art. 1253.-Le propriétaire, le locataire, l'occupant sans titre, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoris­er à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.

« Sous réserve de l'article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, cette responsabilité n'est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d'activités, quelle qu'en soit la nature, existant antérieurement à l'acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d'acte, à la date d'entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s'être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine d'une aggravation du trouble anormal. »

Ce texte entré en application le 17 avril 2024 est certes récent. Toutefois la juris­prudence prise en application de l'article L113-8 du code de la construction et de l'habitation admettait déjà que l'antériorité de l'activité à l'origine d'un éventuel trouble du voisinage soit invoquée comme cause exonératoire de responsabilité en sorte que la Sarl Clef de Sols aurait pu avant la publication de la loi du 15 avril 2024 se prévaloir de celle-ci alors qu'après avoir sollicité un renvoi à l'audience de plaidoiries du 22 novembre 2023 et que les appelants avaient conclu le 30 avril 2024, elle a attendu le 27 mai 2024 pour notifier ses dernières conclusions sans permettre aux appelants d'y répondre ; les conclusions ne respectent ainsi pas le principe du contradictoire et ne sont pas recevables. Il convient de les rejeter.

Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite.

La Sarl Clef de Sols fait valoir qu'une procédure judiciaire est pendante devant le tribunal judiciaire aux fins de réaliser le bornage judiciaire de plusieurs parcelles appartenant à MM. [M] et [F] [R], et à MM. [W] et [S] en sorte que l'existence d'un trouble manifestement illicite n'est pas établie sur une parcelle non clairement définie et pour lequel un géomètre-expert est appelé à se prononcer, la cour d'appel n'étant pas en possession des éléments pour rendre utilement son arrêt, les faits ayant un lien évident et indivisible avec la procédure actuellement pendante devant le tribunal judiciaire de Libourne. Si l'existence d'une procédure judiciaire relative au bornage des propriétés des appelants et des consorts [R] peut avoir une éventuelle incidence sur le sort de leurs demandes, cet élément doit être analysée dans le cadre de l'examen de l'existence du trouble manifestement illicite mais n'a pas d'incidence sur la recevabilité de la procédure de référé laquelle n'est en tout état de cause pas sollicitée aux termes du dispositif des conclusions de la Sarl Clef de Sols.

MM. [S] et [W] et la SAS B&B sollicitent diverses mesures conservatoires sur le fondement de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile en application duquel le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Une contestation sérieuse sur l'existence du trouble ou sur son caractère illicite ou sur l'existence du dommage imminent fait nécessairement obstacle à ce que le juge des référés puisse prendre une mesure d'anticipation (Cass. 1re civ. , 8 févr. 2017, n° 15-26.760. ' Cass. 2e civ. , 18 janv. 2018, préc. ' Cass. 1re civ., 5 juill. 2018, n° 18-12.809 : JurisData n° 2018-011976). Lexis 360.

Les appelants allèguent au soutien de leurs demandes l'occupation illégale d'une partie de la parcelle cadastrée AN [Cadastre 8] leur appartenant exclusivement, cette occupation étant caractérisée par l'entreposage de déchets de vigne, d'outillage et de matériel agricole, ainsi que par l'usage de la dalle de béton se trouvant à l'aplomb de l'immeuble en copropriété situé sur la parcelle AN [Cadastre 8] et du terrain avoisinant , cette dalle ne faisant pas partie de l'assiette de la servitude de passage dont sont bénéficiaires les consort [R]. En second lieu, ils soutiennent que la Sarl Clef de sols fait un usage abusif du droit de passage en faisant stationner sur celui-ci des véhicules autres qu'agricoles. Ils invoquent également des troubles anormaux du voisinage consistant dans l'éclairage abusif de la parcelle cadastrés AN [Cadastre 8] et en des nuisances visuelles causées par un appentis dont les portes sont laissées ouvertes à la vue du voisinage.

Le trouble manifestement illicite qu'il incombe à celui qui s'en prétend victime de démontrer, est caractérisé par toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

L'occupation illégale d'une parcelle, constitue une atteinte au droit de propriété caractérisant un trouble manifestement illicite. L'usage abusif d'une servitude, pour caractériser un trouble manifestement illicite, suppose que l'abus de cet usage soit démontré, impliquant un usage non conforme et répété aux stipulations de l'acte constitutif de la servitude. Il est en fin admis qu'un trouble anormal du voisinage peut caractériser un tel trouble, sous réserve que celui qui l'allègue le démontre avec une évidence suffisante.

Il convient, afin de déterminer si un ou plusieurs troubles manifestement illicites sont caractérisé, d'examiner chacun des troubles allégués.

1) L'occupation illicite de la parcelle AN215 et l'usage abusif de la servitude de passage.

Le juge des référés a retenu qu'une instance était en cours aux fins de délimiter les parcelles AN [Cadastre 4], N [Cadastre 8] d'une part et AN [Cadastre 2] et [Cadastre 3] et AN [Cadastre 1] et [Cadastre 5] d'autre part et de déterminer l'assiette de la servitude de passage et qu'en l'absence de contours précisément définis entre les deux fonds mitoyens, la preuve de l'existence d'une perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique constitutif directement ou indirectement une violation évidente d'une règle de droit n'était pas établie.

Les appelants sollicitent l'infirmation de l'ordonnance, soutenant qu'il existe un trouble manifestement illicite constitué par l'utilisation abusive du droit de passage dont disposent les intimés sur la parcelle AN [Cadastre 8] ainsi que par l'usage illicite de la parcelle AN [Cadastre 8] leur appartenant exclusivement, la juridiction pouvant statuer sur la demande à ce titre sans attendre le résultat de la procédure de bornage, la détermination des limites à fixer étant sans incidence sur le trouble subi.

La Sarl Clef de sols demande la confirmation de l'ordonnance estimant pour sa part que la preuve de la réalité du trouble manifestement illicite n'est pas rapportée faisant valoir que la procédure de bornage judiciaire portant notamment sur la délimitation de la parcelle AN [Cadastre 8] aura nécessairement une incidence sur l'existence d'un tel trouble.

Il est constant qu'une servitude passage conventionnelle grève le fonds et notamment la parcelle AN [Cadastre 8] appartenant à MM. [W] et [S] au profit de MM. [F] et [M] [R] laquelle est libellée comme suit :

« Le propriétaire du fonds servant concède au propriétaire du fonds dominant qui accepte, une servitude réelle et perpétuelle de passage, qui grèvera le fonds servant et bénéficiera au fonds dominant, et le droit d'utiliser la station d'épuration présente sur ladite parcelle.

Le droit de passage s'exercera sur la partie Nord de la parcelle section AN n°[Cadastre 6] (devenu [Cadastre 8]), son emprise figurant sous verte sur le plan ci-annexé approuvé par les parties.

Le droit de passage pourra être exercé en tout temps et heure, pour tous besoins actuels et futurs d'habitation ou d'exploitation, avec tout véhicule ou à pied avec ou sans animaux, sans aucune restriction ou limitation par le propriétaire du fonds dominant, les membres de sa famille, ses invités, employés, visiteurs, clients et dans les mêmes conditions par les propriétaires successifs du fonds dominant.

Le passage est en nature d'allée en terre, il devra être libre à toute heure, aucun véhicule ne pouvant y stationner, sauf pour les besoins de l'exploitation pour des véhicules agricoles... ».

Cette servitude permet à la Sarl Clef de sols d'accéder au chai se trouvant dans un bâtiment constituant la parcelle AN [Cadastre 7] laquelle se trouve au sein de la parcelle AN [Cadastre 8], le bâtiment en question appartenant en copropriété à MM. [S] et [W] d'une part et à M. [F] [R] d'autre part lequel est le gérant de la Sarl Clef de Sols qui exploite la propriété viticole du [Adresse 10].

S'agissant de la dalle de béton se trouvant sur cette même parcelle en façade nord du bâtiment, la Sarl Clef de Sols soutient qu'elle est comprise dans la servitude de passage tandis que les appelants le contestent, affirmant que la Sarl Clef de sols occupe ainsi illégalement une partie de la parcelle AN [Cadastre 8], en y faisant séjourner ses préposés, prestataires, fournisseurs et clients à l'occasion des différentes tâches qu'implique son activité.

Il ressort d'un procès-verbal de carence établi par M. [K] [C], géomètre, le 20 mai 2011 qu'une demande de bornage lui avait été confiée par MM. [S] et [W] afin de déterminer la limite des parcelles section AN [Cadastre 4] et [Cadastre 8] à [Localité 14] et du mode d'exercice de la servitude permettant à M. [R] d'accéder au chai, qu'à la demande de ceux-ci, il n'avait pas dans sa proposition fait aboutir la servitude jusqu'à la dalle de béton se trouvant au droit du chai, M. [F] [R] n'ayant pas accepté cette proposition.

Une procédure de bornage judiciaire est actuellement en cours, entre MM. [Z] [S] et [L] [W] d'une part et MM. [M] et [F] [R], la SCEA [Adresse 11] et le GFA [Adresse 9] d'autre part, dans laquelle a été désigné par ordonnance du 22 décembre 2022 un expert afin notamment de proposer une délimitation, d'une part des parcelles cadastrées section AN [Cadastre 4] et des parcelles AN [Cadastre 2] et d'autre part des parcelles section AN [Cadastre 4] et [Cadastre 8] et des parcelles AN [Cadastre 1] et AN [Cadastre 5] ainsi que de rechercher les éléments permettant de définir l'assiette de la servitude dont bénéficient les parcelles AN [Cadastre 2] et [Cadastre 3] sur le fonds AN [Cadastre 8].

Il doit être relevé que les appelants ne produisent en l'état aucun plan permettant de définir précisément quelle est la configuration de la servitude de passage, seul un plan étant annexé au procès-verbal de constat du 9 octobre 2019 lequel ne mentionne pas la servitude de passage, les parties s'opposant sur la dalle de béton située devant le chai appartenant à MM. [R]. La Sarl Clef de sols doit en tout état de cause accéder au chai ce qui implique que la servitude de passage s'exerce sur la partie de la parcelle AN [Cadastre 8] située devant les portes du chai ce que semblent exclure les appelants qui soutiennent que la dalle de béton se trouvant au droit du chai est entièrement exclue de l'assiette du droit de passage au motif que celle-ci serait en nature de terre alors que la dalle est en béton. L'assiette du droit de passage n'est ainsi pas déterminée avec précision en sorte que l'abus de ce droit n'est pas caractérisé.

Les procès-verbaux de constat d'huissier produits par les appelants font ressortir qu'un tas de marc de raisin malodorant et sommairement bâché se trouve sur la parcelle AN [Cadastre 8] au coin nord-ouest de la terrasse confrontant la partie de l'immeuble appartenant à MM. [R] et chevauchant une partie enherbée du jardin, que des outils et matériaux divers sont présents au centre de la façade nord-ouest de la partie de l'immeuble appartenant à MM. [R] (constat du 9 octobre 2019), que des véhicules stationnent sur la parcelles AN [Cadastre 8] (constat du 14 octobre 2020 et du 2 février 2022). De nombreux faits constatés par huissier sont cependant décrits comme situés 'au voisinage de la parcelle AN [Cadastre 8]" (notamment la présence de tas de marc de raisin dans le constat du 2 février 2022) sans que leur situation exacte soit connue. Seule la présence de marc de raisin a été constatée sur la parcelle AN [Cadastre 8] dans le procès-verbal du 9 octobre 2019 mais celle-ci n'a pas été réitérée sur les constats postérieurs dans lesquels la présence de tas de marc de raisin n'est pas située de façon précise sur cette parcelle.

.

Par ailleurs, il convient de relever que de nombreux griefs relatifs à l'activité viticole exercée par la Sarl Clef de sols ont été constatés sur la propriété exploitée par elle (notamment l'épandage de produits phytosanitaires dans les rangs de vigne, le rangement sommaire de la remise ouverte sur le chai, la présence d'un engin pulvérisateur dans les vignes) sans que les appelants ne les qualifient de troubles anormaux du voisinage, la servitude de passage permettant en tout état de cause le stationnement des véhicules agricoles pour les besoins de l'exploitation. La preuve d'une atteinte au droit de propriété des appelants résultant de l'entreposage d'outils et véhicules autre qu'agricoles sur la parcelle AN [Cadastre 8] dont les contours ne sont pas définis avec précision pas davantage que celle d'un usage abusif de la servitude de passage ne sont en l'espèce établis.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, si les faits constatés témoignent de relations de voisinage peu sereines, le caractère manifestement illicite des faits constatés n'est pour autant pas établi. C'est donc à juste titre que le premier juge a rejeté la demande de mesures conservatoires. L'ordonnance de référé doit donc être confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de mesures conservatoires tendant à interdire à la Sarl Clef de Sols le stockage et l'entreposage de toutes matières, de tous outillages, matériels et engins sur la parcelle cadastrée section AN n°[Cadastre 8], le stationnement de tous véhicules sur la parcelle cadastrée section AN n°[Cadastre 8] et de laisser libre l'assiette de la servitude de passage dont elle bénéficie sur la parcelle cadastrée section AN n°[Cadastre 8].

Sur l'éclairage abusif de la parcelle AN [Cadastre 8].

Les appelants font valoir qu'un éclairage a été fixé en hauteur sur le chai par la Sarl Clef de sols au niveau des portes et du garage, lequel est dirigé vers leur parcelle et fonctionne à des heures avancées troublant ainsi la quiétude des lieux et des hôtes. Les constats d'huissier versés aux débats ne contiennent aucune constatation relatif à l'éclairage du chai. Seules deux photographies sont annexées au constat du 2 février 2022 montrant un fort éclairage extérieur du chai, les photographies ayant été prises les 13 novembre 2021 à 18h17 et 7 décembre 2021 à 19h17, ne démontrant aucune gêne sur la propriété de MM. [S] et [W] pouvant caractériser un trouble anormal du voisinage en sorte que la demande n'est pas fondée et doit être rejetée.

L'ordonnance entreprise doit donc être confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande à ce titre.

Sur les nuisances visuelles.

MM. [S] et [W] et la Sas B&B reprochent à la Sarl Clef de Sols de laisser ouvertes les portes de l'appentis se trouvant sur la façade nord de l'immeuble exploité par celle-ci et donnant directement sur le jardin d'agrément de la SAS B&B, cet appentis étant aménagé en pièce à vivre et restant fréquemment ouvert causant ainsi des nuisances visuelles importantes puisque M. [R], ses employés ou invités y prennent bruyamment des repas ou s'y douchent. Si les photographies prises par les appelants et annexées par l'huissier aux constats versés aux débats montrent effectivement un appentis ouvert vers l'extérieur et contenant du matériel divers, celles-ci ne font apparaître ni la prise de repas ni les activités générant des nuisances visuelles qui n'est donc pas démontrée, l'huissier n'ayant pour sa part procédé à aucune constatation en ce sens. Par ailleurs, si le règlement de copropriété invoqué par les appelants est versé aux débats, ceux-ci ne précisent nullement quelles dispositions de celui-ci auraient été violées par l'intimée.

En conséquence, aucune nuisance caractérisant un trouble manifestement illicite n'étant démontrée, l'ordonnance est confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande à ce titre.

Sur la demande de provision.

C'est à juste titre et par des motifs que la cour fait siens que le juge des référé a débouté MM. [S] et [W] et la SAS B&B de leurs demandes respectives de provision dès lors que l'existence d'un trouble manifestement n'est pas démontrée et que la détermination d'un éventuel préjudice relève du juge du fond. L'ordonnance est également confirmée sur ce point.

Sur les demandes reconventionnelles de la Sarl Clef de Sols.

La Sarl Clef de Sols sollicite qu'une amende civile soit prononcée eu égard au caractère abusif de la voie de recours et réclame une provision de 400 euros à titre de dommages-intérêts.

Il convient de rappeler que l'article 32-1 du code de procédure civile permet à une juridiction de prononcer une amende civile à l'encontre de celui qui agit en justice d'une manière abusive ou dilatoire sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. L'exercice d'un droit ne dégénère toutefois en abus que si celui-ci est exercé dans l'intention de nuire ou avec une légèreté blâmable. Une telle intention ou légèreté ne sont pas démontrées en l'espèce en sorte qu'il n'y a pas lieu à prononcer une amende civile et que, pour le même motif, la demande dommages-intérêts pour procédure abusive doit être rejetée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile .

L'ordonnance déférée sera confirmée en ce que'elle a statué sur les dépens et l'aticle 700 du code de procédure civile .

Partie perdante, MM. [S] et [W] et la SAS B&B seront condamnés aux dépens d'appel.

Par ailleurs, en raison de la nature de l'affaire et des différends anciens et récurrents qui animent les parties, il n'apparaît pas inéquitable que chaque partie supporte la charge de ses frais irrépétibles et de ses propres dépens, de sorte que la Sarl Clef de Sols sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Ordonne le rabat de l'ordonnance de clôture au jour de plaidoiries,

Rejette les conclusions notifiées le 27 mai 2024 par la Sarl Clef de Sols,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée,

Y ajoutant,

Rejette les demandes d'amende civile et de dommages-intérêts formées par la Sarl Clef de Sols,

Dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [L] [W], M. [Z] [S] et la SAS B&B aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/02233
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;23.02233 ?
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