SM/ATF
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à
- la SELARL CABINET D'AVOCATS FLORENCE CHAUMETTE ET BRICE TAYON
- la SCP ROUET-HEMERY/ROBIN
LE : 08 SEPTEMBRE 2022
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2022
N° - Pages
N° RG 21/00854 - N° Portalis DBVD-V-B7F-DMA6
Décision déférée à la Cour :
Jugement du juge aux affaires familiales du Tribunal Judiciaire de CHATEAUROUX en date du 15 Juin 2021
PARTIES EN CAUSE :
I - Mme [P] [D]
née le 25 Avril 1971 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Florence CHAUMETTE de la SELARL CABINET D'AVOCATS FLORENCE CHAUMETTE ET BRICE TAYON, avocat au barreau de CHATEAUROUX
timbre fiscal acquitté
APPELANTE suivant déclaration du 27/07/2021
INCIDEMMENT INTIMEE
II - M. [M] [C]
né le 13 Juillet 1974 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Sébastien ROBIN de la SCP ROUET-HEMERY/ROBIN, avocat au barreau de CHATEAUROUX
timbre fiscal acquitté
INTIMÉ
INCIDEMMENT APPELANT
08 SEPTEMBRE 2022
N° /2
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Juin 2022, hors la présence du public, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme ALLEGUEDE, Conseiller chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. TESSIER-FLOHICPrésident de Chambre
Mme DEBEUGNYConseiller
Mme ALLEGUEDEConseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme MAGIS
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ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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FAITS ET PROCÉDURE
Mme [P] [D] et M. [M] [C] ont vécu en concubinage de 1998 jusqu'à avril 2013. Ils sont parents de deux enfants.
Le 29 mai 2018, M. [M] [C] a assigné son ex-concubine, sur le fondement de l'enrichissement injustifié, au remboursement des dépenses relatives à la réalisation et au financement de la rénovation de la maison appartenant exclusivement à Mme [D].
Il soutenait avoir rapporté, au-delà du concours normal aux charges de la vie commune, un financement à hauteur de 176527,94€ correspondant aux frais de matériel, mais aussi de main d''uvre et de frais financiers déboursés. Il sollicitait en outre le paiement des intérêts au jour de la séparation soit le 19 juin 2013, rappelant que les travaux ont été exécutés par lui, sous forme de main d''uvre et que son investissement présente un caractère excessif.
Par jugement en date du 15 juin 2021, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Châteauroux a condamné Mme [P] [D] au paiement d'une somme de 76'670,24€ au titre de l'enrichissement injustifié, outre les intérêts au taux légal depuis la décision. Il a par la même occasion :
- rejetée ses demandes ;
- laissé aux parties la charge de leurs dépens ;
- dit n'y avoir pas lieu à appliquer l'article 700 du code de procédure civile.
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Par déclaration au greffe, Mme [P] [D] a interjeté appel le 27 juillet 2021 de ce jugement sur l'ensemble de ses dispositions.
Au terme de ses écritures échangées le 21 avril 2022 par le réseau privé virtuel justice, l'appelante soutient in limine litis une fin de non-recevoir fondée sur la prescription de l'action de in rem verso. En effet, si elle a fait l'acquisition en août 1997 d'une maison située sur la commune d'[Localité 3] (Indre) et si elle a vécu en union libre avec l'intimé de 1998 à 2013, elle conteste cependant avoir expulsé son ex-concubin en juin 2013. Par conséquent ce dernier ne peut réclamer le remboursement des factures pour la période antérieure à 2013 en application des dispositions de l'article 2224 du Code civil.
Chacune des créances revendiquées, qu'il s'agisse de factures, de main d''uvre ou d'emprunt est antérieure de plus de 5 ans avant l'engagement de son action.
Le point de départ de la prescription ne se situe pas au jour de la séparation mais au jour où la créance est née. En outre, aucun événement n'aurait suspendu ni interrompu cette prescription.
Dès lors la Cour doit amender la décision de première instance et déclarer irrecevable l'action engagée par l'intimé.
Sur le fond et de manière subsidiaire, elle soutient que contrairement aux informations de M. [C], ce dernier n'a pas réalisé ni même financé seul les travaux engagés ; il n'apporte pas la démonstration des conditions d'un appauvrissement injustifié et d'un enrichissement corrélatif de l'appelante.
Mme [D] ne conteste pas que son ex-compagnon ait souscrit un prêt d'un montant de 22867,35 € en 2000, cela ne saurait suffire pour autant à justifier et constituer la preuve de l'achat de matériaux destinés à la rénovation du bien immobilier qui lui est propre. En effet, M. [C] exerce la profession d'agriculteur et de ce fait acquiert régulièrement des matériaux pour entretenir ses bâtiments agricoles. Elle ajoute que la plupart des factures sont incomplètes et illisibles, certaines d'entre elles établies au nom d'une société civile agricole GAEC.
En outre, M. [C] ne saurait exiger le remboursement du prêt ainsi que celui des matériaux qu'il a acquis par ce moyen.
Pour sa part, elle a aussi souscrit un prêt immobilier de 22866 € en juillet 1998 puis un second prêt de 8626 € en mai 2002, permettant la réalisation de la cuisine, un troisième prêt de 24000 € en mai 2005, avant de solliciter un prêt familial de 7000 € en décembre 2005.
Les réclamations au titre de la main d''uvre sont fantaisistes et ne résistent pas à l'analyse :
1) le coût d'une main d''uvre non professionnelle ne pouvant être équivalente à celle d'un professionnel, artisan supportant des charges sociales et ayant souscrit une assurance décennale ;
2) il n'a pas réalisé comme prétendu les trois quarts des travaux de rénovation comme il l'affirme, ayant reçu l'aide et l'assistance du père de l'appelante et de différents amis dont l'un a même été récompensé par le don d'un camion C 25.
En outre, il ne s'est pas appauvri puisque, durant la vie commune, il a profité pendant 15 ans des travaux ainsi réalisés, occupant à titre gratuit sans supporter aucune charges courantes qui étaient assumées par l'appelante.
Encore, elle rappelle avoir en sa qualité de mécanicienne-auto apporté son concours à l'entreprise agricole de son ex-concubin en effectuant tout l'entretien de son parc de matériel, lui permettant ainsi de substantielles économies pendant 15 ans, apportant à l'appui des attestations n'ayant que valeur déclarative. Sur de simples déclarations, elle soutient enfin avoir participé aux activités agricoles en gérant le bétail.
Mme [D] demande que M. [C] soit débouté intégralement de son action de in rem verso et soit condamné en outre à une somme de 5000 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile.
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M. [M] [C], ayant fait un appel incident, au terme de ses derniers écrits échangés via le réseau privé virtuel justice le 25 mai 2022, conclut à la confirmation de la décision sur le principe de in rem verso mais sollicite que le montant de son indemnisation soit porté à la somme de 171399,51 €, majorée des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, et qu'il lui soit octroyé enfin une somme de 5000 € au titre de ses frais irrépétibles.
Il soutient qu'il a été mis à la porte le 19 juin 2013 et qu'il avait engagé des démarches pour obtenir la liquidation de ses intérêts, notamment le remboursement des sommes investies, mais a dû y renoncer sous les pressions que son ex-concubine faisait subir aux enfants, sans apporter d'élément probant à l'appui.
A la prescription de l'action de in rem verso invoquée, il réplique que les réclamations sont intervenues dans le délai de cinq année de la séparation du couple intervenue le 19 juin 2013, puisqu'il occupait le logement avec elle jusqu'à cette date.
En effet, il ne s'agit pas d'une créance réglée en lieu et place de sa concubine mais bien d'une participation au-delà d'une contribution normale au financement des besoins du ménage dont le point de départ de l'appréciation ne peut se situer qu'à la date de la séparation, nécessitant un examen rétrospectif.
Il invoque les dispositions de l'article 2236 du code civil qui prévoit une suspension de sa prescription entre les époux ou les partenaires liés par un pacte civil de solidarité et par analogie une union libre. De même, il affirme qu'en sa qualité de concubin il ne pouvait exiger une reconnaissance de dette ou exiger pendant le temps de la vie commune le remboursement des sommes engagées.
Très subsidiairement la reconnaissance par l'appelante de la participation de [M] [C] à la remise en état de l'immeuble constitue un aveu, qui doit être retenu même si pour sa part elle invoque en compenser le montant avec ses propres dépenses. Elle admet même que le montant de sa créance ne saurait excéder 20000 €.
Agissant au visa des dispositions des articles 1303 et suivants du code civil, il affirme avoir participé au-delà d'une contribution normale aux besoins du ménage :
Il a assumé de ses deniers un emprunt immobilier auprès du Crédit Mutuel pour financer les travaux de rénovation de l'immeuble ;
Il a réglé de ses deniers les nombreuses factures, soit à l'aide de déblocage de fonds par l'emprunt, soit directement ses deniers propres ;
Les factures sont libellées à son nom, à celui de l'appelante ou au nom des deux concubins ;
Il verse les talons de chèques ou la preuve des paiements en carte bleue.
Soit, pour la période 1999 à 2012 la somme de 76670,24 € après que les factures au nom du GAEC aient été retranchées par le premier juge, contrairement aux allégations de l'appelante.
Il y ajoute les intérêts de l'emprunt souscrit, soit la somme de 12169,27 €.
Il conteste avec fermeté avoir affecté les matériaux acquis à son activité agricole.
Encore, il estime avoir apporté un concours en main d''uvre pour l'ensemble de la réalisation de ces travaux et en évalue le montant à la somme de 82560 €, ayant absolument tout repris dans l'immeuble, depuis les fondations de la cave jusqu'à la réfection de la toiture, ainsi que la construction de chambres, la création d'ouvertures, de portes et fenêtres, la création d'une véranda, la réalisation d'une dalle béton pour la terrasse et la pose des pavés, les enduits des murs de pierre, l'électricité, le carrelage et la plomberie, la réalisation d'une chape à l'étage, l'isolation des combles et la création d'un escalier.
Se basant sur le montant horaire de la main-d''uvre nécessaire à ces travaux, au regard de la surface de l'immeuble ainsi réaménagé, il aboutit à un montant de 123840 € hors-taxes. Ne contestant pas avoir été aidé dans le cadre de ses travaux d'ampleur, il en réclame les 2/3 soit la somme de 82560 €.
Le total réclamé est donc de 171399,51 €, montant d'une participation considérée comme excessive au regard des charges normales de la vie commune d'autant qu'il participait également aux dépenses du ménage mais, cette fois en espèce. L'appelante ne peut soutenir sérieusement avoir contribué seule aux charges normales de la vie courante pour exciper d'une compensation.
M. [C] indique avoir réglé les abonnements téléphoniques et d'internet, faisait les courses du couple au supermarché local, apportait les produits et viandes issus de la ferme, contribuant de manière conséquente aux besoins courants du ménage.
L'appelante ne saurait sérieusement opposer qu'elle aurait contribué pour sa part à la réparation des véhicules ou engins, qui appartiennent au GAEC, et non en propre à l'intimé.
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L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 mai 2022 et l'affaire a été placée à l'audience du 13 juin 2022. L'arrêt a été mis à la position des parties le 8 septembre 2022.
SUR CE, LA COUR
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action engagée :
L'article 122 du code de procédure civile prévoit que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 2224 du Code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En l'espèce les parties ayant vécu en situation de concubinage, l'article 2236 du code civil ne peut s'appliquer en l'espèce.
La demande initiale de M. [C] est fondée sur l'enrichissement injustifié, à savoir qu'il réclame la compensation de son appauvrissement ayant pour origine des travaux effectués lors de la vie commune sur un bien immeuble appartenant exclusivement à Mme [D] qui se serait enrichie en conséquence.
Durant la vie commune, M. [C] avait intérêt à son appauvrissement dès lors qu'il vivait en concubinage dans ledit bien immeuble sans payer de loyer. C'est seulement à partir de la séparation effective des concubins qu'un enrichissement injustifié peut exister, par le fait que cette rupture supprime l'élément justificatif de l'enrichissement de l'un par l'appauvrissement de l'autre. Par conséquent, le point de délai de la prescription naît au jour de la séparation effective des concubins.
Mme [D] produit une lettre que son conseil a envoyé à M. [C] le 3 Juin 2013, dans laquelle il est écrit, s'adressant à ce dernier, qu'elle souhaitait 'mettre à terme à [leur] union libre', ce qui signifie qu'à cette date le concubinage entre les parties existait toujours. M. [C] a engagé son action devant la juridiction de première instance le 29 Mai 2018, soit dans les cinq ans avant sa prescription.
Par conséquent il convient de dire que l'action engagée en première instance par M. [C] n'est pas prescrite et de débouter Mme [D] de sa demande de fin de non-recevoir, confirmant ainsi la décision du premier juge.
Sur le principe et le montant de l'enrichissement injustifié :
L'article 1303 du Code civil prévoit qu'en dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.
L'article 1303-4 du même Code précise que l'appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l'enrichissement tel qu'il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. En cas de mauvaise foi de l'enrichi, l'indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs.
En l'espèce M. [C] ne conteste pas le calcul du montant de ses frais exposés par le juge de première instance, montant à hauteur 76670,24€. Cependant il souhaite rajouter à ce montant les intérêts liés à un emprunt, à hauteur de 12169,27€, ainsi que la valeur de la main d'oeuvre de participation personnelle aux travaux à hauteur de 82560€.
Concernant le montant des intérêts de l'emprunt, celui-ci constitue une dépense qui n'a pas, en soi, eu pour conséquence d'enrichir Mme [D] mais simplement d'appauvrir M. [C]. Le montant à prendre en considération est la plus basse entre l'enrichissement de l'un et l'appauvrissement de l'autre, sauf mauvaise foi de l'enrichi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Par conséquent, c'est à bon droit que le premier juge a écarté ce montant dans le calcul de l'enrichissement injustifié.
Concernant la participation en main d'oeuvre de M. [C] dans l'amélioration du bien de Mme [D], ce dernier ne conteste pas avoir été logé pendant la durée du concubinage, soit pendant presque 15 ans, au domicile de Mme [D], et ce sans payer de loyer. En considérant juste l'évaluation de la valeur pécuniaire de l'apport en main d'oeuvre opéré par M. [C] dans l'amélioration du bien de Mme [D], l'absence de paiement de loyer représente la contrepartie équivalente de l'enrichissement lié à son apport en industrie, c'est à dire le temps passé pour remettre le bien en état .
Il est rappelé que l'amélioration du bien a aussi eu pour objectif que les enfants puissent profiter, encore aujourd'hui, de l'ancien domicile commun, ce qui démontre une participation aux charges et à l'entretien de la vie familiale et des enfants.
De son côté, Mme [D] n'apporte, pour l'essentiel, à l'appui de ses prétentions que des attestations qui n'ont que valeur déclarative ; les prêts qu'elle a contractés ne permettant pas de remettre en cause les frais que M. [C] a supporté et qui ont eu pour conséquence d'améliorer son bien propre par l'appauvrissement de ce dernier et sans contrepartie. Aucune partie ne démontre avec des éléments probants suffisants avoir participé davantage aux charges courantes de fonctionnement du ménage par rapport à l'autre partie.
Par conséquent, c'est à bon droit que le juge de première instance a déterminé le montant définitif de la créance de l'enrichissement injustifié, en se fondant sur les frais exposés par M. [C] et non contestés par lui à hauteur de 76670,24€.
Le jugement en première instance est confirmé sur le fond.
Sur les dépens :
Eu égard à la nature du litige, des relations entre les parties et de la confirmation sur le fond du jugement rendu en première instance, chaque partie prendra en charge ses propres dépens.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité exige de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Sur la forme,
- Déclare l'appel recevable,
Au fond,
- Confirme le jugement rendu en première instance en toutes ses dispositions,
- Déboute les parties de toute demande contraire ou surplus à la présente décision,
- Laisse aux parties la charge de leurs propres dépens,
- Dit n'y avoir lieu à appliquer l'article 700 du code de procédure civile.
L'arrêt a été signé par M. TESSIER-FLOHIC, Président de Chambre, et par Mme MAGIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S. MAGISA. TESSIER-FLOHIC
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