CR/LW
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
- la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS
- la SELARL ISABELLE MAUGUERE
LE : 20 OCTOBRE 2022
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2022
N° 497 - 13 Pages
N° RG 21/01012 - N° Portalis DBVD-V-B7F-DMMD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal judiciaire de NEVERS en date du 07 Juillet 2021
PARTIES EN CAUSE :
I - S.A. POLYCLINIQUE DU [10], agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social :
[Adresse 4]
[Adresse 4]
N° SIRET : 651 880 437
Représentée par la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, avocat au barreau de BOURGES
timbre fiscal acquitté
APPELANTE suivant déclaration du 17/09/2021
INCIDEMMENT INTIMÉE
II - Mme [F] [Y] épouse [E]
née le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 9]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par la SELARL ISABELLE MAUGUERE, avocat au barreau de NEVERS
aide juridictionnelle Totale numéro 18033 2021/003188 du 09/11/2021
INTIMÉE
III - M. [J] [N]
né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 7]
Polyclinique du [10]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
INTIMÉ
INCIDEMMENT APPELANT
Représenté par Me Florence BOYER, avocat au barreau de NEVERS
20 OCTOBRE 2022
N° /2
IV - Société HARMONIE FONCTION PUBLIQUE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social :
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
INTIMÉE
Non représentée
à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées suivant acte d'huissier en date du 28/10/202, remis à étude et du 01/08/2022, remis à personne habilitée.
V - Société SOLIMUT MUTUELLE DE FRANCE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social :
[Adresse 5]
[Adresse 5]
INTIMÉE
Non représentée
à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées suivant acte d'huissier en date du 21/10/2021 et le 27/07/2022, remis à personne habilitée.
20 OCTOBRE 2022
N° /3
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Septembre 2022 en la présence du public, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. PERINETTI, conseiller chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. WAGUETTEPrésident de Chambre
M. PERINETTIConseiller
MME CIABRINIConseiller
***************
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme MAGIS
***************
ARRÊT : RENDU PAR DEFAUT
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
**************
EXPOSÉ DU LITIGE :
Madame [F] [Y] épouse [E], née en 1951, souffrait depuis plusieurs années d'une insuffisance veineuse aux jambes, plus communément appelée varice, et a été adressée par son médecin traitant au Docteur [R], médecin vasculaire, lequel l'a lui-même adressée au Docteur [N], chirurgien général et viscéral, afin d'envisager un éveinage de la grande veine saphène droite.
En suite d'une consultation du 22 novembre 2017, le Docteur [N] relevait que «les varices du membre inférieur droit sont maintenant du domaine chirurgical (') Nous avons discuté amplement en consultation de l'évolution de sa maladie, de la possibilité d'un geste chirurgical et des risques et des bénéfices de celui-ci. Elle a choisi de programmer son intervention le jeudi 7 décembre 2017, avec un marquage précis par le Docteur [R] la veille ou le matin de l'intervention».
En vue de cette intervention, Mme [E] a signé, le 30 novembre 2017, un document de consentement éclairé répondant «compris» à l'ensemble du questionnaire.
L'intervention chirurgicale a été réalisée par le Docteur [N] en ambulatoire, au sein de la Polyclinique du [10] à [Localité 6] et a consisté en un éveinage après incision au pli de l'aine et dissection progressive puis ligature.
Le 9 décembre 2017, soit deux jours après l'intervention, Mme [E] s'est rendue aux urgences, présentant de la fièvre, une cuisse enflée, rouge et brûlante avec une grosseur à l'aine, malgré les antalgiques.
Le Docteur [N] a commandé une échographie afin de vérifier l'hypothèse d'une phlébite qui n'a pas été détectée et a décidé de ne pas prescrire d'antibiotiques à sa patiente, lui conseillant plutôt de marcher le plus possible.
Mme [E] a alors consulté son médecin traitant le 12 décembre 2017 qui lui a prescrit des antibiotiques et antidouleurs. Les fils lui ont été retirés le 15 décembre 2017.
Par suite, le 22 décembre 2017, la cicatrice s'est ouverte générant écoulements de sang et lymphe et le Docteur [N] a dès lors prescrit un pansement et méchage pour 15 jours.
A la visite de contrôle du 5 janvier 2018, Mme [E] a fait état de douleurs persistantes et de la grosseur à l'aine qui ne désenflait pas et s'indurait mais, à la suite d'une dernière consultation en date du 17 janvier 2018, le Docteur [N] indiquait au Docteur [R] et au médecin traitant de Mme [E] que l'examen clinique était satisfaisant.
Une tomodensitométrie de la région inguinale gauche réalisée le 22 mars 2018, a mis en évidence la présence d'un textilome et c'est au terme de l'intervention du 12 avril 2018 que la compresse a été retirée avec poursuite de soins durant plusieurs semaines.
Mme [E] a tenté des démarches amiables auprès du directeur la Polyclinique du [10] lequel, par courrier du 20 avril 2018, l'avisait de ce que le Docteur [N] exerçait dans l'établissement à titre libéral et qu'il l'informait de sa démarche.
Mme [E] a alors saisi la Commission Régionale de Conciliation des Accidents Médicaux de Bourgogne le 21 juillet 2018 qui s'est déclarée incompétente, considérant que les conditions relatives au caractère de gravité du préjudice imposées par le Code de la Santé Publique n'étaient pas réunies.
C'est dans ces conditions que Mme [E] a mis en demeure le Docteur [N], par courrier en date du 5 août 2019, de l'indemniser de son entier préjudice et à défaut de réponse, elle a saisi le tribunal judiciaire de Nevers, selon actes d' huissier en date des 17 et 24 janvier 2020, aux fins principales de voir reconnaître la responsabilité contractuelle du Dr [J] [N] et d'ordonner une expertise médicale avant dire-droit sur l'indemnisation de ses préjudices, réclamant une provision de 5.000 €.
M. [N] a appelé en cause la Polyclinique du [10], par acte signifié le 3 avril 2020, aux fins de lui rendre opposable l'expertise qui serait prononcée.
Par jugement du 7 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Nevers a statué ainsi :
- Déclare Madame [F] [Y] épouse [E] recevable et fondée en son action,
- Dit et juge que Monsieur le Docteur [J] [N] a commis des fautes contractuelles génératrices d'un préjudice pour Madame [F] [Y] épouse [E] à l'occasion de l'opération chirurgicale du 7 décembre 2017,
Dit et juge que la responsabilité de Monsieur le Docteur [J] [N] doit être retenue,
- Dit et juge que la Polyclinique du [10] doit être tenue responsable du manquement commis par son personnel dans le comptage des compresses lors de l'opération chirurgicale réalisée par Monsieur le Docteur [J] [N] le 7 décembre 2017,
- Prononce l'appel en cause contre la Polyclinique du [10] recevable et bien fondé,
Avant-dire-droit, tous droits et moyens des parties demeurant réservés,
- Ordonne une expertise médicale,
- Dit que l'expert devra déposer son rapport avant le 31 décembre 2021,
- Dit que les frais d'expertise seront avancés par le Trésor Public, Madame [F] [Y] épouse [E] étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale,
- Dit que l'expert fera connaître sans délai son acceptation et qu'en cas de refus ou d'empêchement légitime il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance,
Désigne le président du tribunal judiciaire de Nevers ou son délégué pour surveiller les opérations d'expertise,
- Dit que l'affaire sera rappelée à l'audience de mise en état du 13 janvier 2022 pour conclusions après dépôt du rapport d'expertise,
- Rappelle que l'article 173 du Code de Procédure Civile fait obligation à l'expert d'adresser copie de son rapport à chacune des parties ou pour elles à leurs avocats,
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- Réserve les dépens.
Par déclaration électronique en date du 17 septembre 2021, la Polyclinique du [10] a interjeté appel de cette décision en ses dispositions lui faisant grief.
En ses dernières conclusions signifiées le 25 mai 2022, la Polyclinique du [10] demande à la cour de :
- Vu les articles L1142-1 et R4127-5 du Code de la Santé Publique,
* Infirmer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire et juger que seule la responsabilité de Monsieur le Docteur [J] [N] doit être retenue,
- Débouter Monsieur le Docteur [J] [N] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la Polyclinique du [10],
- Constater la mise hors de cause de la Polyclinique du [10],
- Condamner Monsieur le Docteur [J] [N] à verser à la Polyclinique du [10] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que la responsabilité de la Polyclinique du [10] n'est engagée qu'à hauteur de 25 %,
- Condamner Monsieur le Docteur [J] [N] à garantir à hauteur de 75 % la Polyclinique du [10] de toute condamnation prononcée à son encontre,
- Débouter Monsieur le Docteur [J] [N] de ses demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au titre des dépens.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que la jurisprudence retient depuis plusieurs années la responsabilité du chirurgien libéral en tant que commettant occasionnel à raison des actes des membres du personnel salarié mis à sa disposition pendant le temps de l'intervention.
Elle invoque également des arrêts de cours d'appel récents, ayant jugé que l'opérateur doit répondre des personnes qui l'assistent lors d'un acte médical d'investigation ou de soins.
Ainsi, selon elle, le médecin, qui exerce à titre libéral au sein d'un établissement de soins, répond des fautes commises par les personnes qui l'assistent lors d'un acte médical d'investigation ou de soins, même si ces personnes sont les salariées de l'établissement, dès lors qu'elles sont placées pendant l'acte opératoire sous son contrôle et sa direction caractérisant le lien de subordination qui se trouve alors transféré de la clinique au chirurgien pendant le temps de l'intervention.
Par dernières conclusions signifiées le 13 juillet 2022, M. [N] demande à la cour de :
- Vu les articles 143 et 144 du Code de Procédure Civile,
- Vu les articles L1142-1 du Code de la Santé Publique,
- Vu le rapport d'expertise du 4 janvier 2022,
Sur l'appel principal,
- Déclarer l'appel principal mal fondé,
- Le rejeter,
Corrélativement,
- Confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il :
- 'Dit et juge que Monsieur le Docteur [J] [N] a commis des fautes contractuelles génératrices d'un préjudice pour Madame [F] [Y] épouse [E] à l'occasion de l'opération chirurgicale du 7 décembre 2017"
- A considéré que Monsieur le Docteur [J] [N] ' a également commis une faute en ne faisant pas procéder aux examens appropriés dès l'apparition des premiers symptômes présentés par Madame [E]', demandant de ce fait à l'expert de 'plus généralement donner tous les éléments utiles d'appréciation sur les préjudices subis par Madame [F] [Y] épouse [E] qui seraient imputables au Docteur [N]'.
Sur l'appel incident du Docteur [N],
- Déclarer l'appel incident recevable et bien fondé,
- Faire droit aux demandes fins et conclusions de Monsieur le Docteur [J] [N],
Statuant à nouveau,
- Infirmer le jugement entrepris dans la limite de l'appel incident,
Corrélativement,
- Recevoir les explications en fait et en droit formulées par Monsieur le Docteur [J] [N],
- Débouter la Polyclinique du [10] de sa demande de mise hors de cause s'agissant de l'oubli de compresse,
- Débouter la Polyclinique du [10] du surplus de ses demandes,
- Débouter Madame [E] du surplus de ses demandes,
En tout état de cause,
- Rejeter toute demande de condamnation dirigée à l'encontre du Docteur [N], au titre de l'article 700 du Code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles à hauteur d'appel,
- Condamner la Polyclinique du [10] à verser au Docteur [N] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel,
- Condamner la Polyclinique du [10] aux dépens de la procédure d'appel.
Au soutien de ses prétentions, M. [N] fait tout d'abord valoir, concernant l'expertise, qu'alors même que le premier juge ne disposait d'aucun rapport d'expertise, il a pourtant retenu un manquement à son encontre sur la seule base des écritures de Mme [E].
Que de ce fait, le premier juge avait estimé qu'une faute avait été commise par le Docteur [N], qui n'aurait pas procédé aux examens appropriés dès l'apparition des premiers symptômes présentés par Mme [E], et a retenu, sans fondement, une pluralité de fautes, que ce soit dans son dispositif ou dans les missions confiées à l'expert.
Concernant la responsabilité de la Polyclinique du [10], il soutient qu'il est de jurisprudence constante que l'oubli de compresse lors d'une intervention chirurgicale implique un partage de responsabilité entre l'opérateur et la clinique qui emploie l'aide opératoire.
Que de plus, la circonstance que les médecins aient eux-mêmes des obligations n'est pas de nature à exonérer l'établissement de santé privé de la responsabilité qu'il encourt à raison des fautes commises dans l'organisation de son service.
Il estime que le comptage des compresses et des champs n'étant ni un acte médical ni un acte de soins, il relève de la compétence propre de l'infirmier, le chirurgien n'étant tenu que de vérifier qu'il a bien été réalisé et qu'en l'espèce, le check-list établie en fin d'intervention par la panseuse indiquait un compte final correct des compresses.
Il conclut ainsi à l'engagement de la responsabilité de la Polyclinique du [10].
Par dernières écritures signifiées le 10 juin 2022, Mme [F] [Y] épouse [E] demande à la cour de :
- Confirmer la décision entreprise,
- Condamner Monsieur le Docteur [J] [N] et la Polyclinique du [10] aux entiers dépens,
- Rejeter les demandes plus amples ou contraires.
Elle s'en remet à droit sur l'éventuel partage de responsabilité à opérer entre le Docteur [N] et la Polyclinique du [10] et sollicite qu'en tout état de cause le chirurgien soit déclaré responsable de la faute commise à son égard, compte tenu du comportement adopté durant l'opération et lors de son suivi post-opératoire.
Les sociétés intimées Harmonie Fonction Publique et Solimut Mutuelle de France n'ont pas constitué avocat.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 août 2022.
SUR CE :
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée.
Sur la responsabilité de M. [N],
Il sera liminairement fait observer que si le Dr [N] reprochait au premier juge d'avoir statué et retenu sa responsabilité sans être éclairé par les conclusions d'une expertise qu'il n'a ordonné par la même décision qu'aux seules fins de déterminer la part de responsabilité du médecin et de la Polyclinique également reconnue fautive à l'égard du médecin du fait d'une erreur de l'infirmière qu'elle mettait à sa disposition pour l'exercice de son activité libérale, la Cour dispose désormais, pour déterminer les responsabilités de chacun, du rapport de l'expertise ordonnée par le jugement entrepris et réalisée au contradictoire du Dr [N] et de la Polyclinique du [10].
S'agissant de la responsabilité médicale, le premier juge a rappelé à bon droit les articles L. 1110-5, L. 1142-1 et R. 4127-32 du code de la santé public qui reconnaissent au patient le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés lui garantissant la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de sa souffrance et exigent une faute du médecin pour voir engager sa responsabilité à raison des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'il s'est engagé à assurer consciencieusement dans en fonction des données acquises de la science, en faisant appel s'il y a lieu à l'aide de tiers compétents.
Il en a justement déduit, ce que confirme sans ambages les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, que le fait d'omettre d'extraire une compresse du corps du patient avant de procéder à la suturation de la plaie qui met fin à l'intervention engage sa responsabilité et l'oblige à en indemniser les conséquences dommageables.
En effet, il s'agit bien d'une faute commise par le médecin dans le décours d'un acte de soins dont il ne peut attribuer l'imputabilité au personnel qui l'assistait et était tenu d'une obligation de comptage des compresses, cette obligation étant distincte de celle faite au médecin de retirer toutes les compresses avant de refermer la plaie et ne constitue qu'une mesure de contrôle complémentaire destinée à limiter le risque d'oubli d'un corps étranger.
Le tribunal a retenu une deuxième faute du Dr [N] commise dans le suivi post-opératoire en ne faisant pas procéder aux examens appropriés dès l'apparition des premiers symptômes présentés par Mme [E], retardant d'autant l'intervention réparatrice.
M. [N] conteste toute faute arguant essentiellement du fait que l'expert judiciaire ne s'est pas prononcé sur ce point.
Il sera fait observer que si effectivement l'expert n'a pas abordé la question, il n'a cependant pas exclu toute faute étant précisé que la seule faute initiale était suffisante pour engager sa responsabilité et l'obliger à indemniser l'entier préjudice en découlant, en ce compris les conséquences de la tardiveté du diagnostic qui a différé d'autant la consolidation de l'état de la patiente et augmenté la durée de ses souffrances.
L'expert a toutefois noté, dans l'énoncé des doléances de Mme [E], qu'elle reprochait au médecin de n'avoir pas été écoutée et donc prise en charge de façon satisfaisante lorsqu'elle se plaignait, après l'opération, de sa grosseur à l'aine et des problèmes de cicatrisation qui lui paraissaient tout à fait, et à juste titre, anormaux.
L'expert a donc ainsi considéré que l'évolution post-opératoire de la patiente était anormale et qu'elle devait interpeller sur ses causes.
Or, Mme [E], opérée le 7 décembre 2017, a consulté dès le 9 décembre suivant aux urgences, présentait de la fièvre, une cuisse enflée rouge et brûlante avec une grosseur à l'aine ainsi que des douleurs malgré les antalgiques. Le Dr [N] a suspecté une phlébite dont le diagnostic n'a pas été avéré après l'échographie prescrite qui mettait en évidence la présence d'air.
Le 12 décembre suivant, son état ne s'améliorant pas, Mme [E] a consulté son médecin traitant qui lui a prescrit antibiotiques et antalgiques.
Après retrait des fils, la cicatrice s'est rouverte le 22 décembre et a généré écoulements de sang et de lymphe pris en compte par le Dr [N] qui prescrivait pansement et méchage durant 15 jours.
A la visite de contrôle du 5 janvier 2018, Mme [E] faisait état de douleurs persistantes et de sa grosseur à l'aine qui ne désenflait pas et s'indurait, doléances qu'elle réitérait le 17 janvier 2018 en invoquant une boule dans l'aine sollicitant des investigations ( échographie) que le Dr [N] n'a pas estimées utiles.
La cicatrice s'étant à nouveau ouverte le 22 février 2018, c'est finalement le médecin traitant qui prescrira une échographie laquelle a permis de suspecter la présence d'un corps étranger que confirmera un examen par scanner prescrit, par un phlébologue, qui mettra en évidence la présence d'un textilome (une compresse) oublié lors de l'intervention initiale.
Il s'évince de cette chronologie que le Dr [N] a revu à plusieurs reprises sa patiente, a constaté l'anormalité du processus de cicatrisation et reçu les doléances répétées de Mme [E] mais n'a cependant pas, hormis en ce qu'il a écarté l'hypothèse d'une phlébite, fait diligence pour rechercher la cause de ces complications post-opératoires alors pourtant que les symptômes présentés et leur persistance pouvaient et devaient le conduire à faire procéder à des actes d'investigation complémentaires.
C'est dès lors à bon droit que le tribunal a pu retenir un deuxième manquement fautif imputable au Dr [N] et la décision sera confirmée sur ce point.
Sur l'appel en garantie dirigé à l'encontre de la polyclinique du [10]
Le tribunal a considéré que le comptage des compresses relevait de la responsabilité de l'aide-opératoire en ce que cet acte, qui n'est ni médical ni de soins, relève d'une compétence propre de l'infirmier, le médecin étant uniquement tenu de s'assurer que le comptage a bien été réalisé. Il a indiqué que la chek-list réalisée en fin d'opération par la panseuse salariée de la polyclinique faisait mention d'un comptage exact des compresses, démontrant ainsi que le comptage était erroné, et que la responsabilité de la polyclinique, qui se trouve être son seul commettant pour ce type d'acte, se trouvait ainsi nécessairement engagée.
La Polyclinique du [10], incidemment appelante de ce chef, soutient qu'au contraire, il résulte désormais d'une jurisprudence dominante et constante que le médecin qui exerce à titre libéral au sein d'un établissement de soins répond des fautes commises par les personnes qui l'assistent lors d'un acte médical d'investigation ou de soins, même si ces personnes sont les salariées de l'établissement, dès lors qu'elles sont placées pendant l'acte opératoire sous son contrôle ; Elle prétend qu'en l'espèce, le Dr [N] était seul responsable des actes des salariés qu'elle a mis à sa disposition durant l'intervention de Mme [E] et dont il était devenu le commettant occasionnel.
Il résulte de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique qu'hors le cas où leur responsabilité est engagée en raison d'un défaut de produit de santé, les professionnels de santé et les établissements de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
Il est de principe qu'en vertu de l'indépendance professionnelle dont il bénéficie dans l'exercice de son art, un médecin qui exerce à titre libéral au sein d'un établissement de soins répond des fautes commises par les personnes qui l'assistent lors d'un acte médical d'investigation ou de soins, même si ces personnes sont les salariées de l'établissement, dès lors qu'elles sont placées, pendant l'acte opératoire, sous son contrôle.
Ce pouvoir de contrôle et de direction caractérise le lien de subordination, qui se trouve donc transféré de la clinique au chirurgien devenu commettant occasionnel pendant le temps de l'intervention.
Le fait que le comptage relève du champ de compétence propre du personnel infirmier est sans emport sur le lien de subordination dans la mesure où le comptage est indissociable de l'intervention chirurgicale proprement dite pour laquelle l'infirmière est placée sous la seule autorité du chirurgien lequel ne peut s'exonérer, même partiellement, de sa responsabilité concernant l'opération de comptage des compresses au seul motif qu'elle n'est pas réalisée sous son contrôle, dès lors que l'infirmière de bloc agit sous son autorité et qu'il doit demeurer in fine responsable d'une erreur commise par le personnel qui l'assiste.
En l'espèce, il n'est pas contesté que le comptage des compresses réalisé par l'infirmière salariée de la Polyclinique était nécessairement erroné puisque la check-list versée aux débats fait mention d'un comptage exact des compresses alors pourtant qu'il en manquait nécessairement une, oubliée dans le corps de Mme [E], et dès lors, le Dr [N] doit en assumer seul la responsabilité eu égard aux principes ci-avant énoncés qui le désignent comme commettant occasionnel de l'infirmière salariée de l'établissement hospitalier.
L'expert judiciaire a pour sa part estimé que la responsabilité du Dr [N] pouvait être partagée avec la Polyclinique, à raison d'une faute propre à celle-ci, en ce que la check-list utilisée par le personnel de la Polyclinique du [10] n'était pas conforme aux directives de la Haute Autorité de Santé qui préconisaient qu'elle soit établie sous forme d'un document manuscrit du médecin et de l'infirmière du bloc alors qu'elle était réalisé informatiquement et sans aucune signature.
L'expert a, en effet, rappelé que dans les procédures chirurgicales habituelles, l'infirmière du bloc opératoire est en charge du comptage des compresses, écarteurs et champs opératoires qui servent à l'acte chirurgical et doit, à la fin de l'intervention, annoncer et à voix haute le comptage des compresses retrouvées qui doit correspondre au compte de celles fournies au médecin en début d'intervention. Il a précisé que ce comptage et ces annonces sont écrites sur une feuille dite check-list qui doit obligatoirement être signée de façon manuscrite par le chirurgien, l'anesthésiste et l'infirmière de bloc opératoire.
Il a mentionné que la check-list utilisée lors de l'intervention subie par Mme [E] n'était absolument pas conforme aux directives de la Haute Autorité de Santé puisqu'elle consistait uniquement en un simple document informatique non signé et dont la communication aux débats permet de constater qu'elle se résume à mentionner OUI en face d'une ligne intitulée 'du compte final correct des compresses, aiguilles, instruments, etc' après intervention.
L'expert en déduit la conclusion suivante : 'Compte tenu de cette check-list inutilisable, on ne peut pas accuser la clinique et son infirmière d'un compte inexact mais on peut et c'est extrêmement important l'accuser de ne pas avoir une check-list réglementaire et que la check-list qu'elle a fait est totalement inutile, non opposable au tribunal.
Cette absence de check-list est pour l'expert une faute évidente de la clinique et qui intervient pour 25 % (1/4) dans l'oubli de la compresse.'
Pour autant, aucune des parties en présence ne conteste la réalité d'un comptage des compresses ni l'erreur commise et le débat entre elles était circonscrit à la détermination du commettant de l'infirmière du bloc dont il a été dit ci-avant qu'il s'agissait du Dr [N].
Dans ces conditions, la Cour qui n'est pas tenue de se conformer à l'avis donné sur les responsabilités par l'expert, qui, en tant que technicien, n'a pas à porter d'appréciations juridiques et dont les constatations ou conclusions ne lient pas le juge, écartera cet avis qui est inopérant pour caractériser une faute imputable à la Polyclinique et en lien avec le dommage subi par Mme [E].
Il s'ensuit que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, M. [N] est seul responsable du défaut de comptage des compresses et textiles et ne saurait voir prospérer sa demande en garantie dirigée à l'encontre de la Polyclinique du [10] qui sera mise hors de cause après réformation du jugement entrepris.
M. [N] supportera la charge des dépens de l'instance d'appel et devra payer à la Polyclinique du [10] une somme de 1.500 € au titre des frais de procédure exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il :
- DIT que la Polyclinique du [10] doit être tenue responsable du manquement commis par son personnel dans le comptage des compresses lors de l'opération chirurgicale réalisée par le Docteur [J] [N] le 7 décembre 2017,
- DIT bien fondé l'appel en cause dirigé contre la Polyclinique du [10],
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
- DEBOUTE M. [J] [N] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la Polyclinique du [10],
- CONSTATE la mise hors de cause de la Polyclinique du [10],
Y ajoutant,
- CONDAMNE M. [J] [N] aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu' à verser à la Polyclinique du [10] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'arrêt a été signé par M.WAGUETTE, Président et par Mme SERGEANT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,
V. SERGEANTL. WAGUETTE