SM/ RP
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
- la SCP JACQUET LIMONDIN
- la SCP LEAL ET RODDE
LE : 20 AVRIL 2023
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 20 AVRIL 2023
N° - Pages
N° RG 22/00129 - N° Portalis DBVD-V-B7G-DNSS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire de BOURGES en date du 20 Janvier 2022
PARTIES EN CAUSE :
I - M. [C] [A]
né le 29 Novembre 1972 à [Localité 4]
[Adresse 3]'
[Localité 1]
Représenté par la SCP JACQUET LIMONDIN, avocat au barreau de BOURGES
timbre fiscal acquitté
APPELANT suivant déclaration du 02/02/2022
II - M. AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité :
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représenté par la SCP LEAL ET RODDE, avocat au barreau de CHATEAUROUX
timbre fiscal acquitté
INTIMÉ
20 AVRIL 2023
N° /2
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Février 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. PERINETTI, Conseiller chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CLEMENT Présidente de Chambre
M. PERINETTI Conseiller
Mme CIABRINI Conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme MAGIS
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ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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EXPOSÉ :
Circulant le 29 janvier 2016 aux abords de la commune de [Localité 6], [C] [A] a été victime d'une agression de la part d'un autre automobiliste muni d'un bâton et d'un cutter.
Il a déclaré ne pas vouloir porter plainte auprès des gendarmes intervenus sur les lieux, lesquels n'ont pas conservé les renseignements pris sur l'identité de l'individu mis en cause.
Le certificat médical de l'intéressé faisait état de trois jours d'incapacité totale de travail en raison de douleurs et d'ecchymoses.
Monsieur [A] a finalement décidé le lendemain des faits de déposer plainte pour violence avec usage d'une arme ou menace d'une arme suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, cette plainte étant classée sans suite en raison de l'absence d'identification de l'auteur des faits.
Suite au recours de Monsieur [A], le parquet a ouvert de nouveau l'enquête, ce qui n'a toutefois pas permis d'identifier l'auteur des faits.
La commission d'indemnisation des victimes d'infractions et d'actes de terrorisme a déclaré irrecevable la demande formée par Monsieur [A] au titre de l'indemnisation de son préjudice par décision du 7 juin 2020.
Par acte du 9 décembre 2020, Monsieur [A] a assigné l'Agent Judiciaire de l'État devant le tribunal judiciaire de Bourges aux fins de condamnation de celui-ci au paiement d'une indemnité de 10 000 € au titre de l'indemnisation pour perte de chance, en raison des carences imputées au service public de la justice, n'ayant pas permis d'identifier l'auteur des faits de violences volontaires dont il a été victime le 29 janvier 2016.
Il a ainsi soutenu que la responsabilité de l'État se trouvait engagée en application de l'article L 141 ' 1 du code de l'organisation judiciaire et des dispositions de l'article 38 de la loi numéro 55 ' 366 du 3 avril 1955, estimant principalement que le fait de ne pas avoir conservé les informations sur l'identité de l'agresseur constitue une faute grave, de sorte qu'il a perdu une chance d'être indemnisé de son préjudice corporel ainsi que de son préjudice matériel.
Par jugement rendu le 20 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Bourges a toutefois débouté Monsieur [A] de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
[C] [A] a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée le 2 février 2022 et demande à la cour, dans ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 1er août 2022, à la lecture desquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, de :
Infirmer le jugement rendu le 20 janvier 2022 par le Tribunal Judiciaire de Bourges en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
Vu l'article L 141-1 du Code de l'Organisation Judicaire,
Vu l'article 38 du la loi n° 55-366 du 3 avril 1955,
Vu l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968,
Condamner Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat à payer à Monsieur [A] une indemnité de 10.000,00 € au titre de l'indemnisation pour perte de chance en raison des carences du service public de la justice n'ayant pas permis d'identifier l'auteur des faits de violences volontaires dont il a été la victime le 29 janvier 2016 et constitutif d'une faute lourde du Service public de la justice.
Débouter Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 code de procédure civile ainsi que de sa demande de condamnation de Monsieur [A] aux dépens de première instance et d'appel.
Condamner Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat à payer à Monsieur [A] une indemnité de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile.
Condamner Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat aux dépens de première instance et d'appel.
L'Agent Judiciaire de l'État, intimé, demande pour sa part à la cour, dans ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 13 juillet 2022, à la lecture desquelles il est également renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, de :
Vu l'article L141-1 du Code de l'Organisation Judiciaire,
Vu l'article 38 de la Loi N° 55-366 du 03 Avril 1955 et l'article 1 de la Loi N° 68-1250 du 31 Décembre 1968
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Bourges rendu le 20 janvier 2022 en toutes ses dispositions en ce qu'il a débouté M. [A] de l'ensemble de ses demandes. -
- condamner M. [A] à verser la somme de 2 500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 janvier 2023.
SUR QUOI :
Selon l'article L 141 ' 1 du code de l'organisation judiciaire, « l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf dispositions contraires, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ». L'article L 141 ' 3 du même code définit le déni de justice en ces termes : « il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées ».
Il résulte par ailleurs du premier alinéa de l'article 38 de la loi numéro 55 ' 366 du 3 avril 1955 que « toute action portée devant les tribunaux de l'ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l'État créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine doit, sauf exceptions prévues par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l'agent judiciaire de l'État ».
Selon la définition contenue dans l'arrêt rendu par l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 23 février 2001, constitue une faute lourde, susceptible d'engager la responsabilité de l'État au sens du texte précité, toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.
Au cas d'espèce, il résulte des pièces produites que dans l'après-midi du 29 janvier 2016, Monsieur [A] a été pris à partie par un automobiliste alors qu'il circulait sur la route de Charenton sur la commune de [Localité 6], à proximité du magasin Leclerc.
L'appelant indique, en effet, s'être stationné avec son véhicule Mitsubishi sur le bas-côté de la route suite aux appels de phares provenant d'un véhicule de type monospace qui le suivait. Il ajoute que le conducteur de ce véhicule s'en est alors pris violemment à sa personne en le frappant à l'aide d'un bâton de vacher et d'un cutter, menaçant de le tuer, précisant être parvenu à maîtriser son agresseur en raison de sa pratique de sports de combat.
Il est également établi qu'une patrouille de gendarmerie, qui effectuait à ce moment précis une mission de surveillance sur le parking du magasin Leclerc, est intervenue sur les lieux afin de faire cesser l'altercation et a constaté les identités des protagonistes et récupéré le cutter, relevant par ailleurs que Monsieur [A] ne souhaitait pas, sur le moment, déposer plainte.
Le lendemain de l'agression, l'appelant s'est finalement présenté auprès des services de gendarmerie, après avoir consulté un médecin ayant constaté que son état entraînait une incapacité temporaire totale de trois jours en raison notamment de la présence de cervicalgies, de diverses ecchymoses et hématomes, afin de déposer plainte à l'encontre de l'individu à l'origine des violences qu'il avait subies la veille.
Selon les termes du procès-verbal de synthèse établi le 9 août 2018 par la brigade de gendarmerie de [Localité 6], « le papier portant l'identité de l'agresseur [a] été perdu par les militaires », de sorte qu'il n'a pas été possible d'identifier celui-ci et que la procédure a fait l'objet d'un classement sans suite ayant fait l'objet d'un recours par Monsieur [A] devant le procureur général de la cour d'appel de Bourges, lequel a indiqué, dans sa réponse du 14 février 2018 : « après examen de la procédure, je ne peux que vous confirmer cette décision de classement, motivée par l'absence d'identification de l'auteur présumé des violences dont vous avez été victime. En effet, l'officier de police judiciaire, intervenu le jour de l'altercation, n'a pas noté l'identité de l'autre conducteur en cause, et n'a donc pas été en mesure de le faire utilement rechercher après votre dépôt de plainte. En l'état, il n'existe donc aucun élément de nature à identifier cette personne. Je vous indique que la carence dans le traitement de cette enquête a justifié, de la part du procureur de la République, une demande d'explication à l'officier de police judiciaire concerné, via son commandant de compagnie, qui pourrait éventuellement déboucher, à mon initiative, sur une décision de suspension ou de retrait de l'habilitation d'officier de police judiciaire de cet enquêteur » (pièce numéro 16 du dossier de l'appelant).
Il résulte également du dossier que suite au courrier adressé par Monsieur [A] au procureur général de la cour d'appel, une enquête complémentaire a été réalisée par les gendarmes de [Localité 6], laquelle a notamment consisté à :
' procéder à des investigations complémentaires au regard notamment des déclarations de Monsieur [A] ayant précisé que la compagne du mis en cause était intervenue sur les lieux, en compagnie d'un enfant jeune, tout en donnant une description physique de celle-ci
' consulter, en vain, les enregistrements de la vidéosurveillance du magasin Leclerc de [Localité 6], sur le parking duquel l'altercation s'était produite, ainsi que le système de vidéosurveillance de ladite commune
' procéder à l'audition du vigile de ce magasin, ce qui n'a toutefois pas permis d'identifier l'agresseur
' procéder à l'audition de Monsieur [B], témoin de l'agression
' dans la mesure où l'agresseur avait indiqué selon l'appelant, lors des faits, qu'il devait conduire sa fille en consultation ophtalmologique au centre hospitalier de [Localité 6], adresser une réquisition à cet hôpital pour obtenir la liste des personnes reçues dans ce service le jour des faits et, plus largement, adresser une réquisition à la Maison Départementale des Personnes Handicapées afin d'obtenir la liste des enfants déficients visuels sur le département du Cher
' au vu de l'ensemble de ces éléments, tant sur l'agresseur que sur son entourage, ainsi que sur le type de véhicule conduit, effectuer une recherche multicritères au fichier de traitement des antécédents judiciaires, ayant permis d'obtenir sept résultats, dont un dénommé [Z] [S], que Monsieur [A] reconnaîtra comme étant son agresseur sur un tapissage photographique organisé par les gendarmes le 5 juin 2018, avant d'émettre des réserves sur celui-ci le 11 juin suivant
' procéder à l'audition d'une tierce personne, susceptible de correspondre aux éléments d'identification de l'agresseur, et vérifier auprès de l'employeur de celui-ci qu'il se trouvait, en réalité, à son travail à [Localité 5] au moment où l'agression s'est produite.
L'ensemble des investigations ci-dessus rappelées n'ayant pas permis d'identifier l'agresseur de Monsieur [A], les gendarmes ont clôturé leur procès-verbal de synthèse et le procureur général de la cour d'appel de Bourges a confirmé le classement sans suite le 2 novembre 2018 en ces termes : « je viens de prendre connaissance de l'enquête complémentaire diligentée par l'unité de gendarmerie de [Localité 6] sur les faits de violence dont vous aviez été victime le 29 janvier 2016. Malgré des investigations sérieuses effectuées, et auxquelles vous avez été associé, notamment par l'examen de tapissages photographiques, il n'a pas été possible d'identifier votre agresseur. Dès lors, cette procédure va être définitivement classée sans suite », tout en précisant que l'officier de police judiciaire ayant égaré le papier contenant l'identité de l'agresseur avait fait l'objet, d'une part, d'une sanction administrative de la part de sa hiérarchie militaire et, d'autre part, d'un avertissement de la part du procureur de la République de Bourges.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, et même si la perte du document contenant l'identité de l'agresseur de Monsieur [A] présente un caractère éminemment regrettable, il ne saurait être considéré, au sens de l'article L 141 ' 1 du code de l'organisation judiciaire précité, que cette simple faute de négligence puisse être qualifiée de faute « lourde » susceptible d'engager la responsabilité de l'État, alors même que, par des investigations ultérieures approfondies, les services de gendarmerie ont tenté, en vain, d'identifier cet agresseur.
C'est en conséquence à juste titre que le premier juge a rejeté la demande formée par Monsieur [A] tendant à la condamnation de l'agent judiciaire de l'État à verser une indemnité de 10 000 € au titre de la perte de chance alléguée.
La décision de première instance devra donc être confirmée en toutes ses dispositions, sans qu'aucune condition d'équité ne commande en l'espèce de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'agent judiciaire de l'État.
PAR CES MOTIFS :
La cour
' Confirme le jugement entrepris
Y ajoutant
' Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
' Dit que les entiers dépens d'appel seront à la charge de [C] [A].
L'arrêt a été signé par O. CLEMENT, Président et par Mme MAGIS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
S.MAGIS O. CLEMENT