LE QUATRE DECEMBRE DEUX MILLE SEPT LA CHAMBRE COMMERCIALE DE LA COUR D'APPEL DE CHAMBERY a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
dans la cause 06 / 02626- Chambre commerciale
opposant :
L'ADMINISTRATION DES IMPOTS représentée par Monsieur le Directeur des services fiscaux de la Haute Savoie, sise Cité administrative-7 rue Dupanloup-74040 ANNECY
représentée par la SCP BOLLONJEON-ARNAUD-BOLLONJEON, avoués à la Cour
à
Intimé
M. Thomas X..., demeurant...
représenté par la SCP FILLARD / COCHET-BARBUAT, avoués à la Cour assisté de Me Alain GRASSAUD, avocat au barreau de PARIS
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 12 novembre 2007 avec l'assistance de Madame VIDAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Madame ROBERT, Président de chambre,
- Madame CARRIER, Conseiller, qui a procédé au rapport
-Monsieur BETOUS, Conseiller.
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Suivant acte authentique en date du 15 octobre 2001, les époux Francis X... ont fait donation à leur fils Thomas par préciput et hors part d'une somme de 780 000F. Les droits d'enregistrement afférents à cette donation ont été payés pour un montant de 97 625F. Suivant acte authentique du 16 octobre 2001, Thomas X... a acquis la nue-propriété d'un chalet à LA CLUSAZ pour un montant de 780 000 F en utilisant les fonds qui venaient de lui être donnés et ses parents en ont acquis l'usufruit. La répartition entre nue propriétaire et usufruitier a été calculée sur la valeur économique de ces démembrements de la propriété.
Considérant que ces opérations étaient inspirées par la volonté d'éluder les droits d'enregistrement applicables en matière de donation de la nue-propriété d'un immeuble dont le montant, calculé selon le barème prévu à l'article 762 du Code Général des Impôts, s'établissait en l'espèce à la somme de 2 593 500 F, l'administration a, par lettre en date du 10 mars 2003, notifié à Thomas X... un redressement de 41 408 € outre 33 126 € de majorations de retard et 4 969 € d'intérêts de retard.
En suite de cette notification, Monsieur Francis X... a, par courrier du 1er avril 2003, formulé des observations pour le compte de Thomas X... sollicitant la saisine du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration a répondu à ces observations par un courrier du 16 juin 2003. Ce courrier indiquait la faculté ouverte au contribuable de solliciter la saisine du comité consultatif pour la répression des abus de droit conformément à l'article L 64 du Livre des Procédures Fiscales dans le délai d'un mois.
L'administration fiscale a procédé le 22 avril 2004 à une nouvelle notification de redressement pour le même montant, annulant celle du 10 mars 2003. Monsieur Francis X... a répondu à cette nouvelle notification en indiquant que son fils se trouvait à l'étranger et sollicitant un report du délai pour présenter des observations jusqu'au 17 juin 2003.
Un avis de mise en recouvrement des sommes visées au redressement a été émis le 23 novembre 2004. Le 31 janvier 2005, Monsieur Thomas X... a contesté l'ensemble du redressement. Sa réclamation a été rejetée par décision du 22 juin 2005.
Il a alors porté le litige devant le Tribunal de Grande Instance d'ANNECY lequel a, par jugement du 8 novembre 2006, dit que l'opération de redressement était régulière en la forme mais qu'au fond la notion d'abus de droit de l'article L 64 du Livre des Procédures Fiscales n'était pas opposable à Monsieur X... et déchargé celui-ci de la totalité des sommes mises à sa charge au titre des droits d'enregistrement, majorations et intérêts de retard résultant de la notification de redressement du 22 avril 2004, condamné la Direction Générale des Impôts au paiement de la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux dépens.
L'Administration des Impôts a interjeté appel de cette décision.
Elle conclut à l'infirmation du jugement déféré, à la validité de la procédure de redressement et à la confirmation de la décision de rejet du 22 juin 2005.
Elle demande à voir dire n'y avoir lieu en tout état de cause à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir que la notification du 10 mars 2003 ayant été annulée, elle n'avait pas à donner suite à la demande de Monsieur Thomas X... de soumettre son cas à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit ; qu'il n'avait pas réitéré cette demande dans les délais prévus à l'article R 64-2 du Livre des Procédures Fiscales suite à la seconde notification.
Elle soutient au fond que l'opération litigieuse n'a eu d'autre objet que d'éluder les droits d'enregistrements dus en matière de donation de nue propriété d'un immeuble et que l'attestation établie par Maître B..., notaire à SAINT MALO et rédacteur de l'acte de donation du 15 octobre 2001, constitue une preuve " bien mince et peu convaincante " pour justifier par le coût des actes le choix du montage opéré au regard de l'économie de droits qu'il permettait de réaliser ; que l'opération ne constitue pas un montage transparent et légal dès lors que son objet est la donation de la nue propriété d'un bien immobilier à un coût fiscal avantageux sous couvert d'un don manuel constitutif d'un abus de droit.
Elle rappelle que, selon l'article 869 ancien du Code Civil en vigueur à la date de la donation, le rapport à la succession d'une somme d'argent est égal à son montant mais que si celle-ci a servi à acquérir un bien, le rapport est dû de la valeur de ce bien dans les conditions prévues à l'articles 860 du Code Civil.
Elle invoque la jurisprudence de la Cour de Cassation selon laquelle la donation régulière permettant d'écarter la présomption de fictivité du démembrement est celle de la nue-propriété ou de l'usufruit du bien et non la donation d'une somme d'argent permettant d'acheter fictivement la nue-propriété ou l'usufruit de celui-ci, quand bien même cette donation serait elle-même réalisée régulièrement et souligne que la jurisprudence du TGI de BEZIERS invoquée par la partie adverse n'est pas transposable au litige.
Monsieur Thomas X... conclut à la confirmation du jugement déféré, demande à voir déclarer la procédure de redressement irrégulière faute pour l'administration d'avoir soumis le litige au comité consultatif pour la répression des abus de droit et à voir débouter l'administration fiscale de son appel et maintenir en conséquence la décharge prononcée par le Tribunal à son profit.
Il sollicite en outre l'allocation de la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Il fait valoir que l'intérêt de la donation d'une somme d'argent réside dans le fait que son éventuelle réduction pour atteinte à la réserve des co-héritiers se calculera sur la somme donnée et ne dépendra pas de la variation de la valeur de l'immeuble ; que d'autre part, il est plus simple de donner une somme d'argent que la nue propriété d'un bien et que les actes de donation et d'acquisition sont plus coûteux.
Il invoque la jurisprudence du Tribunal de Grande Instance de BEZIERS du 2 septembre 2002 ayant retenu dans des circonstances de fait similaires, qu'il n'y avait pas d'abus de droit et fait valoir que la jurisprudence de la Cour de cassation invoquée par la partie adverse n'est pas transposable à l'espèce.
Il soutient que les notifications successives du redressement sont strictement identiques, " au visa des textes près " et que la demande initiale de saisine du comité formulée ensuite de la première notification valait pour la seconde ; qu'il serait particulièrement inique qu'au bénéfice de la régularisation de ses propres carences, l'administration puisse s'exonérer de lui accorder une garantie qu'il avait clairement sollicitée et à laquelle il n'avait aucune raison de renoncer ; que les observations formulées ensuite de la première notification valaient pour la seconde.
Il conteste que son père, qui a réceptionné la seconde notification, ait eu la qualité de mandataire apparent, seul le contribuable ou un mandataire dûment constitué pouvant en matière fiscale valablement répondre aux actes de l'administration et prétend que, que son père n'étant détenteur d'aucun mandat régulier, les réponses fournies par ses soins devaient être considérées comme inexistantes.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la régularité en la forme du redressement
Selon l'article L 64 du LPF sur la répression de l'abus de droit en matière fiscale, ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la véritable portée d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses qui notamment donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés. L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. Le contribuable peut solliciter l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit.
Selon l'article R 64-2 du Livre des Procédures Fiscales, lorsque l'administration se prévaut des dispositions du deuxième alinéa de l'article L 64, le contribuable dispose d'un délai de 30 jours à compter de la réception de la réponse de l'administration à ses observations pour demander que le litige soit soumis à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit.
La notification du 22 avril 2004, même si elle tendait à un redressement du même montant pour les mêmes motifs était plus complète que de celle du 10 mars 2003 quant au rappel des textes appliqués. Dans la mesure où elle emportait annulation de la précédente, il appartenait au contribuable de formuler à nouveau ses observations et, le cas échéant, sa demande de saisine du comité consultatif pour la répression des abus de droit. C'est dès lors justement que les premiers juges ont déclaré la procédure de redressement régulière en la forme.
Sur le fond
En matière d'abus de droit, il appartient à l'administration de rapporter la preuve soit que les opérations incriminées ont un caractère fictif soit qu'elles ont été inspirées par le souci exclusif d'éluder tout ou partie de l'impôt qui aurait été dû en l'absence de ces opérations. En l'espèce, il n'y a pas lieu de rechercher si les opérations ont un caractère fictif, le redressement n'ayant pas été motivé sur ce fondement.
Il résulte de l'attestation de Maître B..., notaire à SAINT MALO et rédacteur de l'acte de donation du 15 octobre 2001, attestation dont l'administration fiscale qui supporte la charge de la preuve ne démontre pas l'inexactitude, que les actes et les honoraires d'une donation de la nue propriété de l'immeuble auraient été plus coûteux qu'une donation de somme d'argent.
Les dispositions de l'ancien article 869 du Code Civil applicable à la date de donation, invoqués par l'administration fiscale pour établir le défaut d'intérêt successoral de l'opération ne sont pas applicables en l'espèce s'agissant d'une donation par préciput et hors part, à ce titre insusceptible de donner lieu à rapport. La donation ainsi consentie pouvant par contre donner lieu à réduction pour atteinte à la réserve en application de l'article 844 ancien du Code Civil en vigueur à la date de la donation, les parties avaient un intérêt à ce que l'assiette de calcul de l'atteinte à la réserve soit fixée par avance et qu'elle ne soit pas soumise à la variation de la valeur de l'immeuble, ce que seule permettait la donation d'une somme d'argent. Ainsi, il n'est pas établi que le souci exclusif d'éluder tout ou partie de l'impôt ait présidé au choix de l'opération critiquée. La décision déférée sera en conséquence confirmée.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par mise à disposition au Greffe et contradictoirement,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions.
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en cause d'appel.
CONDAMNE l'administration fiscale aux dépens d'appel avec distraction au profit de la SCP FILLARD COCHET-BARBUAT par application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ainsi prononcé publiquement le 04 décembre 2007 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile et signé par Madame ROBERT, Président et Madame VIDAL, Greffier.