COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 11 Mai 2017
RG : 15/02108
FM/SD
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de THONON LES BAINS en date du 10 Septembre 2015, RG 2014/1192
Appelante
BANQUE POPULAIRE DES ALPES devenue BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHÔNE ALPES, dont le siège social est sis 4 Boulevard eugène Deruelle 69003 LYON
assistée de la SCP PIANTA et ASSOCIES, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
Intimé
M. Pascal Paul Marie X...
né le 20 Mars 1972 à LA CIOTAT (13), demeurant ...
assisté de Me Corentine VERON DELOR, avocat au barreau de BONNEVILLE
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 14 février 2017 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffier, en présence de Ludivine Becquet, assistante de justice
Et lors du délibéré, par :
- Madame Evelyne THOMASSIN, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président
- Monsieur Franck MADINIER, Conseiller, qui a procédé au rapport
- Monsieur Gilles BALAY, Conseiller,
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Faits, procédure et prétentions des parties :
La Banque Populaire des Alpes a consenti à la SARL PACA deux prêts professionnels. Monsieur Pascal X..., qui en est le gérant, s'est porté caution solidaire par acte en date du 19 décembre 2008, à hauteur de 50% de l'encours restant dû au titre du premier prêt (no07086774) et à hauteur de 40 250 euros au titre du second prêt (no07095337), conclu le 10 décembre 2010. Deux avenants ont été rédigés, l'un pour prolonger la durée du premier prêt, et l'autre pour réintégrer au capital deux échéances impayées.
Suite à la liquidation judiciaire de la SARL PACA, prononcée le 25 mars 2014 par le Tribunal de commerce d'Annecy, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes a informé Monsieur X..., en sa qualité de caution solidaire, de la déchéance du terme des deux prêts, et l'a mis en demeure de régler une somme totale de 277 827,12 €. Cette mise en demeure restant vaine, le créancier assignait la caution devant le Tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains.
Par jugement en date du 02 juillet 2015, le Tribunal de commerce de Thonon les Bains a prononcé la nullité des engagements de caution de Monsieur X... envers la Banque Populaire des Alpes, en raison de la disproportion existante entre montant des prêts et patrimoine, revenus de la caution.
La Banque Populaire des Alpes a fait appel du jugement le 7 octobre 2015.
Par conclusions notifiées par voie électronique le19 janvier 2017, la Banque Populaire des Alpes demande à la Cour de :
- condamner Monsieur X... à lui payer les sommes de :
* 258 672.30 €, outre intérêt au taux contractuel de 6.25 % à compter du 29 mars 2014, au titre du prêt no07086774,
* 19 154.84 € outre intérêts au taux contractuel de 4.20 % à compter du 29 mars 2014, au titre du prêt no07095337,
* 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner le même aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Pianta et associés, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle estime qu'au sens de l'article L341-4 du Code de la consommation, l'engagement de caution n'était pas disproportionné par rapport au patrimoine et revenus de la caution. Le juge de première instance a retenu un revenu annuel de la caution à 82 289 € nets, alors que selon sa fiche individuelle, il percevait 110 160 €. De plus, il avait déclaré en 2008 être propriétaire d'un terrain à Fillinges, d'une valeur de 210 000 €, et d'un bien à usage d'habitation à Annemasse, d'une valeur de 136 000 €. Ces valeurs ont nécessairement augmenté en raison de la croissance du marché immobilier en Haute-Savoie. Son patrimoine lui permettait donc de faire face à son obligation.
De plus, l'ajout de la hauteur de l'engagement sur la mention manuscrite dans l'acte de cautionnement, avait pour but d'informer davantage la caution sur la portée de celui-ci.
Elle ajoute avoir respecté son devoir d'information annuelle concernant l'état financier du débiteur.
Quant à l'obligation de conseil et de mise en garde lors de l'engagement de caution, elle ne s'appliquait pas, car monsieur X..., en tant que gérant de la SARL PACA, était une caution avertie. Il était donc parfaitement au courant de la situation financière de son entreprise.
Par conclusions notifiées par voie électronique notifiées le 30 janvier 2017, Monsieur X... demande à la Cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la nullité des engagements de caution,
- par substitution de motif dire que la nullité est encourue du fait de l'irrégularité de la mention manuscrite apposée par la caution,
A titre subsidiaire :
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la disproportion de l'engagement de caution, mais le réformer en ce qu'il en déduit la nullité de l'acte de cautionnement et déclarer celui-ci inopposable à Monsieur X...,
- débouter la Banque Populaire des Alpes de l'ensemble de ses demandes,
- A titre infiniment subsidiaire : accorder à Monsieur X... des délais de paiement,
- En tout état de cause : condamner la Banque Populaire à lui payer la somme de 20 000 € au titre de dommages et intérêts pour faute quant à l'obligation de conseil et mise en garde, qui sera compensée avec les sommes éventuellement mises à sa charge.
Il estime que l'engagement de caution est nul en raison de l'absence de conformité de la mention manuscrite aux dispositions de l'article L341-2 du Code de la consommation. Le fait de mentionner que la caution s'engageait à hauteur de 448 500 € représentant 50 % de l'encours restant dû du prêt, a engendré une confusion dans l'esprit de la caution, qui a cru être engagée dans la limite maximum de la somme écrite mais qu'elle ne pouvait être recherchée que dans la limite des 50%. Il n'a pas été correctement informé sur la garantie Oseo.
Il précise que l'engagement représentant 5 fois et demi ses ressources annuelles étaient disproportionné dans la mesure où, outre ses revenus, il était déjà tenu par un crédit immobilier de 390 000 € et par un prêt personnel à hauteur de 30 000 €, souscrits au même établissement de crédit. De plus, son bien immobilier est grevé d'une hypothèque. Le juge de première instance lui a donné raison mais en a déduit la nullité alors que la sanction est l'inopposabilité de l'acte de cautionnement.
De plus, il ajoute qu'il ne pouvait être considéré comme caution avertie dans la mesure où lors de la signature de l'acte, il était gérant d'une société nouvellement créée. La Banque Populaire des Alpes a donc manqué à son obligation de conseil et de mise en garde.
Motivation de la décision :
* Sur la mention manuscrite de l'engagement de caution du prêt no7086774
L'article L331-1 du Code de la consommation impose, à peine de nullité, un formalisme à l'engagement de caution par la reproduction exacte de mentions manuscrites destinées à lui permettre de prendre conscience de toute l'importance et la portée de son engagement.
Des ajouts ou modifications qui n'affectent ni le sens ni la portée de la mention prescrite n'entachent pas de nullité ledit engagement.
En l'espèce, l'ajout de la mention "représentant 50% de l'encours restant dû du prêt", sur le cautionnement du 19 décembre 2008, a pour effet de préciser le montant garanti. Le reste du texte a repris à l'identique les exigences légales quant aux mentions à écrire.
De sorte que cette précision n'altère pas la validité de l'engagement de Monsieur X... qui avait nécessairement compris qu'il s'engageait à hauteur maximum de 448 500 € et a par la suite, comme le souligne l'établissement financier, signé des engagements en septembre et octobre 2010 pour des montants inférieurs prenant en compte les remboursements intervenus.
Le cautionnement du prêt no07095337 n'a pas été utilement critiqué en sa forme.
Il ne sera pas fait droit à la demande de nullité pour irrégularité de la mention manuscrite.
* Sur la disproportion de l'engagement
L'article L341-4 du Code de la consommation dispose qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
L'appréciation de la disproportion se fait donc, par un double examen à la date de la conclusion du contrat de cautionnement d'une part, puis d'autre part, au moment où elle est appelée sur son patrimoine à honorer son obligation de payer.
Alors que la disproportion lors de l'engagement doit être établie par la caution, il appartient au créancier de démontrer qu'au moment où il assigne en paiement la caution, celle-ci dispose d'un patrimoine suffisant pour faire face à son passif. A défaut, l'acte sera inopposable.
En l'espèce, il ressort de la fiche de renseignements en date du 2 septembre 2009 que Monsieur X... a déclaré au créancier 9 180 € de revenus, ce qui correspond à des revenus annuels nets de 110 160 € et la charge d'un loyer de 1 300 €. Pour l'année 2008, ses revenus ressortent sur l'avis d'imposition à 6 857 euros par mois.
Ces chiffres doivent être rapprochés des contrats cautionnés. Concernant le prêt consenti à la SARL PACA de 780 000 € remboursable en 3 échéances de 4 240.34 € et 81 échéances de 10 080.56 € en 2010, la caution était engagée à hauteur de 375 352.62 €. Concernant le second prêt de 35 000 € remboursable en 60 échéances de 660.87 € en 2010, la caution était engagée à hauteur de 40 250 €. Il est ainsi démontré qu'au moment de son engagement, monsieur X..., les mensualités auraient absorbé la totalité de ses revenus si elle était appelée, de sorte qu'il y avait disproportion manifeste au regard de ses revenus, que ne permettait pas de compenser la propriété d'un immeuble à Annemasse, certes évalué à 150 000 € dans la fiche de renseignement souscrite dont 147 000 € d'hypothèque.
Il revenait à l'établissement financier, dans la deuxième analyse de la disproportion ou non, des engagements de monsieur X..., d'apporter la preuve qu'au moment de la mise en oeuvre de la garantie personnelle, cette disproportion avait disparu et que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation.
Il n'est pas contesté que monsieur X... est toujours propriétaire de l'immeuble d'Annemasse, évalué à 150 000 € sans toutefois qu'il ne soit justifié des remboursements opérés sur le prêt immobilier qui en a permis l'acquisition, de sorte que la valeur nette à prendre en compte, avancée encore à ce jour par monsieur X... pour 3 000 € correspondant à son estimation après déduction de la valeur de la créance hypothécaire, n'est pas valablement combattue.
La banque ajoute la propriété d'un terrain d'une valeur de 210 000 € situé sur la commune de Fillinges, sans justifier de cette estimation, qui quoiqu'il en soit est inférieure aux montants de ses réclamations à l'encontre de monsieur X..., chiffrées dans ses demandes à 258 672.30 €, outre intérêt au taux contractuel de 6.25 % à compter du 29 mars 2014, au titre du prêt no07086774, et 19 154.84 € outre intérêts au taux contractuel de 4.20 % à compter du 29 mars 2014, au titre du prêt no07095337, ce qui en principal représente déjà une somme de 277 827.14 € hors intérêts.
En l'état, monsieur X... ne peut donc faire face à son obligation résultant du cautionnement.
* Sur l'obligation de conseil et de mise en garde
Le créancier professionnel est tenu envers la caution profane d'une obligation de conseil et de mise en garde, pour s'assurer qu'elle est consciente de la portée et des risques de son concours.
Lors de son engagement de caution, Monsieur X... était certes gérant de la société PACA depuis peu, mais comme il le précise lui même, il a déjà exercé cette fonction, puisqu'en 2008 il a vendu une entreprise de nettoyage qu'il exploitait.
Son parcours professionnel démontre que les fonctions à responsabilité qu'il a assumées, lui ont permis d'acquérir des compétences techniques, commerciales et financières.
Il doit donc être considéré comme une caution avertie. Dès lors, la banque n'était tenue d'aucune obligation de conseil et de mise en garde envers lui.
La demande de dommages-intérêts pour faute sera rejetée.
* Sur les sommes dues
L'article L313-22 du Code monétaire et financier impose aux établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement.
Ce débat est cependant privé d'intérêt en raison de la motivation qui précède de même les délais de paiement.
* Sur les frais irrépétibles :
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles engagés dans l'instance, il ne sera pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile.
La partie perdante supporte les dépens, ils seront à la charge de la Banque Populaire des Alpes.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la Loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
CONFIRME le jugement déféré,
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à frais irrépétibles,
CONDAMNE la Banque Populaire des Alpes aux dépens.
Ainsi prononcé publiquement le 11 mai 2017 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Evelyne THOMASSIN, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Sylvie DURAND, Greffier.