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06/09/2022 | FRANCE | N°20/00394

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 06 septembre 2022, 20/00394


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 06 Septembre 2022





N° RG 20/00394 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GNYA



Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 12] en date du 23 Janvier 2020, RG 14/00950





Appelante



Société AUTANIA AG dont le siège social est situé [Adresse 13]



Représentée par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par Me Sabine VIAL

LE, avocat plaidant au barreau d'ANNECY













Intimés



Maître [K] [M], demeurant [Adresse 7]



CAISSE DE GARANTIE DES ADMINISTRTEURS JUDICIAIRES dont le siège so...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 06 Septembre 2022

N° RG 20/00394 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GNYA

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 12] en date du 23 Janvier 2020, RG 14/00950

Appelante

Société AUTANIA AG dont le siège social est situé [Adresse 13]

Représentée par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par Me Sabine VIALLE, avocat plaidant au barreau d'ANNECY

Intimés

Maître [K] [M], demeurant [Adresse 7]

CAISSE DE GARANTIE DES ADMINISTRTEURS JUDICIAIRES dont le siège social est situé [Adresse 9]

Société MMA IARD Assurances Mutuelles, dont le siège social est situé [Adresse 4]

SA MMA IARD, dont le siège social est situé [Adresse 4]

Représentés par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentés par l'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT, avocats plaidants au barreau de PARIS

M. [V] [Y], ayant droit de Monsieur [C] [Y] né le [Date naissance 8] 1987 à [Localité 12], demeurant Chez Madame [W] [Z], [Adresse 5]

Mme [B] [Y] ayant droit de Monsieur [C] [Y] née le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 12], demeurant [Adresse 3]

Mme [X] [P] veuve [Y] ayant droit de Monsieur [C] [Y]

née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 10], demeurant [Adresse 6]

Représentés par Me Anne CAMBET, avocat postulant au barreau de CHAMBERY Représentés par la SELARL GAFTARNIK - LE DOUARIN & Associés, avocats plaidants au barreau de PARIS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 17 mai 2022 avec l'assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

- M. Michel FICAGNA, Président,

- Mme Alyette FOUCHARD, Conseiller,

- Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Il a été procédé au rapport.

La société Machines-outils Wirth et Gruffat (Wirth) exerçait une activité de fabrication d'outillages, de machines outils pour la petite mécanique, le décolletage et la petite horlogerie à [Localité 11] en Haute Savoie.

Par jugement en date du 8 juillet 2008, le tribunal de grande instance d'Annecy, statuant en matière commerciale, a constaté l'état de cessation des paiements de cette société, fixé au 31 décembre 2007, et ouvert une procédure de redressement judiciaire à son égard en nommant Me [K], en qualité d'administrateur, et Me [N] en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement en date du 5 novembre 2008, ce même tribunal a arrêté le plan de cession des actifs de la société Wirth au profit de M. [I] et autorisé le licenciement économique de 63 salariés, Me [K] étant désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Par ordonnance du 7 novembre 2008, sur requête de Me Saint Pierre,le juge commissaire a désigné Me [Y], avocat, afin de procéder à « l'accomplissement de toutes les tâches techniques et les formalités nécessaires à la mise en 'uvre des procédures de licenciement pour motif économique nées de l'adoption du plan de cession ».

Par lettres recommandées avec accusé de réception, en date du 24 novembre 2008, le PDG de la société Wirth, assisté par l'administrateur judiciaire, a notifié aux 63 salariés concernés sa décision de les licencier en raison de la suppression de leur emploi dans le cadre de l'exécution du jugement du tribunal de grande instance du 5 novembre 2008, faute de disposer de possibilité de reclassement à leur proposer.

Par deux jugements des 21 et 31 octobre 2011, le conseil des prud'hommes d'Annecy, saisi à l'initiative de salariés cadres et de trente six salariés non cadres de la société Wirth a, entre autres dispositions :

Déclaré les licenciements intervenus sans cause réelle et sérieuse,

Déclaré la société Wirth et la société de droit allemand Autania en qualité de co-employeur, responsables in solidum des conséquences financières de la rupture,

Condamné cette dernière à indemniser les salariés du préjudice résultant de leur licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par deux arrêts du 20 novembre 2012, la chambre sociale de la cour d'appel de Chambéry a :

Partiellement confirmé le jugement déféré notamment en ce que les licenciements étaient déclarés sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'était reconnue la qualité de co-employeurs tenus solidairement de réparer le préjudice occasionné aux salariés par leur licenciement dans la limite de la créance indemnitaire,

Prononcé la nullité à l'égard de la société Autania de la procédure de licenciement en l'absence d'élaboration préalable par cette société en sa qualité de co-employeur in bonis, d'un plan de sauvegarde de l'emploi,

Condamné la société Autania à dédommager les salariés indûment licenciés de leurs préjudices occasionné par la nullité de la procédure de licenciement.

La société Autania a formé des pourvois en cassation à l'encontre de ces arrêts.

Suivant ordonnance en date du 26 janvier 2017, la Cour de cassation a rejeté les pourvois pour péremption d'instance.

La société Autania a ainsi payé la somme de 1 202 908,58 euros aux salariés et la somme de 1 300 000 euros au mandataire judiciaire.

Par acte en date du 7 mai 2014, la société Autania a fait assigner Me [K] en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Chambéry.

Par acte en date du 29 décembre 2014, Me [K] a appelé Me [C] [Y] en intervention forcée.

Par acte des 11 septembre 2017 et 30 avril 2018, la société Autania a fait assigner respectivement la Caisse de Garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires et les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard afin que leur soit rendu commun le jugement à intervenir.

Les différentes procédures ont fait l'objet d'une jonction suivant ordonnance du juge de la mise en état des 23 novembre et 14 juin 2018.

Par jugement en date du 23 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Chambéry a :

Rejeté les demandes de condamnation formées par la société Autania à l'encontre de Me [K] et de la Caisse de garantie,

Rejeté toutes autres ou plus amples demandes formées par les parties,

Condamné la société Autania à payer sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

- la somme de 5 000 euros à Me Saint Pierre,

- la somme de 3 000 euros à Me [Y],

- la somme de 1 500 euros à la Caisse de garantie,

Débouté la société Autania de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la société Autania aux entiers dépens distraits au profit de la SCP Le Ray Guido avocats.

La société Autania a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions en date du 6 avril 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Autania demande à la cour de :

Vu 1'article1382 ancien du code civil,

Vu 1'article 1240 du code civil,

Vu1'article 2224 du code civil,

' Réformer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes, de condamnation formulées par la société Autania à l'encontre de Me [K] et de la Caisse de garantie,

' En conséquence, condamner Me [K] à payer à la société Autania AG la somme de 2 502 908,58 euros, à parfaire le cas échéant, et la relever et garantir de toutes les sommes qui pourraient être mises àn sa charge au titre de 1'exécution des arrêts prononcés le 20 novembre 2012 par la cour d'appel de Chambéry concernant les affaires l'opposant aux salariés de la société Wirth,

' Déclarer la Caisse de garantie des Administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires garante du paiement desdites sommes,

' Condamner les compagnies MMA à relever Me [K] de toutes condamnations mises à sa charge,

' Condamner Me [K] à payer à la société Autania la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction au profit de Me Forquin, avocat au barreau de Chambéry, en application des dispositions de l'article 699 du même code.

Aux termes de leurs conclusions en date du 15 avril 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, Me [K] et les MMA demandent à la cour de :

' Infirmer et réformer le jugement en ce qu'il a retenu une faute de Me [K],

' Confirmer le jugement pour le surplus,

En tout état de cause,

Vu l'article 1240 du code civil,

' Rejeter les demandes de la société Autania cette dernière ne rapportant pas la preuve d'une faute commise par Me [K] dans l'exercice de sa mission, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux précédents éléments,

En conséquence,

' Débouter la société Autania de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

' Condamner la société Autania à régler à Me [M] [K] une somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

' Dire recevable et bien-fondé Me [K] à attraire dans la cause Mme [X] [P] épouse [Y], M. [V] [Y], Mme [B] [Y] en qualité d'ayants droits de Me [C] [Y], décédé,

' Dire que Me [Y] a commis une faute et notamment au titre de son devoir de conseil, en lien causal avec le préjudice subi par Me [K] du fait de l'action de la société Autania,

En conséquence,

' Condamner Mme [X] [P] épouse [Y], M. [V] [Y], Mme [B] [Y] en qualité d'ayants droits de Me [C] [Y], décédé à garantir Me [K] de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées au profit de la société Autania,

' Les condamner solidairement à relever et garantir Me [M] [K] de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées au profit de la société Autania,

' Mme [X] [P] veuve de Me [Y], M. [V] [Y], Mme [B] [Y] en qualité d'ayants droits de Me [C] [Y], décédé de leurs moyens, fins et conclusions en ce que dirigés contre Me [K], y compris la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

' Les condamner solidairement à relever et garantir les sociétés MMA de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées au profit de la société Autania AG,

' Les condamner à régler à Me [M] [K] et aux sociétés MMA une somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre infiniment subsidiaire.

' Constater que les sociétés MMA, assureur responsabilité civile de Me [M] [K] n'entendent pas dénier leur garantie sous réserves de la franchise,

' Débouter l'ensemble des parties de leurs conclusions fins et moyens en ce que dirigées à l'encontre des sociétés MMA,

' Très subsidiairement, dire que les sociétés MMA ne peuvent être tenues que dans les termes et limites du contrat d'assurance, prévoyant notamment une franchise,

' Condamner la société Autania à régler à Me [K] une somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

' La condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel par la Selurl Bollonjeon, Avocat associé, aux offres de droits, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs conclusions en date du 21 janvier 2021, Mme [X] [P] veuve [Y], M. [V] [Y] et Mme [B] [Y], es qualité d'ayant-droits de M. [C] [Y] demandent à la cour de :

' Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu un manquement à ses obligations professionnelles à l'encontre de Me [K],

' Subsidiairement, confirmer le jugement pour le surplus,

' Plus subsidiairement encore, débouter Me [K] de son appel en garantie dirigé contre les ayants droits de Me [Y],

' Condamner toutes parties succombantes au paiement de la somme de 10 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

' Les condamner aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions en date du 23 octobre 20200, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la Caisse de Garantie des Administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, demande à la cour de :

' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Autania de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la Caisse de garantie,

En tout état de cause,

Vu les articles L 814-3 et L 814-4 du code de commerce,

' Constater, dire et juger qu'en matière de responsabilité civile, la loi a uniquement mis à la charge de la Caisse de garantie l'obligation de souscrire une police d'assurance responsabilité civile pour le compte de ses membres,

En conséquence,

' Prononcer la mise hors de cause pure et simple de la Caisse de garantie,

' Condamner la société Autania au règlement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamner la partie défaillante aux entiers dépens, qui seront recouvrés, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par Me Bollonjeon.

L'ordonnance de clôture est en date du 25 avril 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'action en responsabilité dirigé contre Me [K]

Ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, la responsabilité personnelle de l'administrateur judiciaire à l'égard d'un tiers à la procédure est une responsabilité délictuelle fondée sur les articles anciens 1382 et 1383 du code civil et sa mise en 'uvre suppose de démontrer une faute en lien de cause à effet avec l'existence d'un préjudice.

Sur la faute

En l'absence d'élément nouveau, c'est par une motivation pertinente que la cour adopte expressément que les premiers juges ont retenu l'existence d'une faute de Me [K] en relevant que :

Dans le cadre de sa mission d'assistance, l'administrateur judiciaire n'est tenu qu'à une obligation de moyens qui doit s'apprécier au regard des objectifs de la loi sur les procédures collectives qui tendant à la sauvegarde des emplois et au redressement de l'entreprise.

Pour autant, en application de l'article L 662-1 III du code de commerce, l'administrateur, dans sa mission d'assistance, est tenu au respect des obligations légales et conventionnelles incombant au chef d'entreprise dont les obligations de reclassement issues de la loi ou d'un accord professionnel.

Il ne saurait, pour s'exonérer de ses obligations de reclassement, invoquer les délais réduits imposées par l'application des articles 641-4 du code de commerce et L 3253 du code du travail.

L'article L 1233-4 subordonne impérativement la notification de tout licenciement pour motif économique à la double condition que tous les efforts de formation et d'adaptation aient été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne puisse être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe, en considération d'offres de reclassement écrites et précises.

Ensuite du jugement autorisant les licenciements (5 novembre 2008) par courrier des 14 et 12 novembre 2008, les sociétés Autania et Unicum (filiale d'Autania) informaient la société Wirth et l'administrateur qu'elles ne disposaient d'aucun poste permettant le reclassement des salariés dont le reclassement était envisagé.

L'administrateur judiciaire et la société Wirth n'ont effectué que quelques tentatives limitées de recherches de reclassement sans employer la totalité du délai de réflexion dont ils disposaient.

En outre, aucune démarche directe n'a été entreprise auprès des autres sociétés filiales de Autania : Elb Schkif, Aba Grinding, Profiroll, Sieber, WFL Millturn et Autania services.

La cour d'appel de Chambéry dans ses arrêts du 20 novembre 2012, pour déclarer les licenciements des salariés sans cause réelle et sérieuse, a relevé que les dirigeants de la société Wirth et l'administrateur judiciaire «ont négligé de manière injustifiable l'exécution de l'obligation de reclassement qui leur incombait à l'égard des salariés menacés de licenciement depuis la présentation d'une offre de reprise limitée » et que par ailleurs ils ont élaboré un plan de sauvegarde de l'emploi ne répondant pas totalement aux exigences de L 1233-2 du code du travail.

Il sera ajouté que :

' Contrairement à ce que soutient Me [K], les arrêts de la chambre sociale précités ont bien autorité de la chose jugée à son égard puisqu'il avait été attrait devant le conseil des prud'hommes puis intimé devant la cour, mais défaillant, puisque n'ayant pas constitué avocat.

' C'est en sa double qualité d'administrateur judiciaire de la société Wirth et de commissaire à l'exécution du plan qu'il a été attrait devant les juridictions prudhommales puis devant la chambre sociale de la cour. Or, c'est en cette même qualité que sa responsabilité est recherchée par la société Autania.

' Me [K] fait valoir que l'autorisation par l'inspection du travail des licenciements économiques de six salariés protégés parmi les 63 salariés licenciés, autorisation qui n'a pas fait l'objet de recours, interdisait de remettre en cause, le caractère réel et sérieux de la mesure de licenciement, y compris en ce qui concernait les actions de reclassement entreprises.

' Mais ce moyen est inopérant, alors que les deux arrêts de la chambre sociale qui ont décidé que les licenciements pour motif économique initiés par les dirigeants de la société Wirth et Me [K] étaient sans cause réelle et sérieuse, sont définitifs et irrévocables.

Le jugement qui a retenu l'existence d'une faute de la part de Me [K] sera confirmé.

Sur le lien de causalité entre le préjudice invoqué par la société Autania et la faute de Me [K]

Aux termes des arrêts en date du 20 novembre 2012, la chambre sociale de la présente cour a tout d'abord rappelé qu' « est considéré comme co-employeur ou employeur conjoint, spécialement au sein d'un groupe, la société mère dont les interventions constantes dans les domaines de la gestion administrative, économique, technique et sociale de sa filiale aboutit à une confusion d'intérêts, d'activités et de direction : les liens d'interdépendance sont resserrés de façon telle que la seconde est privée de réelle autonomie par rapport à la première qui pratique une ingérence excessive dans les décisions stratégiques de celle-ci, voire même plus allant jusqu'à une substitution dans l'exercice des pouvoirs de direction de ladite filiale, notamment à l'égard du personnel. »

Après avoir répertorié toutes les interventions de la société Autania dans la gestion de sa filiale, (réorganisation de cette dernière assortie d'un plan de développement, mesures à l'égard du personnel dont l'effectif a été porté à 80 salariés environ, mise en place d'un nouveau type de management etc) la cour a retenu la qualité de co-employeur de la société Autania en ces termes :

« L'ensemble de ces éléments, graves, précis et concordants au sens de l'article 1353 du code civil, objective ainsi qu'en soumettant la société Wirth et l'ensemble de son personnel, renforcé au demeurant par le recrutement de nouveaux salariés, aux exigences de réorganisation, aussi bien dans les domaines techniques, que dans la politique commerciale et au plan social, d'un plan de redéploiement industriel, la société Autania, qui avait pris directement les commandes de sa filiale, a joué un rôle de co-employeur, dont elle doit assumer toutes les conséquences, y compris quant à la rupture des contrats de travail des salariés qui est intervenue dans le cadre de la procédure du redressement judiciaire ouverte consécutivement à l'interruption des financements précédemment assurés par la société mère. »

A cet égard, il est constant que le co-employeur doit supporter les conséquences de la rupture, peu important que cette qualité ne lui ait été reconnue que postérieurement, et que les licenciements aient été prononcés par le liquidateur ou l'administrateur.

Ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges :

- La société Autania n'a été condamnée à indemniser les salariés licenciés qu'en sa qualité de co-employeur qui lui a été reconnue par arrêts définitifs de la cour d'appel de Chambéry du 20 novembre 2012.

- En cette même qualité, elle a également été tenue de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salariés, jusqu'à concurrence de six mois d'indemnités.

- De même en sa qualité de co-employeur in bonis des salariés, la société Autania a été condamnée à rembourser à l'association CGEA d'[Localité 10] les créances garanties dont elle avait fait l'avance à l'occasion de la rupture des contrats de travail des salariés.

La cour d'appel dans ses arrêts du 20 novembre 2012 a retenu que l'obligation d'assumer toutes les conséquences des ruptures des contrats de travail comportait celle d'élaborer un plan de sauvegarde « à la mesure des moyens dont elle disposait », ce qu'elle s'est abstenue de faire.

Cette absence de présentation de plan a été sanctionnée par la cour d'appel par la nullité de la procédure de licenciement au détriment de la seule société Autania avec les conséquences en découlant quant au dédommagement des salariés.

Ainsi, en l'absence de faute de l'administrateur judiciaire, les licenciements auraient en tout état de cause été déclarés nuls au détriment de cette société, laquelle aurait en conséquence été tenue d'indemniser les salariés indûment licenciés, de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à concurrence de six mois et de rembourser l'association CGEA les créances garanties dont elle aurait fait l'avance.

Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'aucun un lien de causalité entre son préjudice et la faute de Me [K] n'étant caractérisé, la société Autania devait être déboutée de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de ce dernier et de la Caisse de Garantie.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a constaté que les recours en garantie dirigés contre Me [Y] étaient sans objet.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au profit de Me [K], des consorts [Y] et de la Caisse de garantie.

La société Autania, qui échoue en son appel, est tenue aux dépens exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Autania AG à verser à Me [K] la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Autania AG à verser à Mme [X] [P] veuve [Y], M. [V] [Y], Mme [B] [Y], ensemble, la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Autania AG à verser à la Caisse de Garantie des Administrateurs judiciaires et des Mandataires judiciaires la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Autania AG aux dépens exposés devant la cour,

Admet les parties qui en ont formé la demande et en réunissent les conditions au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 06 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Alyette FOUCHARD, Conseillère, en remplacement de Michel FICAGNA, Président régulièrement empêché, et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, P / Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/00394
Date de la décision : 06/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-06;20.00394 ?
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