COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 20 Septembre 2022
N° RG 20/00579 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GOOF
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'[Localité 8] en date du 06 Mars 2020, RG 19/00037
Appelantes
Mme [Z] [M]
née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 10], demeurant [Adresse 7]
Mme [V] [M]
née le [Date naissance 3] 1996 à [Localité 13], demeurant [Adresse 7]
Mme [W] [M]
née le [Date naissance 2] 1993 à [Localité 9], demeurant [Adresse 5]
Représentées par la SELARLU ELODIE CHOMETTE, avocats postulants au barreau d'ALBERTVILLE
Représentées par la SCP DONNEVE - GIL, avocats plaidants au barreau des PYRENEES-ORIENTALES
Intimées
Mme [K] [M] épouse [T]
née le [Date naissance 4] 1970 à , demeurant [Adresse 11]
S.C.I. VIGA dont le siège social est [Adresse 12]
Représentées par la SCP ARMAND - CHAT ET ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 31 mai 2022 avec l'assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- M. Michel FICAGNA, Président,
- Mme Alyette FOUCHARD, Conseiller,
- Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,
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Il a été procédé au rapport.
EXPOSÉ DU LITIGE
La SCI VIGA a été créée en 2008 entre M. [O] [M], son épouse, Mme [Z] [E] épouse [M], et sa soeur, Mme [K] [M] épouse [T].
M. [O] [M], alors gérant de la SCI VIGA, est décédé le [Date décès 6] 2016, laissant pour lui succéder ses deux filles, Mme [W] [M] et Mme [V] [M].
L'acte de notoriété a été établi le 13 septembre 2016.
Le 19 octobre 2016, l'assemblée générale extraordinaire de la SCI VIGA a nommé Mme [K] [T] en qualité de gérante.
Par courrier daté du 20 juillet 2017, reçu le 29 juillet 2017, Mmes [W] et [V] [M] ont adressé à la SCI VIGA une demande d'agrément en qualité d'associées, pour la nue-propriété de 587 parts, comme héritières de leur père, M. [O] [M].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 août 2017, Mme [T], en qualité de gérante de la SCI, a sollicité l'avis de Mme [Z] [M] sur ces demandes d'agrément.
Puis, par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 août 2017, Mme [K] [T] a refusé l'agrément qui lui était demandé et a proposé à Mme [W] et [V] [M] le rachat de la nue-propriété des 587 parts héritées de leur père pour le prix global de 9.664,37 €.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 octobre 2017, Mme [K] [T] a proposé à Mme [Z] [M] de lui racheter l'usufruit de ces 587 parts (pour le prix de 14.496,55 €), ainsi que les 587 parts dont elle est titulaire en pleine propriété (pour le prix de 24.160,92 €).
Mme [Z] [M] a refusé cette offre.
Des échanges s'en sont suivis entre les parties, par l'intermédiaire de leurs conseils respectifs, Mmes [W] et [V] [M] soutenant avoir été tacitement agréées en qualité d'associées de la SCI VIGA, Mme [K] [T] leur contestant cette qualité.
C'est dans ces conditions que, par actes délivrés le 28 novembre 2018, Mme [Z] [M], Mme [W] [M] et Mme'[V] [M] ont fait assigner la SCI VIGA et Mme [K] [T] devant le tribunal de grande instance d'Albertville aux fins d'annulation des assemblées générales de la SCI VIGA intervenues depuis le décès de [O] [M], pour défaut de convocation de l'ensemble des associés.
Les défenderesses se sont opposées aux demandes en faisant valoir que la procédure d'agrément prévue par les statuts n'a pas été respectée par les héritières de [O] [M], de sorte qu'elles sont forcloses et ne peuvent se prévaloir de la qualité d'associées.
Par jugement contradictoire rendu le 6 mars 2020, le tribunal judiciaire d'Albertville a :
débouté Mme [Z] [M], Mme [W] [M] et Mme [V] [M] de leurs demandes,
condamné in solidum Mme [Z] [M], Mme [W] [M] et Mme [V] [M] à payer à la SCI Viga et Mme [K] [M] épouse [T] la somme de 1.500 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum Mme [Z] [M], Mme [W] [M] et Mme [V] [M] au paiement des entiers dépens.
Mme [Z] [M], Mme [V] [M] et Mme [W] [M] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 4 juin 2020.
L'affaire a été clôturée le 16 mai 2022 et renvoyée à l'audience du 31 mai 2022, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré au 20 septembre 2022.
Aux termes de leurs conclusions récapitulatives n°3 notifiées le 2 mai 2022, Mme [Z] [M], Mme [V] [M] et Mme [W] [M] demandent à la cour de :
Vu les statuts de la SCI VIGA,
Vu les articles 1103 et 1104 du code civil,
Vu les articles 1844 et 1853 du code civil,
Vu l'article 1844-10 du code civil,
A titre préliminaire,
prononcer le rabat de l'ordonnance de clôture intervenue le 2 mai 2022,
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,
constater que Mme [T] a régulièrement mis en 'uvre la procédure d'agrément,
constater l'absence de rachat des parts sociales par la SCI dans le délai statutaire,
En conséquence,
réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Albertville, en ce qu'il a débouté Mmes'[M] de leurs demandes et les a condamnées au paiement d'une somme de 1.500'€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
constater que Mmes [W] et [V] [M] sont associées de la SCI VIGA,
prononcer en conséquence la nullité des assemblées générales ordinaires et extraordinaires intervenues depuis le décès de M. [M],
débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes,
condamner Mme [T] au paiement d'une somme de 5.000'€ à chacune des concluantes au visa de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Aux termes de leurs conclusions récapitulatives n°2 d'intimé, notifiées le 2 mai 2022, Mme'[K] [M] épouse [T] et la SCI VIGA demandent à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1844-10, 1863 et 1870 du code civil,
Vu la jurisprudence,
Vu les statuts,
Rejetant toutes fins et prétentions contraires,
confirmer le jugement rendu le 6 mars 2020 par le tribunal judiciaire d'Albertville en ce qu'il a débouté Mme [Z] [M], Mme [W] [M] et Mme [V] [M] de leurs demandes,
En tout état de cause,
condamner solidairement Mmes [Z], [W] et [V] [M] à payer à la SCI VIGA et à Mme [K] [T] une somme de 5.000'€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
condamner solidairement Mmes [Z], [W] et [V] [M] au paiement d'une somme de 5.000'€ à la SCI VIGA et 5.000'€ à Mme [K] [T] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner solidairement Mmes [Z], [W] et [V] [M] aux entiers dépens.
MOTIFS ET DÉCISION
La clôture ayant été fixée au 16 mai 2022, il n'y a pas lieu de la modifier, les appelantes ayant pu conclure avant celle-ci.
Pour obtenir la nullité des assemblées générales de la SCI VIGA, les appelantes soutiennent que l'ensemble des associés n'y ont pas été convoqués. Elles se fondent sur le fait que seules Mme [Z] [M] et Mme [K] [T] y ont été convoquées, à l'exclusion des héritières de [O] [M], qui devraient être réputées associées.
Mmes [M] soutiennent que le tribunal ne pouvait pas juger qu'elles ne sont pas associées, alors que :
- la procédure d'agrément ne pouvait être réalisée avant le 20 juillet 2017, date à laquelle Mme [Z] [M] a exercé son droit d'option qui détermine la quotité des parts sociales transmises par leur père à ses filles,
- la SCI VIGA, alors dépourvue de gérant, ne pouvait être saisie d'une demande d'agrément avant l'assemblée générale du 19 octobre 2016 faute d'avoir un représentant légal,
- en tout état de cause, Mme [T] a renoncé à se prévaloir de la clause des statuts de la SCI VIGA qui prévoit un délai de trois mois à compter du décès pour demander l'agrément, puisqu'elle a ensuite répondu aux demandes d'agrément de ses nièces en 2017, sans se prévaloir des statuts.
Mme [T] soutient pour sa part que ses nièces n'ont jamais été associées faute d'avoir respecté la procédure d'agrément prévue par les statuts, à laquelle elle indique n'avoir jamais renoncé. Elle soutient que seul l'acte de notoriété est requis pour demander l'agrément, de sorte que, faute pour elles de l'avoir transmis dans le délai prévu par les statuts, Mmes [W] et [V] [M] n'ont jamais reçu les parts de leur père.
Le premier alinéa de l'article 1870 du code civil dispose que, la société n'est pas dissoute par le décès d'un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu'ils doivent être agréés par les associés.
L'article 14 des statuts de la SCI VIGA stipule :
«1. En cas de décès d'un associé, la société continue entre les associés survivants et les héritiers, légataires ou conjoint de l'associé décédé à condition que ceux-ci soient agréés dans les conditions ci-après:
2. Les héritiers, légataires ou conjoint non agréés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur,
3. Les héritiers, légataires ou conjoint de l'associé décédé doivent justifier de leur qualité dans les trois mois du décès par la production de l'expédition d'un acte de notoriété ou de l'extrait d'un intitulé d'inventaire.
L'agrément auquel sont soumis les intéressés doit être donné dans le mois de cette production.
A cet effet dans les huit jours qui suivent cette dernière, la gérance doit adresser à chacun des associés survivants une lettre recommandée avec avis de réception leur faisant part du décès, mentionnant les qualités des héritiers et légataires, l'agrément sollicité et rappelant le nombre de parts sociales dont le défunt était propriétaire.
Chaque associé survivant doit, dans les quinze jours qui suivent l'envoi de cette lettre faire connaître par lettre recommandée avec avis de réception s'il accepte ou s'il rejette l'agrément sollicité. En cas de rejet, il doit indiquer le nombre de parts sociales qu'il se propose de racheter.
La décision d'agrément est prise à l'unanimité des associés survivants, ou aux conditions de majorité et quorum requises pour toute décision extraordinaire des associés, abstraction faite des parts sociales du défunt. Cette décision est notifiée dans le délai de six mois, à compter de la survenance du décès aux héritiers, légataires et conjoint. A défaut ceux-ci sont réputés agréés.
[...]
5. A défaut de réalisation du rachat ou de la réduction du capital social dans le délai d'un an à compter de la survenance du décès, les héritiers ou légataires ou le conjoint sont réputés agréés en tant qu'associés de la société.»
C'est à juste titre et par des motifs que la cour adopte expressément que le tribunal a retenu que le paragraphe 5 de l'article 14 des statuts ne peut s'interpréter que comme devant s'appliquer à la suite d'une demande régulière d'agrément, l'interprétation inverse faisant perdre toute portée à l'article 14.3.
Il est constant, et non contesté, que Mmes [W] et [V] [M] ont adressé à la SCI VIGA, représentée par Mme [K] [T], une demande d'agrément le 20 juillet 2017, soit plus d'un an après le décès de [O] [M].
Or ce décès étant survenu le [Date décès 6] 2016, les héritières avaient jusqu'au 27 septembre 2016 pour solliciter leur agrément dans les conditions prévues par les statuts, ce qu'elles n'ont pas fait.
Sur l'argument tenant à la vacance de la gérance jusqu'en octobre 2016, celui-ci ne peut qu'être rejeté. En effet, l'absence temporaire de gérant n'a pas pour effet d'interdire toute notification à la SCI qui conserve sa personnalité morale et son siège social.
Sur l'argument tenant à la prétendue impossibilité pour les héritières de solliciter leur agrément avant l'option successorale de leur mère, celui-ci ne peut, à nouveau, qu'être rejeté.
En effet, dès l'acte de notoriété établi, soit ici le 13 septembre 2016 et dans le délai de trois mois du décès, les héritières pouvaient adresser à la SCI leur demande d'agrément, puisqu'elles étaient certaines d'hériter de leur père. Il importe peu qu'elles n'aient pas pu déterminer à cette date la quotité exacte des parts sociales leur revenant: l'article 14 des statuts rappelé ci-dessus n'exige pas une telle indication pour la demande d'agrément, seul le nombre de parts sociales détenues par le défunt devant être précisé par la gérance (cf. ci-dessus 3ème alinéa de l'article 14.3) lors de la transmission de la demande d'agrément aux associés survivants.
Sur le moyen tenant à dire que Mme [K] [T] ne peut pas se prévaloir du caractère tardif de la demande d'agrément comme y ayant renoncé tacitement, il convient de rappeler qu'une telle renonciation doit résulter de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas s'en prévaloir (article 2251 du code civil).
Or en l'espèce, si Madame [K] [T] a effectivement répondu aux demandes d'agrément qui lui ont été adressées par Mmes [W] et [V] [M] en juillet 2017, il ne peut en être déduit qu'elle aurait alors renoncé à se prévaloir de la tardiveté de ces demandes, auxquelles elle a d'ailleurs répondu défavorablement.
En effet, les termes du courrier de réponse ne permettent pas de retenir que Mme [K] [T] l'ai fait en ayant une parfaite conscience de la tardiveté des demandes d'agrément, et les échanges ultérieurs le démontrent puisque, dans un courrier du 27 juin 2018, le conseil de Mme [T] s'est prévalu de l'article 14 des statuts et notamment de la tardiveté des demandes (pièce n° 14 des appelantes).
Aussi, c'est à juste titre que le tribunal a retenu que la demande d'agrément ayant été faite hors délai et donc n'étant plus recevable, Mmes [W] et [V] [M] n'ont pas été agréées comme associées de la SCI VIGA, même tacitement.
Enfin, les appelantes font grief au tribunal d'avoir maintenu le statu quo et de n'avoir pas tranché le point de savoir à qui revenaient les parts sociales dépendant de la succession de [O] [M].
Toutefois, le tribunal n'était pas saisi d'une telle demande, mais seulement d'une action en nullité des assemblées générales tenues par la SCI VIGA depuis le décès de [O] [M]. Il n'avait donc pas à déterminer la propriété des parts sociales, mais seulement si Mmes [W] et [V] [M] peuvent se prévaloir de la qualité d'associées de la SCI.
Celles-ci n'ayant pas la qualité d'associées, la demande en nullité des assemblées générales fondée sur l'absence de convocation de Mmes [W] et [V] [M] par la gérance ne pouvait qu'être rejetée et le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
Mme [K] [T] sollicite à titre reconventionnel des dommages et intérêts pour procédure abusive.
Toutefois, le préjudice allégué n'est pas démontré, ni le caractère abusif de la procédure, qu'elle soit de première instance ou d'appel, l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas en soi constitutive d'une faute.
Cette demande sera donc rejetée.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [K] [T] et la SCI VIGA la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de leur allouer à chacune la somme de 1.000 €, soit 2.000 € au total, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel.
Les appelantes supporteront les entiers dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Albertville le 6 mars 2020 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute Mme [K] [T] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne in solidum Mme [Z] [E] épouse [M], Mme [W] [M] et Mme [V] [M] à payer à Mme [K] [T] la somme de 1.000 €, et à la SCI VIGA la somme de 1.000 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en appel,
Condamne in solidum Mme [Z] [E] épouse [M], Mme [W] [M] et Mme [V] [M] aux entiers dépens de l'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 20 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Alyette FOUCHARD, Conseillère, en remplacement de Michel FICAGNA, Président, régulièrement empêché et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, P / Le Président,