COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 20 Septembre 2022
N° RG 22/00099 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G4QN
Décision attaquée : Ordonnance du Président du TJ d'ANNECY en date du 03 Janvier 2022, RG 21/00321
Appelante
SARL BIEN ARTEAN, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Représentée par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentée par Me Hervé COLMET, avocat plaidant au barreau de BAYONNE
Intimée
S.A.S. ODALYS RESIDENCES dont le siège social est situé [Adresse 2]
Représentée par Me Christian FORQUIN, avocat potulant au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SELAS PVB AVOCATS, avocats plaidants au barreau de MONTPELLIER
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 31 mai 2022 avec l'assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- M. Michel FICAGNA, Président,
- Mme Alyette FOUCHARD, Conseiller,
- Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,
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Il a été procédé au rapport.
Par acte sous seing privé du 9 novembre 2015, la société Bien Artean a donné à bail commercial à la société Odalys Résidence, dans une résidence de tourisme dénommée Mendi Alde située à la Clusaz, 14 appartements, les locaux étant en cours de construction au moment de la signature du bail.
Il a été prévu qu'ils seraient loués neufs, meublés et équipés à compter du jour d'achèvement des travaux fixé à titre prévisionnel en décembre 2016 ou juin 2017, moyennant un loyer annuel HT et HC de 133 068 euros, le règlement devant intervenir trimestriellement à terme échu les 31 mars, 30 juin, 30 septembre et 31 décembre de chaque année.
Par acte en date du 2 juillet 2021, la société Bien Artean a fait assigner la société Odalys en référé aux fins d'obtenir la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 38 018,60 euros au titre de l'arriéré locatif outre celle de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et dilatoire.
Elle a, par la suite, actualisé le montant de ses demandes en sollicitant la somme de 72 792,62 euros.
Par ordonnance en date du 3 janvier 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Annecy a :
Dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande en paiement provisionnel de la somme totale de 72 792,62 euros,
Débouté la société Bien Artean de sa demande de dommages et intérêts,
Rejeté tous les autres chefs de demande,
Condamné la société Bien Artean aux dépens.
Cette dernière a interjeté appel de la décision.
Aux termes de ses conclusions en date du 22 mars 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Bien Artean demande à la cour de :
' Voir dire l'appel régulier en la forme et fondé,
Y faisant droit, et déboutant la société Odalys de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme de son appel incident au titre de l'article 700,
' Voir réformer en intégralité la décision déférée et notamment en ce qu'elle a :
- dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande en paiement provisionnel de la somme totale de 72 792,62 euros,
- débouté la société Bien Artean de sa demande de dommages et intérêts,
- rejeté tous les autres chefs de demande,
- condamné la société BIEN Artean aux dépens,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Vu le bail commercial des locaux meublés liant les parties souscrit le 9 novembre 2015,
Vu le commandement de payer adressé à la Société Odalys Résidences le 26 mai 2021,
Vu le procès-verbal de saisie-conservatoire de créance délivré à la requête de la société Bien Artean, le CIC Lyonnaise de banque le 11 juin 2021,
Vu la dénonciation de la saisie-conservatoire à la Société Odalys Résidences en date du 18 juin 2021,
Vu l'article R 511-7 du code de procédure civile d'exécution,
Vu l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile,
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry rendu en référé le 29 juin 2021,
' Voir condamner la société Odalys Résidences à payer à titre provisionnel à la société Bien Artean :
- la somme de 37 900,40 euros correspondant aux causes de la saisie-conservatoire de créance délivrée le 11 juin 2021 par Me [J], huissier de justice à [Localité 3], soit en principal le solde des loyers dus pour le 4ème trimestre 2020 et le 1er trimestre 2021,
- la somme de 19 128,11 euros au titre du solde des loyers dus sur le 2ème trimestre 2021 tenant compte du règlement partiel effectué par Odalys du même montant le 5 juillet 2021,
- la somme de 15 302,52 euros correspondant au solde des loyers dus pour le 3ème trimestre 2021 exigible au 15 octobre,
- et la somme de 461,59 euros correspondant au coût de la saisie-conservatoire des actes afférents,
Soit ensemble la somme de 72 792,62 euros,
' Voir dire que la somme de 38 018,60 € visée au commandement produira intérêts au taux légal à compter de la délivrance de ce dernier en date du 26 mai 2021,
' Voir dire que le surplus produira intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
Y ajoutant,
' Voir condamner la société Odalys Résidences à payer à la société Bien Artean la somme provisionnelle de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et dilatoire,
Y faisant droit,
' Voir condamner la société Odalys Résidences à payer à la société Bien Artean la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
' Voir condamner la société Odalys Résidences aux entiers dépens du référé et de l'instance de cour, avec pour les dépens d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Audrey Bollonjeon, avocat associé de la selurl Bollonjeon.
Aux termes de ses conclusions en date du 27 avril 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Odalys demande à la cour de :
Vu les articles 835 alinéa 2 du code de procédure civile,
Vu les articles 1104, 1719 et 1722 du code civil,
Vu les nombreuses jurisprudences citées,
Vu les pièces produites au débat,
' Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel interjeté par la société Bien Artean,
' Juger qu'il existe des contestations sérieuses quant à l'existence de l'obligation de la société Odalys de payer à la société Bien Artean les arriérés de loyers afférents à la période allant du 14 mars au 1er juin 2020, du 31 octobre au 14 décembre 2020 et du 3 avril 2021 au 03 mai 2021 (périodes de confinement ordonnées par le gouvernement et de mises en 'uvre de multiples contraintes pour lutter contre la pandémie),
' Juger que la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et dilatoire formée par la société Bien Artean n'est ni fondée, ni justifiée tenant l'argumentation juridique développée par la société Odalys,
' Dire n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Bien Artean,
En conséquence,
' Confirmer l'ordonnance de référé rendu par la présidence du tribunal judiciaire d'Annecy le 3 janvier 2022, en ce qu'elle a :
- Dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande en paiement provisionnel de la somme totale de 72 792,62 euros,
- Débouté la société Bien Artean de sa demande de dommages et intérêts,
- Condamné la société Bien Artean aux dépens,
' Débouter la société Bien Artean de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
' Condamner la Société Bien Artean aux dépens de l'instance et à payer à la société Odalys la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est en date du 2 mai 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
En application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans tous les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il ressort des différents textes successifs portant mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 que les résidences hôtelières, telles que celles exploitées par la société Odalys, ont été soumises à une interdiction de recevoir du public, sauf si l'hébergement est de courte durée lorsqu'il constitue pour les personnes qui y vivent un domicile régulier (arrêté ministériel du 15 mars 2020 complétant celui du 14 mars 2020, article 8 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, article I bis-2° du décret n ° 2020-548 du 11 mai 2020 modifié par le décret n° 2020-604 du 20 mai 2020, article 41 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 et article 41 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020).
Ces mesures législatives ou réglementaires d'interdiction de recevoir du public applicables du 14 mars 2020 au 2 juin 2020 puis du 30 octobre 2020 au 14 décembre 2020 ont donc porté directement sur les biens loués en cause et sur leur usage, contrairement aux affirmations de l'appelante, et ce même si elles ont été limitées dans le temps.
Sur les contestations d'Odalys fondées sur le droit commun des contrats
En l'espèce, la société Odalys fait valoir qu'il existerait des contestations sérieuses tenant à un défaut de délivrance, à la perte partielle de la chose, qu'elle serait en droit d'invoquer afin d'être exonérée du paiement des loyers.
Or les diverses mesures législatives et règlementaires prises suite à l'épidémie liée au virus Covid 19 ne peuvent en rien être imputables à la bailleresse, ces mesures ayant été édictées pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, ces interdictions et restrictions résultant du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l'absence de première nécessité des biens ou services fournis.
Il ne peut être reproché à la bailleresse un manquement à son obligation de délivrance et de jouissance paisible, concernant l'aptitude juridique des lieux à être donnés à bail, les restrictions résultant de ces mesures concernant tous les bailleurs se trouvant dans la même situation que l'intimée, ce alors qu'aucun texte lié à cette pandémie n'a prévu une dispense de règlement des loyers ou même des délais de grâce, seuls certains délais liés aux mesures de confinement ayant été reportés.
Ainsi l'obligation de la bailleresse d'assurer une jouissance paisible, entraînant l'obligation de permettre que les lieux puissent être affectés à leur destination convenue pendant toute la durée du bail, n'a pas été méconnue par l'appelante.
L'intimée invoque, par ailleurs, en vain, les dispositions de l'article 1722 du code civil permettant une réduction des loyers en cas de perte partielle de la chose louée, puisqu'en l'espèce, les locaux donnés à bail sont restés physiquement rigoureusement les mêmes, n'ont subi aucune perte et ne sont pas en cause
L'impossibilité de recevoir les clients, résulte des interdictions et restrictions gouvernementales et non des lieux, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué et ne peut être assimilée à la perte du local loué au sens de l'article sus visé.
Sur les contestations fondées sur les dispositions particulières du bail liant les parties
L'article 6 du contrat intitulé « condition particulière » stipule que :
« De convention expresse entre les parties, le loyer sera suspendu en cas de force majeure interrompant l'activité économique du lieu de situation des biens loués (tels que tremblements de terre, pollution de toute nature, catastrophe naturelle, entrave administrative ou autre au libre accès aux lieux loués ou à la circulation des personnes ou des biens....) ou d'évènement amenant un dysfonctionnement dans l'activité du preneur et notamment une quelconque modification dans la destination ou l'accès des parties communes ou encore leur mauvais entretien ou fonctionnement étant entendu que cette disposition ne saurait s'appliquer dans l'éventualité où le preneur aurait le contrôle de l'entretien et du fonctionnement desdites parties communes. »
En l'absence d'élément nouveau, c'est par une motivation pertinente que la cour adopte expressément que le premier juge a retenu que :
Si l'existence de cette clause n'est pas contestée, la qualification de la suspension des loyers, son étendue et son application à la retenue des loyers qu'a pratiquée la locataire soulèvent des contestations sérieuses obligeant le juge des référés à interpréter le contrat ou l'intention des parties, ce qui ne rentre pas dans ses pouvoirs.
Il ne lui appartient pas non plus de statuer sur l'existence ou non d'un cas de force majeure au sens de cette clause ni de qualifier « l'entrave administrative » que représenterait la fermeture imposée des résidences de tourisme au cours de la période couverte par l'éventuelle obligation à paiement qui devient dès lors sérieusement contestable.
Dès lors, la décision qui a dit n'y avoir lieu à référé, sera confirmée.
Sur la demande indemnitaire de provision pour résistance abusive et injustifiée
La société Bien Artean succombant en ses prétentions tant en première instance qu'en appel, sa demande indemnitaire ne peut qu'être rejetée.
Sur les demandes accessoires
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre des parties en cause d'appel.
La société Bien Artéan qui échoue en son appel est tenue aux dépens exposés devant la cour.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Bien Artean aux dépens exposés devant la cour.
Ainsi prononcé publiquement le 20 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Alyette FOUCHARD, Conseillère, en remplacement de Michel FICAGNA, Président régulièrement empêché et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, P / Le Président,