COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 22 Septembre 2022
N° RG 20/00985 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GQHI
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 10 Juillet 2020, RG 18/00212
Appelants
Mme [H] [D],
née le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 5] demeurant [Adresse 3]
M. [M] [T] [N] [K],
né le [Date naissance 1] 1974 [Localité 6] demeurant [Adresse 3]
Représentés par Me Aline BRIOT, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Katia DEBAY, avocat plaidant au barreau de VERSAILLES
Intimée
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE, dont le siège social est sis [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Hélène ROTHERA, avocat au barreau d'ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 17 mai 2022 par Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, et de Madame Cyrielle ROUSSELLE, auditrice de justice, qui a siégé en surnombre et participé avec voix consultative au délibéré avec l'assistance de Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 16 décembre 2008, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a consenti à Madame [H] [D] et à Monsieur [M] [K] un prêt immobilier d'un montant représentant la contre-valeur en francs suisses de la somme de 263 710 euros, au taux annuel révisable de 1,2733%, remboursable en 100 échéances trimestrielles. Au jour du déblocage des fonds, la contre-valeur prêtée était de 391 240,16 CHF.
Madame [D] et Monsieur [K] s'estiment lésés par les conditions de remboursement de leur emprunt, en raison notamment de l'évolution de la parité entre le franc suisse et l'euro depuis la souscription du prêt.
Aucun accord amiable n'ayant été trouvé entre les parties, les emprunteurs ont, par acte du 26 janvier 2018, fait assigner leur prêteur devant le tribunal de grande instance afin de, à titre principal, faire constater l'existence de clauses abusives affectant le contrat de prêt et, à titre subsidiaire, engager la responsabilité contractuelle de la banque.
Par jugement contradictoire du 10 juillet 2020, le tribunal judiciaire d'Annecy a :
- déclaré recevables les demandes formées par Madame [D] et Monsieur [K],
- rejeté leurs demandes,
- condamné Madame [D] et Monsieur [K] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Madame [D] et Monsieur [K] aux dépens.
Par acte du 1er septembre 2020, Madame [D] et Monsieur [K] ont interjeté appel du jugement.
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 18 février 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Madame [D] et Monsieur [K] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement attaqué,
Statuant à nouveau, à titre principal,
- juger que les clauses afférentes au risque de change (clause Remboursement 'il supportera donc intégralement en cas d'achat de devises au comptant ou à terme, le risque de change' et clause Disposition particulière relative au risque de change) sont manifestement abusives et sont donc réputées non-écrites,
- juger dès lors que le montant du capital à rembourser s'élève à 263 710 euros,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à établir un nouveau tableau d'amortissement pour le prêt de 263 710 euros au même taux et sur la même durée avec substitution de l'euro au franc suisse, déduction faite des intérêts déjà versés réactualisés au cours de change à la date du déblocage du prêt, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
À titre subsidiaire,
- juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie n'a pas informé ni alerté les emprunteurs sur les risques liés à un prêt en devises notamment sur le risque lié aux disparités de change et de perte des revenus en francs suisses et sur le risque d'augmentation du capital,
- juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie n'a remis aucune simulation chiffrée aux emprunteurs décrivant ces risques,
- juger en conséquence que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a manqué à son devoir de mise en garde,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur verser la somme de 94 177,76 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
Sur l'appel incident,
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'action en contestation des clauses abusives recevable,
- juger la demande en reconnaissance de clauses abusives recevable,
En tout état de cause,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les frais d'expertise,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie aux entiers dépens,
- débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de ses demandes reconventionnelles au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
En réplique, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 11 mars 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie demande à la cour de :
Sur l'appel incident et in limine litis,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas retenu la prescription,
- déclarer prescrites donc irrecevables les demandes des consorts [D] et [K],
Sur l'appel principal et à titre subsidiaire, si la cour n'entendait pas infirmer le jugement sur la prescription,
- voir confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes des consorts [D] et [K] en ce qu'elles sont dénuées de fondement,
À titre extrêmement subsidiaire,
- dire et juger que les consorts [D]-[K] ne justifient d'aucun préjudice au titre de la perte de chance,
- rejeter toutes autres demandes,
- voir confirmer le jugement en ce qu'il a condamné les consorts [K]-[D] au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens y ajoutant 2 500 euros en cause d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le caractère abusif des stipulations relatives au risque de change
Conformément à l'article L.212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il est de jurisprudence constante que les demandes ou contestations se rapportant au caractère abusif d'une stipulation contractuelle s'avèrent recevables à tout stade de l'exécution de la convention sans qu'une quelconque prescription puisse être opposée à celui qui se prévaut du caractère abusif d'une stipulation.
Toutefois, l'appréciation du caractère abusif des clauses ne peut porter ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
En ce qu'elles portent sur le fonctionnement du mécanisme de remboursement des échéances trimestrielles du prêt, convenues en devises, les clauses litigieuses figurant aux intitulés 'remboursement' et 'disposition particulière relative au risque de change' du contrat constituent l'objet principal de la convention dans la mesure où elles définissent les modalités d'exécution de l'obligation principale des emprunteurs, soit l'obligation de rembourser les échéances selon les modalités contractuellement fixées en contrepartie du déblocage des fonds par la banque.
Or, les stipulations critiquées, rédigées en des termes clairs et compréhensibles tant sur le plan formel que grammatical pour un consommateur normalement avisé, s'avèrent parfaitement intelligibles quant aux conséquences économiques relatives au risque de change et plus spécialement pour des emprunteurs bénéficiant avant la signature du contrat de la qualité de travailleurs frontaliers lesquels s'avèrent donc notoirement avertis de l'évolution dans le temps de la parité euros / CHF puis de l'ampleur et de la portée d'une telle clause quant au risque de change.
Par conséquent, ces dernières ne sauraient être déclarées abusives et réputées non-écrites. En ce sens, Madame [D] et Monsieur [K] doivent être déboutés de leurs demandes.
Sur l'action en responsabilité dirigée contre la banque
L'article 2224 du code civil rappelle que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En application de cet article, il convient de retenir la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
A l'égard d'emprunteurs non-avertis, le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde consiste en la perte de chance de ne pas contracter, si la banque les avait mis en garde quant à l'inadaptation de leur engagement au regard de leurs capacités financières et sur le risque d'endettement qui en résulte. Le devoir d'information se définit plus largement comme l'obligation pour l'établissement bancaire de communiquer aux emprunteurs une information suffisante sur les caractéristiques du crédit proposé à la souscription.
En l'espèce, il doit être relevé que les emprunteurs connaissent dès la date de conclusion du prêt le montant de leurs charges et de leurs revenus, perçus en francs suisses, ainsi que le montant du prêt et des échéances trimestrielles à régler, étant rappelé de façon surabondante qu'aucun incident de paiement n'est caractérisé en l'espèce. Aussi, le point de départ du délai de prescription quant à un éventuel défaut de mise en garde doit être fixé au jour de la signature du contrat.
Par ailleurs, il a été rappelé que les emprunteurs sont l'un et l'autre salarié en Suisse et ce depuis le 1er novembre 2006 pour Monsieur [K] et le 1er avril 2008 pour Madame [D], soit depuis une date antérieure à la signature du contrat de prêt en devises de sorte que, d'une part, ces derniers, en qualité de travailleurs frontaliers résidant en France, étaient en capacité de comprendre l'incidence des stipulations relatives au risque de change dès la signature du contrat et que, d'autre part, à supposer que la banque ait manqué à un quelconque devoir d'information les concernant, le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité doit être fixé, au plus tard, au jour du paiement de la première échéance trimestrielle laquelle a, par nature, permis aux emprunteurs de réaliser le fonctionnement du mécanisme dont les modalités sont aujourd'hui contestées.
Or, le contrat a été signé entre les parties le 16 décembre 2008 et l'action en responsabilité des emprunteurs a été engagée selon assignation du 26 janvier 2018, soit plus de 5 ans après la révélation des faits susceptibles, selon eux, d'engager sa responsabilité du Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie. Dans ces conditions, leur action en responsabilité doit être déclarée irrecevable comme prescrite.
Sur les demandes annexes
Madame [H] [D] et Monsieur [M] [K], qui succombent en leur appel, sont condamnés à payer la somme de 2 000 euros à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [H] [D] et Monsieur [M] [K] sont en outre condamnés aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action en responsabilité contractuelle initiée par Madame [H] [D] et Monsieur [M] [K] contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie,
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité engagée par Madame [H] [D] et Monsieur [M] [K] contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie concernant le prêt en devises souscrit le 16 décembre 2008 pour un montant de 263 710 euros,
Y ajoutant,
Condamne Madame [H] [D] et Monsieur [M] [K] à payer la somme de 2 000 euros à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne Madame [H] [D] et Monsieur [M] [K] aux dépens d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 22 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller en remplacement de la Présidente légalement empêchée et Madame Sylvie DURAND, Greffière pour le prononcé.
La GreffièreLa Présidente