COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 22 Septembre 2022
N° RG 21/02185 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G25G
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON-LES-BAINS en date du 05 Octobre 2021, RG 21/00324
Appelants
M. [G] [B]
né le [Date naissance 3] 2002 à [Localité 10], demeurant [Adresse 8]
Mme [C] [B]
née le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 10], demeurant [Adresse 8]
M. [I] [B]
né le [Date naissance 6] 1999 à [Localité 7], demeurant [Adresse 8]
Représentés par la SCP VISIER PHILIPPE - OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL GERBI, avocat plaidant au barreau de GRENOBLE
Intimées
S.A. SURAVENIR ASSURANCES dont le siège social est sis [Adresse 5] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELARL CORDEL-BETEMPS, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT, avocat plaidant au barreau de GRENOBLE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA LOIRE, sise [Adresse 1] prise en la personne de son représentant légal
sans avocat constitué
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 14 juin 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 18 février 2018, à 18h30, sur la commune du [Localité 9], est survenu un accident de la circulation impliquant initialement les deux véhicules suivants :
- le scooter conduit par M. [G] [B], mineur né le [Date naissance 4] 2002, assuré auprès de la Macif,
- la voiture conduite par M. [P], assuré par la société Suravenir assurances, qui a coupé la voie de circulation de M. [B].
Un suraccident s'est produit impliquant la voiture de M. [P] et une autre voiture circulant dans le même sens que lui.
M. [G] [B] a été blessé dans cet accident.
La Macif lui a spontanément servi des provisions à hauteur de 3 000 euros.
Par ordonnance du 24 mars 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Thonon les Bains a :
- confié au docteur [K] l'expertise de M. [G] [B], afin de déterminer la nature et l'importance de ses préjudices en lien de causalité avec l'accident du 18 février 2018
- condamné la société Suravenir assurances à payer à M. [G] [B] :
. 10 000 euros de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
. 2 000 euros de provision ad litem,
. 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le docteur [K] a déposé son rapport le 10 novembre 2020, en concluant notamment à la consolidation de M. [G] [B] au 24 septembre 2019.
Le 3 février 2021, la société Suravenir assurances a présenté à M. [G] [B] une offre d'indemnisation définitive qu'il a considérée comme insuffisante.
Par acte du 27 juillet 2021, M. [G] [B], sa mère Mme [C] [B], et son frère aîné M. [I] [B] ont assigné en référé provision la société Suravenir assurances, avec appel en la cause de la CPAM de la Loire.
Par ordonnance du 5 octobre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Thonon les Bains a :
' condamné la société Suravenir assurances à payer :
- à M. [G] [B] une provision de 23 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel,
- à Mme [C] [B] une provision de 1 500 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice par ricochet,
' débouté M. [I] [B] de sa demande de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice par ricochet,
' condamné les consorts [B] aux dépens de la procédure de référé,
' débouté les consorts [B] de leur demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 8 novembre 2021, les consorts [B] ont interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes du dispositif de leurs conclusions notifiées le 4 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, les consorts [B] demandent à la cour de réformer l'ordonnance déférée et statuant à nouveau de :
' condamner la société Suravenir assurances à régler par provision :
- à M. [G] [B] la somme de 117 418,31 euros en avance sur la réparation définitive de son préjudice personnel,
- à Mme [C] [B] la somme de 2 000 euros en avance sur la réparation définitive de son préjudice personnel,
- à M. [I] [B] la somme de 1 000 euros en avance sur la réparation définitive de son préjudice personnel,
' condamner la société Suravenir assurances :
- aux dépens de référé et d'appel, avec distraction de droit,
- à leur payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 500 euros en référé et la somme de 1 500 euros en degré d'appel,
' déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable aux appelés en cause.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 5 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, la société Suravenir assurance demande à la cour de réformer partiellement l'ordonnance déférée et statuant à nouveau de :
' allouer à M. [G] [B] une somme provisionnelle maximale de 20 774,15 euros correspondant aux postes de préjudices suivants ne souffrant pas de contestations sérieuses et déduire de ce montant celui des provisions déjà réglées à hauteur de 13 000 euros :
- frais divers (assistance tierce personne temporaire) : 1 963 euros,
- déficit fonctionnel temporaire : 3 981,15 euros
- souffrances endurées: 9 000 euros,
- préjudice esthétique temporaire : 2 230 euros,
- préjudice esthétique permanent : 3 600 euros,
' donner acte à M. [G] [B] de ce qu'il ne sollicite pas d'indemnisation provisionnelle au titre des frais d'expertise,
' rejeter les demandes d'indemnisation ou de réserve d'indemnisation des préjudices suivants comme faisant l'objet de contestations sérieuses et devant être formées devant le juge du fond :
- dépenses de santé actuelles,
- perte de gains professionnels actuels,
- incidence professionnelle,
- dépenses de santé future,
- déficit fonctionnel permanent,
- préjudice d'agrément,
' rejeter la demande de provision de Mme [C] [B] au titre du préjudice d'affection et des troubles dans les conditions d'existence comme étant sérieusement contestable,
' confirmer l'ordonnance déféré en ce qu'elle a :
- rejeté la demande de provision de M. [I] [B] au titre du préjudice d'affection et des troubles dans ses conditions d'existence,
- mis les dépens à la charge des consorts [B],
- débouté ces derniers de leur demande d'article 700 du code de procédure civile,
' condamner les consorts [B] aux dépens de la procédure d'appel et à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
La déclaration d'appel et les conclusions des consorts [B], d'une part, et les conclusions de la société Suravenir assurances, d'autre part, ont été signifiées à la CPAM de la Loire, par voie électronique, par actes du 24 décembre 2021et du 6 janvier 2022 valant signification à personne en vertu de l'article 662-1 du code de procédure civile, et par acte du 20 janvier 2022 remis à une personne habilitée à le recevoir.
La CPAM de la Loire n'a pas constitué avocat.
La clôture est intervenue le 16 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier de cette obligation.
Sur la provision à allouer à M. [G] [B], victime directe
Ainsi que l'a relevé le premier juge, il n'appartient pas à la juridiction des référés de liquider le préjudice de M. [G] [B]. A ce titre, elle n'a pas à arbitrer notamment le taux journalier servant de base à la réparation du déficit fonctionnel temporaire ou le taux horaire de l'assistance d'une tierce personne ; elle n'a pas davantage à déterminer une 'méthode alternative' d'indemnisation du déficit fonctionnel permanent total.
Il entre seulement dans les pouvoirs du juge des référés d'allouer à M. [G] [B] à titre provisionnel, une somme correspondant à ce qui lui sera, au regard de la jurisprudence habituelle en la matière, incontestablement dû au titre de la réparation de ses préjudices, dont la nature et l'importance sont connues, étant observé que :
- d'une part, son droit à indemnisation intégrale de ses préjudices n'est pas discuté,
- d'autre part, même si elles ne lient pas le juge, les conclusions du docteur [K] constituent une base sérieuse d'évaluation de la provision à allouer à M. [G] [B], dès lors qu'elles ne sont pas ou peu contestées par les parties.
A cet effet, il convient de rappeler que :
- M. [G] [B], âgé de plus de 15 ans lors de l'accident du 18 février 2018, était en classe de seconde professionnelle mécanique, en alternance, son cursus scolaire et professionnel n'ayant pas été impacté par l'accident et ses conséquences,
- il a initialement présenté de multiples lésions, notamment aux membres, la plus grave d'entre elles affectant la jambe gauche et consistant en une fracture de la diaphyse fémorale, partiellement préperforative, et particulièrement déplacée,
- la date de consolidation de ses blessures initiales a été fixée au 24 septembre 2019,
- il a subi un déficit fonctionnel temporaire
. total du 18 février au 7 avril 2018 puis les 12 et 13 juin 2019, soit durant ses hospitalisations,
. à hauteur de 75 % du 8 au 20 avril 2018,
. à hauteur de 50 % du 21 avril au 8 mai 2018,
. à hauteur de 25 % du 9 mai au 27 juillet 2018 puis du 14 juin au 12 juillet 2019,
. à hauteur de 15 % du 28 juillet 2018 au 11 juin 2019,
. à hauteur de 10 % du 13 juillet 2019 jusqu'à la consolidation,
- les souffrances qu'il a endurées ont été évaluées à 3,5 / 7,
- les besoins d'assistance d'une tierce-personne pour l'aide à la toilette, l'habillage, les déplacements ont été évalués à :
. 2 heures par jour du 8 au 20 avril 2018,
. 1 heure 30 par jour du 21 avril au 8 mai 2008,
. 5 heures par semaine du 9 mai au 27 juillet 2018 puis du 14 juin au 12 juillet 2019,
- il est gêné lors du relevé de l'accroupissement ou de l'agenouillement, cette gêne provoquant une légère fatigabilité dans l'exercice de la profession de mécanicien,
- son préjudice esthétique a été évalué à :
. 3 / 7 en ce qu'il a été temporaire, durant les périodes où il ne pouvait pas se déplacer sans fauteuil ni béquilles (deux puis une seule),
. 2 / 7 en ce qu'il est permanent,
- selon l'expert, toutes les activités sportives pratiquées avant l'accident peuvent être reprises.
Au regard de ces éléments, des offres indemnitaires faites par la société Suravenir assurances au titre des différents postes de préjudice et de la jurisprudence habituelle en la matière, la cour estime que l'obligation à indemnisation de la société Suravenir assurances n'est pas sérieusement contestable à hauteur de 43 000 euros.
Déduction faite des provisions déjà servies ou allouée à hauteur de 13 000 euros, il convient donc de réformer l'ordonnance déférée et de condamner la société Suravenir assurances à payer à M. [G] [B] une nouvelle provision de 30 000 euros.
Sur la provision à allouer à la mère et au frère aîné de M. [G] [B]
Ces deux victimes indirectes arguent d'un préjudice d'affection, c'est à dire d'un préjudice moral éprouvé du fait de la souffrance de M. [G] [B].
Il ressort des pièces produites aux débats que M. [G] [B] vivait chez sa mère, au domicile de laquelle résidait son grand frère, de 3 ans son aîné, jeune adulte qui n'avait pas encore pris son indépendance. Cette communauté de vie ininterrompue depuis la naissance de M. [G] [B] caractérise l'existence d'un lien affectif fort entre les membres de cette famille, par ailleurs objectivé par de nombreuses photographies.
Il ressort également des pièces du dossier que les besoins d'assistance en tierce personne de M. [G] [B] ont été couverts par sa famille, notamment sa mère et son grand-frère.
Dans ces circonstances, compte tenu notamment de la présence constante de Mme [C] [B] aux côtés de son fils lors de son hospitalisation et du rôle protecteur que M. [I] [B] s'assignait à l'égard de son petit frère, l'obligation d'indemnisation de la société Suravenir au titre de leur préjudice d'affection n'est pas sérieusement contestable.
Il convient en conséquence de réformer l'ordonnance déférée et d'allouer à :
- Mme [C] [B] la somme provisionnelle de 2 000 euros,
- M. [I] [B] la somme provisionnelle de 1 000 euros.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel doivent être supportés par la société Suravenir assurances, avec application de l'article 699 du code de procédure civile en cause d'appel au profit du conseil postulant des consorts [B].
Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu'en faveur des consorts [B]. Toutefois, dans la mesure où ils ont délibérément choisi d'exposer des frais en référé alors qu'ils étaient en mesure de saisir le juge du fond aux fins de liquidation de leurs préjudices, quitte à saisir le juge de la mise en état d'une demande de provision, l'équité conduit la cour à laisser ces frais à leur charge.
PAR CES MOTIFS, après en avoir délibéré conformément à la loi, la cour statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
Réforme l'ordonnance déférée,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Condamne la société Suravenir assurances à payer à titre provisionnel à :
' M. [G] [B], la somme de 30 000 euros à valoir sur l'indemnisation des différentes postes de son préjudice personnel,
' Mme [C] [B], la somme de 2 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice d'affection,
' M. [I] [B], la somme de 1 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice d'affection,
Condamne la société Suravenir assurances aux dépens de première instance et d'appel, la SCP Visier-Philippe-Ollagnon-Delroise & associés étant autorisée à recouvrer directement à son encontre les dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 22 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller en remplacement de la Présidente légalement empêchée et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La GreffièreP/La Présidente