La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/11/2022 | FRANCE | N°20/01056

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 22 novembre 2022, 20/01056


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 22 Novembre 2022





N° RG 20/01056 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GQQ2



Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 30 Juillet 2020





Appelants



M. [E] [T]

né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 10], demeurant [Adresse 1]



S.C.I. [T], dont le siège social est situé [Adresse 12]



Représentée par la SELARL LEXAVOUE GRENOBL

E - CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par LLP WATSON FARLEY & WILLIAMS LLP, avocats plaidants au barreau de PARIS









Intimée



S.E.L.A.R.L. [N]...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 22 Novembre 2022

N° RG 20/01056 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GQQ2

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 30 Juillet 2020

Appelants

M. [E] [T]

né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 10], demeurant [Adresse 1]

S.C.I. [T], dont le siège social est situé [Adresse 12]

Représentée par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par LLP WATSON FARLEY & WILLIAMS LLP, avocats plaidants au barreau de PARIS

Intimée

S.E.L.A.R.L. [N]-[J] ET [R] dont le siège social est situé [Adresse 15]

Représentée par Me Michel FILLARD, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELARL FAVRE-DUBOULOZ-COFFY, avocats plaidants au barreau de THONON-LES-BAINS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 04 Juillet 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 20 septembre 2022

Date de mise à disposition : 22 novembre 2022

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Composition de la cour lors des débats et du délibéré :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

- Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Faits et Procédure

Mme [G] épouse [H] était propriétaire d'un bâtiment agricole avec terrains sis les [Adresse 12] sur la commune de [Localité 13] en Savoie au [Adresse 11] cadastrés section C n°[Cadastre 3] et [Cadastre 4], d'une contenance respective de 7a 90ca et 48a 61ca, dont elle a vendu une partie à M. [T]. dont il est indiqué qu'il est l'ex-beau-frère de cette dernière.

Préalablement à la vente, les parties ont fait dresser par la SCP Mathon Goyard géomètres experts un document d'arpentage portant division des deux parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 4] qui ont donné naissance à quatre nouveaux immeubles cadastrés section C sous les numéros et contenances suivantes :

Immeuble objet de la vente :

- n° [Cadastre 5] (tiré de l'ex n° [Cadastre 3]) pour 6a 30ca

- n° [Cadastre 7] (tiré de l'ex n° [Cadastre 4]) pour 3a 81ca

Immeuble restant la propriété du vendeur :

- n° [Cadastre 6] (tiré de l'ex n°[Cadastre 3]) pour 1a 60ca

- n° [Cadastre 8] (tiré de l'ex n° [Cadastre 4]) pour 44a 80ca

Par ailleurs, préalablement à la vente, l'immeuble a fait l'objet d'un état descriptif de division.

La division a eu lieu de la manière suivante :

- Lot n°1 soit :

Le rez de jardin,

Au niveau +1, un appartement à réaliser, comprenant : cuisine, salon-salle à manger, deux chambres, WC et salle de bains,

Les combles à aménager,

Dépendances,

Avec jouissance privative de tout le terrain tel que le tout figure sous liseré bleu au plan annexé et une quote-part indéterminée dans les parties communes.

- Lot n° 2 soit :

Au niveau +1, un appartement à réaliser, tel que figuré sous liseré rose au plan annexé et une quote-part indéterminée dans les parties communes

Avec cette précision que le lot numéro deux bénéficiera de tous les droits d'accès sur le lot numéro un (entrée escalier).

Suivant acte authentique en date du 21 mars 2000 reçu en l'étude de Me [R], notaire à [Localité 14], Mme [G] épouse [H], a vendu à M. [T] :

Les parties divises et indivises d'immeubles ci-après désignées, dépendant d'un ensemble immobilier, soumis au régime de la copropriété, cet immeuble figurant sur le cadastre de la commune de [Localité 13] [Adresse 11] section C n° [Cadastre 5] pour 6a 30ca et n° [Cadastre 7] pour 3a 81ca, constituant le lot n°1 du l'état descriptif de division.

Le prix de vente fixé à la somme de 120 000 Francs (18 293 euros) était payable comptant à hauteur de 20 000 Francs, le solde étant réglé par échéances mensuelles de 1 000 francs à compter du 15 avril 2000.

A la garantie du paiement du solde du prix, l'immeuble vendu demeurait affecté par privilège expressément réservé au vendeur, indépendamment de l'action résolutoire, inscription de ce privilège devant être prise à l'initiative du vendeur. En outre, il était prévu que l'acquéreur s'engageait à livrer au vendeur le lot n°2 brut défini sous liseré au plan annexé.

Suivant acte authentique du 11 juillet 2003, reçu par la même étude notariale et conclu entre les mêmes parties, il était procédé à une rectification de la désignation des lots 1 et 2 de l'état descriptif de division.Il était ainsi précisé :

Propriété de M. [T] :

- Lot numéro un :

Le rez de jardin, tel que délimité sous teinte rose au plan ci-annexé,

le niveau 1 tel que délimité sous teinte rose au plan ci-annexé,

Les combles telles que délimitées sous teinte rose au plan ci-annexé

Dépendances

avec jouissance privative de tout le terrain

Et une quote-part indéterminée dans les parties communes

Etant précisé que le lot 2 bénéficiera de tous les droits d'accès sur le lot n°1 (entrée, escalier)

Propriété de Mme [G]

- Lot numéro deux :

Le rez de jardin tel que délimité sous teinte verte au plan cadastral

le niveau 1 tel que délimité sous teinte verte au plan ci-annexé

Les combles telles délimitées sous teinte verte au plan ci-annexé

Et une quote-part indéterminée dans les parties communes

Étant précisé que le lot n°2 bénéficiera de tous les droits d'accès sur le lot n°1 (entrée escalier)

Par ailleurs, suivant acte reçu par la même étude notariale, le même jour, M. [E] [T] a apporté le bien immobilier à la SCI [T] (SCI) ayant pour associés Mme [L] et lui -même.

Suivant acte authentique en date du 5 mars 2012 intitulé « Modification de l'assiette cadastrale et modificatif de l'état descriptif de division par la SCI [T] et Mme [G] », les comparants, soit la SCI, Mme [G] et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble représenté par tous ses membres (la SCI et Mme [G]), après avoir rappelé les divers actes et modificatifs intervenus, ont mentionné que pour permettre la création de parkings aériens sur les parties communes de la copropriété, le syndicat des copropriétaires avait acquis suivant acte reçu le même jour de Mme [G] une parcelle figurant au cadastre de la commune section C n° [Cadastre 9] [Adresse 11] d'une contenance de 5a 71ca.

Aux termes d'une première partie intitulée « Modification de l'assiette cadastrale », le syndicat des copropriétaires de l'immeuble a intégré cette parcelle dans l'assiette de la copropriété de sorte que cette dernière a été désormais cadastrée section C n° [Cadastre 5], [Cadastre 7] et [Cadastre 9] [Adresse 11].

Aux termes d'une deuxième partie intitulée « dépôt de pièces contenant modificatif d'état descriptif de division règlement de copropriété », les parties ont requis le notaire de mettre au rang de ses minutes diverses pièces portant état descriptif de division ' Règlement de copropriété de l'immeuble désormais dénommé Copropriété « [Adresse 12] », soit l'original d'un acte sous seing privé établi par le cabinet GSM de géomètres experts en date du 30 septembre 2011, contenant état descriptif de division et règlement de copropriété de l'immeuble, ayant pour annexes un plan de situation, un plan parcellaire, un plan de masse, un plan d'intérieur par niveau.

Il était précisé, que les lots un et deux étaient purement et simplement supprimés et remplacés en suite de leur division en onze lots distincts numérotés de trois à treize.

Mme [G] se voyait attribuer les lots numéros 6 et 11, constitués d'un plateau à aménager dans les combles et d'une cave, les places de parking étant affectées aux parties communes générales.

Considérant avoir été victime d'une erreur manifeste dans le cadre de ce dernier acte, estimant s'être vue attribuer des lots ne correspondant pas à sa véritable propriété, Mme [G] a fait assigner la SCI devant le tribunal de grande instance de Chambéry par acte en date du 22 janvier 2013, aux fins de nullité de l'acte notarié du 5 mars 2012.

Par acte du 13 février 2014, la SCI a fait assigner la société [N]-[J] et [R] aux fins de mise en cause dans l'instance diligentée et de jonction de cet appel en cause à la procédure.

Par jugement rendu le 26 janvier 2015, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Chambéry en date du 14 mars 2017, le tribunal de grande instance de Chambéry a notamment :

déclaré recevable l'action de Mme [G],

débouté Mme [G] de ses demandes,

débouté la SCI [T] de sa demande de condamnation à dommages-intérêts pour procédure abusive,

déclaré la société [N]-[J] et [R] hors de cause.

Par acte en date du 23 novembre 2017, M. [E] [T] et la SCI [T] ont fait assigner la société [N]-[J] et [R] devant le tribunal de grande instance de Chambéry aux fins notamment de voir dire et juger que la responsabilité civile de cette dernière est engagée en ce que les agissements fautifs de ses associés, Me [S] [R] et Me [Y] [N]-[J], commis dans leurs fonctions, sont en lien direct avec le préjudice qu'ils subissent.

Par jugement rendu le 30 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Chambéry a :

déclaré l'action de M. [E] [T] irrecevable pour défaut d'intérêt à agir,

déclaré l'action de la SCI [T] irrecevable pour cause de prescription,

condamné M. [E] [T] et la SCI [T] à payer à la société [N]-[J] et [R] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté M. [E] [T] et la SCI [T] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [E] [T] et la SCI [T] aux entiers dépens de l'instance,

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

Par déclaration au greffe en date du 17 septembre 2020, M. [E] [T] et la SCI [T] ont interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 juillet 2022 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 20 septembre 2022.

Prétentions et moyens des parties

Par conclusions d'appelants notifiées par voie électronique le 16 décembre 2020, et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [E] [T] et la SCI [T] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Chambéry du 30 juillet 2020 en toutes ses dispositions,

Le réformant et statuant à nouveau,

- dire et juger les demandes de M. [E] [T] et de la SCI [T] recevables,

- dire et juger que la responsabilité civile de la société [N]-[J] et [R] est engagée en ce que les agissements fautifs de ses associés, Me [S] [R] et Me [Y] [N]-[J], commis dans le cadre de leurs fonctions, sont en lien direct avec le préjudice subi par M. [E] [T] et la SCI [T],

- condamner la société [N]-[J] et [R] à verser à M. [E] [T] et à la SCI couleur la somme 1 075 374,47 euros au titre de leur préjudice matériel,

- condamner la société [N]-[J] et [R] à verser à M. [E] [T] et à la SCI [T] la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société [N]-[J] et [R] aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la société Juliette Cochet Barbuat.

Par conclusions d'intimée notifiées par voie électronique le 12 mars 2021 , et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société [N]-[J] et [R] demande à la cour de :

- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chambéry le 30 juillet 2020,

- débouter la SCI [T] et M. [T] de leur appel,

- dire que M. [E] [T] et la SCI [T] sont irrecevables dans leurs demandes par défaut de qualité et d'intérêt à agir,

- dire que l'action de la SCI [T] est atteinte par la prescription quinquennale,

- dire en tout état de cause que l'intimée n'a pas engagé sa responsabilité professionnelle,

- débouter les appelants de toutes leurs demandes,

- condamner en outre les appelants à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel et aux dépens,

Subsidiairement,

- dire que l'action engagée par la SCI [T] et M. [T] se heurte aux moyens de concentration et d'autorité de la chose jugée.

Motifs et décision

I - Sur l'irrecevabilité de l'action de M. [T] faute d'intérêt à agir

Selon l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

En application de l'article 122 du code de procédure civile, une partie ne peut agir en justice que si elle a intérêt et qualité à cette fin, lesquels s'apprécient au jour où l'action est intentée.

En l'espèce, ainsi que l'a retenu le premier juge, M. [T] a apporté à la SCI le bien immobilier litigieux suivant acte en date du 11 juillet 2003.

Les fautes reprochées à l'étude de notaires dans la rédaction de l'acte du 21 mars 2000 et des actes ultérieurs, causent un préjudice au propriétaire actuel du bien soit la SCI et non à son gérant qui n'a pas la qualité de propriétaire.

Dès lors, le jugement qui a déclaré sa demande irrecevable sera confirmé.

II - Sur le défaut de qualité à agir de la SCI

Devant la cour, l'étude notariale fait valoir l'irrecevabilité de l'action de la SCI pour défaut d'intérêt et de qualité à agir au motif que les fautes alléguées sont notamment relatives à la non rédaction d'un règlement de copropriété et ne peuvent être ainsi être invoqués que par le syndicat de copropriétaires qui n'est pas dans la cause.

Or, l'action concerne également des imprécisions qui sont reprochées dans la rédaction de l'état descriptif de division, lequel définit les lots privatifs détenus par la SCI, de sorte que cette dernière a ainsi qualité et intérêt à agir pour la réparation du préjudice qu'elle invoque qui lui est purement personnel puisqu'elle se prévaut de la saisie immobilière du bien litigieux dont elle a fait l'objet à l'initiative de la Caisse régionale de crédit agricole des Savoie, créancier hypothécaire, et soutient que ce préjudice résulte des fautes alléguées contre les notaires.

Cette fin de non recevoir sera écartée.

III - Sur la prescription

A titre liminaire, il sera observé que l'analyse du premier juge ayant consisté à examiner les différents dommages invoqués par les appelants pour appliquer les règles respectives de prescription à chacun d'eux, est exacte.

En effet chacun des actes notariés existe indépendamment des autres et crée des droits différents, de sorte que la prescription de l'action doit être examinée pour chacun d'eux.

Ces griefs sont :

- La mise en place d'états descriptifs imprécis annexés à l'acte du 21 mars 2000, du 11 juillet 2003.

- L'absence de conseil utile sur le régime de la copropriété, lors de la rédaction de l'acte du 21 mars 2000 et de l'acte du 11 juillet 2003.

- L'absence de prise en compte de l'existence de travaux effectués sur les parties communes dans le cadre de leur mission de rédaction d'actes par les notaires.

1) Sur la mise en place d'un état descriptif imprécis annexé aux actes des 21 mars 2000 et 11 juillet 2003

Sur le point de départ de la prescription

Ainsi que l'a relevé le premier juge, les imprécisions de l'état descriptif de division de l'acte du 21 mars 2000, lequel est constitué de plans annexés à l'acte sur lesquels figurent à chaque étage les lots 1 et 2 distingués par des couleurs rose et bleu, sont totalement apparentes.

M [T], acquéreur initial d'une partie de la maison de Mme [G] et gérant de la SCI, connaissait l'immeuble, et s'est donc nécessairement rendu compte lors de la signature de l'acte des imprécisions dont il fait état.

C'est ainsi que dans un courrier qu'il a adressé à la société MMA assureur des notaires, le 2 janvier 2017 il mentionnait :

S'agissant de l'acte du 20 mars 2000 :

« Le lot n°1 est composé de plusieurs lots non identifiés.

Le lot n°2, propriété de Mme [G] n'est pas localisé sur l'acte publié au service de la publicité foncière,

Les lots ne sont pas mesurés : la quote-part des parties communes est indéterminée.

Les plans utilisés par Me [R] ne correspondent pas au bien acheté

La dépendance Est est oubliée. »

S'agissant de l'acte du 11 juillet 2003 intitulé rectificatif de propriété, ce dernier a eu pour objet de modifier la propriété des deux copropriétaires sur leurs lots respectifs par une modification de la désignation des lots 1 et 2 de l'état descriptif de division.

C'est ainsi que par cette modification de la désignation des lots, Mme [G] propriétaire du lot 2 s'est vue attribuer un plateau à aménager dans les combles, une cave en rez de jardin et une place de parking, alors que la SCI propriétaire du lot 1 a reçu les quatre autres places de parking situées en rez de jardin, l'intégralité du 1er étage, et la partie restante des combles telle que figurant sur des plans annexés à l'acte.

Il est retrouvé les mêmes imprécisions apparentes dénoncées par la SCI que dans l'acte de 2000.

S'agissant de l'acte du 11 juillet 2003, M. [T] indiquait dans son courrier adressé le 2 janvier 2017 à l'assurance des notaires :

En l'absence d'un état descriptif de division réalisé par un géomètre qui mesure, localise et identifie tous les lots, Me [R] rédige un acte authentique contenant « rectification de propriété ».

Mme [G] cède à M. [T] le lot n°2 (=lot n°4 état descriptif de division 2012) en échange du lot n°2 (= lots n°6 et n°12 état descriptif de division + une place de parking).

Le contenu des lots n°1 et n°2 évolue dans une opacité totale avec un risque de confusion. Mme [G] exploitera cette opacité dans l'assignation du 22 janvier 2013.

Sur l'acte publié au Service de la publicité foncière le lot n°2, propriété de Mme [G] n'est pas localisé ' identifié ' mesuré.

Les lots ne sont pas mesurés : la quote part des parties communes est indéterminée

Les plans utilisés par le notaire ne correspondent pas au bien acheté.

La SCI fait valoir qu'elle ne se serait rendue compte du dommage résultant de ces imprécisions que le 14 mars 2017, date de l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry qui, dans le litige entre la SCI et Mme [G], a mentionné dans sa motivation que les quatre places de stationnement qui figuraient dans le lot attribué à la SCI aux termes de l'acte du 11 juillet 2003 avaient disparu de l' état descriptif de division de 2012, ces places étant désormais intégrées dans les parties communes.

Elle explique que ce n'est qu'à compter de ce jour qu'elle a pu comprendre qu'à la suite des multiples imprécisions des notaires, elle était partiellement dépossédée de son bien.

Or, il résulte des éléments du dossier que :

- La SCI avait établi un projet de rénovation de la partie de l'immeuble lui appartenant par la création de plusieurs appartements et avait déposé un permis de construire à cet effet en 2010. Pour financer les travaux, elle a souscrit le 29 juin 2012 un prêt immobilier auprès du Crédit Agricole des Savoie.

- Suivant acte notarié du 5 mars 2012, le syndicat des copropriétaires, constitué entre la SCI et Mme [G], a fait l'acquisition d'un terrain supplémentaire attenant à l'immeuble pour la création de parkings supplémentaires.

Le même jour, est intervenu un acte de modification cadastrale et modificatif de l'état descriptif de division à la requête de la SCI, de Mme [G] et du syndicat des copropriétaires représenté par ces deux dernières :

- Intégrant la parcelle acquise dans l'assiette de la copropriété,

- Mettant au rang des minutes du notaire un nouvel état descriptif de division avec règlement de copropriété.

- Attribuant les lots 3 à 13, créés au lieu et place des lots 1 et 2, à la SCI et Mme [G].

Ainsi, la SCI ne peut sérieusement soutenir que l'intégration de ses parkings aux parties communes constituerait la manifestation d'un dommage résultant de l'imprécision des actes notariés de 2000 et 2003, alors que cette intégration résulte d'une volonté éclairée de son gérant, dans le cadre de l'opération immobilière initiée en 2010 en vue de la création d'appartement à usage locatifs ou de vente.

Dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a fixé le point de départ du délai de prescription au jour de l'acte notarié du 21 mars 2000.

Il en est de même de l'acte notarié du 11 juillet 2003.

Sur le délai

Le point de départ du délai de prescription d'une action en responsabilité extra-contractuelle demeure déterminé en application des dispositions de l'article 2270-1 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 lorsque le délai a commencé à courir avant l'entrée en vigueur de ce texte (3e Civ. 24 janvier 2019, pourvoi n°17-27.793) et la durée de la prescription résultant du nouvel article 2224 s'applique aux prescriptions en cours à compter du 19 juin 2008, sans que la durée totale puisse excéder la durée de dix ans prévue par l'article 2270-1 du code civil (3e Civ.,13 février 2020, pourvoi n°18-23.723).

En application de ces textes et de la jurisprudence constante, le délai de prescription décennal qui a commencé à courir le 21 mars 2000 est venu à expiration le 21 mars 2010, de sorte que l'action de la SCI relativement à ce grief et à cet acte est prescrite.

Le délai de prescription décennal relatif à l'acte du 11 juillet 2003 est quant à lui venu à expiration le 11 juillet 2013, de sorte que l'action de la SCI est également prescrite.

2) Sur l'absence de conseil utile sur le régime de la copropriété lors de la rédaction des actes des 21 mars 2000 et 11 juillet 2003

Selon la SCI, les notaires auraient oublié toute une série de mentions relatives au régime de la copropriété, et manqué à leur devoir d'information et de conseil.

Ainsi que l'a relevé le premier juge, là encore, le fait dommageable a eu lieu dès la signature, le jour de la rédaction des actes, qui étaient lacunaires.

La SCI soutient que ce n'est que le 22 janvier 2013, date de l'assignation par Mme [G] en annulation de l'acte notarié du 5 mars 2012 devant le tribunal de grande instance de Chambéry, qu'elle a pour la première fois, pu prendre conscience d'une irrégularité potentielle de la situation et de son imputabilité aux notaires.

Or ainsi que l'a retenu le premier juge, par courriel du 24 juin 2011, les notaires ont évoqué les difficultés juridiques de l'immeuble.

Mais déjà antérieurement, ces questions avaient été évoquées à plusieurs reprises ainsi qu'il résulte du courrier de M. [T] à l'attention de MMA du 2 janvier 2017 objet « Déclaration de sinistre de la SCI [T] » récapitulant la chronologie des événements l'ayant conduit à demander la mise en 'uvre de la responsabilité des notaires de l'étude [N]-[J] et [R].

En effet ce dernier a écrit :

« Octobre 2006 Premières difficultés

La copropriété ne fonctionne pas, en cause les actes notariés de 2000 et 2003 ' absence de syndic- numéros de lots-règlement de copropriété et un état descriptif de division.....

Les travaux « illégaux » réalisés sur les parties communes s'élèvent à 111 351 euros (77 309 euros + 34 042 euros).

En octobre 2006, M. [T] informe Me [N]-[J] de ses difficultés de copropriétaire. Me [N] oriente M. [T] vers un géomètre M. [C] du cabinet GSM 01302 Belley.

Pièce n°6 Devis du géomètre : « Etat descriptif de division y compris calculs des superficies à partir des plans fournis par le client. »

Le 5 février 2007, courriel de Me [N] à la SCI [T] (pièce n°7) :

« Pour faire suite à notre entrevue du vendredi 2 février 2007, je vous précise que les frais et honoraires concernant le modificatif de l'état descriptif de division s'élèveraient à 1 300 euros TTC. »...

Par courriel du 24 juin 2011, M. [T] adressait au notaire un descriptif sommaire de son projet immobilier, lui demandant un estimatif.

Dans son courrier à l'attention des MMA, il citait des extraits de ce projet dont il a adressé une copie à l'assureur :

24 juin 2011 Courriel de M. [T] à Me [Y] [N] (pièce n° 8)

« Demande de prix

Mme [L] ma compagne achète l'appartement (100K€)....

Le prêt de la SCI...

Mme [H] ([G]) doit participer à hauteur de 24 K€ à ce projet

Régularisation du dossier de Mme [H] :

Mme [H] me doit 33 K€ pour les travaux réalisés

Depuis 2007 Mme [H] occupe un plateau m'appartenant. »

Le même jour Me [N]-[J] répondait en ces termes :

« S'agissant de l'appartement du niveau 1 loué, les frais de vente payés par l'acquéreur s'élèveraient à 7 950 euros.

J'attire votre attention sur le droit de préemption qui profitera au locataire, s'agissant de la 1ère vente après division d'un immeuble bâti.

Les frais d'un prêt de 100 000 euros avec affectation hypothécaire sont estimés à 1 900 euros.

S'agissant de la situation de Mme [H], il conviendra de compenser les mouvements financiers entre vous mais encore faut-il déterminer les opérations à réaliser : échange..., vente....

Enfin j'attire votre attention sur la situation juridique de l'immeuble : il convient d'établir une mise en copropriété préalable : diagnostics techniques, calcul de millièmes, règlement de copropriété et état descriptif de division à faire établir par un géomètre expert.

Les « frais de notaire » de l'acte de dépôt de ces documents s'établissent à 1 800 euros. »

Il résulte ainsi des propres écrits de M. [T] que la copropriété ne fonctionnait pas depuis 2006 faute de syndic, de règlement de copropriété et de millièmes de copropriété, que le notaire lui a conseillé à plusieurs reprises de mandater un géomètre expert afin d'établir un état descriptif de division créant des lots correspondant à des appartements, avec leurs superficies, les millièmes de copropriété, démarches que la SCI n'a entreprises qu'en 2011 lors de la réalisation de son projet immobilier.

L'ensemble de ces éléments montre qu'à cette époque la SCI avait parfaitement conscience de la nécessité de mettre en conformité la copropriété et des moyens à employer pour y parvenir.

C'est dès lors à bon droit que le premier juge a fixé le point de départ de la prescription quinquennale, relative à ce manquement, au 24 juin 2011, de sorte qu'au jour de l'assignation en date du 23 novembre 2017, l'action était prescrite.

3) Sur l'absence de prise en compte de l'existence de travaux dans le cadre de la mission de rédaction d'actes

La SCI a souscrit auprès du Crédit agricole des Savoie trois prêts avec garanties hypothécaires, suivant actes notariés en date des 11 juillet 2003, 12 décembre 2005 et 29 juin 2012 d'un montant respectif de 120 000, 75 000 et 119 969 euros, ayant pour objet « l'aménagement d'appartement à titre de résidence principale à usage locatif » et pour le troisième prêt des travaux en qualité de propriétaire, concernant les biens dont elle était propriétaire dans l'immeuble.

Elle reproche à l'étude notariale d'avoir manqué à son devoir d'information, de vérification et de conseil lorsqu'elle a réalisé des travaux sur les parties communes sans accord de l'assemblée générale des copropriétaires et en ignorant que l'immeuble était soumis au régime de la copropriété, ce qui aurait favorisé Mme [G] qui n'a pas participé au coût de ces travaux.

Ainsi que l'a retenu à bon droit le premier juge, le permis de construire pour la réalisation des travaux a été obtenu le 3 juin 2010, et il a été établi un état descriptif de division par le géomètre expert le 30 septembre 2011 à la suite de l'avertissement donné par l'étude notariale suivant courriel du 24 juin 2011, date à laquelle le délai de prescription a commencé à courir.

Ce n'est donc pas l'assignation de Mme [G] en date du 22 janvier 2013 qui a révélé à la SCI l'existence des éventuelles fautes commises par l'étude de notaires, dont elle avait bien conscience antérieurement et cette dernière disposait de tous les éléments pour les mettre en lumière avant ladite assignation.

4) Sur l'interruption de la prescription

Aux termes de l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure.

M [T] soutient que le courrier du 18 avril 2013 par lequel il a saisi la chambre interdépartementale des notaires de Savoie, à la suite de l'assignation délivrée par Mme [G], a interrompu la prescription.

Les termes de ce courrier sont les suivants :

« Madame, Monsieur,

Le 22 janvier 2013, j'ai reçu une assignation devant le tribunal de grande instance de Chambéry à la demande de Mme [G] :

Dans ces conclusions l'avocat de Mme [G] demande au tribunal de : « Voir déclarer nul et de nul effet l'acte reçu le 5 mars 2012 par Me [Y] [N]-[J], notaire à Yennes (Savoie),...) ».

Je ne trouve pas les mots pour expliquer ce qui m'arrive :

Je pensais qu'un acte notarié était inaliénable.

Je ne comprends pas qu'un avocat assigne une SCI pour contester le travail réalisé par un notaire.

Me [N] a mis en place un nouvel EDD pour que je puisse vendre lot par lot (ancien EDD lots 1 et 2, nouvel EDD lots 3 à 13).

J'ai besoin d'aide et de conseils pour mettre fin à un cauchemar :

J'ai réalisé d'énormes travaux et je me trouve bloqué par Mme [G] qui conteste 10 mois après l'avoir signé, un acte notarié. Assigné devant le tribunal de grande instance, je dois payer un avocat pour un travail dont je ne suis pas l'auteur.

Une avocate gère l'administratif du dossier mais n'a pas le temps de répondre à mes angoisses. »

Après avoir interrogé Me [N], le syndic de la Chambre des notaires répondait, le 14 mai 2013, à M. [T] que le contentieux l'opposant à Mme [G] était relatif à un échange de lots (6 contre 5) qui n'avait pas été confirmé par un acte notarié, que cette situation résultait d'un accord privé, les parties ayant signé le modificatif de l'état descriptif de division, établi par un géomètre expert, sur leurs indications, précisant qu'il s'agissait d'un litige entre particuliers que la chambre des notaires n'avait pas vocation à traiter.

Ainsi que l'a relevé le premier juge, ce courrier s'analyse comme une demande d'aide à la suite de la réclamation de Mme [G] et non une mise en cause de la responsabilité du notaire, aucune réclamation à l'encontre de son travail n'étant formulée.

Il sera ajouté que :

Si en application de l'article 4 de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945, dans sa version applicable aux faits, la chambre des notaires avait à l'époque compétence pour examiner  toutes réclamations de la part des tiers contre les notaires à l'occasion de l'exercice de leur profession, cette instance n'avait qu'une compétence limitée portant sur le respect de la déontologie notariale.

Les plaintes portées devant cet organisme concernant d'éventuelles fautes professionnelles engageant la responsabilité civile des notaires n'ont aucun effet interruptif sauf à ce qu'elles soient poursuivies par une citation en justice dans le délai de prescription et le président de la Chambre n'a aucune qualité ni compétence pour statuer sur les questions de responsabilité civile professionnelle.

Ce courrier n'a donc pas interrompu la prescription de sorte que le jugement qui a déclaré l'action de la SCI prescrite et partant irrecevable, sera confirmé.

IV - Sur les mesures accessoires

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 au profit de l'étude notariale.

La SCI et M. [T] qui échouent en leurs prétentions devant la cour sont tenus aux dépens exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [E] [T] et la SCI [T] à payer à la Selarl [N]-[J] et [R] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [E] [T] et la SCI [T] aux dépens exposés en appel,

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le

à

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY

Me Michel FILLARD

Copie exécutoire délivrée le

à

Me Michel FILLARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/01056
Date de la décision : 22/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-22;20.01056 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award