COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 08 Décembre 2022
N° RG 20/01238 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GRJG
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de CHAMBERY en date du 22 Juillet 2020, RG 2020F00107
Appelants
M. [D] [E]
né le [Date naissance 3] 1973 à [Localité 6],
et
Mme [U] [S] [J] [B] épouse [E]
née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 7],
demeurant ensemble [Adresse 2]
Représentés par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SARL BALLALOUD & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau d'ANNECY
Intimée
Société CREDIT AGRICOLE DES SAVOIE, dont le siège social est sis [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SCP VISIER PHILIPPE - OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES, avocat au barreau de CHAMBERY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 18 octobre 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 12 février 2019, la société Crédit Agricole des Savoie a consenti à l'EURL Terre et Nature un prêt d'un montant de 97 000 euros remboursable sur une durée de 60 mois, avec application d'un taux d'intérêt de 0,99 % majoré de 3 points en cas de retard. Ce prêt était garanti par l'inscription d'un nantissement sur le fonds de commerce exploité par la société Terre et Nature ainsi que par le cautionnement solidaire de Mme [U] [E] et M. [D] [E], dans la limite de 50 000 euros.
Par acte sous seing privé du 5 juin 2019, la société Crédit Agricole des Savoie a consenti à la société Terre et Nature une ouverture de crédit d'un montant de 10 000 euros, à durée indéterminée, avec application d'un taux d'intérêt variable indexé sur l'euribor 3 mois et garantie par le cautionnement solidaire de Mme [U] [E] dans la limite de la somme de 13 000 euros.
Par décision du 5 novembre 2019, le tribunal de commerce de Chambéry a prononcé la liquidation judiciaire de la société Terre et Nature.
Le 10 décembre 2019, la société Crédit Agricole des Savoie a déclaré ses créances au titre des concours garantis par Mme [U] [E] et M. [D] [E] pour le montant de 93 701,10 euros au titre du prêt, et pour le montant de 3 065,20 euros au titre de l'ouverture de crédit.
Le 20 janvier 2020, la société Crédit Agricole des Savoie a mis en demeure Mme [U] [E] et M. [D] [E] de régler la somme de 50 000 euros, correspondant à la limite du plafond de leur engagement conjoint, au titre du prêt du 12 février 2019. Elle mettait également en demeure la seule Mme [U] [E] de payer la somme de 3 065,20 euros au titre de sa caution portant sur l'ouverture de crédit en compte courant.
Par acte du 14 mai 2020, la société Crédit Agricole des Savoie a fait assigner Mme [U] [E] et M. [D] [E] en paiement devant le tribunal de commerce de Chambéry.
Par jugement réputé contradictoire du 22 juillet 2020, le tribunal de commerce de Chambéry a :
- condamné, in solidum Mme [U] [E] et M. [D] [E] à payer, en deniers ou quittances valables, au Crédit Agricole des Savoie au titre du contrat de prêt n° 00001524771
la somme de 50 000 euros, montant en principal au titre du prêt,
les intérêts au taux légal à compter du 19 février 2020, avec capitalisation des intérêts par année entière,
- condamné Mme [U] [E] à payer, au titre du solde débiteur du compte courant n° [XXXXXXXXXX05], en deniers ou en quittances valables, au Crédit Agricole des Savoie, la somme de 3 065,20 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 19 février 2020, avec capitalisation des intérêts par année entière
- condamné in solidum Mme [U] [E] et M. [D] [E] à payer au Crédit Agricole des Savoie la somme de 950 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,
- liquidé les frais de greffe à la somme de 94,34 euros TTC,
- constaté le caractère de plein droit de l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 23 octobre 2020 M. [D] [E] et Mme [U] [E] ont interjeté appel de la décision.
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 25 janvier 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [U] [E] et M. [D] [E] demandent à la cour de :
- les dire recevables et bien fondés en leur appel,
- infirmer, en toutes ses dispositions, la décision rendue par le tribunal de commerce de Chambéry, le 22 juillet 2020,
- dire et juger que les engagements de caution souscrits étaient manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus,
- dire et juger que le Crédit Agricole des Savoie ne peut se prévaloir des contrats de cautionnement conclus,
- débouter le Crédit Agricole des Savoie de ses demandes de condamnation,
- condamner le Crédit Agricole des Savoie à leur verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le même aux entiers dépens avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la scp Bollonjeon.
La société Crédit Agricole des Savoie a répliqué dans des conclusions notifiées par voie électronique le 28 avril 2021. Toutefois, par ordonnance du 8 juillet 2021, le conseiller chargé de la mise en état a déclaré ces conclusions irrecevables et rappelé que cette irrecevabilité s'étendrait aux pièces communiquées et déposées au soutien, à l'exception des pièces communiquées en première instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 avril 2022.
L'affaire a été mise en délibéré au 23 juin 2022.
Par mention au dossier du 23 juin 2022, la cour, constatant au regard des pièces versées au dossier, que les époux [E] sont propriétaires d'un bien immobilier, a ordonné la réouverture des débats et demandé aux époux [E] de produire les justificatifs suivants :
- date d'acquisition du bien immobilier financé par les prêts dont le remboursement apparaît sur les relevés de compte de janvier et février 2019,
- prix d'achat de ce bien immobilier et répartition de la quotité de propriété entre les époux,
- montant et durée des crédits souscrits et capital restant dû à la date des engagements de caution,
- statut actuel du bien (sert-il de lieu d'habitation aux époux [E] ou produit-il des revenus locatifs '),
- avis d'impôt sur le revenu pour les revenus de l'année 2019.
M. [D] [E] et Mme [U] [E] ont transmis par voie électronique le 18 août 2022 les pièces complémentaires suivantes :
- offre de crédit immobilier,
- bail Ugines,
- impôt sur le revenu 2019,
- certificat d'achat immobilier Ugine Notaire 02.2007,
- 3 tableaux d'amortissement correspondant à 3 prêts de 16 125, 70 000 et 99 500 euros,
- prêt Kepler 05.2017,
- tableau d'amortissement prêt 40 000 euros véhicule,
- tableau d'amortissement révisé pour les prêts de 70 000 et 99 500 euros.
Aucunes nouvelles conclusions explicatives n'ont été produites.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2022
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la proportionnalité des engagements de caution
Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.
Conformément aux articles 2288 et suivants du même code, celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même. Le cautionnement ne se présume point. Il doit être exprès et on ne peut l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.
L'article L.332-1 du code de la consommation, en vigueur au jour de la signature de l'acte de caution litigieux dispose toutefois qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
L'appréciation de la disproportion se fait donc à la date de la conclusion du contrat de cautionnement, à charge pour la caution de démontrer son existence. Dans l'affirmative, le créancier peut toutefois démontrer que le patrimoine de la caution est suffisant pour honorer l'engagement au jour de l'appel en garantie. A défaut, l'acte de cautionnement s'avère inopposable.
Cette disposition est mobilisable par toutes les cautions personnes physiques, qu'elles soient ou non averties.
Pour apprécier factuellement la disproportion, il convient de prendre en considération la situation patrimoniale de la caution dans sa globalité. Sont donc non seulement pris en compte les revenus et les biens propres de la caution mais également tous les éléments du patrimoine susceptibles d'être saisis. Viennent en déduction des actifs ainsi identifiés l'ensemble des prêts et des engagements souscrits par la caution à l'exception de ceux qui auraient été pris postérieurement à la souscription de la garantie litigieuse.
En l'absence d'anomalies apparentes, la fiche déclarative de patrimoine renseignée par la caution au moment de la souscription de l'engagement lui est opposable, conformément à l'article 1104 du code civil, sans que la banque ait à vérifier l'exactitude des éléments financiers déclarés.
En l'espèce, la banque n'a produit, en première instance, aucune fiche de patrimoine que les époux [E] auraient complété à sa demande. Les cautions sont donc totalement libres d'établir la disproportion de leur engagement. Elles versent aux débats :
- leur avis d'imposition sur les revenus 2018 établie en 2019 (pièce n°1). Il en ressort que les revenus annuels imposables de M. [D] [E] étaient de 8 675 euros, soit 722,91 euros par mois et ceux de Mme [U] [E] étaient de 11 052 euros, soit 921 euros par mois ;
- leur avis d'imposition sur les revenus 2019 établie en 2020 (pièce n°6). Il en ressort que les revenus annuels imposables de M. [D] [E] étaient de 17 747 euros, soit 1 478,91 euros par mois et ceux de Mme [U] [E] étaient de 8 507 euros, soit 708,91 euros par mois
- l'échéancier d'un crédit à la consommation de 40 000 euros ayant servi à financer l'achat d'une voiture pour lequel M. [D] [E] et Mme [U] [E] remboursaient des mensualités 532,80 euros par mois, le capital restant dû au mois de février 2019 étant de 31 391 euros (pièces n°11 et 12) ;
- les deux échéanciers concernant les crédits immobiliers en cours montrant qu'ils remboursaient des mensualités de 291,54 euros pour le premier et de 507,63 euros pour le second, soit 799,17 euros par mois pour un capital restant dû en février 2019 de 49 619,68 euros et de 84 181,20 euros, soit un total de 133 800,88 euros (pièces n°13 et 14),
- l'offre de crédit immobilier de la société Crédit Agricole des Savoie montrant que les prêts ont financé l'achat et la rénovation d'un appartement en 2007, la valeur du bien étant mentionnée comme étant de 162 000 euros dans cette offre (pièce n°4).
Il résulte de ces documents que M. [D] [E] et Mme [U] [E] ne disposent que de très faibles revenus et qu'ils sont propriétaires d'un bien immobilier dont la valeur doit être fixée a minima à 162 000 euros.
Au temps de l'engagement conjoint de caution, le capital restant dû sur ce bien était de 133 800 euros, laissant une valeur a priori disponible de 28 200 euros. Au regard du prêt à la consommation, également en cours en février 2019 avec un capital restant dû de 31 391 euros, il convient de dire que M. [D] [E] et Mme [U] [E] rapportent la preuve de ce que l'engagement conjoint de caution du 12 février 2019 à hauteur de 50 000 euros était manifestement disproportionné. Il ne peut donc pas leur être opposé, la société Crédit Agricole des Savoie n'apportant pas, par ailleurs, la démonstration de ce que les époux [E] sont en capacité d'honorer leur engagement au temps de sa mise en oeuvre.
Enfin en ce qui concerne l'engagement de cautionnement de Mme [U] [E] à hauteur de 13 000 euros, force est de constater qu'il n'a été souscrit que 3 mois plus tard de sorte que cet engagement n'a pu avoir comme conséquence que d'alourdir encore le passif de l'intéressée. Cet engagement devra donc également être considéré comme manifestement disproportionné et inopposable à Mme [U] [E]. La société Crédit Agricole des Savoie, à nouveau, ne démontre pas qu'elle est en capacité d'honorer son engagement au temps de sa mise en oeuvre.
Il résulte de ce qui précède que le jugement déféré sera infirmé et la société Crédit Agricole des Savoie débouté de ses demandes à l'encontre de M. [D] [E] et de Mme [U] [E].
Sur les dépens et la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
La société Crédit Agricole des Savoie qui succombe sera tenue aux dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, avec distraction au profit du conseil des époux [E] par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Il n'est pas inéquitable de faire supporter par la société Crédit Agricole des Savoie partie des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés par M. [D] [E] et Mme [U] [E]. Elle sera donc condamné à leur verser la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toute ses dispositions,
Statuant à nouveau
Dit l'acte de cautionnement du 12 février 2019 inopposable à M. [D] [E] et Mme [U] [E],
Dit l'acte de cautionnement du 5 juin 2019 inopposable à Mme [U] [E],
Déboute la société Crédit Agricole des Savoie de l'ensemble de ses demandes,
Condamne la société Crédit Agricole des Savoie aux dépens de première instance et d'appel, la Selurl Bollonjeon étant autorisée à recouvrer contre elle ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,
Condamne la société Crédit Agricole des Savoie à payer à M. [D] [E] et Mme [U] [E] la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 08 décembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente