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13/12/2022 | FRANCE | N°20/01224

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 13 décembre 2022, 20/01224


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 13 Décembre 2022





N° RG 20/01224 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GRHV



Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 30 Juillet 2020







Appelant



M. [E] [Z]

né le 16 Août 1947 à [Localité 5], demeurant [Adresse 1]



Représenté par Me Anne-Marie BRANCHE, avocat au barreau de CHAMBERY











Int

imée



Compagnie d'assurance MAAF VIE, dont le siège social est [Adresse 4]



Représentée par la SCP CABINET DENARIE BUTTIN PERRIER GAUDIN, avocats au barreau de CHAMBERY







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Date d...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 13 Décembre 2022

N° RG 20/01224 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GRHV

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 30 Juillet 2020

Appelant

M. [E] [Z]

né le 16 Août 1947 à [Localité 5], demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Anne-Marie BRANCHE, avocat au barreau de CHAMBERY

Intimée

Compagnie d'assurance MAAF VIE, dont le siège social est [Adresse 4]

Représentée par la SCP CABINET DENARIE BUTTIN PERRIER GAUDIN, avocats au barreau de CHAMBERY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 12 Septembre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 11 octobre 2022

Date de mise à disposition : 13 décembre 2022

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Composition de la cour lors des débats et du délibéré :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

- Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

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Faits et Procédure :

Suivant acte du 28 décembre 1982, [U] [Z] souscrivait auprès de la société Maaf Vie, à [Localité 2], un contrat d'assurance-vie dénommé compte épargne Maaf n°25'696, aux termes duquel il désignait en qualité de bénéficiaires :

«'Petits-enfants, nés, à naître, ou adoptés au moment de mon décès ».

Par courrier en date du 17 septembre 1997, [U] [Z] modifiait la clause bénéficiaire de la manière suivante :

- 7/20è à mon fils [E] [Z],

- 4/20è à mon petit-fils [R] [Z],

- 4/20è à mon petit-fils [H] [Z],

- 3/20è à ma fille [F] [Z] épouse [J],

- 1/20è à mon épouse [C] [Z] née [O],

- 1/20è mise à parts égales « [3] » et l'association diocésaine de [Localité 2].

Par courrier en date du 19 janvier 1998, [U] [Z] modifiait de nouveau cette clause bénéficiaire, ainsi :

- 2/20è à ma fille [F] [Z], épouse [J],

- 2/20è à mon épouse [C] [Z], née [O],

les autres bénéficiaires et leurs parts étant inchangées.

Mme [O] épouse [Z] décédait en 2005 avant son époux, lequel ne modifiait pas à la suite de ce décès les bénéficiaires de la part de la défunte.

M.'[U] [Z] décédait le 5 septembre 2007 et le montant de l'épargne sur le compte assurance-vie auprès de la société Maaf Vie s'élevait à la somme de 987 096.52 euros au 27 septembre 2007. Par ailleurs, M.'[U] [Z] qui avait déjà consenti une donation en nue-propriété à ses deux enfants plusieurs années auparavant, avait, au terme d'un testament notarié du 19 mars 1998, légué tous ses biens à son fils, [E] [Z].

Par rapport à l'assurance vie contractée auprès de la société Maaf Vie, l'administration fiscale procédait à un redressement sur la part attribuée en 1998 à Mme [O] épouse [Z], cette part ayant été reversée par l'assureur au fils et à la fille du De cujus par moitié, l'administration considérant qu'il n'appartenait pas à l'assureur de modifier la clause bénéficiaire au lieu et place de M. [U] [Z], en ajoutant 'et à défaut ses héritiers' sans disposer d'un accord exprès de sa part, et qu'en conséquence, cette somme (98'709,65'euros) devait être incluse dans l'actif successoral en application de l'article L132-9 alinéa 4 du code des assurances et 750 ter 1 du code général des impôts.

Par acte en date du 21 juillet 2016, M. [E] [Z] assignait la société Maaf Vie devant le tribunal de grande instance de Chambéry aux fins de voir sa responsabilité contractuelle engagée en raison d'un manquement à son obligation de conseil et d'information et de la voir condamner à lui verser la somme de 38'898,01'euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement rendu le 30 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Chambéry :

' déboutait M. [E] [Z], tiers bénéficiaire, de sa demande tendant à engager la responsabilité contractuelle de la société Maaf Vie, promettant, en raison d'un manquement à l'obligation de conseil et d'information envers [U] [Z], stipulant, lors de la conclusion et de la modification du contrat ;

' condamnait M. [E] [Z] à payer à la société Maaf Vie la somme de 1 500'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' déboutait M. [E] [Z] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,;

' condamnait M. [E] [Z] aux entiers dépens de l'instance ;

' accordait au cabinet Denarie Buttin Perrier Gaudin le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

' disait n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

' rejetait toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.

Le tribunal retenait que :

' seul le stipulant, partie au contrat et créancier de l'obligation d'information et de conseil peut invoquer le non respect de cette obligation sur le fondement de la responsabilité contractuelle, même si le contrat d'assurance vie est une stipulation pour autrui ;

' le tiers bénéficiaire ne peut dès lors intenter une action contre le promettant sur le fondement de la responsabilité contractuelle et doit le faire sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Par déclaration au Greffe en date du 22 octobre 2020, M. [E] [Z] interjetait appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Prétentions des parties :

Par dernières écritures en date du 30 juillet 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [E] [Z] demandait à la cour d'infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions et de statuer à nouveau ainsi, à titre principal, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, et à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité délictuelle :

' condamner la société Maaf Vie à lui les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts :

- 16'451,61'euros correspondant à la différence entre sa part successorale et la part reçue,

- 5 758'euros au titre des intérêts,

- 13'161,20'euros au titre de la fiscalité due au titre du redressement,

- 3 527,20'euros au titre des intérêts de retards dus au titre du redressement.

soit au total la somme de 38'898,01' euros, à titre de dommages-intérêts, suite au redressement fiscal, outre intérêts au taux légal à compter des présentes ;

' condamner en outre la société Maaf Vie à lui régler la somme de 3 000'euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

' condamner la société Maaf Vie à lui régler la somme de 6 000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamner la société Maaf Vie aux entiers dépens, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, distraits au profit de Me Anne-Marie Branche, avocat, sur son affirmation de droit.

Au soutien de ses prétentions, M. [E] [Z] exposait essentiellement que :

- sur le fondement de la responsabilité contractuelle

' le contrat d'assurance-vie était une stipulation pour autrui et le tiers bénéficiaire était le créancier de l'obligation du promettant dès le jour de la formation du contrat. Il disposait donc d'une action fondée sur le contrat comme continuateur de la personne du souscripteur et d'une action directe en tant que tiers bénéficiaire ;

' la société Maaf Vie avait commis une faute en rédigeant elle-même la clause bénéficiaire subsidiaire « à défaut mes héritiers » au lieu et place de M. [U] [Z] ce qui avait été déclaré irrecevable par le Trésor Public, aux termes de son redressement fiscal, lequel avait taxé le capital contenu sur l'assurance vie, conformément aux règles du droit des successions ;

' la société Maaf Vie avait commis une faute en distribuant de ce fait le capital au prorata des parts contenues dans la clause bénéficiaire ;

' la société Maaf Vie n'avait donc pas satisfait à ses obligations contractuelles pas plus qu'elle n'avait satisfait à son obligation de conseil à l'égard de M.'[U] [Z].

- à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité délictuelle

' la société Maaf Vie avait commis une faute, laquelle lui avait occasionné un préjudice.

Par dernières écritures en date du 21 avril 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Maaf Vie demandait à la cour de confirmer dans sa totalité le jugement entrepris et de débouter M. [E] [Z] de ses prétentions tant sur le fondement contractuel que sur le fondement délictuel et, en tout état de cause :

' le condamner à lui payer la somme de 3'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' le condamner aux entiers dépens de la procédure avec distraction au profit de Me'Frédéric Perrier membre du cabinet Denarier Buttin Perrier Gaudin, avocat.

Au soutien de ses prétentions, la société Maaf Vie exposait essentiellement que :

- au titre de la responsabilité contractuelle

' sa responsabilité contractuelle ne pouvait être recherchée ;

' lors de la modification de son contrat d'assurance vie par M. [U] [Z], l'article A 132-9 du code des assurances n'existait pas ;

' elle avait rempli son devoir de conseil envers M. [U] [Z] concernant la rédaction de sa clause bénéficiaire et que ce dernier, par son courrier du 20 octobre 1997, en avait accepté la mention «à défaut mes héritiers» en fin de clause, n'ayant émis aucune réserve à la réception du courrier du 26 février 1998 ;

' conformément à l'article L132-25 du code des assurances, le règlement qu'elle avait effectué au regard des éléments en sa possession était libératoire ;

- à titre subsidiaire

' M. [E] [Z] n'avait pas procédé à la réintégration des sommes relatives aux soldes des comptes bancaires de son père, [W], livret bleu et PEL à hauteur d'une somme de 67'883,30'euros ;

' elle avait versé à bon droit 50% à chaque enfant de la quotepart revenant à Mme [O] épouse [Z] prédécédée, le contrat d'assurance vie ne relevant pas de la succession,

' les sommes dues au titre des réintégrations n'étaient pas la conséquence d'une quelconque erreur de la Maaf vie mais du manque de diligences de M.'[E] [Z] ;

' [E] [Z] ne rapportait pas la preuve d'un préjudice moral en violation de l'article 9 du code de procédure civile.

Une ordonnance en date du 12 septembre 2022 clôturait l'instruction de la procédure et l'affaire était renvoyée à l'audience du 11 octobre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

MOTIFS ET DÉCISION :

I -sur l'action en responsabilité contractuelle engagée par M. [E] [Z]

M. [E] [Z] fait valoir qu'il peut engager la responsabilité contractuelle de la société Maaf Vie dès lors que le contrat d'assurance-vie est une stipulation pour autrui qui permet au tiers bénéficiaire d'avoir un droit direct contre la compagnie d'assurance, sans avoir été partie au contrat, ajoutant que le tiers bénéficiaire est créancier de l'obligation de l'assureur dès sa désignation dans le contrat

La société Maaf Vie soutient que M. [E] [Z] n'ayant pas été partie au contrat, il ne dispose d'aucune action sur le fondement de la responsabilité contractuelle à son encontre.

Sur ce,

Comme l'a justement souligné le premier juge, l'assurance vie constitue une stipulation pour autrui. Une telle stipulation permet au tiers bénéficiaire, bien que non partie au contrat liant l'assureur au stipulant (assuré), d'agir en responsabilité contractuelle contre l'assureur pour réclamer l'exécution de ses obligations ou en cas de dommage du à une inexécution de ses obligations à son égard. En revanche, le tiers bénéficiaire d'une stipulation pour autrui telle que l'assurance vie n'a pas la qualité pour engager une action en responsabilité contractuelle à raison d'un manquement du promettant à l'égard du stipulant telle que le non respect d'une obligation d'information et de conseil.

En effet, lorsqu'un héritier invoque un manquement contractuel commis par un tiers envers le défunt, il peut exercer l'action successorale résultant de l'article 724 du code civil pour obtenir, au bénéfice de la succession, l'indemnisation du préjudice subi par le défunt. Il peut aussi demander la réparation du dommage que lui cause un manquement contractuel commis contre le défunt en se prévalant de la règle jurisprudentielle (cour de cassation, assemblée plénière 6 octobre 2006 pourvoi 05-13.255; cass plénière 13 janvier 2020 n° 17-19.963), au visa des articles 1165 et 1382, devenu 1240, du code civil, selon laquelle « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».

Ainsi, il est fait une distinction entre l'action exercée par l'héritier en qualité d'ayant cause de son auteur, qui tend à réparer, au bénéfice de la succession, l'atteinte faite au patrimoine du défunt, et l'action exercée par l'héritier en tant qu'ayant droit de son auteur, et qui tend à réparer un préjudice, dit « par ricochet », que cet héritier subit personnellement.

En l'espèce, M. [E] [Z] n'agit pas au bénéfice de la succession sur le fondement de l'article 724 du code civil pour un préjudice que son père aurait subi mais il agit en son nom propre pour un préjudice qu'il invoque pour lui-même en raison d'une faute alléguée de la part de la société Maaf Vie commise dans le cadre du contrat d'assurance vis à vis de son père, [U] [Z] et dont il est tiers bénéficiaire.

En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a débouté M. [E] [Z] de ses demandes formées à l'encontre de la société Maaf Vie sur un fondement contractuel.

II - Sur l'action en responsabilité délictuelle

1 - sur la recevabilité de l'action en responsabilité délictuelle

M. [E] [Z] invoque devant la cour la responsabilité de la société Maaf Vie sur un fondement délictuel. Il allégue une faute de la société Maaf Vie qui a rédigé elle-même la clause bénéficiaire, alors qu'elle aurait dû inviter [U] [Z] à la compléter lui -même, faute qui lui a causé un préjudice financier direct.

La société Maaf Vie ne s'est pas prononcée sur ce fondement de responsabilité.

Sur ce,

Aux termes de la jurisprudence (nota cass 15-6-2022 pourvoi n°1925750), Il résulte de l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et de l'article 1382, devenu 1240, de ce code que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. Un héritier ne peut agir sur ce fondement en invoquant un manquement contractuel commis envers son auteur qu'en réparation d'un préjudice qui lui est personnel., mais ne constitue pas un préjudice personnel subi par l'héritier celui qui aurait pu être effacé, du vivant de son auteur, par une action en indemnisation exercée par ce dernier ou qui peut l'être, après son décès, par une action exercée au profit de la succession en application de l'article 724 du code

En l'espèce, comme déjà motivé, M. [E] [Z] agit en son nom pour un préjudice subi personnellement causé selon lui par un manquement de la société Maaf Vie dans l'exécution du contrat d'assurance vie que son père avait souscrit et dont il est l'un des bénéficiaires.

L'action de M. [E] [Z] sur le fondement de la responsabilité délictuelle est donc recevable.

En vertu de l'article 1382, applicable en l'espèce, devenu 1240 du code civil, 'Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence'. Il appartient au demandeur d'établir l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité direct entre la faute et le préjudice.

2 - sur l'existence d'une faute

M. [E] [Z] soutient que la société Maaf Vie a commis une faute en ajoutant la mention 'ou ses héritiers' d'initiative sur la clause bénéficiaire du contrat d'assurance vie souscrit par son père lors de la modification des bénéficiaires apportée par ce dernier le 19 janvier 1998 et n'ayant pas attiré l'attention de ce dernier sur cet ajout

Sur ce,

Même si l'article L132-8 du code des assurance ne l'exprime pas formellement, il est de principe que seul le souscripteur peut désigner le bénéficiaire ou les bénéficiaires de son contrat d'assurance vie, il s'agit d'un droit personnel. Et selon cet article dans son dernier alinéa dans sa version applicable au moment de la modification litigieuse en 1998, 'en l'absence de désignation d'un bénéficiaire dans la police ou à défaut d'acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu'avec l'accord de l'assuré, lorsque celui-ci n'est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d'avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l'article 1690 du code civil, soit par endossement quand la police est à ordre, soit par voie testamentaire'. L'exercice de ce droit de substitution ou d'ajout n'est soumis à aucune règle de forme et il suffit que la modification exprime de façon certaine et non équivoque la volonté du stipulant.

L'examen des deux modifications des bénéficiaires faites par [U] [Z] après la soucription de son contrat d'assurance en 1982, modifications intervenues le 17 septembre 1997 et le 19 janvier 1998 ne comportaient pas de clause subsidiaire désignant les bénéficiaires en cas de prédécès d'un des bénéficiaires principaux. Lorsque la société Maaf Vie a reçu la seconde modification en janvier 1998, elle a enregistré cette modification et a envoyé le 26 février 1998 à son assuré un courrier lui indiquant que la nouvelle clause bénéficiaire de sa souscription référencée avait été enregistrée comme suit (suivant alors la part affectée à chacun des bénéficiaires et le nom de ces derniers) mais sous la liste de tous les bénéficiaires, il était rajouté la mention 'A défaut mes héritiers', outre la mention ' si toutefois cette rédaction n'est pas conforme à votre souhait, nous pourrons bien entendu la modifier sur simple demande écritre de votre part'. La société Maaf Vie ne conteste pas avoir rajouté cette mention. Or, il n'appartenait pas à la société Maaf Vie de rajouter une mention de bénéficiaire, puisque 'les héritiers' sont des bénéficiaires. Elle aurait dû si elle estimait que son assuré n'était pas suffisament informé attirer son attention en cas de prédécés d'un bénéficiaire désigné et en tout état de cause, elle n'aurait pas dû se contenter d'une simple phrase indiquant à l'assuré qu'il pouvait modifier la clause par demande écrite s'il n'était pas satisfait. En effet, la mention rajoutée n'est pas distincte par sa dactylographie de la liste des bénéficiaires désignés et il n'est pas indiqué le rajout de cette mention de sorte que [U] [Z] n'a pas eu son attention d'attirer. Il appartenait à [U] [Z] et à lui seul de désigner ses héritiers en cas de prédécès d'un bénéficiaire de sorte que le rajout par la société Maaf Vie de cette mention caractèrise sa faute.

En revanche, il ne peut être reproché à la société Maaf Vie un manquement à son devoir de conseil sur la désignation des bénéficiaires. Si en effet, [U] [Z] était soucieux de connaître le régime fiscal des fonds placés sur son assurance vie comme le démontre son courrier en date du 6 mars 1995, auquel la compagnie d'assurance avait répondu par courrier du 4 avril 1995, il n'appartenait pas ensuite à la société Maaf Vie de s'imiscer dans la désignation des bénéficiaires par [U] [Z] et de lui conseiller de désigner d'autres personnes en cas de prédécès, d'autant que [U] [Z] avait pris soin au fur et à mesure des événements de sa vie de modifier sa clause bénéficiaire et d'organiser sa succession.

3 - sur le préjudice et le lien de causalité

Le rajout par la société Maaf Vie de la mention litigieuse, alors qu'elle n'était pas le résultat de la volonté exprimée par [U] [Z] a conduit logiquement l'administration fiscale à écarter cette désignation, de sorte que la part revenant initialement à l'épouse de [U] [Z] prédécédée, au lieu de pouvoir rester hors succession comme tel aurait été le cas si la clause 'à défaut mes héritiers' avait été rajoutée par [U] [Z] et ce sans être imposée au titre des frais de succession, a été réintégrée dans l'actif de la succession et a généré une imposition.

Il est de principe que le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'un redressement fiscal ne constitue pas un dommage indemnisable et que le préjudice ne peut découler du seul paiement auquel un contribuable est légalement tenu.(1re Civ., 29 mai 1996, pourvoi no 94-16.505 ; 4 novembre 2003, pourvoi no 00-21.044 ; 1er mars 2005, pourvoi no 03-19.775 ; 15 mars 2005, pourvoi no 03-19.989).Cependant, il en va différemment dès lors que la faute commise par le débiteur de l'obligation a exposé celui qui a subi le prejudice au paiement de l'impôt rappelé.

M. [E] [Z] sollicite au titre de son préjudice les sommes suivantes :

- 16 451,61 euros correspondant à la différence entre sa part successorale et la part reçue ;

- 5 738 euros au titre des intérêts ;

- 13 161,20 euros au titre de la fiscalité due au titre du redressement ;

- 3 527,30 euros au titre des intérêts de retard dus au titre du redressement.

- 3 000 euros au titre de son préjudice moral.

' sur la différence entre la part successorale et la part reçue et les intérêts

En vertu du testament authentique rédigé par son père le 19 mars 1998, M. [E] [Z] était l'unique bénéficiaire de ses biens de sorte qu'il devait percevoir deux tiers de la part de l'épouse prédécèdée au titre de l'assurance vie et non la moitié. Il est exact que la société Maaf Vie a versé la moitié de cette part à chacun des deux héritiers, mais elle ignorait, contrairement, à ce que soutient M. [E] [Z], qu'il existait un testament. En effet, elle a réglé la somme qu'elle pensait revenir à M. [E] [Z] le 22 janvier 2008 et n'a été avertie qu'ultérieurement manifestement par l'administration fiscale tel que cela ressort du courrier du notaire chargé de la succession en date du 25 octobre 2013. Cependant, M. [E] [Z] ne produit pas l'acte de partage de l'actif de la succession et ne justifie pas la raison pour laquelle, la part perçue en trop par l'autre héritier n'aurait pas été traitée comme un avoir venant en déduction de sa part dans le partage. En conséquence, M. [E] [Z] sera débouté de sa demande à ce titre, ainsi que de sa demande d'intérêts en cas de placement de la dite somme, étant ajouté pour cette demande que la production d'intérêts d'un tiers quasiment de la somme placée d'un montant limité à 16 451 euros n'est absolument pas justifiée par la seule production de la pièce 8 de M. [E] [Z] soit un tableau de rendement annuel d'un fonds garanti en Euros entre 1977 et 2017.

' sur la fiscalité

Si la société Maaf Vie n'avait pas rajoutée de son propre chef la mention 'à défaut mes autres héritiers', la part de l'épouse prédécédée aurait d'office été considérée comme un actif de succession. En conséquence, la seule faute retenue contre la société Maaf Vie n'est pas à l'origine du paiement de cet impôt.

' sur les intérêts de retard dus au redressement

La faute commise par la société Maaf Vie n'a pas permis à M. [E] [Z] de savoir immédiatement que la part de l'assurance vie de l'épouse prédécédée de son père serait considérée comme un actif de la succession, de sorte qu'il n'a pas pu la déclarer comme actif de la succession.

Au vu de la réponse aux observations du contribuable en date du 9 janvier 2014 émanant de l'administration fiscale, M. [E] [Z] ne produisant pas l'avis de redressement initial, il ressort que les intérêts de retard dus en application de l'article 1727 du code général des impôts s'élèvent à la somme de 9 556 euros. Cette somme correspond à plusieurs absences de déclarations dans l'actif de la sucession. En effet, les sommes non déclarées s'élevaient à 269 225,46 euros dont 98 709,65 euros pour la part de l'épouse prédécédée de [U] [Z] dans l'assurance vie souscrite auprès de la société Maaf Vie. Les droits dus par M. [E] [Z] au titre de la rectification se sont élevés à 35 655,60 euros sur une quote-part taxable de 160 880 euros. La quote part de l'assurance vie lui revenant (65 806 euros) représente environ 41 % du montant pris en compte pour la rectification ce qui aboutirait à une part dans les intérêts de 3 917 euros, de sorte que M. [E] [Z] sollicitant la somme de 3 527,30 euros, la société Maaf Vie sera condamnée à lui payer cette somme.

' sur le préjudice moral

M. [E] [Z] a incontestablement subi à titre personnel un préjudice moral lié au fait qu'il a subi un redressement fiscal sur la part de l'épouse précédée de son père au titre de l'assurance vie souscrite auprès de la société Maaf Vie directement en lien avec la faute commise par la compagnie d'assurance. Ce préjudice demeure cependant modéré puisque le redressement concerne également d'autres sommes.

En conséquence, son préjudice moral sera évalué à la somme de 1 000 euros, somme au paiement de laquelle la société Maaf Vie sera dès lors condamnée.

III - Sur les demandes accessoires

La société Maaf Vie qui succombe sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel distraits au profit de Me Branche, avocate, sur son affirmation de droit, étant précisé que les dépens de première instance resteront à la charge de M. [E] [Z].

L'équité commande de faire droit à la demande d'indemnité procédurale en appel de M. [E] [Z] à hauteur de 2 500 euros, le jugement étant confirmé sur le débouté de la demande d'indemnité procédurale en première instance. M. [E] [Z] n'a fait aucune demande dans le dispositif de ses écritures concernant sa condamnation au paiement en première instance de l'indemnité procédurale au profit de la société Maaf Vie, disposition du jugement qui sera dès lors confirmée.

La demande d'indemnité procédurale de la société Maaf Vie en appel sera rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris, lequel a statué sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en toutes ses dispositions,

Y ajoutant, sur le fondement de la responsabilité délictuelle,

Condamne la société Maaf Vie à payer à M. [E] [Z] la somme de 4 527,30 euros au titre du préjudice subi soit 3 527,30 euros au titre des intérêts de retard et 1 000 euros au titre du préjudice moral,

Déboute M. [E] [Z] du surplus de sa demande de condamnation principale,

Condamne la société Maaf Vie à payer à M. [E] [Z] la somme de 2 500 euros au titre de l'indemnité procédurale,

Déboute la société Maaf Vie de sa demande d'indemnité procédurale,

Condamne la société Maaf Vie aux dépens de l'instance d'appel distraits au profit de Me Anne-Marie Branche, avocate sur son affirmation de droit,

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le

à

Me Anne-Marie BRANCHE

la SCP CABINET DENARIE BUTTIN PERRIER GAUDIN

Copie exécutoire délivrée le

à

Me Anne-Marie BRANCHE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/01224
Date de la décision : 13/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-13;20.01224 ?
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