La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/03/2023 | FRANCE | N°21/00777

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 23 mars 2023, 21/00777


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 23 Mars 2023



N° RG 21/00777 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GVQC



Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 11 Février 2021, RG 17/00841



Appelante



S.A. AXA FRANCE IARD, dont le siège social est sis [Adresse 7] prise en la personne de son représentant légal



Représentée par la SELARL LEGI RHONE-ALPES avocat au barreau d'ANNECY



Intimés

<

br>
M. [O] [U]

né le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 12], demeurant [Adresse 9]



Représenté par Me Michel FILLARD, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Jean-Pierre B...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 23 Mars 2023

N° RG 21/00777 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GVQC

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 11 Février 2021, RG 17/00841

Appelante

S.A. AXA FRANCE IARD, dont le siège social est sis [Adresse 7] prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SELARL LEGI RHONE-ALPES avocat au barreau d'ANNECY

Intimés

M. [O] [U]

né le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 12], demeurant [Adresse 9]

Représenté par Me Michel FILLARD, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Jean-Pierre BOZON, avocat plaidant au barreau d'ANNECY

****

M. [B] [S]

né le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 10], demeurant [Adresse 3]

M. [J] [Z]

né le [Date naissance 1] 1990 à [Localité 11], demeurant [Adresse 8]

Représentés par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Jean Claude FABBIAN, avocat plaidant au barreau d'ANNECY

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE SA VOIE ayant donné délégation à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la LOIRE, située [Adresse 6], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège sis [Adresse 4]

Représentée par la SELARL TRAVERSO-TREQUATRINI ET ASSOCIES, avocat au barreau d'ANNECY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 24 janvier 2023 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Alors qu'il était employé au sein du restaurant 'Le Chalet', situé [Adresse 13], Monsieur [O] [U] a été blessé le 7 juin 2014 en étant projeté, par deux salariés du même établissement, depuis le quai dans la rivière traversant la vieille ville.

Consécutivement, Monsieur [U] a été admis au service des urgences du centre hospitalier d'[Localité 10] pour des lésions orthopédiques d'importance.

Cet accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle par la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie.

Déclaré inapte à la reprise de son activité professionnelle à l'issue de sa convalescence, Monsieur [U] a été licencié le 25 février 2016.

Par ordonnance du 27 juillet 2015, confirmée par arrêt du 26 avril 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Annecy a fait droit à la demande d'expertise présentée par Monsieur [U]. Désigné à cet effet, le Docteur [M] a déposé son rapport le 7 septembre 2016.

Postérieurement, par exploit du 31 mai 2017, Monsieur [U] a fait assigner ses ex-collègues, Messieurs [B] [S] et [J] [Z], ainsi que la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie devant le tribunal de grande instance en vue d'obtenir l'indemnisation de son préjudice.

Par acte du 13 juin 2018, Monsieur [Z] a appelé en cause la SA Axa France Iard afin d'être relevé et garanti de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre.

Les instances ont été jointes par ordonnance du juge de la mise en état.

Par jugement du 11 février 2021, le tribunal judiciaire d'Annecy a, entre autres dispositions :

- déclaré le jugement commun et opposable à la Caisse primaire d'assurance maladie et à la SA Axa France Iard,

- condamné in solidum Messieurs [S] et [Z] à verser à Monsieur [U] la somme de 225 487,50 euros,

- condamné in solidum Messieurs [S] et [Z] à rembourser à la Caisse primaire d'assurance maladie la somme de 34 256,19 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

- condamné in solidum Messieurs [S] et [Z] à verser, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les sommes de :

2 500 euros à Monsieur [U],

1 000 euros à la Caisse primaire d'assurance maladie,

- condamné in solidum Messieurs [S] et [Z] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise du Docteur [M], avec distraction au profit de Maître Beauquis,

- condamné la SA Axa France Iard à relever et garantir Monsieur [Z] des condamnations prononcées à son encontre,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par acte du 8 avril 2021, la SA Axa France Iard a interjeté appel de la décision.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 janvier 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SA Axa France Iard demande à la cour de :

- réformer la décision déférée,

- débouter Monsieur [U] de son appel incident,

- débouter Messieurs [S] et [Z] de leur appel incident,

- statuer ce que de droit sur l'appel incident de la Caisse primaire d'assurance maladie,

A titre principal,

- constater qu'elle garantit la responsabilité civile de Monsieur [Z] pour tous les dommages causés à un tiers dans le cadre de la vie privée,

- constater que l'accident s'est produit dans le cadre professionnel,

- constater que Monsieur [Z] a volontairement jeté Monsieur [U] dans le Thiou alors qu'il ne pouvait ignorer le dommage qui en est résulté,

Par conséquent,

- dire et arrêter que sa garantie n'est pas applicable,

- dire et arrêter que Monsieur [Z] a commis une faute intentionnelle,

- dire et arrêter que sa garantie n'est pas acquise,

- la mettre hors de cause,

A titre subsidiaire,

- constater que Monsieur [U] a accepté d'être jeté dans le Thiou,

- dire et arrêter que Monsieur [U] a commis une faute qui a concouru à la production du dommage à hauteur de 50%,

- limiter son droit à indemnisation à hauteur de 50% du préjudice total,

- fixer les préjudices de la manière suivante :

- dire que le préjudice moral est déjà indemnisé au titre de la liquidation des préjudices,

- rejeter la demande au titre du préjudice moral,

- rejeter toutes autres demandes, fins ou conclusions contraires,

- enjoindre à Monsieur [S] d'avoir à produire son contrat d'assurance vie privée au besoin sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 1er août 2021,

- condamner Monsieur [Z] ou tout autre succombant, au besoin in solidum, à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le même ou tout autre succombant, au besoin in solidum, aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Schreiber.

En réplique, dans leurs conclusions adressées par voie électronique le 6 janvier 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Messieurs [S] et [Z] demandent à la cour de :

A titre principal, réformant la décision entreprise,

- dire et juger que, en qualité de préposés de la Sarl 'Le Chalet', n'ont pas commis de faute intentionnelle au sens de l'article L.452-5 du code de la sécurité sociale susceptible d'engager leur responsabilité personnelle complémentaire,

- débouter Monsieur [U] de toutes ses demandes et des fins de son appel incident,

Subsidiairement,

- réduire dans de très notables proportions les demandes formulées et les condamnations prononcées en :

rejetant en l'état celle relative au déficit fonctionnel temporaire,

ramenant à la somme de 500 euros celle relative au préjudice esthétique temporaire,

ramenant à la somme de 3 000 euros celle relative aux souffrances endurées,

ramenant au maximum à la somme de 7 500 euros celle relative aux pertes de gain professionnel et d'incidence professionnelle, et constater que les sommes perdues allégées sont envisageables selon une perte de chance de 10%,

- constater que Monsieur [U] a commis une faute conduisant à réduire son droit à réparation à hauteur de 50%,

Au visa des dispositions contractuelles liant Monsieur [Z] à la SA Axa France Iard, comme à celui des dispositions des articles 1134 ancien et suivants du code civil,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SA Axa France Iard à le relever et garantir de toutes condamnations susceptible d'être prononcées à son encontre du chef du préjudice subi par Monsieur [U] au titre du sinistre du 7 juin 2014,

- débouter la SA Axa France Iard de sa demande tendant à entendre Monsieur [S] être condamné à lui rembourser 50% des dommages et intérêts alloués à Monsieur [U],

- statuer ce qu'il appartiendra sur les dépens avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELURL Bollonjeon.

Dans ses conclusions adressées par voie électronique le 24 décembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Monsieur [U] demande pour sa part de :

I - sur l'appel principal de la SA Axa France Iard

Sans s'arrêter aux moyens et défenses de la SA Axa France Iard, si ce n'est pour les écarter et les rejeter,

A - dire et constater que la SA Axa France Iard reste hors d'état de démontrer :

que l'accident causé à [Localité 10] le 07/06/2014 par son assuré, Monsieur [Z] -en concours avec Monsieur [S]- et lui ayant provoqué des dommages corporels, physiques et personnels, se soit emplacé dans un cadre professionnel, dès lors qu'il résulte des circonstances établies et certaines qu'il s'est déroulé après la fin de leur temps de travail et hors le lieu d'exécution de leur prestation de travail, de telle sorte que son assuré ne se trouvait plus alors - comme les deux autres protagonistes - dans leur lien de subordination avec leur employeur,

que les agissements de son assuré en cette circonstance aient été accomplis avec l'intention avérée et la pleine conscience qu'ils allaient inéluctablement provoquer des lésions et des dommages physiques de nature à affecter l'intégrité corporelle de la victime,

Par voie de conséquence,

1. dire et juger de plus fort que la SA Axa France Iard est infondée à opposer à son assuré sa non-garantie et écarter chacun de ses moyens, de telle sorte que doit sortir son plein et entier effet le contrat d'assurance en responsabilité civile vie privée souscrit auprès d'elle par Monsieur [Z], et dont l'objet était de couvrir les actes de sa vie privée,

2. dire et juger la SA Axa France Iard tenue de lui délivrer sa garantie et donc à le relever et garantir de toutes condamnations déjà mises à sa charge par le jugement entrepris, et encore par l'arrêt à intervenir,

3. dire et juger y avoir lieu à confirmation du jugement rendu le 11/02/2021 en ce qu'il a condamné la SA Axa France Iard à relever et garantir son assuré, Monsieur [Z], du montant des condamnations déjà fixées,

4. dire et juger y avoir lieu de confirmer ledit jugement tant sur le principe de l'entière responsabilité de celui-ci - conjointement et solidairement avec Monsieur [S] - qu'en ce qui concerne la condamnation prononcée contre la SA Axa France Iard à le relever et garantir de ces dernières,

5. dire et juger y avoir lieu de condamner Monsieur [Z] solidairement avec la SA Axa France Iard au paiement des indemnités ci-après détaillées,

B - dire et constater que la SA Axa France Iard est hors d'état de rapporter les preuves objectives et déterminantes d'une acceptation par lui à son enlèvement puis à sa projection - de force - dans le lit de la rivière Thiou coulant dans la vieille ville d'[Localité 10],

- dire et constater qu'il en résulte qu'elle n'établit donc pas une quelconque participation de sa part à la réalisation de cet accident, ni à celle de ses préjudices,

Par voie de conséquence,

1. dire et juger de plus fort la SA Axa France Iard sans fondement - en fait comme en droit - à se prévaloir d'un comportement fautif de sa part, qui l'aurait conduit à 'concourir à la production de son dommage à hauteur de 50 %',

2. dire et juger que c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté cet unique moyen visant à la réduction de la moitié de son droit à indemnisation, et y avoir donc lieu à confirmation intégrale de leur jugement sur ce point,

II - sur son appel incident

A - dire et juger qu'il peut se prévaloir d'une impossibilité objective de se réinsérer professionnellement :

1. dire et juger qu'il ressort des éléments établis et certains du dossier que les faits ont engendré comme conséquences directement imputables :

une déclaration d'inaptitude médicalement constatée à la reprise de son emploi antérieur,

puis, et à raison de celle-ci, la rupture de son contrat de travail à durée indéterminée le liant - de longue date - à son employeur,

2. dire et juger que l'expert judiciaire, le Docteur [M], a vérifié la réalité et l'étendue de ses atteintes physiques et confirmé que ses séquelles permanentes ne permettaient pas le retour à son poste de travail et obéraient gravement la reprise d'une quelconque activité permanente qui puisse être compatible avec ses séquelles affectant irréversiblement son membre inférieur gauche, et empêchant la station debout prolongée ainsi que tout piétinement, et imposant au surplus des changements fréquents de position,

3. dire et juger qu'eu égard à son âge lors des faits (43 ans) et à son âge actuel (50 ans), il n'a pas pu réaliser une réinsertion ou une reconversion professionnelle,

Par voie de conséquence,

1. dire et juger de plus fort comme hautement improbable toute perspective de retravailler, de telle sorte que sa perte de chance a été et demeure entière,

2. réformer sur ce point le jugement en ce qu'il a limité à 40% son droit à réparation, qu'on prie la cour de lui reconnaître donc en son intégralité,

B - dire et juger que les réclamations qu'il présentent au titre de chacun de ses préjudices physiques et personnels étaient - et demeurent - conformes tant aux conclusions expertales du Docteur [M] qu'aux évaluations habituellement retenues judiciairement en situation comparable,

Par voie de conséquence,

1. le recevoir en son appel incident visant à la réformation partielle du jugement en ce qu'il les a soit diminuées, soit écartées,

2. dire et juger y avoir lieu à réformation partielle du jugement à cet égard, et condamner in solidum Messieurs [Z] et [S] à lui payer, avec intérêts de droit, les sommes de :

- 3 413 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 1 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

- 8 000 euros au titre des souffrances endurées,

- 545 107,20 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs,

- 35 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

- 5 000 euros au titre du préjudice moral.

3. dire et juger la SA Axa France Iard tenue solidairement avec Monsieur [Z] des condamnations en principal, intérêts et accessoires prononcées contre son assuré,

C - ajoutant au jugement déféré,

- dire et juger y avoir lieu à condamnation de Messieurs [Z] et [S], et la SA Axa France Iard dans les mêmes conditions de solidarité, à lui payer la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile - en sus donc des 2 500 euros déjà alloués à ce titre - ainsi qu'aux entiers dépens des deux instances, en ce compris les frais d'expertise générés par l'intervention du Docteur [M], et ce avec distraction en ce qui concerne ceux d'appel au profit de Maître Fillard par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Enfin, par conclusions adressées par voie électronique le 5 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la Caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, ayant reçu délégation de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande formée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,

Statuant à nouveau,

- condamner in solidum Messieurs [S] et [Z] ainsi que la SA Axa France Iard au paiement de la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,

- condamner in solidum Messieurs [S] et [Z] ainsi que la SA Axa France Iard au paiement des sommes dont la Caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, ayant reçu délégation de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, sera tenue de faire l'avance,

En tout état de cause,

- condamner in solidum Messieurs [S] et [Z] ainsi que la SA Axa France Iard au paiement de tous les dépens de première instance et d'appel en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile dont distraction au profit de la SELARL Traverso - Trequattrini et associés.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le principe de responsabilité et la garantie de la SA Axa France Iard

Selon l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

L'article L.454-1 alinéa 1er du même code ajoute que si la lésion dont est atteint l'assuré social est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre.

L'article L.452-5 alinéa 1 précise encore que si l'accident est dû à la faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre.

Conformément à l'article 1382 du code civil, recodifié à droit constant sous l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il en résulte que l'accident du travail, s'il est établi, est pris en charge selon les règles du droit de la sécurité sociale, l'assuré social demeurant toutefois recevable à revendiquer envers l'auteur de l'accident l'indemnisation d'un préjudice non-intégralement réparé en application des dispositions du code de la sécurité sociale si la lésion dont il est atteint est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés ou encore si le dommage résulte d'une faute intentionnelle de l'employeur ou de ses préposés.

Il est en l'espèce établi Monsieur [U] a subi différentes blessures suite à une chute dans le Thiou, le 7 juin 2014, lesquelles ont été prises en charge, de façon non-contestée par l'employeur et le salarié, par la Caisse primaire d'assurance maladie au titre d'un accident du travail.

Les gérants de la SARL 'Le Chalet', témoins directs du fait ayant généré le dommage, attestent communément qu'au jour précité, 'à 22h30, à la fin du service, deux cuisiniers [Z] [J] et [S] [B], ont attrapé Monsieur [U] qui se trouvait en pâtisserie et l'ont jeté dans le Thiou'.

Ce témoignage est complété par une attestation de clients, certifiant 'avoir été présents le 7 juin 2014 au restaurant Le Chalet et [avoir] constaté que les deux cuisiniers [J] [Z] et [B] [S], après avoir fini leur service, à 10h30, sont sortis du vestiaire et ont directement attrapé [O] [U] pour le jeter dans le canal en face du restaurant [avant de] partir directement'.

Il se déduit ainsi du récit de ces faits, qui n'est complété par aucune autre attestation de témoin direct, aucun procès-verbal d'enquête de police ni aucune image de vidéo-protection ou séquence filmée par un témoin, que :

- Monsieur [U] se trouvait à son poste de travail lorsqu'il a été 'attrapé' par deux collègues,

- Messieurs [Z] et [S], salariés du même établissement, avaient terminé leur service et s'étaient manifestement changés au vestiaire duquel ils sortaient lorsqu'ils ont décidé de jeter à l'eau leur collègue,

- il n'est pas établi que les gérants de la SARL 'Le Chalet' aient participé, encouragé ou encore commandité l'action de Messieurs [Z] et [S] lesquels avaient préalablement quitté leur poste de travail et sont ensuite repartis du bord du Thiou sans repasser par leur lieu de travail,

- la volonté de Monsieur [U] de participer à l'action ayant provoqué le dommage n'est étayée par aucun élément tangible, à l'exception d'une attestation du père de Monsieur [Z] lequel relate différents éléments de contexte, plus de 5 ans après l'accident, sans préciser s'il les a personnellement constatés ou s'il s'agit d'éléments portés à sa connaissance par son fils.

En conséquence, force est de constater que Messieurs [Z] et [S], qui ne contestent pas que leur comportement soit à l'origine du dommage subi par la victime, n'étaient plus sous la direction de leur employeur et n'avaient plus la qualité de préposé au moment où ils ont projeté Monsieur [U] dans le Thiou, de sorte que ce dernier est recevable à solliciter contre eux l'indemnisation d'un préjudice non-intégralement réparé en application des dispositions de l'article L.454-1 du code de la sécurité sociale.

Plus avant, quoique la volonté d'agir de Messieurs [Z] et [S] soit manifeste, aucun élément de l'espèce ne permet de corroborer le fait qu'ils auraient agi par malveillance et avec l'intention de provoquer les lésions subies par Monsieur [U] de sorte qu'aucune faute intentionnelle n'est caractérisée, le dommage résultant en l'espèce d'une faute d'imprudence distincte de celle prévue à l'article L.113-1 alinéa 2 du code des assurances.

La participation de Monsieur [U] à son propre dommage n'est étayée par aucun élément factuel et ne saurait être retenue par la cour, et ce quand bien même une attestation du père de Monsieur [Z], dont l'objectivité ne peut qu'être relativisée, laisse à entendre que la victime aurait consenti au 'jeu' ou bizutage provoqué par son fils et Monsieur [S].

Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu l'entière responsabilité de Monsieur [Z] et de Monsieur [S] pour l'indemnisation de préjudice non-intégralement réparé en application des dispositions du code de la sécurité sociale ainsi que l'indemnisation des débours de la Caisse, puis la garantie de la société Axa France Iard en qualité d'assureur responsabilité civile de Monsieur [Z].

Enfin, la cour dit n'y avoir lieu à enjoindre à Monsieur [S] de produire son contrat d'assurance vie privée dans la mesure où, à supposer qu'une telle garantie ait été souscrite par lui au jour du sinistre, ce dernier demeure libre de ne pas appeler en garantie son assureur dans le cadre du procès en responsabilité qui lui est intenté.

Sur la réparation du dommage

Sur la créance de la Caisse

Il est justifié par la Caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, ayant reçu délégation de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, des débours suivants :

frais médicaux : 3 051,99 euros

frais pharmaceutiques : 217,81 euros

frais futurs : 2 027,21 euros

pertes de gains professionnels actuels : 27 008,80 euros

pertes de gains professionnels futurs : 1 950,38 euros

soit total 34 256,19 euros

L'engagement ou le bienfondé des dépenses susvisées n'est adversairement pas contesté. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné in solidum Messieurs [Z] et [S] à rembourser à l'organisme de protection sociale la somme de 34 256,19 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, puis en ce qu'il a condamné la SA Axa France Iard à relever et garantir Monsieur [Z] des condamnations prononcées à son encontre.

Sur les demandes présentées par Monsieur [U]

au titre du déficit fonctionnel temporaire,

Le déficit fonctionnel temporaire s'entend du préjudice résultant de l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle jusqu'à sa consolidation et correspondant notamment à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante durant cette période.

Dans son rapport, l'expert a conclu à :

- un déficit fonctionnel temporaire total du 7 au 8 juin 2014,

- un déficit partiel à hauteur de 50% du 9 juin au 8 septembre 2014,

- un déficit partiel à hauteur de 25% du 9 au 23 septembre 2014 ,

- un déficit partiel à hauteur de 15% du 24 septembre 2014 au 30 novembre 2015.

Il s'en déduit que :

- le déficit fonctionnel temporaire total doit être indemnisé sur la base de 2 jours,

- le déficit fonctionnel temporaire partiel (50%) doit être indemnisé sur la base de 2 mois et 30 jours,

- le déficit fonctionnel temporaire partiel (25%) doit être indemnisé sur la base de 15 jours,

- le déficit fonctionnel temporaire partiel (15%) doit être indemnisé sur la base de 24 mois et 7 jours.

Sur la base visée par l'expert, en retenant une indemnité forfaitaire de 750 euros par mois ou 25 euros par jour, il convient de fixer l'indemnisation du :

- déficit fonctionnel temporaire total à (2x25) 50 euros,

- déficit fonctionnel temporaire partiel (50%) à (2x750x50%+30x25x50%) 1 125 euros,

- déficit fonctionnel temporaire partiel (25%) à (15x25x25%) 93,75 euros,

- déficit fonctionnel temporaire partiel (15%) à (14x750x15%+7x25x15%) 1 601,25 euros.

En conséquence, il y a lieu d'évaluer le préjudice de Monsieur [U] à la somme de 2 870 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire.

au titre du préjudice esthétique temporaire

Le préjudice esthétique temporaire s'entend de l'altération physique subie depuis la date du fait générateur jusqu'à la date de consolidation (arrêtée au 30 novembre 2015 le concernant).

L'expert a évalué le préjudice esthétique temporaire à 1/7 en limitant la période de ce préjudice à celle résultant de l'immobilisation plâtrée avec béquillage sans appui et sevrage progressif d'aide technique à la marche soit du 7 juin au 23 septembre 2014.

En valorisant à 500 euros le montant de l'indemnisation, les premiers juges ont fait une exacte appréciation des faits de l'espèce. Cette évaluation sera donc confirmée à hauteur d'appel.

au titre des souffrances endurées

Les souffrances endurées sont constituées par toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime du jour de l'accident à la date de consolidation.

Dans ses conclusions, l'expert retient des souffrances en lien avec les lésions et leur traitement ainsi que la rééducation de longue durée. Ce préjudice est évalué à 2,5/7 par l'expert.

Il convient en conséquence de fixer à 2 500 euros le montant de ce poste de préjudice.

au titre du préjudice moral

Le préjudice moral s'entend du préjudice lié à la souffrance, aux atteintes à la considération ou au respect de la vie privée subi par une personne du fait d'un tiers.

Dans le cadre de la présente décision, Monsieur [U] a déjà sollicité l'indemnisation des souffrances qu'il a endurées consécutivement à l'accident du 7 juin 2014.

En outre, Monsieur [U] sollicite une somme complémentaire de 5 000 euros au titre de son préjudice moral. Il ne justifie toutefois d'aucun préjudice distinct de celui déjà évalué au titre des souffrances endurées et du déficit fonctionnel.

Aussi, en l'absence de préjudice spécifique, il y a lieu de constater que le préjudice moral allégué a déjà été indemnisé. En conséquence, il sera débouté de cette demande, un même préjudice ne pouvant être indemnisé sous couvert de deux qualifications différentes.

au titre de la perte de gains professionnels futurs

Les pertes de gains professionnels futurs s'entendent des pertes de revenus éprouvées par la victime du fait de son dommage à compter de la date de consolidation, fixée au 30 novembre 2015.

Il est acquis, d'une part, que Monsieur [U], âgé de 43 ans au jour de l'accident, a toujours exercé dans le secteur de la restauration et, d'autre part, que l'expert a retenu une inaptitude définitive de ce dernier à l'exercice de sa profession antérieure. Cette appréciation s'avère concordante avec celle de la médecine du travail ayant conclu comme suit : 'inapte au poste ; pas de piétinement, pas de position debout prolongée. Serait apte à un poste sans manutention et avec alternance de positions assise et débout'.

Il s'évince toutefois de la lettre de licenciement de Monsieur [U], non-contesté par ce dernier, qu'une solution de reclassement, à salaire équivalent, avait été identifiée au sein du même établissement (SARL Le Chalet) par l'employeur suite à l'avis d'inaptitude de la médecine du travail. Le courrier du 25 février 2016 indique ainsi :

'après examen [des recommandations] et après avoir sollicité l'avis du médecin du travail, nous vous avons proposé un poste de barman par courrier recommandé avec demande d'avis de réception en date du 19 janvier 2016. Ce poste consistait en :

- la préparation des consommations apéritives et des boissons chaudes (café, thé, tisane...),

- l'installation des verres sales dans le lave-verres puis rangement des verres propres à la fin du cycle de lavage sans essuyage préalable (les verres doivent être accrochés au dessus du bar).

Ce poste n'imposait aucun déplacement en cuisine, en salle ou en terrasse. Nous vous précisions, par ailleurs, que vous auriez la possibilité de vous asseoir derrière le bar sur un tabouret haut.

Vous n'avez pas jugé utile de donner suite à ce courrier.

Lors de l'entretien préalable en date du 22 février 2016, vous nous avez indiqué que vous refusiez le poste proposé car vous ne souhaitiez pas retravailler dans l'immédiat.

Nous vous confirmons que nous ne sommes pas en mesure de vous soumettre d'autres propositions.

[...] Compte tenu de votre inaptitude médicale à exercer votre poste de travail et compte tenu de l'impossibilité de vous reclasser dans l'entreprise, nous nous voyons dans l'obligation de vous licencier.

Nous estimons que votre refus du poste de reclassement proposé est abusif dans la mesure où cette affectation était compatible avec votre état de santé (car validée par le médecin du travail) et ne s'accompagnait d'aucun changement de qualification ni de rémunération'.

Il en résulte qu'une solution de reclassement, au sein du même établissement, sans changement de qualification ni de rémunération, avait été proposée à Monsieur [U] qui n'a pas souhaité donner suite à la proposition susvisée alors-même qu'il ne peut exciper d'un changement significatif de conditions ou de contexte de travail.

Aussi, la cour retient que la baisse de rémunération post consolidation, telle qu'alléguée par Monsieur [U], ne résulte pas directement de l'accident qu'il a subi le 7 juin 2014, mais de son licenciement, non-contesté par lui, suite à son refus de reclassement.

En conséquence, Monsieur [U] sera débouté de la demande formulée de ce chef.

au titre de l'incidence professionnelle

L'indemnisation du préjudice relatif à l'incidence professionnelle vise à valoriser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle et notamment l'augmentation de la pénibilité du travail voire la nécessité pour la victime de changer de poste ou de profession.

En l'espèce, il a été rappelé par l'expert, conformément aux préconisations de la médecine du travail, que Monsieur [U] a été déclaré inapte à reprendre les fonctions qui étaient les siennes au jour de l'accident.

Sans qu'il soit établi que l'accident ait impliqué un changement de profession le concernant, il est manifeste que la proposition de reclassement susvisée se faisait sur un poste différent de celui qu'il exerçait le 7 juin 2014.

Aussi, l'existence d'une incidence professionnelle est avérée.

Monsieur [U] ne justifiant toutefois pas, malgré son expérience dans la profession, d'une réelle perte de chance dans les perspectives d'évolution qui s'offraient à lui, son préjudice doit être limité, en vue d'une réparation intégrale, à la somme de 7 500 euros.

*

In fine, le préjudice de Monsieur [U] doit être fixé à la somme de 13 370,70 euros. En conséquence, Messieurs [Z] et [S] sont condamnés, in solidum, à lui verser cette somme, avec intérêts au légal à compter de la présente décision.

La SA Axa France Iard est pour sa part condamnée à relever et garantir Monsieur [Z] des condamnations prononcées à son encontre.

Sur les demandes annexes

Monsieur [U] et la SA Axa France Iard, qui succombent en principal à hauteur d'appel, sont condamnés in solidum aux dépens dont distraction au profit de la SELARL Traverso - Trequattrini et associés et de la SELURL Bollonjeon s'agissant des frais dont elles ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

Messieurs [Z] et [S] puis la SA Axa France Iard sont en outre condamnés, in solidum, à verser les sommes de 1 080 euros à la Caisse primaire d'assurance maladie au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

En équité, la cour dit n'y avoir lieu à condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné in solidum Monsieur [B] [S] et Monsieur [J] [Z] à verser à Monsieur [O] [U] la somme de 225 487,50 euros et en ce qu'il a rejeté la demande présentée par la Caisse primaire d'assurance maladie au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum Monsieur [B] [S] et Monsieur [J] [Z] à verser à Monsieur [O] [U] la somme de 13 370 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel suite l'accident dont il a été victime le 7 juin 2014, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Rappelle que le jugement déféré a condamné la SA Axa France Iard à relever et garantir Monsieur [J] [Z] des condamnations prononcées à son encontre,

Condamne in solidum Monsieur [B] [S] et Monsieur [J] [Z] à verser la somme de 1 080 euros la Caisse primaire d'assurance maladie au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,

Y ajoutant,

Condamne in solidum Monsieur [O] [U] et la SA Axa France Iard aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL Traverso - Trequattrini et associés et de la SELURL Bollonjeon s'agissant des frais dont elles ont fait l'avance sans avoir reçu provision,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi prononcé publiquement le 23 mars 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/00777
Date de la décision : 23/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-23;21.00777 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award