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06/04/2023 | FRANCE | N°21/00918

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 06 avril 2023, 21/00918


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 06 Avril 2023



N° RG 21/00918 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GWAZ



Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 08 Avril 2021, RG 19/00778



Appelant



M. [M] [T]

né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 11], demeurant [Adresse 3]



Représenté par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL JEAN RENE

BRIANT, avocat plaidant au barreau de MONTPELLIER





Intimés



FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES FGAO, dont le siège social est [Adresse ...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 06 Avril 2023

N° RG 21/00918 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GWAZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 08 Avril 2021, RG 19/00778

Appelant

M. [M] [T]

né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 11], demeurant [Adresse 3]

Représenté par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL JEAN RENE BRIANT, avocat plaidant au barreau de MONTPELLIER

Intimés

FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES FGAO, dont le siège social est [Adresse 6], pris en sa délégation sise [Adresse 9]

pris en la personne de son représentant légal

Représenté par Me Anne CAMBET, avocat au barreau de CHAMBERY

* * * * *

M. [R] [B]

né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 7], dont la dernière adresse connue est [Adresse 5]

sans avocat constitué

La SUVA, dont le siège social est sis [Adresse 8] (SUISSE) - prise en la personne de son représentant légal

sans avocat constitué

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 07 février 2023 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 5 décembre 2012, M. [M] [T] circulait au guidon de son scooter et remontait par la gauche une file de voitures à l'arrêt devant une barrière de voie ferrée. Il a été percuté par le véhicule conduit par M. [R] [B] qui n'a pas respecté un signal de priorité, en l'espèce un panneau 'cédez le passage'.

M. [M] [T] a été sérieusement blessé dans l'accident souffrant notamment d'un traumatisme des deux genoux et d'un traumatisme crânien.

Il a été opéré le 8 décembre 2012, (avec ostéosynthèse -3 broches- et haubanage de la rotule droite). L'ablation des agrafes cutanées a été réalisée à 14 jours plus tard.

M. [M] [T] a suivi de nombreuses séances de rééducation fonctionnelle de son genou droit entre le 21 décembre 2012 et le 1er juillet 2013. Le 18 octobre 2013, le matériel d'ostéoynthèse a été retiré sous anesthésie générale. Néanmoins la flexion du genou n'a pas été récupérée en totalité s'étant stabilisée à 80° avec des blocages mécaniques et des douleurs quotidiennes.

Le 11 décembre 2013, une IRM du genou droit a retrouvé une consolidation de la fracture de la rotule, mais aussi une chondropathie de stade IV de la facette rotulienne externe avec un oedème osseux diffus du condyle fémoral externe et une patella inféra avec remanements fibrotiques séquellaires postopératoires des tendons extenseurs du genou.

Ces complications ont nécessité une nouvelle hospitalisation du 15 au 25 avril 2014 avec intervention chirurgicale lourde du genou droit réalisée le 15 avril 2014.

Entre le 26 avril et le 24 octobre 2014, M. [M] [T] a bénéficié de 74 séances de rééducation fonctionnelle du genou droit. Cette opération a été suivie de nombreuses séances de rééducation fonctionnelle avant une hospitalisation en rééducation du 19 novembre au 3 décembre 2014 à la clinique [10] en Suisse.

Un compte-rendu d'hospitalisation en réadaptation fonctionnelle a précisé les limitations fonctionnelles de M. [M] [T]. Ce dernier ne peut plus :

- avoir une station debout et prolongée,

- avoir une station assise prolongée,

- s'accroupir,

- se mettre à genou,

- marcher au delà de 30 minutes,

- marcher sur terrain irrégulier,

- prendre des escaliers,

- monter à une échelle,

- porter de charges.

M. [M] [T] a bénéficié d'un suivi psychologique hebdomadaire auprès de Mme [L] [D], psychologue de la fonction publique hospitalière. Le 10 novembre 2015, dans le cadre d'un avis sapiteur psychiatrique, le docteur [S] a examiné M. [M] [T] et a relevé des souffrances psychiques massives et persistantes.

Le véhicule de M. [R] [B] n'étant pas assuré, M. [M] [T] a sollicité l'intervention du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (ci-après FGAO). Celui-ci a fait diligenter quatre expertises successives pour évaluer le dommage corporel tenant compte de ce que les complications médicales intervenues retardaient la consolidation des blessures.

Le 18 novembre 2016, l'expertise définitive a été réalisée par le docteur [P], expert désigné par le FGAO, qui a fixé la consolidation des blessures de M. [M] [T] au 5 juillet 2016.

Le FGAO a versé à M. [M] [T] une somme totale de 167 500 euros à titre provisionnel. Toutefois, la victime n'a pas accepté l'offre d'indemnisation présentée le 24 avril 2019 en raison notamment de la limitation du droit à indemnisation qui lui a été opposée.

Par actes des 15 et 19 février 2019, M. [M] [T] a assigné M. [R] [B], le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages et la SUVA aux fins notamment de voir :

- dire juger que son droit à indemnisation est entier,

- condamner M. [R] [B] à l'indemniser à hauteur de 1 730 083,01 euros,

- déclarer le jugement à intervenir opposable au fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages.

Par jugement réputé contradictoire du 8 avril 2021, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :

- dit que le droit à indemnisation de M. [M] [T] est entier,

- fixé les préjudices de Monsieur [M] [T] comme suit :

préjudices patrimoniaux temporaires :

pertes de gains professionnels actuels (PGPA) 52 403,29 euros

assistance tierce personne temporaire 4 410 euros

préjudices patrimoniaux permanents :

assistance tierce personne viagère 7 788,25 euros

pertes de gains professionnels futurs 270 732,98 euros

PGPF arrérages échus 151 951 euros

incidence professionnelle 50 000 euros

frais divers 3 797 euros

préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

déficit fonctionnel temporaire (total et partiel) 10 681,25 euros

souffrances endurées 20 000 euros

préjudices extrapatrimoniaux permanents :

déficit fonctionnel permanent 51 520 euros

préjudice d'agrément 18 000 euros

préjudice esthétique permanent 5 000 euros

préjudice sexuel 8 000 euros

dont à déduire les provisions versées d'un montant de 167 500 euros,

- déclaré le jugement opposable au fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages,

- condamné M. [R] [B] à verser à M. [M] [T] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [R] [B] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 28 avril 2021, M. [M] [T] a interjeté appel du jugement.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 21 juillet 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Monsieur [T] demande à la cour de :

- accueillir son appel

- le déclarer recevable en la forme et justifié au fond,

en conséquence,

- confirmer le jugement du 8 avril 2021 en toutes ses dispositions non contraires à l'appel,

- infirmer le jugement en ses chefs de disposition auxquels l'appel est strictement limité,

- fixer les pertes de gains professionnels futurs à la somme de 1 923 439 euros, déduction faite des prestations versées par la suva (223 891 euros),

- dire et juger que l'incidence professionnelle sera indemnisée à la somme de 120 000 euros,

- évaluer l'assistance par tierce personne temporaire à 5 292 euros et viagère à 42 233.10 euros,

- déclarer l'arrêt à intervenir opposable au fonds de garantie des assurances obligatoires,

- condamner M. [R] [B] au versement de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur les dépens de l'instance.

En réplique, dans ses conclusions adressées par voie électronique le 15 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 08 avril 2021,

- déduire des sommes revenant à M. [M] [T] les provisions déjà versées pour un total de 167 500 euros,

- déclarer le jugement à intervenir opposable au fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages,

- statuer ce qu'il appartiendra sur les dépens.

La déclaration d'appel et les conclusions de M. [M] [T] ont été signifiées à M. [R] [B] par actes du 18 juin 2021 et du 4 août 2021 transformés en procès-verbal de recherches infructueuses.

La déclaration d'appel et les conclusions de M. [M] [T] ont été notifiées à la SUVA par actes du 18 juin 2021 et du 5 août 2021.

La SUVA et M. [R] [B] n'ont pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2023

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire la cour relève que M. [M] [T] ne remet en question en cause d'appel que les postes de préjudice suivants : perte de gains professionnels futurs (échus et à échoir), incidence professionnelle et l'aide par tierce personne (avant et après consolidation). Pour sa part le FGAO sollicite la confirmation du jugement.

1.Sur l'aide par tierce personne temporaire

M. [M] [T] critique la décision entreprise sur le coût horaire qu'elle a retenu (15 euros). Il sollicite, s'agissant d'une aide humaine active, qu'elle soit calculée sur la base d'un taux de 18 euros de l'heure. Il ajoute qu'il importe peu que l'aide soit apportée par son entourage et non par des professionnels. Il demande en conséquence la liquidation de ce poste de préjudice à hauteur de 5 292 euros (7 h x 42 semaines x 18 euros).

Le FGAO demande pour sa part la confirmation du taux horaire à 15 euros et l'allocation de la somme de 4 410 euros (7h x 42 semaines x 15 euros).

Le rapport d'expertise (pièce appelant n°1) précise que M. [M] [T] a eu besoin d'une aide humaine temporaire pendant 'les périodes de classe III', soit du 14 décembre 2012 au 14 mars 2013, du 19 octobre 2013 au 14 avril 2014 et du 26 avril 2014 au 18 mai 2014, soit en tout 42 semaines. M. [M] [T] ne prétend pas avoir eu recours à une entreprise ou à une personne extérieure et ne produit aucune facture. L'expert ne spécifie nullement qu'une aide spécialisée est nécessaire en l'espèce de sorte que le coût horaire doit être apprécié tant en semaine que le week-end sur la base d'un coût moyen de [(18 euros x 5 jours + 22 euros x 2 jours) / 7] 19,14 euros. Dans la mesure où M. [M] [T] sollicite un coût horaire de 18 euros, il convient de faire droit à se demande et de fixer le montant de l'indemnisation du préjudice d'aide par tierce personne avant consolidation à la somme de 5 292 euros (7 h x 42 semaines x 18 euros). Le jugement sera réformé en ce sens.

2. Sur l'aide par tierce personne post-consolidation

M. [M] [T] conteste et le nombre d'heures (15 heures par an) et le taux horaire (15 euros) retenu par le tribunal. Il estime le coût à 21 euros en précisant que l'aide est nécessairement une aide spécialisée et professionnelle. Il dit ensuite qu'en raison de son âge (48 ans), du fait qu'il est père de trois enfants et du fait qu'il présente des séquelles orthopédiques notables ses besoins en aide humaine doivent être fixés à 4 heures par mois. Il sollicite ainsi une indemnité de 6 552 euros, arrêtée au 5 juillet 2022 pour l'aide échue et une indemnité de 35 681,10 euros pour l'aide à échoir.

Le FGAO estime pour sa part que l'expertise a bien mentionné qu'il s'agissait d'une aide pour certains actes occasionnels (monter à une échelle, monter des meubles, effectuer des déménagements) et non d'une aide pour les besoins de la vie quotidienne. Il dit que c'est à bon droit que le tribunal a retenu le taux de 15 heures par an proposé par l'expert et le taux horaire de 15 euros.

La cour observe que l'expert conclut clairement au fait que M. [M] [T] 'est indépendant pour les tâches de la vie quotidienne (AVQ), les déplacements intérieurs et extérieurs et l'accueil de ses enfants en garde alternée. Il ne fait pas appel à une aide humaine tout ou partiellement pour la réalisation de ces activités'. L'expert ajoute que les séquelles orthopédiques notables qu'il présente peuvent justifier une aide humaine de 15 heures par an pour 'certains travaux lourds ponctuels et plus rares'.

Or, pas plus en appel qu'en première instance, M. [M] [T] n'apporte d'éléments de nature à contredire les conclusions de l'expert sur ce point et à montrer qu'il lui est indispensable de bénéficier d'une aide humaine à une fréquence plus élevée.

La décision déférée sera donc confirmée sur le quantum de 15 heures d'aide par an.

En revanche, il convient de retenir le taux horaire 19,14 euros, tel qu'arrêté ci-dessus, l'aide n'étant manifestement pas spécialisée. Il en résulte que :

- s'agissant de l'aide par tierce personne post-consolidation échue (de la consolidation à la date du présent arrêt), il convient de retenir une période de 6 ans et 8 mois soit 100 heures La somme allouée à M. [M] [T] sera de 1 914 euros ;

- s'agissant de l'aide par tierce personne post consolidation à échoir, il convient d'apprécier la base de l'euro rente viagère tel que défini par le barème de la Gazette du Palais 2022. M. [M] [T] est âgé de 53 ans au jour du présent arrêt. L'euro de rente pour un homme de 50 ans est fixé au taux 0 à 31,211. L'indemnité soit en conséquence être fixée à la somme de 8 960,68 euros (31,211 x 287,10 euros).

En conséquence, l'indemnité totale due au titre de l'aide par tierce personne post-consolidation s'élève à 10 874,68 euros. Le jugement déféré sera réformé en ce sens.

3. Sur la perte de gains professionnels futurs

M. [M] [T] expose qu'au moment de l'accident il travaillait à temps complet depuis le 21 septembre 2010 pour l'entreprise de nettoyage et de maintenance 'Cleaning service', en Suisse, sur la base d'un CDI en qualité de nettoyeur pour la société Rolex et pour un revenu annuel net de 55 600 CHF (50 383 euros annuel ou 4 198,58 euros mensuel). Il indique qu'à la suite de l'accident, il a été licencié pour inaptitude professionnelle avec effet au 31 mai 2015. Il dit être, depuis, resté sans emploi en raison non seulement des séquelles physiques, mais encore des séquelles psychologiques. Il précise qu'il convient de ne pas s'arrêter à une évaluation strictement médicale du dommage et estime, à rebours de l'expertise, que son employabilité est nulle. Il s'inscrit donc en faux par rapport à la décision entreprise qui a retenu une possibilité de salaire au moins égale au SMIC. Il demande à la cour de l'indemniser en rente viagère, sur la base de son revenu de référence actualisé à la somme de 55 600 euros par an. Il dit enfin qu'il conviendra de déduire de la somme la créance définitive de la SUVA (223 891 euros de rente capitalisée).

Le FGAO s'appuie sur le rapport d'expertise qui précise que l'état séquélaire de M. [M] [T] n'est pas incompatible avec la reprise d'une activité sédentaire quelconque ou d'une autre activité avec aménagement. Il ajoute que l'intéressé avait envisagé, avec son employeur, une reconversion dans l'horlogerie qui, si elle n'a pas encore aboutie, pourrait être conduite à terme dans l'avenir. Il ajoute que l'intéressé a ainsi suivi un stage de 3 semaine en 2014 en étant évalué notamment sur un atelier de montage mécanique par assemblage de petites pièces. Quant aux séquelles psychologiques, le FGAO précise qu'elles ont été prises en compte dans le taux de déficit fonctionnel permanent.

La cour rappelle que le poste de pertes de gains professionnels futurs correspond à la perte ou à la diminution des revenus consécutive à l'incapacité permanente à compter de la date de consolidation.

En l'espèce l'accident a eu lieu le 5 décembre 2012. M. [M] [T] a été considéré comme consolidé à la date du 5 juillet 2016. Le taux de déficit fonctionnel permanent a été fixé à 23 % et n'est pas contesté. L'expert a noté sur le plan physiologique que 'les séquelles actuelles ne permettent pas la station debout, ni le piétinement prolongé, ni la marche rapide, ni le port de charges de plus de 5 kg. La station assise prolongée sans pause étant également très gênée au delà d'une demi-heure'. Par ailleurs il a été relevé, sur le plan psychologique 'un état de stress post-traumatique imputable au sinistre étudié et un état dépressif réactionnel à l'altération de ses capacités physiques'. Il a encore été noté qu'en 2015 la psychologue clinicienne qui le suivait de manière hebdomadaire a relevé que 'le syndrome de stress post-traumatique dont il, souffre l'empêche de maintenir un lien social et touche ainsi sa capacité à travailler' et qu'il est 'très déprimé' et également 'quotidiennement immobilisé par de graves crises d'angoisse'. Elle ajoute enfin que 'les atteintes seront durables et sans doute irrémédiables'.

Il est constant en jurisprudence que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable du dommage, tenu d'en réparer toutes les conséquences. En l'espèce tant l'état physique que l'état psychologique de M. [M] [T] rendent particulièrement incertain sa possibilité de trouver un nouvel emploi. Il convient notamment de relever que, au-delà de la posture debout et du piétinement, même la station assise est très limitée dans le temps. Il n'est, par ailleurs, pas contesté, que la victime n'a pas encore retrouvé d'emploi. En conséquence, il convient d'indemniser la perte de gains professionnels futurs sur la base d'un euro de rente à titre viager. Le calcul se fera sur la base du barème Gazette du palais 2022 permettant de prendre en compte tant la perte des revenus en eux-mêmes que celle des droits à la retraite.

M. [M] [T] ne verse aucune pièce de nature à démontrer l'étendue de ses revenus avant l'accident. Il produit son contrat de travail (pièce n°3) pour une entrée en fonction le 1er novembre 2010, une durée hebdomadaire de travail de 44 heures et un salaire horaire brut de '23 CHF +8,3% vac'. Cela représente un salaire mensuel brut de 4 383 CHF ([44 x4] x 23 = 4 048 ; 4 0148 x 8,3% = 335 ; 335 + 4 048 = 4 383). L'employeur de M. [M] [T] atteste (pièce 4) que si l'intéressé avait pu exercer une activité complète en 2013, il aurait perçu un revenu net annuel avant impôt de 55 600 CHF mais qu'il n'a perçu que 48 280,25 CHF. Il atteste de même (pièce 4b), que, pour l'année 2014, il a perçu 50 015,45 CHF net mensuel au lieu de 55 600 et, en 2015, 24 982 CHF net mensuel au lieu de 55 600 CHF. Il ressort encore du jugement entrepris et des écritures de l'intéressé que le revenu annuel de référence de 55 600 CHF soit 50 383 euros a fait l'objet d'un accord entre M. [M] [T] et le FGAO. Toutefois, la victime sollicite aujourd'hui l'actualisation de ce revenu en fonction de l'inflation portant le montant d'un revenu de 50 383 euros en 2012 à un montant actualisé en 2022 de 55 600 euros (inflation cumulée de 10,4 % en 10 ans). La cour constate que l'évolution de l'inflation entre janvier 2012 et janvier 2022 est bien d'un taux de 10,4%.

En ce qui concerne les arrérages échus (de la date de consolidation à la date du présent arrêt soit le 6 avril 2023, soit une période de 6 ans et 9 mois), l'indemnisation de la perte des gains professionnels futurs est évaluée à la somme de (55 600 x 6 = 333 600)+ ([55 600 /12] x 9 = 41 700) = 375 300 euros.

En ce qui concerne l'indemnisation à échoir, il convient de noter que M. [M] [T] est âgé de 50 ans au moment de la liquidation comme né le [Date naissance 4] 1973. Selon le barème de la Gazette du palais 2022, l'euro de rente viager pour un homme de 50 ans est égal à 31,211. En conséquence l'indemnisation à ce titre est de 1 735 331,60 euros (55 600 x 31,211).

Le poste de la perte des gains professionnels doit donc être fixé à la somme totale de 2 110 631,60 euros. Doit venir en déduction de cette somme la créance définitive de la SUVA (prestations futures capitalisées) qui s'élève à 239 397 CHF soit, au taux de change de actuel, 243 947 euros.

Ainsi la somme revenant à M. [M] [T] du chef de la perte de gains professionnels futurs est de 1 866 684,60 euros. Le jugement déféré sera réformé en ce sens.

4. Sur l'incidence professionnelle

L'incidence professionnelle correspond aux séquelles qui limitent les possibilités ou rendent l'activité professionnelle antérieure plus fatigante ou plus pénible. Il s'agit donc d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à l'obligation de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap. Est également indemnisé à ce titre le risque de perte d'emploi qui pèse sur une personne atteinte d'un handicap, la perte de chance de bénéficier d'une promotion, la perte de gains espérés à l'issue d'une formation scolaire ou professionnelle, les frais nécessaires à un retour de la victime à la vie professionnelle.

M. [M] [T] reproche au tribunal de n'avoir retenu, pour l'indemniser de ce chef de préjudice à hauteur de 50 000 euros, que la dévalorisation sur le marché du travail. Il estime qu'il est nécessaire de prendre également en compte les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle (perte violente de son travail, incapacité à se réinsérer, exclusion sociale, privation de la possibilité d'épanouissement professionnel). Il évalue son préjudice à 120 000 euros.

Le FGAO précise, quant à lui, que la victime ne peut à la fois se faire indemniser sur la perte définitive de l'employabilité et sur l'incidence professionnelle. Il estime que la somme de 50 000 euros allouée par le tribunal est correcte.

La cour observe que l'accident a entraîné une incidence importante quant à la dévalorisation de M. [M] [T] sur le marché du travail, dans la mesure où le retour à un emploi est particulièrement compromis. La perte financière et des droits à la retraite ainsi créée a été indemnisée au titre de la perte des gains professionnels futurs. Pour les autres atteintes à la sphère professionnelle (perte de vie sociale, perte de chance de s'épanouir dans le travail), il convient de noter que le préjudice a correctement et entièrement été réparé par l'allocation d'une somme de 50 000 euros. La décision déférée sera confirmée sur ce point.

5. Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, M. [R] [B] qui succombe sera tenu aux dépens d'appel.

Il n'est pas inéquitable de faire supporter par M. [R] [B] partie des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés par M. [M] [T] en appel Il sera condamné à verser à M. [M] [T] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour note enfin que le FGAO étant partie à la présente procédure, le présent arrêt lui est nécessairement opposable.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision par défaut,

Sur les seuls chefs de jugements critiqués à hauteur d'appel :

Réforme partiellement le jugement déféré,

Statuant à nouveau pour plus de clarté,

Fixe l'assiette du préjudice de M. [M] [T] au titre de la perte de gains professionnels futurs à la somme de 2 110 631,60 euros,

Dit que l'indemnisation due à M. [M] [T] au titre de la perte de gains professionnels futurs, déduction faite des débours définitifs de la SUVA, est de 1 866 684,60 euros,

Fixe l'assiette du préjudice de M. [M] [T] du chef de l'aide par tierce personne avant consolidation à la somme de 5 292 euros,

Fixe l'assiette du préjudice de M. [M] [T] du chef de l'aide par tierce personne après consolidation à la somme de 10 874,68 euros,

Fixe l'assiette du préjudice de M. [M] [T] au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 50 000 euros,

Condamne M. [R] [B] à payer à M. [M] [T] la somme de 3 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Condamne M. [R] [B] aux dépens d'appel,

Ainsi prononcé publiquement le 06 avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/00918
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;21.00918 ?
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