COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 06 Avril 2023
N° RG 21/01593 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GYRC
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 03 Juin 2021, RG 16/02111
Appelante
Mme [G], [M] [E]
née le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 4] - PORTUGAL, demeurant [Adresse 1]
Représentée par la SCP MAX JOLY ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHAMBERY
Intimée
Mme [L] [P] épouse [O], demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Olivier FERNEX DE MONGEX, avocat au barreau de CHAMBERY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 07 février 2023 par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller, avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
- Mme Elsa LAVERGNE, Conseillère, Secrétaire Générale,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Se prévalant d'un contrat de prêt consenti à Mme [G] [E] en juin 2007 pour l'achat d'un véhicule destiné à son activité professionnelle de taxi, Mme [L] [P] épouse [O] a déposé une requête en injonction de payer la somme de 24.528 euros devant le tribunal de grande instance de Chambéry le 13 septembre 2016.
Par ordonnance du 28 septembre 2016, Mme [E] a été condamnée à payer la somme de 24.528 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter de la date de la décision. Cette ordonnance a été signifiée à Mme [E] par acte du 2 novembre 2016.
Par déclaration du 25 novembre 2016, Mme [E] a formé opposition à cette ordonnance.
Devant le tribunal, Mme [O] a maintenu sa demande en paiement du principal et a sollicité, en outre, le paiement de dommages et intérêts et d'une indemnité procédurale.
Mme [E] s'est opposée aux demandes en soulevant l'irrecevabilité des demandes, sur le fondement du défaut de qualité, et sur celui de prescription de l'action.
Par jugement contradictoire rendu le 3 juin 2021, le tribunal judiciaire de Chambéry a :
reçu l'opposition formée par Mme [E] à l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 28 septembre 2016 à la requête de Mme [O],
substitué le jugement à l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 28 septembre 2016,
rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut du droit d'agir soulevée par Mme [E],
déclaré irrecevable comme étant prescrite la demande en paiement pour les échéances de la dette antérieures au 31 décembre 2010,
déclaré recevable l'action en paiement exercée par Mme [O] pour les échéances de prêt postérieures au 31 décembre 2010,
condamné Mme [E] à payer à Mme [O] la somme de 12.000 euros assortie du taux légal à compter du 13 septembre 2016, date de dépôt de la requête,
rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Mme [O],
condamné Mme [E] à payer à Mme [O] la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté Mme [E] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné Mme [E] aux entiers dépens,
ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration du 28 juillet 2021, Mme [E] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions notifiées le 27 octobre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, Mme [E] demande en dernier lieu à la cour de :
A titre principal, vu les articles 32 et 122 du code de procédure civile,
dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par Mme [E] à l'encontre du jugement déféré,
confirmer ledit jugement en ses dispositions ayant :
- reçu l'opposition formée par Mme [E] à l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 28 septembre 2016 à la requête de Mme [O],
- substitué le jugement à cette ordonnance,
- déclaré comme étant prescrite la demande en paiement pour les échéances de la dette antérieures au 31 décembre 2010,
- rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Mme [O],
réformer le jugement déféré en ses dispositions ayant:
- rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut du droit d'agir soulevée par Mme [E],
- déclaré recevable l'action en paiement exercée par Mme [O] pour les échéances de prêt postérieures au 31 décembre 2010,
- condamné Mme [E] à payer à Mme [O] la somme de 12.000 euros assortie du taux légal à compter du 13 septembre 2016, date de dépôt de la requête,
- condamné Mme [E] à payer à Mme [O] la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [E] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [E] aux entiers dépens,
Et statuant à nouveau,
dire et juger que les entreprises individuelles de Mme [E] et M. [O] ont cessé toute activité ensuite de la création par les intéressés de la société Ariane transports dont ils sont devenus co-gérants et à laquelle ils ont apporté les éléments d'actif et de passif de leurs fonds artisanaux,
dire et juger que Mme [O] devait initier son action en paiement à l'encontre de la société Ariane transports,
dire et Juger irrecevable car émise contre une personne dépourvue du droit d'agir l'action de Mme [O] à l'égard de Mme [E],
débouter Mme [O] de l'intégralité de ses demandes,
condamner Mme [O] à payer à Mme [E] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Subsidiairement,
Vu les articles 122 du Code de Procédure Civile et L 110-4 du Code de commerce,
dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par Mme [E],
confirmer le jugement déféré en ses dispositions ayant :
- reçu l'opposition formée par Mme [E] à l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 28 septembre 2016 à la requête de Mme [O],
- substitué le jugement à cette ordonnance,
- déclaré comme étant prescrite la demande en paiement pour les échéances de la dette antérieures au 31 décembre 2010,
- rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Mme [O],
réformer le jugement déféré en ses dispositions ayant:
- déclaré recevable l'action en paiement exercée par Mme [O] pour les échéances de prêt postérieures au 31 décembre 2010,
- condamné Mme [E] à payer à Mme [O] la somme de 12.000 euros assortie du taux légal à compter du 13 septembre 2016, date de dépôt de la requête,
- condamné Mme [E] à payer à Mme [O] la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [E] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [E] aux entiers dépens,
Et statuant à nouveau,
dire et juger que Mme [O] a initié son action en paiement plus de cinq années après le 1er septembre 2011, date, qui selon sa propre analyse, constituait le point de départ du délai de 5 ans fixé à l'article 2224 du code civil,
dire et juger irrecevable car prescrite l'action de Mme [O] à l'égard de Mme [E],
débouter Mme [O] de l'intégralité de ses demandes,
condamner Mme [O] à payer à Mme [E] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Très Subsidiairement,
Vu les articles 122 du code de procédure civile,
Vu l'article L 110-4 du code de commerce,
Vu l'article 1134 du code civil en ses dispositions antérieures à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016,
dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par Mme [E],
confirmer le jugement déféré en ses dispositions ayant :
- reçu l'opposition formée par Mme [E] à l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 28 septembre 2016 à la requête de Mme [O],
- substitué le jugement à cette ordonnance,
- déclaré comme étant prescrite la demande en paiement pour les échéances de la dette antérieures au 31 décembre 2010,
- rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Mme [O],
réformer le jugement déféré en ses dispositions ayant:
- déclaré recevable l'action en paiement exercée par Mme [O] pour les échéances de prêt postérieures au 31 décembre 2010,
- condamné Mme [E] à payer à Mme [O] la somme de 12.000 euros assortie du taux légal à compter du 13 septembre 2016, date de dépôt de la requête,
- condamné Mme [E] à payer à Mme [O] la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [E] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [E] aux entiers dépens,
Et statuant à nouveau,
dire et juger irrecevable comme étant prescrite la demande en paiement pour les échéances de la dette antérieures au 2 novembre 2011,
dire et juger recevable l'action en paiement exercée par Mme [O] pour l'unique échéance due au 30 juin 2012,
dire et juger que Mme [O] est mal fondée à solliciter la condamnation de Mme [E] au paiement d'une somme ayant exclusivement bénéficié à M. [O], fils de Mme [O] alors qu'il a toujours été convenu entre les parties que la somme objet du contrat de prêt devait être affectée à l'achat d'un véhicule pour l'activité professionnelle et l'usage exclusif de M. [O] à une date où il était le compagnon de Mme [E] dont il allait également devenir l'associé au sein de la société Ariane transports dont il exercera la cogérance après apport des éléments d'actif et de passif de leur entreprise individuelle,
débouter Mme [O] de l'intégralité de ses demandes,
condamner Mme [O] à payer à Mme [E] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Mme [O] a constitué avocat devant la cour mais n'a pas conclu.
L'affaire a été clôturée à la date du 9 janvier 2023 et renvoyée à l'audience du 7 février 2023, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 6 avril 2023.
MOTIFS ET DÉCISION
Mme [O] n'ayant pas conclu devant la cour, elle est réputée demander la confirmation du jugement et s'en approprier les motifs, conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité
En application de l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
Mme [E] ne conteste pas l'existence du contrat de prêt, mais soutient que le véritable bénéficiaire et débiteur serait la société Ariane transports, de sorte que l'action serait mal dirigée.
Toutefois, c'est à juste titre et par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal, qui a constaté que la déclaration de prêt avait été faite au nom de Mme [E], personne physique, a retenu que le défaut de qualité allégué n'est pas établi.
En effet, Mme [E] indique dans ses conclusions d'appel que «les pièces versées aux débats en première instance par la demanderesse ont confirmé que la somme procédant du prêt litigieux avait été employée pour l'achat d'un véhicule de marque MERCEDES qui a été immatriculé le 11 septembre 2007 au nom de l'entreprise individuelle de Madame [E]», ce qui confirme l'analyse du premier juge.
L'existence d'un éventuel contrat de location de ce même véhicule au profit d'une entreprise individuelle au nom de M. [O], au demeurant non établie, n'a pas pour effet de rendre ce dernier, ou sa société, débiteurs de ce prêt.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
Mme [E] soutient que l'action en paiement de Mme [O] serait prescrite pour avoir été engagée plus de cinq ans après le mois d'août 2011, date de fixation du montant de sa créance. A tout le moins, elle soutient que seule la dernière échéance n'est pas prescrite.
C'est encore par des motifs pertinents que la cour adopte, et qui ne sont pas utilement contestés par Mme [E] qui n'apporte aucun élément nouveau, que le tribunal, qui a examiné les pièces produites par les parties, a retenu que le prêt avait été consenti pour un montant de 30.000 euros le 6 juin 2007, remboursable en 5 échéances annuelles de 6.000 euros chacune, la première en 2008 et la dernière en 2012, de sorte que la prescription invoquée devait s'apprécier pour chacune des échéances.
En effet, la date du mois d'août 2011 avancée par l'appelante correspond exclusivement à la date du grand livre comptable de son entreprise sur lequel le prêt apparaît, mais, en l'absence de déchéance du terme convenue ou prononcée par le prêteur, cette date ne peut constituer le point de départ de l'action en paiement. Il s'agit en effet seulement pour Mme [O], qui a produit cette pièce devant le tribunal, de rapporter la preuve de la réalité du prêt.
Par ailleurs, c'est à juste titre que le tribunal a retenu que le premier acte interruptif de prescription est la signification de l'ordonnance d'injonction de payer délivrée à Mme [E] le 2 novembre 2016, de sorte que toutes les sommes échues antérieurement au 2 novembre 2011 sont prescrites, conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil.
Il est constant que le contrat de prêt ne précise pas expressément la date de paiement des échéances annuelles. Le tribunal a retenu qu'il convenait de fixer cette échéance au 31 décembre de chaque année.
Toutefois, dès lors qu'il est établi que le prêt a été consenti le 6 juin 2007 et remboursable par échéances annuelles de 6.000 euros chacune, l'échéance annuelle doit être fixée à la date anniversaire du contrat, rien ne permettant de retenir une date plus tardive qui aurait pour effet de prolonger la durée du prêt fixée à cinq ans.
En conséquence, l'action ayant été engagée le 2 novembre 2016, seule l'échéance annuelle exigible le 6 juin 2012 pour 6.000 euros n'est pas prescrite. Le jugement sera donc réformé en ce sens.
Sur le montant de la créance
Comme il a été dit ci-dessus, Mme [E] ne conteste pas la réalité du prêt ni son montant.
Elle réitère en appel les contestations émises devant le tribunal relatives au fait que le véritable bénéficiaire du prêt aurait été M. [B] [O], fils de Mme [O], qui était son compagnon à l'époque du prêt.
Toutefois, alors même que l'existence du prêt est établie et qu'il apparaît dans les comptes de l'entreprise individuelle de Mme [E], celle-ci ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce qu'elle affirme pour tenter d'échapper à son obligation de remboursement.
Aussi, c'est à juste titre que le tribunal a retenu que la demande de Mme [O] est fondée.
Compte tenu de la prescription acquise pour toutes les sommes échues antérieurement au 2 novembre 2011, Mme [E] sera condamnée au paiement de la seule somme de 6.000 euros au titre de la dernière échéance du 6 juin 2012, outre intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2016, date de la requête en injonction de payer.
Sur les demandes accessoires
Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [E].
Celle-ci, qui succombe à titre principal, supportera les entiers dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chambéry le 3 juin 2021, sauf en ce qu'il a :
déclaré irrecevable comme étant prescrite la demande en paiement pour les échéances de la dette antérieures au 31 décembre 2010,
déclaré recevable l'action en paiement exercée par Mme [L] [P] épouse [O] pour les échéances du prêt postérieures au 31 décembre 2010,
condamné Mme [G] [E] à payer à Mme [L] [P] épouse [O] la somme de 12.000 euros assortie du taux légal à compter du 13 septembre 2016, date de dépôt de la requête,
Réformant de ces chefs, et statuant à nouveau,
Déclare irrecevable comme prescrite la demande en paiement de Mme [L] [P] épouse [O] pour toutes les sommes échues antérieurement au 2 novembre 2011,
Déclare recevable la demande en paiement de Mme [L] [P] épouse [O] pour les sommes échues postérieurement au 2 novembre 2011,
Condamne Mme [G] [E] à payer à Mme [L] [P] épouse [O] la somme de 6.000 euros outre intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2016, au titre de l'échéance due le 6 juin 2012,
Déboute Mme [L] [P] épouse [O] du surplus de sa demande en paiement,
Y ajoutant,
Déboute Mme [G] [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile,
Condamne Mme [G] [E] aux entiers dépens de l'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 06 avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente