COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Mercredi 17 Mai 2023
N° RG 21/01426 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GX5Z
Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge des contentieux de la protection d'ANNECY en date du 28 Mai 2021, RG 21/00075
Appelante
Mme [F] [B], née le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 6] demeurant [Adresse 5] ayant pour tutrice Mme [H] [C] demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me Marion CELISSE, avocat au barreau de CHAMBERY
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/002222 du 06/06/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CHAMBERY)
Intimé
E.P.I.C. HAUTE SAVOIE HABITAT, dont le siège social est sis [Adresse 2] - pris en la personne de son représentant légal
Représenté par Me Fabienne BUFFET, avocat au barreau d'ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 14 mars 2023 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par contrat du 12 juillet 1977, la société Haute Savoie Habitat a donné à bail à M. [N] [B] un appartement type F4 de 118 mètres carrés situé à [Localité 6] (74). A la suite de son décès, le bail a été transféré à son épouse, Mme [S] [V]. Celle-ci est, à son tour, décédée le [Date décès 3] 2020 et sa fille, Mme [F] [B], s'est maintenue dans les lieux, prétendant venir au bénéfice d'un transfert du contrat de bail à son profit.
Par courrier du 28 octobre 2020, la société Haute Savoie Habitat refusait ce transfert de bail aux motifs que l'appartement de type F4 ne correspondait pas au besoin d'une personne seule.
Par acte du 6 janvier 2021, la société Haute Savoie Habitat a fait assigner Mme [F] [B] aux fins de voir dire qu'elle ne peut pas bénéficier du transfert de bail, de voir dire qu'elle est occupante sans droit ni titre et de voir prononcer son expulsion, outre des condamnations au titre de l'indemnité d'occupation.
Par jugement réputé contradictoire du 28 mai 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Annecy tribunal a :
- dit que Mme [F] [B] ne peut pas bénéficier du transfert de bail,
- dit que Mme [F] [B] est occupante sans droit ni titre du logement,
- ordonné à Mme [F] [B] de libérer les lieux dans le délai d'un mois à compter de la signification du jugement,
- autorisé à défaut la société Haute Savoie Habitat de faire procéder à son expulsion,
- condamné Mme [F] [B] à payer à la société Haute Savoie Habitat la somme de 3 888,75 euros au titre de l'indemnité d'occupation, arrêtée en avril 2021 et comprenant l'échéance d'avril 2021,
- condamné Mme [F] [B] à payer à la société Haute Savoie Habitat une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer courant à compter du 26 avril 2021 et jusqu'à libération complète des lieux, à hauteur d'une somme actuelle de 473,87 euros par mois,
- rejeté les autres demandes,
- rejeté la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [F] [B] aux dépens,
- constaté l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 7 juillet 2021, Mme [F] [B] a interjeté appel de la décision.
Par ordonnance en date du 30 septembre 2021, Mme la première présidente de la cour d'appel de Chambéry a rejeté la demande en suspension de l'exécution provisoire.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 mars 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [F] [B] demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé son appel,
Y faisant droit,
- infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau,
- dire que le bail de l'appartement n°74 situé au [Adresse 5] à [Localité 6] lui est transféré,
- condamner la société Haute Savoie Habitat aux dépens.
Dans ses conclusions adressées par voie électronique le 17 février 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Haute Savoie Habitat demande à la cour de :
- déclarer irrecevable et mal fondé l'appel de Mme [F] [B],
En conséquence,
- dire que Mme [F] [B] ne peut bénéficier du transfert de bail de Mme [S] [B] à son profit,
- dire que Mme [F] [B] est occupante sans droit ni titre dudit logement,
- ordonner à Mme [F] [B] de libérer les lieux de sa personne et de tous occupants de son chef, de ses meubles et effets dans le délai d'un mois à compter de la signification 'du jugement',
- l'autoriser à défaut de départ volontaire des lieux, à procéder à l'expulsion de Mme [F] [B] dans les formes légales, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier si besoin est,
- condamner Mme [F] [B] à lui payer une somme de 12 771,21 euros arrêtée au 16 février 2023, à titre d'indemnité d'occupation,
- condamner Mme [F] [B] à lui payer une indemnité d'occupation mensuelle, égale au montant du loyer courant, à compter du 1er mars 2023 jusqu'à la libération effective des lieux, outre les charges qui auraient été acquittées par Mme [S] [B],
- condamner encore Mme [F] [B] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la validité du transfert du bail
Aux termes de l'article 14 alinéa de la loi du 6 juillet 1989, lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré aux descendants qui vivaient avec lui depuis au moins un an à la date du décès.
L'article 40, I, alinéa 2, de la même loi prévoit que l'article 14 est applicable aux logements appartenant aux organismes d'habitations à loyer modéré et ne faisant pas l'objet d'une convention passée en application de l'article L. 351-2 du code de la construction et de l'habitation à condition que le bénéficiaire du transfert remplisse les conditions d'attribution et que le logement soit adapté à la taille du ménage. Ces deux conditions ne sont pas requises notamment envers les personnes présentant un handicap au sens de l'article L. 114 du code de l'action sociale et des familles lorsqu'elles vivaient effectivement avec le locataire depuis plus d'un an.
L'article L. 114 du code de l'action sociale et des familles dispose que, constitue un handicap, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant.
Il est constant que le transfert du bail s'opère automatiquement au profit du bénéficiaire cohabitant avec le locataire à la date de son décès et remplissant les conditions légales (Cass. civ. 3e, 16 mai 2006, 05-13.910). Il est tout aussi constant que les conditions de transfert s'apprécient à la date du décès (Cass. civ. 3e, 19 juillet 1995 ; Cass. civ. 3e, 28 juin 2018, 17-20.409).
En l'espèce, il n'est pas contesté que Mme [F] [B] vivait bien avec sa mère dans le logement litigieux depuis au moins un an. Il est également constant que l'appartement en question est de type T4 et qu'il est trop grand pour une personne seule.
Toutefois, Mme [F] [B] expose se trouver en situation de handicap au sens de l'article L. 114 du code de l'action sociale et des familles, ce qui rendrait inopérant le critère de l'inadaptation de la taille du logement à celle du ménage. Le bailleur indique que les pièces versées (ordonnance de placement sous sauvegarde de justice et jugement de placement sous tutelle) sont insuffisantes pour apprécier si la situation de Mme [F] [B] relève bien d'un handicap au sens de l'article L. 114 du code de l'action sociale et des familles.
La cour relève que la mère de Mme [F] [B] est décédée le [Date décès 3] 2020. C'est donc à cette date qu'il convient d'apprécier les conditions du transfert de bail. Il résulte des pièces versées que Mme [F] [B] a été placée sous sauvegarde de justice par ordonnance du 29 juin 2021(pièce appelant n°5), soit plus d'un an après le décès de sa mère, et sous tutelle le 17 mars 2022 (pièce appelant n°9). Selon une attestation de la tutrice de l'intéressée, en date du 23 août 2021, 'la situation actuelle de Mme [B] [F] est due à la progression des troubles psychiques et cette dernière montre une vulnérabilité avérée plus particulièrement depuis le décès de sa mère avec qui elle vivait' (pièce appelant n°8). Par ailleurs, la petite soeur de Mme [F] [B] atteste de ce qu'elle avait, avec ses frères, fait une demande d'hospitalisation d'office pour sa soeur en février 2018 entraînant une hospitalisation de 24 heures.
Il résulte de ce qui précède que l'état de handicap de Mme [F] [B], au sens de l'article L. 114 du code de l'action sociale et des familles, à la date du décès de sa mère, n'est pas démontré. Il est constant qu'elle se trouvait dans un état de fragilité psychologique et que cet état s'est aggravé après le décès de sa mère, conduisant à la mesure de protection dont elle fait aujourd'hui l'objet. Cet état de fragilité ne résulte au demeurant que de l'attestation de sa soeur laquelle parle d'une hospitalisation d'office d'une durée de 24 heures seulement. C'est donc manifestement une progression des troubles, postérieure au décès, qui a plongé l'intéressée dans son état de santé actuel. Par conséquent, les conditions de transfert du bail à son endroit n'étaient pas réunies au moment du décès de la locataire. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a dit que Mme [F] [B] ne pouvait pas bénéficier du transfert du bail à la suite du décès de sa mère, qu'elle se trouvait donc occupante sans droit ni titre de l'appartement litigieux, qu'il lui a ordonné de libérer les lieux et qu'il a ordonné, à défaut, son expulsion.
Sur l'indemnité d'occupation
Dans la mesure où Mme [F] [B] est reconnue occupante sans droit ni titre depuis le décès de sa mère, soit le [Date décès 3] 2020, elle est redevable envers le bailleur d'une indemnité d'occupation jusqu'à son départ effectif des lieux, indemnité mensuelle égale au montant du loyer et des charges. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Il résulte du décompte produit (pièce intimé n°9) qu'à la date du 31 janvier 2023, Mme [F] [B] est débitrice d'une somme de 12 771,21 euros, au paiement de laquelle elle doit être condamnée. Le jugement entrepris sera réformé en ce sens.
Sur les dépens
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, Mme [F] [B] qui succombe sera tenue aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés dans les conditions prévues à l'article 42 de la loi 91-647 du 10 juillet 1991.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation pour les indemnités d'occupation,
Statuant à nouveau sur ce point,
Condamne Mme [F] [B] à payer à la société Haute Savoie Habitat la somme de 12 771,21 euros au titre des indemnités d'occupation due au 31 janvier 2023,
Condamne Mme [F] [B] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés dans les conditions prévues à l'article 42 de la loi 91-647 du 10 juillet 1991.
Ainsi prononcé publiquement le 17 mai 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente