HP/SL
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 13 Juin 2023
N° RG 22/01750 - N° Portalis DBVY-V-B7G-HDCJ
Décision attaquée : Jugement du Président du TJ de BONNEVILLE en date du 12 Juillet 2022
Appelantes
Mme [I] [F], demeurant [Adresse 5]
Mme [K] [G], demeurant [Adresse 3]
Représentées par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY
Représentées par Me Bernard PLAHUTA, avocat plaidant au barreau de BONNEVILLE
Intimés
M. [C] [F]
né le 22 Septembre 1953 à [Localité 7] (74), demeurant [Adresse 4]
M. [D] [F]
né le 18 Juin 1955 à [Localité 7] (74), demeurant [Adresse 2]
Représentés par la SELARL SERRATRICE/BOGGIO, avocats au barreau de BONNEVILLE
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Date de l'ordonnance de clôture : 13 Mars 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 28 mars 2023
Date de mise à disposition : 13 juin 2023
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Composition de la cour :
Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Myriam REAIDY, Conseillère, avec l'assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseillère,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
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Faits et Procédure
M. [Z] [F] est décédé le 28 août 2017, laissant donc pour lui succéder :
- son épouse, Mme [K] [G], usufruitière selon donation entre époux du 6 juillet 2000,
- ses trois enfants, MM. [C] et [D] [F] et Mme [I] [F].
Sa succession se compose notamment d'une propriété immobilière de 3 342 m² comprenant sur sa partie avant côté RN 203 une maison sur trois étages à usage d'habitation du couple [F]-[G], comprenant en rez de chaussée un local commercial et un atelier, un garage au centre à droite accolé de 115 m² , un garage de 45 m² au centre à gauche, au sud à l'arrière, un garage de 160 m² isolé, cadastrée section B n° [Cadastre 1] ' [Adresse 3]. Mme [K] [G] réside toujours dans la maison d'habitation.
Mme [I] [F] a pris la décision seule de faire borner le terrain pour le diviser en trois lots, et sur le lot du fonds non constructible mais sur lequel se trouve un garage, de transformer ce garage en maison d'habitation afin que sa mère, âgée de 89 ans puisse y résider.
Ses frères n'adhérant pas à ce projet, elle sollicitait par assignation en la forme des référés en date du 22 mars 2022, du président du tribunal judiciaire de Bonneville, de se voir autoriser, sur le fondement de l'article 815-6 du code civil à entreprendre à ses frais les travaux d'amélioration nécessaire sur le garage isolé sur l'arrière implanté au sud de la parcelle section B n° [Cadastre 1] à [Localité 6], pour pouvoir créer l'appartement correspondant aux besoins de sa mère, associée à l'assignation.
Par jugement contradictoire rendu selon la procédure accélérée en date du 12 juillet 2022, le président du tribunal judiciaire de Bonneville a rejeté l'ensemble des prétentions de Mme [I] [F] et de Mme [K] [G], rejeté les demandes d'indemnité procédurale et condamné Mme [I] [F] et Mme [K] [G] aux dépens.
Le président du tribunal a fondé sa décision notamment sur les motifs suivants :
' il ne résulte d'aucun élément de la procédure qu'un des biens indivis nécessite des travaux urgents pour assurer sa sauvegarde ou que d'autres mesures doivent étre prises par l'indivision concemant l'un des biens indivis et ce, dans l'intérêt commun de l'indivision ;
' l'aménagement d'un bien indivis ou la restructuration d'un bien indivis, comme en l'espèce, dans l'intérét de l'usufruitière, en raison de son état de santé, ne relève pas du pouvoir du Président, statuant sur le fondement de l'article 815-6 du code civil.
Par déclaration au greffe de la cour en date du 7 octobre 2022, Mme [I] [F] et Mme [K] [G] interjetaient appel de la décision en toutes ses dispositions.
Prétentions des parties
Par dernières écritures en date du 6 mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Mme [I] [F] et Mme [K] [G] sollicitaient de la cour d'infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau, de :
- autoriser Mme [I] [F] à entreprendre à ses frais, les travaux d'amélioration nécessaires sur le garage isolé sur l'arrière implanté au sud de la parcelle section B n° [Cadastre 1] à [Localité 6], pour pouvoir créer l'appartement correspondant aux besoins de Mme [K] [G] ;
- accéder à la demande de Mme [K] [G] d'être entendue en Chambre du Conseil ;
- condamner MM. [C] et [D] [F] à débarrasser le garage isolé sur l'arrière au sud de la parcelle section B n° [Cadastre 1], de tous les matériels et outillages qu'ils y ont entreposés, sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la signification de la décision, et à défaut d'exécuter sous 15 jours à compter de cette même signification, d'autoriser Mme [I] [F] à procéder à cette évacuation ;
- condamner MM. [C] et [D] [F] à rembourser le coût du procès-verbal d'huissier de justice auquel Mme [K] [G] a dû recourir pour faire établir la preuve de l'expression de sa volonté ;
- condamner MM. [C] et [D] [F] à la somme de 7 000 euros au titre de l'indemnité procédurale, ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction au profit de Me Christian Forquin, avocat, sur son affirmation de droit,
Au soutien de leurs prétentions, les appelantes faisaient valoir essentiellement les moyens suivants :
' l'intérêt commun de l'indivision commandait les travaux sollicités pour le bien-être de Mme [K] [G], mère de trois nu-propriétaires indivis, dès lors que l'état de santé de celle-ci et de sa motricité actuelle lui imposaient d'habiter dans un logement de plain pied ce qui était de nature à supprimer les risques de chute dans les escaliers, d'autant qu'elle devait se rendre au sous-sol pour accéder à sa réserve alimentaire, pour éviter tout risque en cas d'incendie et pour jouir de son jardin attenant au bien sur lesquels les travaux étaient projetés ;
' l'intérêt commun trouvait sa cause dans les obligations légales et morales des enfants vis à vis de leur mère ;
' l'urgence était liée à l'âge avancé de Mme [K] [G].
Par dernières écritures en date du 7 mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, MM. [C] et [D] [F] sollicitaient de la cour de :
- confirmer le jugement entrepris ;
- condamner les appelantes à leur payer à chacun une indemnité procédurale de 2 500 euros outre les dépens de première instance et d'appel,
Au soutien de leurs prétentions, les intimés faisaient valoir essentiellement les moyens suivants :
' la demande de Mme [I] [F] et de Mme [K] [G] qui consistait au changement de destination d'un bien indivis était un acte de disposition ;
' ils étaient fondés à s'opposer aux travaux demandés dès lors qu'il n'était pas de l'intérêt commun de l'indivision d'y procéder et que le critère de l'urgence n'était pas rempli.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2023et l'affaire était appelée à l'audience du 28 mars 2023.
MOTIFS ET DÉCISION
Aux termes de l'article 815-6 du code civil, 'le président du tribunal judiciaire peut prescrire ou autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l'intérêt commun.
Il peut, notamment, autoriser un indivisaire à percevoir des débiteurs de l'indivision ou des dépositaires de fonds indivis une provision destinée à faire face aux besoins urgents, en prescrivant, au besoin, les conditions de l'emploi. Cette autorisation n'entraîne pas prise de qualité pour le conjoint survivant ou pour l'héritier.
Il peut également soit désigner un indivisaire comme administrateur en l'obligeant s'il y a lieu à donner caution, soit nommer un séquestre. Les articles 1873-5 à 1873-9 du présent code s'appliquent en tant que de raison aux pouvoirs et aux obligations de l'administrateur, s'ils ne sont autrement définis par le juge'.
Il convient d'apprécier en fonction des circonstances de l'espèce l'opportunité de la mesure sollicitée. Peu importe que les indivisaires aient des intérêts divergents, il est nécessaire de déterminer l'intérêt commun à l'indivision et de caractériser l'urgence.
En l'espèce, Mme [I] [F], contrairement à ce qu'elle soutient, ne souhaite pas faire des travaux d'amélioration sur un entrepôt qui risquerait de s'endommager, mais veut le transformer complètement en maison d'habitation, comme le démontre le projet établi par un architecte, au motif que sa mère âgée ne pourrait plus accéder à son logement en étage ou descendre à sa cave qui constituerait 'une réserve alimentaire'. Toutefois, la construction d'une maison d'habitation n'est pas dans l'intérêt de l'indivision et il existe des moyens techniques pour adapter le domicile de Mme [K] [G] à son état de santé lié à son âge et assurer sa parfaite sécurité à un coût sans rapport avec celui des travaux envisagés par Mme [I] [F].
Par ailleurs, si Mme [I] [F] indique à plusieurs reprises qu'elle fera les travaux à ses frais, elle reconnaît toutefois solliciter cette autorisation dans le but ' de ne pas encourir le risque (du fait du refus de ses frères de lui donner l'accord des deux tiers des coindivisaires prévu par l'article 815-3 du code civil), de perdre son droit à récompense', alors que ce dernier, non justifié par l'état du bien transformé, ni par l'impossibilité d'adapter le domicile actuel à l'état de santé de Mme [K] [G], serait de nature par son importance à créer une difficulté pour l'indivision au moment du partage de celle-ci, mais aussi à créer des charges supplémentaires pour l'indivision. En outre, il n'est pas établi par Mme [I] [F] les conditions d'assurance et de sécurité auxquelles les travaux seraient entrepris. Mme [I] [F] insiste sur l'état de santé de sa mère et l'obligation morale qui pèse sur les enfants par rapport à leurs parents, mais elle ne s'explique pas sur le traumatisme subi par une personne très âgée qui doit ainsi quitter le logement habité depuis de très nombreuses années et sur le fait qu'elle résiderait dans un logement isolé sur la propriété familiale.
En outre, Mme [I] [F] qui souhaite également se voir attribuer ultérieurement le lot sur lequel elle édifie le nouveau immeuble d'habitation, s'est affranchie de toute autorisation judiciaire puisqu'elle a fait faire un bornage du terrain qui nécessitait déjà l'accord des autres indivisaires, sans cet accord. Elle a obtenu le permis de constuire le 10 juin 2022 qu'elle a affiché sur la propriété indivise et a surtout entrepris les travaux d'édification d'une maison au lieu et place de l'ancien garage dont la structure est complètement transformée (notamment création de baies vitrées, de toiture...). Ces travaux d'ampleur sont désormais très avancés au vu des photographies des lieux versées aux débats, et ce malgré le refus de l'autorisation du premier juge et surtout et de la décision du juge des référés du tribunal judiciaire de Bonneville en référé d'heure à heure en date du 9 février 2023 qui a ordonné l'arrêt de ces travaux.
Ainsi, c'est à bon droit que le premier juge a débouté Mme [I] [F] et Mme [K] [G] de la totalité de leurs prétentions, étant ajouté que d'une part, pour la demande tendant à voir ses frères débarrasser le local, support de la nouvelle construction, Mme [I] [F] ne démontre pas que ce local soit encore embarrassé dès lors que les travaux de construction ont déjà commencé et sont peut-être même achevés, d'autre part, pour la demande d'audition de Mme [K] [G], cette demande pose question puisque Mme [K] [G] est partie appelante, elle n'est pas sous protection judiciaire et peut valablement par ses écritures exprimer sa volonté.
Succombant, les appelantes seront condamnées in solidum aux dépens et au paiement d'une indemnité procédurale de 2 500 euros à chacun des intimés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [I] [F] et Mme [K] [G] aux dépens d'appel,
Condamne in solidum Mme [I] [F] et Mme [K] [G] à payer une indemnité procédurale de 2 500 euros chacun à M. [C] [F] et à M. [D] [F].
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 13 juin 2023
à
Me Christian FORQUIN
la SELARL SERRATRICE/BOGGIO
Copie exécutoire délivrée le 13 juin 2023
à
la SELARL SERRATRICE/BOGGIO