PREMIERE CHAMBRE CIVILE Section B RG N 1 B 199702567 Minute N 1M Expédition à : Maître RICHARD FRICK Maîtres CAHN ET ASSOCIES Le Le Greffier
république française
au nom du peuple français
COUR D'APPEL DE COLMAR
ARRET DU 3 OCTOBRE 2001 COMPOSITION DE LA COUR LORS DES X... ET DU DELIBERE Mme GOYET, Président de Chambre, Mme MAZARIN, Conseiller, Mme VIEILLEDENT, Conseiller. GREFFIER LORS DES X... ET DU PRONONCE :
Mme ARMSPACH-SENGLE X... à l'audience publique du 05/09/2001 ARRET CONTRADICTOIRE du 3 OCTOBRE 2001 prononcé publiquement par le Président. NATURE DE L'AFFAIRE : 32 LOCATION-GERANCE DU FONDS DE COMMERCE. APPELANTES et demanderesses :
1) Madame Y... Z... épouse A..., demeurant 1a, Rue du Hahnenberg à 67117 ITTENHEIM, 2) Madame A... B... épouse C..., ... par Maître RICHARD FRICK, Avocat à la Cour, plaidant Maître VIOLIN, Avocat à STRASBOURG, INTIMEE et défenderesse : LA S.A. CHAINE THERMALE DU SOLEIL, ayant son siège social 32, Avenue de l'Opéra à 75002 PARIS, représentée par ses dirigeants légaux, représentée par Maîtres CAHN ET ASSOCIES, Avocats à la Cour,
.../... 3.
Selon contrat de bail commercial en date du 28 avril 1987, M. Jean A..., aux droits duquel se trouvent Mme Z... A... née Y... et Mme B... C... née A..., ont donné en location à la S.A. "Compagnie Française du Thermalisme" devenue CHAINE THERMALE DU SOLEIL S.A., des locaux dépendant d'un immeuble sis à Strasbourg n 1, rue du Noyer au rez de chaussée, 1er étage et au sous-sol, destinés à l'exploitation d'un fonds de commerce de promotion de l'industrie thermale, hôtelière et touristique, pour une durée de neuf années à compter du 1er mai 1987, moyennant un loyer annuel de 60.000 francs hors charges, révisable après l'expiration de chaque période triennale dans les conditions prévues par la législation en vigueur. Un avenant stipulait que les locaux loués ne pourraient être affectés à aucune activité alimentaire ni à l'exploitation de bar ou restaurant, à l'exception des produits de la CHAINE THERMALE DU SOLEIL.
Par acte d'huissier en date du 28 novembre 1995, Mesdames A... et C... ont fait délivrer à la CHAINE THERMALE DU SOLEIL S.A. congé avec offre de renouvellement pour le 31 mai 1996, moyennant un loyer mensuel de 15.000 francs, hors charges.
La CHAINE THERMALE DU SOLEIL n'ayant pas pris position, suite au congé délivré, Mesdames A... et C... ont notifié un mémoire préalable tendant à la fixation d'un loyer mensuel de 15.000 francs à compter du 1er juin 1996.
Par acte introductif d'instance déposé le 21 octobre 1996, Mesdames A... et C... ont saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Strasbourg d'une demande tendant à ce qu'il leur soit donné acte de ce qu'elles ne s'opposent pas au renouvellement du bail avec effet au 1er juin 1996, à la fixation du loyer du bail renouvelé à un montant mensuel de 15.000 francs, à la
condamnation de la CHAINE THERMALE DU SOLEIL au paiement des loyers arriérés avec les intérêts au taux légal à compter des échéances respectives, et de la somme de 25.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement en date du 1er avril 1997, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Strasbourg a :
- constaté que le congé délivré le 28 novembre 1995 était nul en raison de sa tardiveté,
- débouté les demanderesses de leurs conclusions,
- les a condamné à payer à la S.A. CHAINE THERMALE DU SOLEIL la somme de 3.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par acte reçu au greffe le 20 mai 1997, Mesdames A... et C... ont interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 20 janvier 1999, la cour a infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait déclaré nul, en raison de sa tardiveté, le congé avec offre de renouvellement délivré le 28 novembre 1995 pour le compte de Mmes A... et C... et statuant à nouveau de ce chef, a déclaré ce congé valable et régulier.
Sur le renouvellement du bail, la cour a donné acte aux appelantes de ce qu'elles ne s'opposaient pas au renouvellement du bail avec effet au 1er juin 1996 pour une durée de 9 ans.
Avant dire droit , une expertise a été ordonnée afin de déterminer l'existence d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité ainsi que la valeur locative des lieux loués. M. Jean Marie D... a été désigné pour procéder à cette expertise.
L'expert a déposé son rapport le 24 juillet 2000.
En l'état de leurs dernières conclusions déposées le 6 octobre 2000, les appelantes demandent à la cour :
- de fixer le loyer dû par l'intimée à compter du 1er juin 1996 à la
somme de 45.000 francs par trimestre soit 15.000 francs par mois ;
- de condamner l'intimée à leur payer les loyers arriérés avec intérêts au taux légal à compter des échéances respectives ;
- de condamner l'intimée aux dépens et au paiement de la somme de 25.000 francs au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Mmes A... et C... font valoir que l'immeuble dans lequel se trouvent les locaux loués est en bon état d'entretien, et bénéficie d'une situation d'angle favorable à la commercialité, en plein centre ville, qu'il dispose de deux larges fenêtres et d'enseignes très visibles. La surface pondérée est de 134,46 m , les locaux sont parfaitement équipés.
Le passage de la ligne de tramway devant le magasin a incontestablement constitué pour les preneurs une amélioration notable des facteurs locaux de commercialité. L'expert judiciaire a également constaté que nombre d'enseignes implantées rue du Noyer avaient été luxueusement transformées.
Compte tenu de la moyenne des prix pratiqués dans le voisinage - 1.366 francs le m - le loyer mensuel doit être fixé à 15.000 francs par mois. Cette valeur correspond à l'estimation qui avait été faite par la Commission départementale de conciliation, et au montant réclamé par les bailleurs dans le congé avec offre de renouvellement, motif pour lequel il serait particulièrement inéquitable de laisser aux appelantes la charge des dépens et des frais irrépétibles d'instance.
Par conclusions déposées le 14 mai 2001, la S.A. Chaîne Thermale du Soleil demande à la cour : - d'ordonner avant dire droit une nouvelle expertise ; - en tout état de cause de réduire dans de fortes proportions le montant sollicité ; - de condamner la partie adverse
aux dépens.
La S.A. Chaîne Thermale du Soleil estime que la cour ne pourra pas tenir compte du rapport de l'expert judiciaire dans la mesure où M D... : - d'une part affirme sans la justifier la modification des facteurs locaux de commercialité, - d'autre part ne se prononce pas non plus sur l'impact éventuel de cette modification sur le commerce considéré.
De façon plus précise, l'intimée considère que la mise en service de la nouvelle ligne de tramway, et l'instauration du nouveau plan de circulation constituent plutôt des facteurs défavorables à son activité, quant à la transformation des enseignes dans la rue du Noyer, elle soutient qu'elle n'a pas eu d'incidence.
En toute hypothèse, le montant proposé par l'expert, qui correspond quasiment à un triplement du montant du loyer actuel ne peut être retenu.
La S.A. Chaîne Thermale du Soleil sollicite en conséquence l'organisation d'une nouvelle expertise.
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées au dossier et les mémoires des parties auxquels la cour se réfère pour le plus ample exposé de leurs moyens ;
Il ressort des dispositions de l'article L 145-34 du Code de commerce que le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à 9 ans, ne peut excéder la variation de l'indice national trimestriel mesurant le coût de la construction publié par l'I.N.S.E.E. à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux articles 23-1 à 23-4 du décret du 30 septembre 1953.
Pour être prise en compte, la modification des facteurs locaux de commercialité doit avoir un lien direct avec le commerce concerné (Cour de cass. 3ème civ. 4 mars 1987, Bull. Civ. III n°39).
En l'espèce, M. D... a relevé dans son rapport que depuis la conclusion du bail, le nouveau plan de circulation de Strasbourg avait rendu le passage par la rue du Noyer obligatoire pour les voitures venant du nord et de l'Ouest en direction du centre ville et souhaitant accéder aux parkings : des Tanneurs, de la place Kléber et de l'Homme de Fer.
Par ailleurs, le nouveau Tram a été mis en service au mois de novembre 1994 et sa ligne A passe par la rue du Noyer. Deux stations ont été crées : l'une à 100 mètres du commerce considéré, l'autre à 300 mètres.
L'expert souligne enfin que de nombreuses enseignes ont changé au profit de magasins de luxe.
Cette transformation de l'environnement commercial et des conditions de circulation a indéniablement occasionné à la fois une augmentation de la fréquentation de la rue du Noyer et une attraction de la clientèle aisée. Cette modification correspond à celle qui est énoncée à l'article 23-4 du décret du 30 septembre 1953. Elle est notable dès lors que selon l'expert, "le nombre des voyageurs Tram est passé de 50.000 à 77.000 (selon les services de la Ville) dont on peut estimer que la moitié environ passe tous les jours devant le local et ses enseignes."
Compte tenu de la disposition des lieux (magasin d'angle, vitrines importantes) il apparaît qu'une augmentation significative du flux de la clientèle - même motorisée - et plus particulièrement d'une clientèle aisée - attirée par les magasins de luxe situés à proximité - ne peut qu'être favorable à l'intimée dont l'activité - la promotion de l'industrie thermale, hôtelière et touristique - concerne précisément une clientèle de passage disposant d'un niveau de revenus relativement élevé.
C'est donc à bon droit que l'expert judiciaire a estimé qu'il y avait lieu à déplafonnement du loyer du bail à renouveler. C'est d'ailleurs en ce sens qu'avait conclu la Commission départementale de conciliation en matière de baux d'immeubles à usage commercial.
Pour parvenir à une valeur locative de 180.000 francs, l'expert a recherché le prix moyen du m dans les locaux commerciaux environnants. On relèvera que les prix pratiqués sont, à une exception près, très proches les uns des autres, et ce quelle que soit la nature du commerce considéré. Dans un tel contexte, il n'est pas nécessaire, pour que les valeurs de référence soient considérées comme pertinentes, qu'elles concernent des fonds ayant la même activité que le commerce considéré, ou présentant les mêmes caractéristiques, la proximité des prix permettant de déduire que le facteur déterminant est constitué par l'environnement particulièrement favorable. Il est d'ailleurs remarquable que la S.A. Chaîne Thermale du Soleil ne fait état et ne justifie d'aucun élément de comparaison discordant.
Enfin la circonstance que le nouveau loyer soit d'un montant très supérieur à celui du bail précédent, démontre seulement que la S.A. Chaîne Thermale du Soleil a bénéficié pendant plusieurs mois, voire plusieurs années d'un loyer très inférieur à la valeur locative des lieux loués.
Il y a donc lieu de faire droit à la demande de fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 15.000 francs par mois à compter du 1er juin 1996.
S'agissant en revanche de la condamnation au paiement de l'arriéré, cette demande sera rejetée, faute, pour les bailleresses d'indiquer précisément le montant réclamé et les moyens de le déterminer.
Il appartient à la S.A. Chaîne Thermale du Soleil qui succombe de supporter la charge des dépens de première instance et d'appel et de
verser aux appelantes une indemnité de procédure de 8.000 francs.
P A R C E E... M O T I F E...
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Vu l'arrêt prononcé le 20 janvier 1999 par la présente cour ;
Fixe le montant du loyer dû par la S.A. Chaîne Thermale du Soleil à Mme Z... A... née Y... et Mme B... C... née A..., au titre du bail renouvelé, à compter du 1er juin 1996, à la somme de 15.000 francs (quinze mille francs) soit 2.286,74 euros (deux mille deux cent quatre vingt six euros et soixante quatorze cents) par mois, charges non comprises ;
Rejette la demande pour le surplus ;
Condamne la S.A. Chaîne Thermale du Soleil aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement, aux appelantes, d'une somme de 8.000 francs (huit mille francs) soit 1.219,59 euros (mille deux cent dix neufs euros et cinquante neuf euros) par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Et le présent arrêt a été signé par le président, et par le greffier présent au prononcé.