Copie exécutoire à
- Me Frédérique DUBOIS
- Me Claude LEVY
COUR D'APPEL DE COLMAR PREMIERE CHAMBRE CIVILE- SECTION B
ARRET DU 31 Janvier 2007
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 B 04 / 05410
Décision déférée à la Cour : 21 Octobre 2004 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG
APPELANTE- INTIMEE INCIDENTE : Madame Brigitte X... ...
représentée par Me Frédérique DUBOIS, avocat à la Cour Avocat plaidant : Me BOISSERIE, avocat à STRASBOUG
INTIMES- APPELANTS INCIDENTS : Monsieur Gérard Z... ...
Madame Marie Anne Florence Y... épouse Z... ...
représentés par Me Claude LEVY, avocat à la Cour Avocat plaidant : Me HUFFSCHMITT, avocat à STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 06 Décembre 2006, en audience publique, devant la Cour composée de : M. LITIQUE, Président de Chambre M. ALLARD, Conseiller Mme PAULY, Conseiller qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme MUNCH- SCHEBACHER, Greffier
ARRET :- Contradictoire- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.- signé par M. Jean- Marie LITIQUE, président et Mme Corinne ARMSPACH- SENGLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 17 novembre 1987, Mme X... a acheté un fonds de commerce de vente de denrées alimentaires à l'enseigne " La Fermette " situé au rez- de- chaussée de l'immeuble 6 rue du Capitaine Da à ERSTEIN, propriété des époux Z..., et portant sur les éléments corporels et incorporels dont le droit au bail. En effet, ce fonds était exploité dans des locaux ayant fait l'objet d'un bail commercial notarié initial du 30 mars 1976 portant sur un magasin situé au rez- de- chaussée, toute la cave et la cour.
Le 23 novembre 2002, un incendie éclatait dans l'immeuble contigu voisin du 4 rue du Capitaine Da et se propageait à l'immeuble des époux Z..., entraînant, selon procès- verbal de constat d'huissier du 28 novembre 2002, l'effondrement d'une partie de la toiture et du plafond, l'appartement situé au- dessus du magasin de Mme X... étant entièrement dévasté par l'incendie et cette dernière ne disposant plus d'électricité, de la ligne téléphonique indispensable, le sol de son magasin étant imprégné d'eau, deux luminaires sur trois étant remplis d'eau et le plafond étant imbibé d'eau, Mme X... déclarant à l'huissier instrumentaire que les produits biologiques en stock étaient considérés comme impropres à la vente suite aux fumées de l'incendie.
Mme X... se maintenait néanmoins dans les lieux malgré la demande écrite du bailleur de transférer son stock dans un autre local qu'il lui proposait, continuant à payer les loyers sans pour autant pouvoir exploiter.
Reprochant à son bailleur de ne pas avoir fait les travaux de réfection en temps utiles afin de permettre de rendre le local réexploitable, Mme X... saisissait alors le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG le 24 septembre 2003 d'une demande tendant, dans le dernier état des écritures, à être dispensée temporairement du paiement des loyers et à la condamnation des bailleurs à lui rembourser les loyers perçus depuis l'intervention du sinistre et à lui payer le montant de 8. 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre 2. 392 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
De leur côté, les époux Z... formaient une demande reconventionnelle tendant à voir déclarer nulle l'assignation, constater la résiliation de plein droit du bail sur le fondement de l'article 1722 du Code civil, ordonner l'évacuation des locaux par Mme X... et tout occupant de son chef ainsi que la remise des clefs, le tout sous astreinte, et à la condamnation de la locataire au paiement d'une indemnité d'occupation à compter du 23 novembre 2002, outre 5. 000 euros de dommages et intérêts et 2. 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 21 octobre 2004, la juridiction saisie, considérant que :
- l'assignation n'était pas nulle
- au vu du constat d'huissier, les locaux étaient devenus impropres à l'exploitation des lieux selon la destination du bail dès lors qu'ils ne permettaient plus d'attirer la clientèle ni de la recevoir décemment ni de stocker convenablement les aliments, si bien qu'il y avait perte totale des locaux par cas fortuit et au sens de l'article 1722 du Code civil et que le bail était résilié de plein droit depuis le 23 novembre 2002
- il y avait lieu dès lors d'ordonner la restitution des loyers payés depuis cette date
- la demande d'indemnité de la demanderesse devait être rejetée, l'article 1722 du Code civil interdisant tout dédommagement
- il y avait lieu d'ordonner l'expulsion de la demanderesse ainsi que la remise des clefs par cette dernière
- l'indemnité d'occupation devait être fixée à 50 euros par mois eu égard à la très faible valeur locative des lieux suite aux dégâts des eaux
- les défendeurs ne justifiaient pas avoir mis suffisamment en demeure la demanderesse d'évacuer les lieux ni avoir contacté des entreprises, si bien qu'en l'absence de preuve que cette dernière ait empêché la réalisation des travaux, il n'y avait pas lieu d'octroyer des dommages et intérêts,
a statué comme suit :
" REJETTE l'exception de nullité de l'assignation ; CONSTATE que le contrat de bai liant les parties, et portant sur un local commercial et ses accessoires sis rue du Capitaine Dâ à ERSTEIN, est résilié de plein droit depuis le 23 novembre 2002 ; DIT en conséquence qu'aucun loyer n'est dû depuis le 23 novembre 2002 ; CONDAMNE in solidum M. Gérard Z... et Mme Marie Anne Florence Y... épouse Z... à restituer à Mme Brigitte X... l'ensemble des loyers qu'elle a versés depuis le 23 novembre 2002 ; ORDONNE l'expulsion de Mme Brigitte X... et de tout occupant de son chef des locaux sis rue du Capitaine Dâ à ERSTEIN ; CONDAMNE Mme Brigitte X... à payer à M. Gérard Z... et Mme Marie Anne Florence Y... épouse Z... une indemnité d'occupation de 50 euros par mois à compter du 23 novembre 2002 et jusqu'à complète évacuation des locaux et remise des clés ; REJETTE toute autre demande ; DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ; FAIT MASSE des frais et dépens et CONDAMNE Mme Brigitte X... d'une part, et M. Gérard Z... et Mme Marie Anne Florence Y... épouse Z..., d'autre part, à en supporter la moitié. "
A l'encontre de ce jugement Mme X... a interjeté appel par déclaration déposée le 22 novembre 2004 au greffe de la Cour.
Se référant à ses derniers écrits du 30 mars 2006, elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la restitution du loyer, mais à l'infirmation pour le surplus, au débouté des intimés de leur demande au titre de la résiliation du bail, de l'expulsion et du paiement de l'indemnité d'occupation et à leur condamnation à un montant de 38. 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre les dépens et 3. 200 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour les deux instances, en faisant valoir pour l'essentiel que :
- les bailleurs ont délibérément retardé la remise en état du local
- ne pouvant plus exploiter le fonds depuis plus de deux ans et ayant démissionné de la fonction publique pour se consacrer pleinement à l'exploitation de ce fonds, elle a subi un préjudice conséquent.
- la perte totale de la chose nécessite impérativement une destruction matérielle totale du local.
- les intimés lui ont toujours reconnu la qualité de locataire, même postérieurement au sinistre.
Se référant à ses derniers écrits du 2 juin 2006, les intimés concluent, sur appel principal et appel incident, à la confirmation du jugement entrepris, à l'exception du montant de l'indemnité d'occupation, du rejet de la demande en dommages et intérêts et du montant alloué au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et à la condamnation de l'appelante à leur payer une indemnité d'occupation de 500 euros par mois et un montant de 5. 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre 3. 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les deux instances et les dépens des deux instances, en soutenant en substance que :
- ils justifient de démarches auprès d'entreprises en vue d'effectuer des travaux de réfection, mais aussi de l'empêchement dans lequel ils étaient mis par l'appelante qui, malgré plusieurs courriers, s'est obstinée à ne pas vider les locaux.
- l'application de l'article 1722 du Code civil ne nécessite pas la preuve de la destruction entière de l'immeuble, les motifs des premiers juges sur ce point devant être retenus.
- le loyer est dû en présence d'une destruction partielle de l'immeuble n'empêchant pas le preneur d'utiliser les locaux.
- l'article 1722 du Code civil ne prévoit aucun dédommagement.
- la résistance abusive de l'appelante leur a causé un préjudice.
SUR QUOI LA COUR :
Vu la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les écrits des parties auxquels il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et arguments :
L'appel interjeté dans des conditions de forme et de délai dont la validité n'est pas contestée est recevable.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'article 1722 du Code civil est applicable dès lors qu'il n'est plus possible d'exploiter les locaux loués normalement ou d'en faire un usage conforme à leur destination, et ce même en cas de destruction partielle de l'immeuble (Civ 30 / 09 / 98 et 24 / 02 / 99).
Or, à juste titre, les premiers juges se sont fondés sur le constat d'huissier du 29 novembre 2002 pour estimer que les locaux étaient devenus impropres à l'exploitation des lieux selon la destination du bail si bien que le bail était résilié de plein droit depuis le 23 novembre 2002 en application de l'article 1722 du Code civil.
D'ailleurs, dans ses déclarations à l'huissier, l'appelante reconnaissait son impossibilité de continuer son exploitation, ses produits en stock étant considérés comme impropres à la vente suite aux fumées.
Au surplus, le bail initial du 30 mars 1976 prévoit que, par dérogation à l'article 1722 du Code civil, en cas de destruction par risque d'incendie de la majeure partie des locaux loués, le présent bail sera résilié de plein droit si bon le semble au bailleur, les preneurs renonçant expressément à user de la faculté de maintenir le bail moyennant diminution du loyer.
De plus, ce bail notarié prévoit, au titre des obligations du bailleur, que ces derniers s'obligent à garantir et maintenir l'étanchéité pendant toute la durée du contrat de bail tant du toit que des fenêtres. Il n'est donc pas anormal que les intimés aient commencé par des travaux de charpente, après que les deux experts des compagnies d'assurances respectives des deux parties se soient rendus sur les lieux pour faire leurs constatations et établir leurs rapports (la réunion dans le cadre de l'expertise amiable ayant eu lieu le 7 janvier 2003), le devis de l'entreprise de charpente GIROLD datant du 3 avril 2003 et la facture ayant été réglée le 5 mai 2003.
De même, le devis pour la pose d'un poteau de branchement électrique aérien date du 30 avril 2003, la facture ayant été réglée auprès des Usines Municipales d'ERSTEIN le 30 septembre 2003.
Enfin, le rapport du cabinet d'expertise TEXA, expert mandaté par la compagnie d'assurances de l'appelante, n'établit nullement la mauvaise volonté des intimés à faire effectuer les travaux incombant, selon le bail commercial, à ces derniers, et ce d'autant moins qu'il résulte de l'échange de courriers entre les parties que l'appelante a attendu le mois d'octobre 2003 pour libérer les locaux sinistrés alors que, dès le 30 juin 2003, les intimés lui proposaient un local de stockage à NIDERNAI pour pouvoir effectuer les travaux de conformité dans les plus brefs délais.
L'article 1722 du Code civil interdisant tout dédommagement, les premiers juges ont donc à juste titre rejeté la demande d'indemnité des bailleurs. Par ailleurs, le bail étant résilié de plein droit à la date du sinistre, le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné la restitution des loyers payés depuis cette date et l'expulsion de la demanderesse avec remise des clés.
De même, compte tenu de la très faible valeur locative des lieux suite aux dégâts, l'indemnité d'occupation due par l'appelante a été fixée à juste titre à un montant de 50 euros par mois.
Enfin, en l'absence de mise en demeure claire et non équivoque des intimés adressée à l'appelante aux fins d'évacuation des locaux pour pouvoir effectuer des travaux de conformité, il n'est pas établi avec certitude que l'appelante ait délibérément empêché la réalisation desdits travaux si bien que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts.
Tant l'appel principal que l'appel incident étant mal fondés, il y a lieu cependant, compte tenu de l'exagération de la demande de l'appelante, de condamner cette dernière à supporter les entiers frais d'appel.
En revanche, aucune considération d'équité ne milite en faveur de l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties dont la demande sera rejetée.
PA R C E S M O T I F S
LA COUR,
DECLARE tant l'appel principal que l'appel incident réguliers et recevables en la forme
Au fond, les DIT mal fondés et les REJETTE
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions
REJETTE les demandes des deux parties
CONDAMNE l'appelante aux dépens d'appel.