MINUTE No 969 / 07
Copie exécutoire à :
-Me Antoine S. SCHNEIDER
-la SCP G et T CAHN-D. S. BERGMANN
-MINISTERE PUBLIC E4-992 / 03
LRAR aux parties
Le 08 / 11 / 2007
COUR D'APPEL DE COLMAR DEUXIEME CHAMBRE CIVILE-SECTION A
ARRET DU 08 Novembre 2007
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 02 / 04821
Décision déférée à la Cour : 20 Juin 2002 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MULHOUSE
APPELANTE et demanderesse :
Madame Mariem X..., demeurant... 68200 MULHOUSE,
Représentée par Me Antoine S. SCHNEIDER, Avocat à la Cour,
INTIME et défendeur :
Monsieur Azzedine Y..., demeurant... à 68260 KINGERSHEIM,
Représenté par la SCP G et T CAHN-D. S. BERGMANN, Avocats à la Cour, Plaidant : Me GATIN, Avocat à MULHOUSE,
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 05 Juillet 2007, en chambre du conseil, devant la Cour composée de : M. WERL, Président de Chambre, Madame MITTELBERGER, Conseiller, Mme CONTE, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme NEFF,
Ministère Public auquel le dossier a été communiqué : M. François JURDEY, Avocat Général,
ARRET :-Contradictoire-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.-signé par M. Michel WERL, président et Mme Corinne LAEMLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
-Ouï M. WERL, Président de Chambre, en son rapport.
Mme Mariem X... a donné naissance le 10 mai 2000 à une fille prénommée Kenza Yamina, qu'elle avait reconnue avant la naissance, dès le 13 décembre 1990. Elle a introduit une demande de recherche en paternité contre M. Y... sur le fondement de l'article 340 du Code civil, laquelle a été déclarée irrecevable par jugement du Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE en date du 20 juin 2002, qui a également rejeté la demande de subsides qui avait été formée par la demanderesse.
Sur appel de Mme X..., la Cour, par arrêt avant-dire droit du 2 septembre 2004, a infirmé ce jugement en toutes ses dispositions, déclaré admissible la preuve de la paternité naturelle alléguée et a ordonné un examen comparatif des empreintes génétiques de l'enfant Kenza Yamina, de sa mère Mme X..., et de M. Y..., cette expertise étant confiée au laboratoire CODGENE.
A la suite du dépôt par l'expert, le 20 juillet 2005, d'un rapport de carence, M. Y... ne s'étant pas présenté pour effectuer le prélèvement biologique nécessaire à l'expertise, la Cour, par arrêt du 19 mars 2006, a ordonné avant-dire droit le retour du dossier au laboratoire CODGENE pour la reprise des opérations d'expertise ordonnées par le précédent arrêt du 2 septembre 2004, après avoir constaté qu'il ne ressortait pas des pièces communiquées par l'expert que l'intimé avait effectivement eu connaissance de la convocation à se présenter au laboratoire CODGENE, faute pour celle-ci d'avoir été adressée à son adresse connue.
M. Y... a donc été convoqué à l'adresse qu'il a communiquée,... à KINGERSHEIM, par lettre recommandée du 21 juin 2006 et avis de réception. Il n'a pas réclamé le pli et ne s'est pas soumis à un prélèvement biologique. Un nouveau rapport de carence a été établi par l'expert le 14 février 2007.
Dans le dernier état de ses conclusions du 12 mars 2007, Mme X... demande à la Cour de :-juger que M. Y... est le père de l'enfant Kenza Yamina, née le 10 mai 2000 et reconnue par sa mère, Mme X...,-ordonner la transcription de sa paternité à l'Etat Civil de MULHOUSE,-condamner M. Y... à payer une contribution à l'entretien de l'enfant d'un montant de 400 euros par mois, avec indexation, et ce à compter du mois de mai 2000,-condamner M. Y... à lui payer 5. 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Mme X... fait tout d'abord valoir que la période légale de conception se situe entre les mois de juillet et septembre 1999, période au cours de laquelle elle avait encore des relations suivies avec M. Y..., qu'elle fréquentait depuis 1987, ce qui ressortait déjà des motifs de l'arrêt avant-dire droit du 2 septembre 2004.
Cet arrêt évoque également les pressions exercées par M. Y... et sa famille sur Mme X... pour la convaincre d'avorter, son refus étant à l'origine de la séparation des parties.
Enfin, Mme X... stigmatise le refus de M. Y... de se soumettre à un prélèvement biologique, faisant ainsi obstacle à l'établissement de la preuve scientifique de sa paternité, ce refus constituant un aveu implicite de cette paternité.
Mme X... précise par ailleurs le montant de ses ressources, s'établissant entre 1800 et 1900 euros par mois, en 2003,2004,2005, un peu moins en 2006, et détaille ses charges incompressibles qui s'élèvent à 1 113 euros par mois. Elle conclut que M. Y..., directeur commercial d'une agence distribuant du matériel informatique et de reproduction, est en mesure de lui verser 400 euros au titre de la contribution mensuelle à l'entretien de sa fille.
Par ses dernières conclusions du 29 mars 2007, M. Y... demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris (pourtant infirmé en toutes ses dispositions par l'arrêt du 2 septembre 2004) de débouter Mme X... de ses demandes et de la condamner à lui payer 1. 200 euros au titre des frais irrépétibles.
M. Y... reprend ses arguments déjà développés avant le prononcé de l'arrêt du 2 septembre 2004, concernant essentiellement l'analyse des témoignages produits par les parties, et ajoute que la carence d'une partie à des opérations d'expertise sanguine n'est pas un éléments suffisant pour permettre d'établir une paternité, si cet élément n'est pas confirmé par des éléments probants confortant l'existence de relations intimes entre la mère et celui dont la paternité est recherchée, et ce pendant la période légale de conception. Il estime à cet égard que les témoignages recueillis n'établissent pas l'existence d'une communauté de vie entre les parties au moment de la période légale de conception, et indiquent en revanche, pour certains de ces témoignages, que la demanderesse a fréquenté " d'autres garçons " durant cette période.
M. Y... affirme enfin qu'il a un revenu de 3838 euros par mois, mais supporte des charges d'un emprunt immobilier, ainsi que celles de deux enfants nés en 2003 et 2004, ce qui doit conduire à une réduction sensible du montant de la contribution, si sa paternité devait être reconnue.
Vu l'ordonnance de clôture du 3 mai 2007 ;
Vu les conclusions susvisées, l'ensemble de la procédure et les pièces produites par les parties ;
EN CET ETAT :
Vu l'article 340 du Code civil ;
Sur l'action en déclaration de paternité :
Attendu qu'il ressort indiscutablement de l'ensemble des témoignages produits aux débats, en particulier ceux produits par M. Y... (attestations de Amara et Nacira C..., Mickaël D..., Mounir E..., Lakhdar F..., Chantal G..., Sandra B..., Smaïl H..., Lydia I..., J... T... et Philippe K...), que le défendeur et la demanderesse ont entretenu une liaison très suivie durant plusieurs années, de 1989 à 1995, sinon 1996, M. Y... prenant l'initiative de se séparer de Mme X... pour entretenir d'autres liaisons, d'abord avec " Sabrina L... " (ou S...) jusqu'à l'été 1998, puis avec " Naziha M... " qu'il a épousée le 30 mars 2002 et dont il a eu par la suite deux enfants ; que ces témoins soulignent également de manière constante que Mme X... n'a jamais accepté cette séparation et a toujours tenté de renouer avec M. Y... dont elle était restée amoureuse ;
Attendu que ces témoignages ne sont pas contradictoires avec ceux produits par Mme X... en ce qu'ils confirment la liaison continue entretenue par les parties jusqu'à leur séparation qu'ils situent cependant en octobre 1996 et non en 1995, cette divergence étant sans incidence sur le litige, compte tenu de la période de conception de l'enfant Kenza Yamina qui se situe entre juillet et novembre 1999 ; que certaines des attestations produites par la demanderesse complètent en outre les témoignages soumis par le défendeur en ce qu'elles indiquent que, malgré leur séparation, les parties continuaient à se rencontrer, ce qui est parfaitement crédible et compatible à la fois avec la volonté tenace et non contestée de Mme X... de reprendre sa liaison avec M. Y... et la disponibilité de celui-ci entre sa liaison avec Sabrina L... et celle entamée avec Naziha M... ;
qu'ainsi Mme Sonia N... indique M. Y... " continuait de voir Mme X...... à MULHOUSE après leur séparation et jusqu'en septembre 1999 ", fait confirmé par Mme O... épouse P... qui évoque la réputation de " coureur de jupons " de M. Y..., lequel " a continué à fréquenter (la demanderesse) jusqu'à l'automne 1999 ", soit au cours de la période légale de conception ; qu'il résulte enfin des témoignages d'Abdelkader, Nissa et Nadia X..., frère et soeurs de la demanderesse, mais aussi de celui de Sonia N... que, lorsque Mme Mariem X... était enceinte de Yamina Kenza, M. Y... a exercé de très fortes pressions sur la demanderesse, particulièrement courant octobre et novembre 1999, pour l'inciter à avorter, ces agissements étant confortés par l'inscription sur les registres de main courante du commissariat central de MULHOUSE de trois signalements faits les 1er et 28 octobre 1999 ainsi que le 1er novembre 1999 par Mme X..., dénonçant ces pressions et les menaces dont elle était l'objet de la part du défendeur si elle n'avortait pas ; qu'un autre témoin, M. Philippe R..., indique dans une attestation du 20 septembre 2002 : " J'ai, à plusieurs reprises au courant de ces trois dernières années, côtoyé M. Y... Azzedine tant dans le cadre associatif que familial et, à ces occasions, il a clairement revendiqué la paternité de la petite fille Kenza qu'il a eu de sa liaison avec Mlle X... Mariem tout en regrettant toutefois qu'elle n'ait pas avorté comme il le souhaitait " ;
Attendu que l'ensemble de ces témoignages établit suffisamment que les parties ont eu des relations intimes au cours de la période légale de conception ;
Attendu qu'à ces présomptions et indices graves de la paternité de M. Y... à l'égard de l'enfant Kenza Yamina, qui avaient déjà été admis par l'arrêt de la Cour d'Appel de COLMAR dans son arrêt du 2 septembre 2004, s'ajoute le refus du défendeur de se soumettre à l'expertise génétique ordonnée par cette décision ; que ce refus est dépourvu de toute justification, M. Y... s'employant uniquement dans ses conclusions à combattre la portée des indices et présomptions susrappelés qui avaient précisément été analysés par la Cour, dans l'arrêt susvisé, comme suffisamment graves pour admettre la preuve par l'expertise génétique ; qu'en outre, si, comme le suggère le défendeur, la paternité de Kenza doit être attribuée à un autre " garçon ", qu'il n'identifie pas autrement qu'en évoquant un prénommé " Harim ", l'expertise ordonnée par la Cour était de nature à combattre l'ensemble des éléments qui avaient été considérés comme suffisamment probants par la Cour pour justifier l'expertise ; que le refus de M. Y... de se soumettre à celle-ci, sans motif légitime, constitue ainsi un indice supplémentaire à ceux déjà réunis au cours de la procédure, l'ensemble de ces présomptions et indices graves faisant la preuve de la paternité de M. Y... à l'égard de Kenza Yamina X..., née le 10 mai 2000 à MULHOUSE ;
Sur la demande de pension alimentaire :
Attendu que cette demande est recevable, une action en déclaration de paternité pouvant être assortie, contrairement aux affirmations du défendeur, d'une demande de pension alimentaire ;
Attendu que Mme X... justifie par les pièces qu'elle produit (déclarations de ses revenus pour 2003,2004,2005 et montant cumulé annuel imposable de ses salaires en 2006) de revenus mensuels hors prestations familiales (84 euros), s'établissant pour ces années de 1890 euros à, en dernier lieu,1720 euros, la demanderesse travaillant actuellement à plein temps en qualité d'agent de service hospitalier ; qu'elle justifie également de charges mensuelles, notamment d'un loyer, de 1113 euros environ ; que ces chiffres ne sont pas contestés par M. Y... qui fait état, en ce qui le concerne, d'un revenu mensuel de 3838 euros, en salaire et en primes, en sa qualité de directeur commercial d'une S. A. S. " Digital Office Store " ; qu'il n'a pas de charge de loyer, étant propriétaire de l'immeuble où il est domicilié à KINGERSHEIM mais fait valoir d'importantes charges de remboursement d'emprunts qu'il a contractés en 2001 (échéances mensuelles de 1111 euros) en 2003 (échéances mensuelles de 484 euros) et en 2007 (échéances mensuelles de 2199 euros), le défendeur assumant par ailleurs l'entretien de ses deux enfants légitimes nés en janvier 2003 et novembre 2004 ;
Attendu que compte tenu de l'âge de l'enfant Kenza Yamina, aujourd'hui âgée de sept ans, et de ses besoins qui seront grandissants, notamment avec sa scolarisation, de la modestie des revenus de Mme X... depuis la naissance de l'enfant, par rapport à ceux de M. Y... qui ne peut arguer de la lourdeur actuelle de ses charges alors qu'il a, en connaissance de cause et notamment de la procédure en cours, depuis décembre 2000, alourdi sa charge d'emprunt en souscrivant un important prêt immobilier fin 2006 début 2007 à rembourser à raison de 2199 euros par mois, il y a lieu de fixer sa contribution à l'entretien et à l'éducation de sa fille Kenza Yamina à la somme de 350 euros par mois ; que cette contribution est due à compter du 1er juin 2000, dès lors que les effets de la paternité établie par le présent arrêt remontent à la naissance de l'enfant ;
Attendu, enfin, que Mme X... est fondée en sa demande de dommages et intérêts, le comportement de M. Y... tout au cours de la procédure, particulièrement par son refus de se soumettre à l'expertise génétique, attestant à la fois de sa parfaite connaissance de sa paternité à l'égard de l'enfant Kenza Yamina et de sa mauvaise foi en refusant de la reconnaître, obligeant Mme X... à engager et à prolonger longuement une procédure judiciaire pour faire établir cette paternité ; que ce comportement fautif a occasionné à la demanderesse un préjudice qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 3. 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que l'issue du litige conduit à dire que M. Y... sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à Mme X... une somme globale de 2700 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés.
PAR CES MOTIFS
Vu les arrêts de la Cour prononcés les 2 septembre 2004 et 9 mars 2006,
DIT que M. Azzedine Y..., né le 1er septembre 1970 à MULHOUSE, est le père de Kenza Yamina, née le 10 mai 2000 à MULHOUSE de Mariem X..., née le 21 janvier 1973 à MULHOUSE, qui l'a reconnue,
ORDONNE la transcription de cette disposition sur les registres de l'état civil de la Ville de MULHOUSE, en marge de l'acte de naissance de l'enfant Kenza Yamina X...,
CONDAMNE M. Y... à payer à Mme X..., au titre de sa contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant Kenza Yamina, une pension alimentaire mensuelle de 350 euros (trois cent cinquante euros), à compter du 1er juin 2000, cette pension étant indexée sur l'indice national du prix à la consommation des ménages urbains, série France entière, l'indice de base étant celui en vigueur le 1er juin 2000, et payable d'avance, pour les mensualités dues à compter de décembre 2007, avant le 5 de chaque mois au domicile de la mère,
CONDAMNE M. Y... à payer à Mme X... une somme de 3. 000 euros (trois mille euros) à titre de dommages et intérêts,
CONDAMNE M. Y... aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à Mme X... une somme totale de 2. 700 euros (deux mille sept cents euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.