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02/02/2010 | FRANCE | N°86

France | France, Cour d'appel de colmar, Premiere chambre civile - section a, 02 février 2010, 86


COUR D'APPEL DE COLMARPREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 02 Février 2010
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A 08/03861
Décision déférée à la Cour : 19 Juin 2008 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE A COMPETENCE COMMERCIALE DE STRASBOURG

Défenderesse APPELANTE :
SAS BRASSERIES KRONENBOURG68 route d'Oberhausbergen67200 STRASBOURG
Représentée par la SELARL ARTHUS CONSEIL, avocat à la Cour Avocat plaidant : Me BRAUN, avocat au Barreau de Strasbourg

Demanderesse INTIMEE :
SAS HEINEKEN ENTREPRISES19 rue des Deux Gares92500 RUEIL MALMA

ISON
Représentée par Me Valérie SPIESER, avocat à la Cour Avocat plaidant : Me DJAVADI, avo...

COUR D'APPEL DE COLMARPREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 02 Février 2010
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A 08/03861
Décision déférée à la Cour : 19 Juin 2008 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE A COMPETENCE COMMERCIALE DE STRASBOURG

Défenderesse APPELANTE :
SAS BRASSERIES KRONENBOURG68 route d'Oberhausbergen67200 STRASBOURG
Représentée par la SELARL ARTHUS CONSEIL, avocat à la Cour Avocat plaidant : Me BRAUN, avocat au Barreau de Strasbourg

Demanderesse INTIMEE :
SAS HEINEKEN ENTREPRISES19 rue des Deux Gares92500 RUEIL MALMAISON
Représentée par Me Valérie SPIESER, avocat à la Cour Avocat plaidant : Me DJAVADI, avocat au Barreau de Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Décembre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :M. HOFFBECK, Président de Chambre, entendu en son rapportM. CUENOT, ConseillerM. ALLARD, Conseillerqui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme MUNCH-SCHEBACHER, Greffier

ARRET :- Contradictoire- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.- signé par M. Michel HOFFBECK, président et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. Attendu que se plaignant d'une concurrence déloyale par remise à ses clients de coupons de réduction pour l'acquisition de bière de marque concurrente, la Brasserie Heineken a intenté contre la Brasserie Kronenbourg une action indemnitaire ;
Attendu que par jugement du 19 juin 2008, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a condamné la Brasserie Kronenbourg à payer 20 000€ de dommages et intérêts à la Brasserie Heineken, et a ordonné sous astreinte la cessation de toute opération de couponnage électronique liée à la vente de bière de marque Heineken ;
Qu'il a condamné en outre la Brasserie Kronenbourg à payer à la Brasserie Heineken 2 000€ en compensation de son obligation de plaider ;
Attendu que la Brasserie Kronenbourg a relevé appel de ce jugement au terme d'un acte qui porte la date du 25 juillet 2008, et dont la recevabilité n'est pas contestée ;
Attendu qu'au soutien de son recours, la Brasserie Kronenbourg développe d'assez longues conclusions, dont il paraît possible de résumer les deux axes principaux ;
Qu'elle fait valoir que son couponnage est différent de celui qui a été condamné par la Cour de cassation en 1997, et qui vaut au consommateur de bière une réduction globale sur un panier de plusieurs produits, lequel peut contenir concurremment avec de la bière de marque Kronenbourg plusieurs autres sortes de produits, y compris de la bière de marque Heineken ;
Qu'elle estime que ce système est fondamentalement différent de celui condamné en 1997, et qu'il se borne en définitive à recentrer l'appel publicitaire sur les consommateurs de bière ;
Qu'elle développe assez longuement un moyen qui tend à faire reconnaître que son opération de couponnage n'est pas une pratique déloyale, trompeuse ou agressive au sens de la directive européenne de 2005, alors que les pratiques réputées déloyales sont limitativement énumérées à une annexe de ce règlement ;
Qu'elle estime que la primauté du droit européen interdit de faire considérer comme illicite une technique de vente qui n'est pas condamnée par la directive relative aux pratiques commerciales ;
Qu'elle souligne les évolutions en la matière, et rappelle qu'elles ont conduit à admettre la publicité comparative ;
Qu'elle fait valoir en substance que le couponnage réalisé n'a pour effet que d'inviter le consommateur à goûter le produit d'appel ;
Qu'elle conteste subsidiairement la réalité du préjudice invoqué par la Brasserie Heineken ;
Qu'elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris, et au rejet des demandes de la Brasserie Heineken ;
Qu'elle sollicite une compensation de 15 000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la Brasserie Heineken conclut à la confirmation du jugement entrepris, en faisant valoir essentiellement que la technique de couponnage utilisée par la société Kronenbourg ne diffère pas fondamentalement de celle condamnée en 1997 par la Cour de cassation ;
Qu'elle sollicite une compensation de 10 000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que les pièces versées aux débat et les explications des parties montrent que courant 2005, la société Heineken s'est plainte auprès de la société Kronenbourg d'un système de couponnage, qui consistait à remettre dans les supermarchés à l'enseigne Super U aux clients acquéreurs de bière Heineken des coupons de réduction valables pour l'achat de bière concurrente Kronenbourg 1664 ;
Attendu que les parties conviennent que, par une symétrie qui ne manque pas d'étonner un peu, la société Kronenbourg s'était plainte autrefois d'un procédé de couponnage assez similaire utilisé à son détriment par la Brasserie Heineken ;
Attendu que la société Heineken a demandé en 2005 la cessation de cette pratique, mais que d'après un document produit par elle, celle-ci s'est renouvelée en 2007 ;
Attendu qu'il est constant que la Cour de cassation a condamné des systèmes de ce type comme constitutifs d'agissements de concurrence déloyale par un arrêt du 18 novembre 1997 ;
Attendu qu'il paraît effectivement anormal que repérés par les caisses électroniques grâce à un code barre, les clients acquéreurs d'un type de produit se voient systématiquement remettre une offre de réduction pour un produit directement concurrent ;
Attendu qu'il ne saurait être question de remettre en cause les nécessités d'une saine concurrence, mais que la concurrence devient précisément malsaine lorsque sont repérés et appelés systématiquement les clients d'un produit concurrent ;
Qu'il est de principe que chacun doit promouvoir ses produits sans repérer systématiquement la clientèle de l'autre pour lui faire une offre de réduction ;
Attendu que la société Kronenbourg tente d'établir que son système diffère de celui condamné en principe en 1997, en ce qu'il vaut à l'acquéreur d'un panier de plusieurs produits un coupon de réduction pour la bière de marque Kronenbourg 1664, lequel est utilisable à l'occasion de l'acquisition d'un second panier d'une valeur minimale de 8€, susceptible de contenir également de la bière de marque Heineken ;
Qu'elle fait valoir que toutes les bières vendues par la société Heineken ne déclenchent pas l'émission du coupon, tandis que des bières vendues par d'autres que les deux parties déclenchent cette émission ;
Attendu cependant que ces nuances ne sauraient dissimuler que globalement, le système est identique à celui condamné en 1997 ;

Que même si les acquisitions doivent figurer dans deux paniers successifs de plusieurs produits, il reste que fondamentalement, c'est bien la vente de bière de marque Heineken qui déclenche lors du passage à la caisse l'émission d'un bon de réduction valable pour la bière Kronenbourg 1664 ;
Attendu qu'il y donc un repérage systématique de la clientèle du concurrent et une offre automatique de ristourne à celle-ci ;
Qu'il a déjà été dit que dans le cadre d'une concurrence saine, chacun devait promouvoir ses produits sans repérer et appeler systématiquement la clientèle de l'autre ;
Que l'anomalie reste fondamentalement la même, et qu'il est tout de même assez peu probable que lors de l'achat du second panier, les clients achètent à la fois de la bière de marque Heineken et de la bière de marque Kronenbourg ;
Attendu qu'il faut rappeler d'autre part que ces deux brasseries représentent sensiblement chacune un tiers de la consommation de bière en France, et qu'il est spécialement intéressant pour l'une d'appeler la clientèle de l'autre ;
Que même si les clients d'autres marques de bière sont également sollicités, ce qui n'est d'ailleurs pas réellement démontré, il demeure que le système fonctionne essentiellement entre les deux concurrents principaux ;
Attendu que la Brasserie Kronenbourg tente par ailleurs de démontrer qu'à défaut d'être condamnée expressément par la Directive européenne de 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, son système de couponnage ne pourrait pas être reconnu comme une technique de concurrence déloyale ;
Attendu que cela est assez manifestement inexact, et que la Directive en cause vise essentiellement à protéger les consommateurs, même si elle a pour effet accessoire et nécessaire de prohiber entre concurrents des techniques de vente déloyales ou agressives à destination de la clientèle ;
Attendu que la Directive en cause demeure fondamentalement une harmonisation des législations protectrices des consommateurs ;
Qu'elle laisse cependant intactes les règles de concurrence entre les producteurs, et que le fait qu'elle n'énumère pas parmi les pratiques réputées de plein droit déloyales le débauchage des salariés d'un concurrent ou l'espionnage industriel ne permet pas de conclure que de telles pratiques ne seraient pas constitutives de concurrence déloyale et devraient être autorisées ;
Qu'il ne paraît pas utile de s'attarder plus avant sur la portée manifestement erronée donnée par la société Kronenbourg à la Directive en cause ;
Attendu que la société Kronenbourg ne donne pas d'indication sur le volume de ses opérations de couponnage, et que l'estimation à 20 000€ du préjudice de la société Heineken apparaît dans ces conditions comme une moyenne acceptable ;
Qu'il s'agit surtout pour elle d'ailleurs d'obtenir une condamnation de principe ;

Attendu que la Cour confirme également la condamnation de la société Kronenbourg à cesser toute opération de couponnage électronique liée à la vente des bières de la marque Heineken ;
Attendu que le jugement entrepris est confirmé en toutes ses dispositions, y compris celle accessoire relative à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que pour son obligation d'intervenir en cause d'appel, la société Heineken doit recevoir une compensation supplémentaire de 750€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :
La Cour,

Reçoit l'appel de la SAS Brasserie Kronenbourg contre le jugement du 19 juin 2008 du Tribunal de grande instance de Strasbourg ;
Au fond,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS Brasserie Kronenbourg à payer à la SA Brasserie Heineken une compensation supplémentaire de 750€ (sept cent cinquante euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour son obligation d'intervenir en cause d'appel ;
Condamne la SAS Brasserie Kronenbourg aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : Premiere chambre civile - section a
Numéro d'arrêt : 86
Date de la décision : 02/02/2010
Type d'affaire : Civile

Analyses

CONCURRENCE DELOYALE OU ILLICITE - Concurrence déloyale - Faute - Détournement de clientèle - Vente - Remise d'un bon de réduction - Bon à valoir sur un produit d'un concurrent

Le couponnage électronique qui consiste, à l'occasion de ventes de bière, à remettre au client, lors du passage en caisse, un coupon de réduction valable pour l'achat de bière d'un brasseur déterminé est constitutif de concurrence déloyale, dès lors que l'offre de ristourne automatique touche la clientèle systématiquement repérée de son concurrent. La liste des pratiques réputées déloyales en toutes circonstances par la Directive 2005/29/CE du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, n'est pas limitative. Le fait que le couponnage ne soit pas énuméré par ladite directive comme réputé de plein droit déloyal ne permet pas de conclure qu'il n'est pas constitutif de concurrence déloyale


Références :

article 1382 du code civil

Directive 2005/29/CE du Conseil du 11 mai 2005

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Strasbourg, 19 juin 2008


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2010-02-02;86 ?
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