CF/VD
MINUTE No 22/319
NOTIFICATION :
Copie aux parties
Clause exécutoire aux :
- avocats
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB
ARRET DU 07 Avril 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB No RG 19/03260 - No Portalis DBVW-V-B7D-HEN4
Décision déférée à la Cour : 17 Avril 2019 par le pôle social du Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG
APPELANTE :
Société SOVEC ENTREPRISES SA
(RCS Strasbourg No B 329 178 453)
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentée par Me Jean-Christophe SCHWACH, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMES :
Monsieur [K] [I]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Angélique COVE, avocat au barreau de STRASBOURG
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU BAS-RHIN
Service contentieux
[Adresse 3]
[Localité 6]
Comparante en la personne de Mme [G] [X], munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 Janvier 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
Mme ARNOUX, Conseiller
Mme HERY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
- signé par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
FAITS ET PROCEDURE
Le 1er avril 2014, M. [K] [I], employé de la société Sovec Entreprises, chef de chantier depuis le 1er février 2014, a été victime d'un accident du travail déclaré comme étant survenu dans les circonstances suivantes « la victime effectuait le démontage d'un échafaudage roulant », le certificat médical initial rapportant « chute avec traumatisme de l'épaule droite nécessitant repos ».
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin a pris en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels. L'état de santé de M. [I] a été estimé consolidé le 12 octobre 2015 avec attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5%, porté au taux de 8% par décision -elle-même contestée- du tribunal du contentieux de l'incapacité.
M. [I] a été licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement par lettre du 19 août 2016.
Estimant que cet accident était dû à la faute inexcusable de son employeur, M. [K] [I] a saisi la CPAM du Bas-Rhin aux fins de conciliations puis, après refus de l'employeur, a attrait la société Sovec SARL, inscrite au RCS de Strasbourg sous le no B 329178 453, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) du Bas-Rhin par requête reçue le 7 août 2017.
Par jugement du 17 avril 2019, le tribunal de grande instance de Strasbourg (Pôle social), remplaçant le TASS, a :
- dit que l'accident du travail dont a été victime M. [K] [I] a été victime le 1er avril 2014 est dû à la faute inexcusable de la SA Sovec Entreprises, son employeur,
- dit que la rente servie par la CPAM du Bas-Rhin sera majorée au montant maximum et que la majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité attribué,
- avant dire droit, sur la liquidation des préjudices subis par M. [I], ordonné une expertise médicale confiée au Dr [B],
- dit que la CPAM du Bas-Rhin fera l'avance des frais d'expertise,
- accordé à M. [I] une somme de 2.000 euros à titre de provision,
- dit que la CPAM du Bas-Rhin versera directement à M. [I] les sommes dues au titre de la majoration de la rente, de la provision et de l'indemnisation supplémentaire,
- dit que la CPAM du Bas-Rhin pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir, provision et majoration accordées à M. [I] à l'encontre de la société Sovec Entreprises et condamné cette dernière à ce titre,
- fait injonction à la société Sovec Entreprises de communiquer à la CPAM du Bas-Rhin les coordonnées de son assurance garantissant le risque « faute inexcusable »,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- réservé à statuer pour le surplus sur les demandes des parties,
- déclaré le jugement commun et opposable à la CPAM du Bas-Rhin,
- et ordonné le renvoi de l'affaire à une audience ultérieure.
Vu l'appel interjeté par la SARL Sovec Energie le 16 juillet 2019 du jugement rendu le 17 avril 2019 et notifié le 28 juin 2019 ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 14 octobre 2019, reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles la société Sovec Entreprises SA demande à la cour de :
- dire que la faute inexcusable ne peut être retenue à l'encontre de la société Sovec Entreprises,
en conséquence,
- infirmer le jugement du pôle social du tribunal de grande instance de Strasbourg en déboutant M. [I] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner M. [I] aux entiers frais et dépens ainsi qu'à 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 28 septembre 2020, reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles M. [K] [I] demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 17 avril 2019 en toutes ses dispositions,
- condamner la société Sovec à verser à M. [I] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Sovec aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel ;
Vu les conclusions visées le 13 janvier 2021, reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin déclare s'en remettre à la sagesse de la cour sur le point de savoir si l'accident du travail dont a été vicitme M. [K] [I] le 1er avril 2014 est ou non imputable à la faute inexcusable de l'employeur ;
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions ;
MOTIFS
L'appel a été interjeté par voie électronique le 16 juillet 2019 au nom de la « SARL COVEC ENERGIE » -désignée partie défenderesse dans l'en-tête du jugement-, le jugement ayant été notifié à la « SARL SOVEC ENERGIE » le 28 juin 2019.
Interjeté dans les forme et délai légaux, l'appel doit être déclaré recevable.
Il y a lieu de relever que si l'appel du jugement apparaît avoir été régularisé au nom de la « SARL COVEC ENERGIE », M. [I] a introduit l'instance en reconnaissance de faute inexcusable à l'encontre de la société Covec SARL inscrite au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Strasbourg sous le numéro B 329 178 453, et que la société mise en cause sous ce numéro a comparu comme étant la société Sovec Entreprises SA ; qu'il ressort du dispositif du jugement que le tribunal s'est prononcé à l'encontre de la société Sovec Entreprises employeur de M. [I] ; que devant la cour les parties s'accordent sur l'identification de l'appelante, la société Sovec Entreprises SA, laquelle a régularisé ses conclusions en tant qu'appelante.
Le jugement se trouve donc affecté d'une erreur matérielle quant à la désignation de la partie défenderesse qui est la société Sovec Entreprises SA, erreur que la cour par application de l'article 462 du code de procédure civile est en mesure de corriger.
Le jugement en son dispositif désigne par ailleurs le demandeur sous le prénom de « [K] » alors qu'il ressort de l'ensemble des pièces de procédure que M. [I] se prénomme « [K] ». Cette erreur peut également être corrigée par la cour à laquelle le jugement est déféré.
Sur l'existence de la faute inexcusable de l'employeur
L'article L452-1 du code de la sécurité sociale énonce que lorsqu'un accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
Par application des dispositions précitées combinées aux dispositions des articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail, le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes, telles une imprudence ou une faute du salarié lui-même, auraient concouru au dommage.
La conscience du danger, dont la preuve incombe à la victime, s'apprécie par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d'activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations.
En l'espèce, M. [K] [I] a été victime d'un accident du travail le 1er avril 2014 alors qu'il effectuait le démontage d'un échafaudage accompagné d'un seul apprenti M. [C] [O], mineur âgé de 17 ans comme étant né le [Date naissance 4] 1997.
M. [C] [O] atteste qu'il était présent sur le chantier lors de l'accident de M. [I], son tuteur ; que celui-ci a reçu un appel téléphonique et que ne sachant pas que M. [I] était au téléphone, il a continué son travail, et a également démonté une pièce qui a entraîné l'effondrement de l'échafaudage où se trouvait M. [I].
Selon le compte-rendu d'accident communiqué par la société employeur en pièce annexe no9, « la victime effectuait le démontage de son échafaudage en fin de travaux avec évacuation à l'extérieur du local. La victime se tenait debout sur le plateau de l'échafaudage, passant les pièces à son apprenti au sol pour évacuation. Pendant l'opération, le téléphone portable du CC [chef de chantier] sonne, il prend l'appel, entre en conversation et poursuit son opération de démontage. ?
La victime déboîte une pièce de l'échafaudage. ? L'échafaudage se « pli » dans sa longueur, amenant l'ensemble au sol. Le choc au sol provoque la chute de la victime qui se reçoit sur l'épaule ».
A l'appui de son appel, la société Sovec Entreprises, qui conteste sa faute inexcusable, fait valoir que la cause première et déterminante de l'accident est à rechercher dans le comportement de M. [I] qui, en répondant au téléphone, ne pouvait plus assurer avec vigilance le démontage de l'échafaudage, que M. [I] était responsable du chantier et de son organisation et tuteur de l'apprenti, et ne pouvait laisser intervenir ce dernier dans le démontage de l'échafaudage, que M. [I] disposait d'une délégation permanente de pouvoir en matière d'hygiène et de sécurité, qu'il était formé et avait donc une parfaite connaissance de la réglementation, qu'il se devait et était en mesure de prendre les mesures nécessaires pour que l'opération se déroule dans le respect des règles de sécurité, en tout cas exercer son droit de retrait.
Aux termes mêmes de l'avenant à son contrat de travail consacrant sa promotion à compter du 1er février 2014 au poste de chef de chantier, M. [I] avait notamment en charge « de manager les équipes mises à sa disposition pour la réalisation des chantiers » de sorte que s'il avait aussi en charge « de garantir la sécurité et l'application des consignes de sécurité sur les chantiers », la détermination de la composition de son équipe pour la réalisation d'un chantier donné restait à l'initiative et relevait de la responsabilité de la société Sovec Entreprises, ce que la société ne démentit pas.
Vu l'article R4323-69 du code du travail qui stipule que les échafaudages ne peuvent être montés, démontés ou sensiblement modifiés que sous la direction d'une personne compétente et par des travailleurs qui ont reçu une formation adéquate et spécifique aux opérations envisagées,
Vu l'article D4153-31 du code du travail selon lequel il est de principe interdit d'affecter les jeunes au montage et démontage d'échafaudages, la société Sovec Entreprises qui oeuvre dans le domaine du bâtiment, avait, en tout cas devait avoir, conscience du danger auquel elle exposait M. [I] en l'appelant à intervenir le 1er avril 2014 sur un chantier et à y réaliser le démontage d'un échafaudage avec un apprenti mineur qu'elle savait ne pouvoir procéder au travail, quand son salarié M. [I] ne pouvait l'exécuter seul.
Il s'ensuit qu'en s'abstenant de mettre à la disposition de M. [I] une équipe suffisante dotée de la formation adaptée, la société Covec Entreprises a commis une faute inexcusable directement à l'origine de l'accident, ce indépendamment de l'usage éventuellement imprudent de son téléphone par le salarié ou de l'absence d'exercice par lui de son droit de retrait en présence d'une situation qu'il pouvait estimer dangereuse, circonstances qui ne remettent pas en cause la faute de la société Coved Entreprises, étant au surplus souligné que n'est pas rapportée la preuve d'une quelconque faute volontaire de la victime à l'origine de son dommage.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur.
Sur les conséquences de la faute inexcusable de l'employeur et les dispositions accessoires
Les parties ne critiquent pas les conséquences que les premiers juges ont tirées de la reconnaissance de la faute inexcusable de la société Sovec Entreprises de sorte que le jugement rendu sera confirmé en toutes ses dispositions dans les termes du dispositif ci-après et le dossier renvoyé par les soins du greffe au tribunal judiciaire de Strasbourg pour la poursuite de l'instance en indemnisation de M. [K] [I].
Partie succombante, la société Sovec Entreprises sera condamnée aux dépens d'appel et à verser à M. [K] [I] une indemnité de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés, sa propre demande de ce chef étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la Loi,
DECLARE l'appel interjeté recevable ;
RECTIFIE le jugement déféré rendu le 17 avril 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Strasbourg ;
et,
DIT que le demandeur est M. [K] [I] et que le dispositif du jugement bénéficie à M. [K] (et non [K]) [I] ;
DIT que la défenderesse est, non pas la SARL Sovec Energie tel que mentionné en en-tête du jugement, mais la société Sovec Entreprises SA, immatriculée au RCS de Strasbourg sous le no B 329 178 453, telle que désignée dans le dispositif du jugement ;
CONFIRME le jugement ainsi rectifié en toutes ses dispositions ;
y ajoutant,
CONDAMNE la société Sovec Entreprises SA aux dépens d'appel ;
CONDAMNE la société Sovec Entreprises SA à verser à M. [K] [I] une indemnité de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la Sovec Entreprises SA de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT que le dossier de la procédure sera renvoyé par les soins du greffe de la cour au tribunal judiciaire de Strasbourg pour la poursuite de l'instance en indemnisation de M. [K] [I].
Le Greffier,Le Président,