COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 21 / 06 / 2007
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No RG : 07 / 00430
Offre FIVA
du 24 Novembre 2006
REF : LB / VD
DEMANDERESSES
Madame Monique X... veuve Y...
née le 21 Octobre 1946 à VALENCIENNES (59300)
Demeurant
...
59300 AULNOY LES VALENCIENNES
représentée par Me MELIN de la SCP TEISSONNIERE & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS
Mademoiselle Déborah Y...
née le 20 Juillet 1973 à SAINT-SAULVE
Demeurant
...
59300 AULNOY LES VALENCIENNES
représentée par Me MELIN de la SCP TEISSONNIERE & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS
DÉFENDEUR
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
Ayant son siège social
Tour Galliéni II-36 Avenue du Général de Gaulle
93175 BAGNOLET CEDEX
représenté par Me Bertrand MEIGNIÉ, avocat au barreau de DOUAI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Madame MERFELD, Présidente de chambre
Madame BERTHIER, Conseillère
Monsieur KLAAS, Conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Madame AMBROZIEWICZ
DÉBATS à l'audience publique du 09 Mai 2007,
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 21 Juin 2007 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame MERFELD, Présidente, et Mademoiselle HAINAUT, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur Allan Y..., né le 11 janvier 1943, a travaillé de 1974 à 1988 pour la société VALLOUREC INDUSTRIES en qualité de technicien d'entretien et a été exposé aux poussières d'amiante. Un mésothéliome pleural a été diagnostiqué le 20 décembre 2003. Monsieur Y... est décédé des suites de sa maladie le 10 février 2006 à l'âge de 63 ans.
Par décision du 20 août 2004, la Caisse primaire d'assurance maladie de VALENCIENNES a reconnu le caractère professionnel de cette maladie.
Les ayants droit de Monsieur Y... ont saisi le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (ci-après FIVA) qui par lettre du 24 novembre 2006, leur a notifié une offre d'indemnisation se décomposant comme
suit :
1o) Action successorale
* préjudice patrimonial
rente 100 % 16. 863,00 € par an
arriéré de rente
du 05 / 11 / 2003 au 10 / 02 / 2006 38. 253,60 €
à déduire : versements de la sécurité sociale-52. 899,52 €
Solde néant
* préjudice extra-patrimonial
préjudice moral 69. 500,00 €
souffrances physiques 22. 500,00 €
préjudice d'agrément 22. 500,00 €
préjudice esthétique 2. 000,00 €
2o) Préjudice personnel des ayants droit
-Madame Monique X..., veuve Y..., épouse de la victime
* préjudice moral 100. 000,00 €
-Mademoiselle Déborah Y..., fille de la victime
* préjudice moral et d'accompagnement
de fin de vie 50. 000,00 €
-Monsieur Z...
Y... Matthéo, petit-fils de la victime
* préjudice moral et d'accompagnement
de fin de vie 3. 000,00 €
Les consorts Y... ont contesté cette offre devant la Cour par lettre du 18 janvier 2007 reçue le 22 janvier 2007.
Dans leurs écritures déposées le 10 mai 2007 et reprises oralement lors de l'audience, ils demandent à la Cour de leur attribuer :
1o) au titre de l'action successorale :
préjudice fonctionnel non contesté
allocation tierce personne : 25. 667,00 €
préjudice moral 100. 000,00 €
souffrances physiques 100. 000,00 €
préjudice d'agrément 100. 000,00 €
préjudice esthétique 25. 000,00 €
2o) Préjudice personnel des ayants droit
-Madame Monique X..., veuve Y..., épouse de la victime
* préjudice moral 100. 000,00 €
-Mademoiselle Déborah Y..., fille de la victime
* préjudice moral 50. 000,00 €
Ils se portent en outre demandeurs d'une somme de 1. 600 € chacun en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le FIVA conclut le 8 mars 2007 par écritures reprises oralement lors de l'audience :
-à l'irrecevabilité de la demande relative à la tierce personne qui n'a pas été présentée lors de la saisine, ce qui l'a mis dans l'impossibilité de statuer sur ce chef de préjudice, et subsidiairement, de ramener l'indemnisation à la somme de 2. 034,42 €,
-à la confirmation de ses offres d'indemnisation,
-au rejet de la demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
SUR CE :
Sur la recevabilité de la demande au titre de la tierce personne
Attendu le FIVA soulève l'irrecevabilité de la demande au titre de la tierce personne faisant valoir qu'en application de l'article 53 V de la loi du 23 décembre 2000 la Cour d'Appel saisie d'un recours ne peut statuer que les préjudices sur lesquels il a été préalablement mis en mesure de notifier une offre et que les consorts Y... ne lui ont, à aucun moment, présenté une demande pour ce chef de
préjudice ;
Mais attendu que le formulaire d'indemnisation délivré par le FIVA conformément aux dispositions de l'article 15 du décret du 23 octobre 2001 ne permet pas aux demandeurs d'indiquer le montant de l'indemnité sollicitée, ni les divers chefs de préjudice ; qu'ils ne peuvent que saisir le Fonds d'une demande générale ;
Que les consorts Y... n'ayant pas accepté l'offre formulée par le Fonds au titre du préjudice patrimonial du de cujus sont recevables, dans le cadre de leur contestation globale, à saisir la Cour de toute demande d'indemnisation d'un chef de préjudice patrimonial trouvant sa source dans la contamination par l'amiante ;
Que cette demande est recevable ;
Sur l'action successorale
Attendu que le mésothéliome a été diagnostiqué le 4 novembre 2003 alors que Monsieur Y... était âgé de 60 ans ; qu'il est décédé le 10 février 2006 à l'âge de 63 ans ; que le FIVA a reconnu un taux d'incapacité de 100 % ;
a) sur le préjudice patrimonial
-préjudice fonctionnel
Attendu qu'il convient de noter que les ayants droit de Monsieur Y... ne contestent pas ce poste de préjudice ;
-tierce personne
Attendu que les consorts Y... sollicitent de ce chef l'allocation d'une indemnité calculée comme suit :
-du 25. 05. 2004 au 09. 02. 2005 :
3 h x 8,5 € x 291 jours 7. 421,00 €
-du 10. 02. 2005 au 27. 12. 2005 :
6 h x 8,5 € x 276 jours (321 j-45 j d'hospitalisation) 14. 076,00 €
-du 28. 12. 2005 au 10. 02. 2006
10 h x 10 € x 42 jours (45 j-3 j d'hospitalisation) 3. 570,00 €
Attendu que le FIVA rétorque que le recours à une tierce personne n'était " scientifiquement pas possible " dès lors que Monsieur Y... présentait un état de santé modérément altéré présentant un index de Karnofski (score d'autonomie) à 70 % et qu'en outre, il n'avait pas saisi son organisme social d'une demande de complément tierce personne ;
Attendu que le poste de préjudice relatif à la tierce personne doit être apprécié concrètement au regard du besoin réel de la victime à qui il appartient, conformément à l'article 9 du nouveau code de procédure civile, de fournir les éléments de preuve nécessaires au succès de sa prétention ;
Attendu que la nécessité de l'assistance d'une tierce personne ne peut résulter de la seule gravité du préjudice ;
Que force est de constater que les consorts Y... n'appuient leur demande sur aucune pièce médicale justificative ; qu'en revanche Madame Y... donne des explications précises sur la nature et l'importance de l'assistance qui étaient nécessaires ; qu'il ne ressort pas de son témoignage que Monsieur Y... a eu besoin d'une tierce personne avant décembre 2005 puisqu'elle précise que son état s'est dégradé " petit à petit " à compter de l'été 2005, (date de son voyage en Angleterre, pour visiter sa famille) époque à laquelle il n'a plus su ni conduire, danser, s'occuper de la maison et du jardin mais que Monsieur Y... bien que diminué restait encore seul " pendant la plus grande partie du temps " (page 8 de sa déclaration) ; qu'il a ensuite fallu l'aider à se lever, s'habiller, se déplacer et il a bénéficié d'un lit médicalisé au rez-de-chaussée à compter du 1er février 2006 ;
Qu'il importe peu que Monsieur Y... n'ait pas demandé à son organisme social une majoration de rente pour tierce personne ; que le FIVA légalement subrogé dans les droits de la victime, n'intervient pas à titre subsidiaire ;
Que le préjudice pour tierce personne s'établit donc ainsi :
-du 24 décembre 2005 (date de sortie d'hospitalisation) au 10 février 2006
6 heures x 8,50 € x 46 jours (49 jours-3 jours d'hospitalisation) = 2. 346,00 €
b) sur le préjudice extra-patrimonial
-souffrances physiques
Attendu que Monsieur Y... a subi notamment une thoracoscopie de talcage,6 cures de chimiothérapie,10 séances de radiothérapie, de la kinésithérapie respiratoire, de l'oxygénothérapie... ;
Que ses proches témoignent des grandes souffrances qu'il a endurées ;
Attendu qu'en fonction de l'intensité des douleurs qui apparaît au vu des pièces produites et de leur durée, il sera alloué une indemnité de 30. 000 € ;
-préjudice moral
Attendu que le FIVA a fait une juste évaluation du préjudice moral ressenti par Monsieur Y... entre la date du diagnostic et celle de son décès, dont les composantes sont d'une part l'angoisse d'être atteint d'une maladie affectant le pronostic vital dont il n'a pu que constater l'évolution et d'autre part l'atteinte à sa dignité liée à la perte d'autonomie, dont ses proches font état ;
Qu'il convient de confirmer l'indemnité de 69. 500 € offerte par le
FIVA ;
-préjudice d'agrément
Attendu que le préjudice d'agrément de Monsieur Y... est indéniable ; qu'en raison de la gravité de sa maladie il ne lui était plus possible, les derniers mois précédant son décès de se livrer à ses activités de bricolage, jardinage, danse, voyage et même d'apprécier les joies de l'existence comme celle de s'occuper de son petit-fils ;
Que néanmoins, l'évaluation de ce préjudice doit également se faire en considération de sa durée et de l'âge de la victime ; que la somme de 22. 500 € offerte par le FIVA répare de façon juste le préjudice subi de ce chef ;
-préjudice esthétique
Attendu que le préjudice esthétique est constitué par l'amaigrissement provoqué par la maladie ; que le FIVA a sous-évalué ce chef de préjudice qui sera plus justement fixé à la somme de 3. 000 € ;
Attendu que le préjudice extra-patrimonial s'établit donc à la somme de 125. 000 € ;
Sur l'action personnelle des ayants droit
* sur le préjudice moral de Madame X... veuve Y...
Attendu que Monsieur Y... est décédé à l'âge de 63 ans, en laissant sa veuve, Monique X..., née le 21 octobre 1946 ; que le couple s'était marié en 1971 et a partagé 35 années de vie commune ;
Attendu que son préjudice moral consécutif au décès sera indemnisé à hauteur de 30. 000 € tel qu'offert par le FIVA ;
* sur le préjudice moral de Mademoiselle Y...
Attendu que Monsieur Y... laisse une fille : Déborah Y..., née en 1973, qui vivait au foyer parental avec son fils, par suite d'une séparation maritale et qui a donc assisté directement aux souffrances de son père ; que le préjudice qu'elle a subi doit être évalué à 15. 000 € ;
***
Attendu que conformément à l'article 31 du décret du 23 octobre 2001, les dépens seront pris en charge par le FIVA qui versera en outre aux consorts Y... une somme de 800 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,
Déclare recevable la demande en réparation du préjudice d'assistance d'une tierce personne,
Sur l'action successorale :
Alloue aux consorts Y... la somme de 2. 346 Euros au titre du préjudice d'assistance d'une tierce personne de Monsieur Y... avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Alloue aux consorts Y... la somme de 125. 000 Euros au titre du préjudice extra-patrimonial de Monsieur Y... avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Sur l'action personnelle des ayants droit :
Confirme l'offre du Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante au titre du préjudice de Madame X... veuve Y...,
Alloue à Mademoiselle Y... la somme de 15. 000 Euros en réparation de son préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Dit que les sommes seront payées par le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante déduction faite des provisions éventuellement déjà versées,
Mets les dépens à la charge du FIVA,
Dit qu'il devra verser aux consorts Y... une somme de 800 Euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.