ARRÊT DU
30 Novembre 2007 N 1891/07
RG 06/02533
JUGEMENT
Conseil de Prud'hommes de BÉTHUNE
EN DATE DU
08 Septembre 2006
NOTIFICATION
à parties
le 30/11/07
Copies avocats
le 30/11/07
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes -
APPELANT :
Monsieur Philippe X...
...
62700 BRUAY LA BUISSIERE
Comparant en personne, assisté de Maître Ludovic HEMMERLING (avocat au barreau de BETHUNE)
INTIMES :
Maître Jérôme Z... - Mandataire liquidateur de l'EURL PHILIOMEL
...
BP 247
62405 BÉTHUNE CEDEX
Représentant : Maître Xavier BRUNET (avocat au barreau de BETHUNE)
SA PHILIOMEL HORTICULTURE
Boulevard de Paris
62190 LILLERS
Représentant : Maître Frédéric BRAZIER (avocat au barreau de LILLE)
CGEA-AGS DE LILLE
29 Bis Avenue de la Marne
BP 40167
59444 WASQUEHAL CEDEX
Représentant : SCP HERMARY-FONTAINE-REGNIER (avocats au barreau de BETHUNE), en la personne de David MINK
DÉBATS : à l'audience publique du 11 octobre 2007
Tenue par H. LIANCE,
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : S. ROGALSKI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
B. MERICQ
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
H. LIANCE
: CONSEILLER
A. COCHAUD-DOUTREUWE
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire,
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 novembre 2007,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du nouveau code de procédure civile, signé par B. MERICQ, Président et par A. GATNER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA COUR,
FAITS ET PROCÉDURE :
1. Selon acte du 19 novembre 2001 modifié par avenant du 6 décembre 2001, la société (SA) Philiomel Horticulture a donné son fonds de commerce d'horticulture exploité à Lillers (62) en location-gérance à l'EURL Philiomel ; les contrats de travail attachés à ce fonds ont été transférés au nouvel exploitant.
L'EURL Philiomel a été déclarée en redressement judiciaire le 16 juillet 2003 converti en liquidation judiciaire le 25 juin 2004, Me Jérôme Z... étant désigné représentant des créanciers puis liquidateur.
2. Le 9 juillet 2004, Me Z... ès qualités a résilié le contrat de location-gérance et rendu le fonds, y compris les salariés y attachés, à son propriétaire - bailleur, la SA Philiomel Horticulture.
Celle-ci a, le 12 juillet 2004, refusé cette restitution au motif du caractère inexploitable du fonds, ajoutant que "les contrats de travail resteront donc attachés à l'EURL PHILIOMEL qui aura donc à en supporter les licenciements".
3. Me Z... ès qualités a fait désigner en justice un administrateur ad hoc en la personne de Me Philippe D..., avec pour mission de licencier le personnel de l'EURL Philiomel en liquidation judiciaire pour le compte de qui il appartiendra (ordonnance du 28 juin 2004).
Dans le cadre de sa mission, Me D... ès qualités a procédé le 8 juillet 2004 au licenciement des salariés en cause par une lettre ainsi motivée :
"Je vous confirme que le prononcé de la Liquidation Judiciaire a entraîné la suppression immédiate et définitive d'activité de votre employeur, la fermeture de l'entreprise, la suppression de votre poste de travail et l'obligation de procéder au licenciement économique de l'ensemble du personnel.
C'est pourquoi, je suis dans l'obligation de vous notifier votre licenciement pour motif économique et ce, avec effet au 10 juillet 2004 à 0 Heure".
4. Concomitamment, Me Z... ès qualités a engagé en justice une action contre la SA Philiomel Horticulture aux fins de faire juger que le fonds de commerce d'horticulture constituait toujours une entité économique exploitable, que ce fonds était en conséquence retourné dans le patrimoine du bailleur (la SA Philiomel Horticulture) lequel devrait faire son affaire personnelle des conséquences financières liées à la rupture des contrats de travail ; la SA Philiomel Horticulture a fait valoir en substance pour sa défense que la liquidation judiciaire de l'EURL Philiomel n'avait pas entraîné la résiliation de la location-gérance et/ou que le fonds en jeu était devenu inexploitable, et qu'en toute hypothèse les licenciements des salariés avaient été opérés dès le 8 juillet 2004 soit avant la résiliation prétendue du 9 juillet 2004.
Selon jugement rendu le 13 octobre 2004, le tribunal de grande instance de Béthune - chambre commerciale a :
- dit que le fonds de commerce d'horticulture exploité à Lillers constituait toujours à la date de la résiliation du contrat de location-gérance une entité économique exploitable,
- dit que ce fonds est retourné dans le patrimoine du bailleur, la SA Philiomel Horticulture, lequel devra faire son affaire personnelle des conséquences financières liées à la rupture des contrats de travail.
Ce jugement a été confirmé le 23 juin 2005 par la cour d'appel de Douai.
5. Parmi les salariés de l'EURL Philiomel licenciés par Me D... ès qualités et non repris par la SA Philiomel Horticulture figure Philippe X..., travaillant comme chauffeur mécanicien dans le fonds de commerce depuis 1983
6. Celui-ci, qui contestait la validité de la rupture de la relation de travail et estimait n'avoir pas été rempli de ses droits, a agi en justice contre Me Z... ès qualités et le Cgea de Lille en tant que gestionnaire de l'Ags ; la SA Philiomel Horticulture a été appelée en la cause.
Le conseil de prud'hommes de Béthune a pour l'essentiel, selon jugement rendu le 8 septembre 2006 (no 04/550) auquel il est entièrement fait référence pour l'exposé des données de base du procès et des prétentions et moyens respectifs des parties :
- mis hors de cause la SA Philiomel Horticulture,
- débouté Philippe X... de l'ensemble de sa demande,
- statué sur les dépens.
Philippe X... a relevé appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
1. Par ses conclusions écrites et observations orales développées à l'audience, Philippe X... reprend devant la cour, de laquelle il sollicite l'infirmation du jugement déféré, l'ensemble de ses demandes formées contre Me Z... ès qualités et le Cgea.
Il soutient pour l'essentiel que le fonds de commerce laissé par l'EURL Philiomel était exploitable et est revenu, par suite de la liquidation judiciaire et en raison de la résiliation de la location-gérance par Me Z... ès qualités, dans le patrimoine de la SA Philiomel Horticulture ainsi que cela ressort des décisions ayant autorité de chose jugée rendues les 13 octobre 2004 et 23 juin 2005, que l'article L.122-12 du code du travail devait s'appliquer, que le licenciement opéré par Me D... ès qualités est sans effet d'autant que son poste n'a pas été supprimé en sorte que le motif énoncé à la lettre du 8 juillet 2004 est inexact, enfin que l'ordonnance qui a désigné Me D... ès qualités pour procéder aux licenciements n'a pas d'effet justificatif.
Il en tire la conséquence qu'il a été victime d'un licenciement abusif et réclame indemnisation à l'encontre de la procédure collective de l'EURL Philiomel avec garantie par le Cgea.
Il réclame en sus un solde d'indemnité compensatrice de congés payés.
2. Par ses conclusions écrites et observations orales développées à l'audience à fins de confirmation, Me Z... ès qualités (pour l'EURL Philiomel) sollicite à nouveau sa mise hors de cause, lui-même ayant procédé correctement à la résiliation de la location-gérance en sorte que le fonds et le personnel y attaché devaient être repris par la SA Philiomel Horticulture (ainsi que décidé le 13 octobre 2004 puis le 23 juin 2005) qui doit assumer seule les conséquences financières liées à la rupture des contrats de travail.
Il défend en toute hypothèse la validité et la pertinence du licenciement opéré, sur autorisation de justice et "pour le compte de qui il appartiendra" - seule la SA Philiomel Horticulture devant être tenue en cas de condamnation.
3. Par ses conclusions écrites et observations orales développées à l'audience à fins de confirmation, le Cgea de Lille (en tant qu'unité déconcentrée de l'Unedic, gestionnaire de l'Ags) soutient en premier lieu que l'article L.122-12 du code du travail était applicable en sorte que les contrats de travail ont été repris par la SA Philiomel Horticulture qui doit en assumer les conséquences financières.
Pour le surplus, il adopte l'argumentation développée par Me Z... ès qualités.
À titre subsidiaire, il rappelle les limites de ses garanties légales telles qu'édictées aux articles L.143-11-1 et suivants et D.143-2 du code du travail.
4. Par ses conclusions écrites et observations orales développées à l'audience à fins de confirmation, la SA Philiomel Horticulture observe qu'il n'est pas fait de réclamation contre elle.
* * *
DISCUSSION :
1. Il a été définitivement jugé, par des décisions (jugement du 13 octobre 2004 - arrêt confirmatif du 23 juin 2005) qui ont autorité de chose jugée entre Me Z... ès qualités et la SA Philiomel Horticulture, que le fonds de commerce d'horticulture exploité à Lillers constituait toujours à la date de la résiliation du contrat de location-gérance une entité économique exploitable et que ce fonds était retourné dans le patrimoine du bailleur, la SA Philiomel Horticulture.
Le salarié revendique lui-même, au soutien de sa propre argumentation, le bénéfice de ces décisions de justice - ce qui ne lui est pas contesté.
En pareille situation, l'article L.122-12 du code du travail avait vocation à s'appliquer et les contrats de travail attachés à l'exploitation du fonds ont été de plein droit transférés de l'EURL Philiomel à la SA Philiomel Horticulture.
2. La première conséquence de cette application de l'article L.122-12 du code du travail est que le licenciement opéré le 8 juillet 2004 par Me D... ès qualités est sans effet.
Il importe peu que Me D... ès qualités ait été désigné par justice pour procéder aux licenciements des salariés concernés - d'autant que l'ordonnance du 28 juin 2004 n'a été rendue que pour faire face à la situation contradictoire dans laquelle se trouvait Me Z... ès qualités, celui-ci dans l'obligation à la fois de résilier la location-gérance avec pour conséquence la reprise des salariés par le bailleur en application de l'article L.122-12 du code du travail mais également, compte tenu du refus de la SA Philiomel Horticulture, de préserver les droits des salariés au regard de la garantie du Cgea en cas de rupture de la relation de travail.
L'ordonnance du 28 juin 2004 n'autorise d'ailleurs pas formellement Me D... ès qualités à opérer licenciement, elle le désigne seulement comme mandataire ad hoc avec pour mission de licencier le personnel de l'EURL Philiomel en liquidation judiciaire pour le compte de qui il appartiendra.
3. Un salarié qui aurait dû être transféré en application de l'article L.122-12 du code du travail mais dont le contrat de travail se trouve rompu contre son gré peut à son choix demander soit au repreneur la poursuite du contrat soit à l'auteur du licenciement réparation du préjudice qui en est résulté.
4. Quant à l'action dirigée contre Me Z... ès qualités, il y a lieu de dire que le processus qu'il a mis en oeuvre (requête en justice pour faire désigner un mandataire ad hoc avec mission d'opérer les licenciements "pour le compte de qui il appartiendra") n'a pas eu pour effet d'enlever au salarié l'option dont il dispose en cas de rupture de la relation de travail alors que celle-ci aurait dû se poursuivre par application de l'article L.122-12 du code du travail (option rappelée supra par. 3).
Même les décisions de justice rendues en matière commerciale (le jugement du 13 octobre 2004 et l'arrêt du 23 juin 2005) n'ont eu autorité de chose jugée quant à la charge des conséquences pécuniaires des licenciements qu'entre la SA Philiomel Horticulture et l'EURL Philiomel.
L'action du salarié est donc tout à la fois recevable et fondée.
5. Par voie de conséquence, le Cgea, à qui le présent arrêt est opposable, voit sa garantie engagée pour couvrir la dette de Me Z... ès qualités - qui entre dans les prévisions des articles L.143-11-1 et suivants et D.143-2 du code du travail.
6. Le salarié indique expressément qu'il n'agit pas contre la SA Philiomel Horticulture.
7. Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l'entreprise et de l'effectif de celle-ci, la cour est en mesure de fixer le préjudice, en application des dispositions de l'article L.122-14-4 du code du travail, à la somme indiquée au dispositif du présent arrêt.
8. La thèse développée au présent procès par Me Z... ès qualités (outre le Cgea) ne s'entend pas comme incluant une demande de garantie à l'encontre de la SA Philiomel Horticulture, celle-ci pourtant appelée en la cause.
9. Quant au solde de congés payés revendiqué par Philippe X... pour le chiffre de 4.495,81 €, Me Z... ès qualités prouve que cette somme a été réglée.
10. La réclamation formulée par Philippe X... sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à l'encontre de la SA Philiomel Horticulture - laquelle ne subit aucune condamnation à son égard - n'est pas justifiée.
* * *
PAR CES MOTIFS :
- infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
ET, STATUANT A NOUVEAU :
- dit Me Z... ès qualités responsable, à l'égard de Philippe X..., de la rupture de son contrat de travail en méconnaissance des prescriptions de l'article L.122-12 du code du travail ; analyse cette rupture comme un licenciement, celui-ci avec effet au 10 juillet 2004 ; dit ce licenciement abusif ;
- fixe au passif de la procédure collective de l'EURL Philiomel la créance de Philippe X... ainsi qu'il suit :
+ 30.000,00 € (trente mille euros) à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
+ 800,00 € (huit cents euros) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- dit le présent arrêt opposable au Cgea, tenu à garantie dans les limites prévues aux articles L.143-11-8 et D.143-2 du code du travail ; précise que, dans le cadre de cette garantie qui n'est que subsidiaire, l'obligation du Cgea de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement ; précise que cette garantie ne couvre pas la créance fixée en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- rejette toutes autres prétentions plus amples ou contraires ;
- condamne Me Z... ès qualités aux entiers dépens de la première instance et de l'instance d'appel.