ARRET DU
29 Février 2008 N 22 / 08
RG 06 / 00863
PR / AB
Expertise
JUGT
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE
EN DATE DU
23 Février 2006
NOTIFICATION
à parties
le
Copies avocats
le 29 / 02 / 08
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
-Sécurité Sociale-
APPELANT :
M. Eddy X...
...
59221 BAUVIN
Représenté par Me Jean-Noël LECOMPTE (avocat au barreau de CAMBRAI)
INTIMEES :
SARL NIBS FRANCE
Zone de Finalens
62138 DOUVRIN
Représentée par Me Jean-Louis POISSONNIER (avocat au barreau de LILLE)
CPAMTS LILLE
2 Rue d'Iéna-BP 9
59895 LILLE CEDEX 9
Représentée par Me TONDELLIER substituant Me Guy DRAGON (avocat au barreau de DOUAI)
DEBATS : à l'audience publique du 22 Janvier 2008
Tenue par P. RICHEZ
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : A. LESIEUR
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE
JG. HUGLO
: PRESIDENT DE CHAMBRE
P. RICHEZ
: CONSEILLER
C. CARBONNEL
: CONSEILLER
ARRET : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Février 2008,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du nouveau code de procédure civile, signé par JG. HUGLO, Président et par S. BLASSEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur Eddy X..., né le 30 janvier 1953, qui était employé par la société NIBS en qualité de manutentionnaire depuis le 1er juillet 1997 dans le cadre d'un contrat initiative emploi à durée déterminée de 12 mois, a été victime le 1er décembre 1997 d'un accident du travail.
La déclaration d'accident établie le jour même mentionne une chute dans une fosse du tour de projection.
Appelés à intervenir, les sapeurs-pompiers du centre de secours principal de Lens ont dégagé la victime au moyen de lots de sauvetage et assuré son transport médicalisé au centre hospitalier de Lens (ainsi que le chef de centre en atteste par lettre du 17 juin 2002).
L'accident a provoqué un traumatisme vertébral avec fracture tassement L2 nécessitant un traitement chirurgical par arthrodèse en février 1999 (ainsi que le rappelle le Docteur Guillaume Z... dans sa lettre du 23 juillet 2004).
Monsieur Eddy X... ayant présenté une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l'origine de l'accident, un procès-verbal de non-conciliation a été établi le 21 mars 2003.
Le 12 juin 2003, Monsieur Eddy X... a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille pour faire valoir ses droits.
Par jugement en date du 23 février 2006, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille a débouté Monsieur Eddy X... de ses demandes.
Par lettre expédiée le 13 avril 2006, Monsieur Eddy X... a interjeté appel de ce jugement.
Vu le jugement rendu le 23 février 2006 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille ;
Vu les conclusions déposées le 26 mai 2006 et soutenues à l'audience du 22 janvier 2008 par Monsieur Eddy X..., appelant ;
Vu les conclusions déposées le 10 janvier 2008 et soutenues à l'audience du 22 janvier 2008 par la société NIBS, intimée ;
Vu les conclusions déposées et soutenues à l'audience du 22 janvier 2008 par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lille ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la présomption de faute inexcusable de l'employeur
Il est établi que Monsieur Eddy X... était employé par la société NIBS en qualité de manutentionnaire dans le cadre d'un contrat initiative emploi à durée déterminée et il n'est pas contesté qu'il n'a pas reçu la formation à la sécurité renforcée prévue à l'article L 231-3-1 du code du travail.
En revanche, il n'est aucunement démontré que Monsieur Eddy X... occupait un poste présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité.
Dès lors, Monsieur Eddy X... ne peut se prévaloir de la présomption de faute inexcusable prévue à l'article L. 231-8 du Code du travail pour les salariés sous contrat à durée déterminée victimes d'un accident du travail affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité qui n'ont pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue à l'article L 231-3-1 dudit code.
Sur l'existence de la faute inexcusable de l'employeur
Commet une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale l'employeur qui manque à l'obligation de résultat à laquelle, en vertu du contrat de travail, il est tenu envers le salarié en matière de sécurité lorsqu'ayant ou ayant dû avoir conscience du danger auquel il expose ce dernier, il ne prend pas les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Le 1er décembre 1997 à 11h45, Monsieur Eddy X... a été aperçu gisant au fond d'une fosse par un autre salarié de l'entreprise alerté par ses cris, Monsieur Nicolas A... qui atteste le 10 juin 2002 :
En arrivant devant la fosse, j'ai entendu des cris. Je me suis rapproché et j'ai vu Eddy au fond de cette fosse dans un état critique. En effet il ne pouvait plus bouger et se plaignait de son dos car il était tombé sur un madrier se trouvant au fond de cette fosse. J'ai prévenu de suite la direction.
Pour revenir sur l'installation, il est vrai que ces madriers non fixes, non stables et bien souvent sales ne pouvaient éviter une chute comme celle-ci.
Monsieur Nicolas A... ajoute :
Suite à cet accident, la direction a effectué quelques travaux :
-le changement des madriers (plus larges et plus longs) ;
-la mise de plaques de mousse au fond de la fosse (ép. 10 mm).
S'agissant de la conscience du danger
Le risque lié à l'existence d'une fosse profonde non entièrement couverte ne pouvait être ignoré par l'employeur, la zone de danger qui était délimitée par un garde corps étant parfaitement connue et identifiée.
En l'espèce, il n'est pas contesté que l'accident s'est produit du fait que Monsieur Eddy X... a été amené à exécuter un travail au-dessus de la fosse qui était recouverte de protections modulables constituées de madriers.
Or si les circonstances exactes de l'accident ne peuvent être déterminées avec plus de précision en l'absence de témoin ayant assisté à la chute, il est évident que l'instabilité des madriers dénoncée par Monsieur Nicolas A... a favorisé la perte d'équilibre qui a entraîné la chute et que c'est en raison de leur espacement que Monsieur Eddy X... a pu tomber jusqu'au fond de la fosse.
Par ailleurs, outre qu'elle témoigne de l'instabilité du dispositif de protection, la présence d'un madrier au fond de la fosse a incontestablement aggravé le danger.
S'agissant des mesures prises
En application de l'article L. 230-2 du code du travail, il appartient au chef d'établissement de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l'établissement, mesures qui comprennent des actions de prévention, d'information, de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
Cette obligation de sécurité est une obligation de résultat, notamment en ce qui concerne le risque d'accident du travail.
Or, il est manifeste que la société NIBS n'a pas pris les mesures de prévention nécessaires pour préserver le salarié du danger auquel il était exposé au cours de la manoeuvre qu'il lui a été demandé d'exécuter, à savoir poser un axe sur la machine.
En effet, les mesures prises par l'employeur après l'accident démontrent que toutes les précautions possibles n'avaient pas été prises pour l'éviter.
Dès lors, en omettant volontairement de prendre les mesures de sécurité et de prévention des risques qui s'imposaient, l'employeur a commis, alors qu'il devait avoir conscience du danger, une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale.
Le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale sera donc réformé en ce sens.
Sur les conséquences indemnitaires
Conformément aux dispositions des articles L 452-1, L 452-2 et L 452-3 du code de la sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de son employeur, la victime d'un accident du travail a droit à une indemnisation complémentaire.
Sur la majoration de la rente
Dès lors que le moyen tiré de l'absence de faute inexcusable de l'employeur est écarté et que la faute inexcusable de la victime n'est pas alléguée, aucun argument ne s'oppose à la demande de Monsieur Eddy X... tendant à la majoration au taux maximum de la rente qui lui est servie par l'organisme social.
En conséquence, il y a lieu de fixer à son taux maximum la majoration de la rente servie par l'organisme social à Monsieur Eddy X....
Le jugement sera réformé en ce sens.
Sur l'indemnisation des préjudices extra patrimoniaux subis par la victime
Selon les dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :
Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 p. 100, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation. (...)
La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.
Monsieur Eddy X..., le 30 janvier 1953 a subi un traumatisme vertébral avec fracture tassement L2 nécessitant un traitement chirurgical par arthrodèse en février 1999.
Le 3 octobre 2002, Monsieur Eddy X... s'est vu reconnaître un taux d'incapacité permanente partielle de 45 % à partir du 27 mai 2002.
L'accident du travail étant dû à la faute inexcusable de l'employeur, sans que le salarié lui-même ait commis une faute inexcusable, le salarié victime a droit à une réparation intégrale des préjudices de souffrances physiques et morales, esthétiques, d'agrément et de perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle visés à l'article précité.
Au titre de cette réparation, Monsieur Eddy X... réclame la somme de 60 000 € pour le préjudice de douleur, 50 000 € pour le préjudice d'agrément, 10 000 € pour le préjudice esthétique, 100 000 € pour le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Cependant, l'évaluation nécessite le recours à la mesure d'expertise que les parties sollicitent à titre subsidiaire.
Dès lors, avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices à caractère personnel visés au premier alinéa de l'article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale, il y a lieu :
-d'ordonner une expertise médicale afin d'évaluer le préjudice causé par la douleur et les préjudices esthétiques et d'agrément en application des articles L. 141-1 et R. 141-1 et suivants du code de la sécurité sociale et une enquête confiée au directeur régional des affaires sanitaires et sociales en application de l'article R. 142-22 du code de la sécurité sociale afin de déterminer le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle qu'il n'y a pas lieu d'exclure avant les conclusions de cette enquête ;
Et, eu égard à l'importance du préjudice subi par la victime,
-de condamner la société NIBS à verser à Monsieur Eddy X... une somme de 5000 € à titre de provision sur le montant de la réparation de son préjudice (tous chefs de demandes confondus).
Le jugement sera réformé en ce sens.
Sur l'opposabilité à l'employeur de la décision de prise en charge de la Caisse
Aux termes de l'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale, la caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a eu connaissance de la déclaration d'accident ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a eu connaissance de la déclaration de maladie professionnelle pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie. (...)
Sous réserves des dispositions de l'article R. 441-14, en l'absence de décision de la caisse dans le délai prévu au premier alinéa, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.
Aux termes de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, hors les cas de reconnaissance implicite, et en l'absence de réserves de l'employeur, la caisse primaire assure l'information de la victime, de ses ayants droit et de l'employeur, préalablement à sa décision, sur les points susceptibles de faire grief.
En cas de réserves de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse, hors le cas d'enquête prévue à l'article L. 442-1, envoie avant décision à l'employeur et à la victime un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés.
La victime adresse à la caisse la déclaration de maladie professionnelle dont un double est envoyé par la caisse à l'employeur. (...)
En l'espèce, il s'avère que conformément aux prévisions de l'article R. 441-10 al. 3 du code de la sécurité sociale, la caisse primaire d'assurance maladie a pris une décision de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident au seul vu de la déclaration d'accident du travail transmise sans réserve par l'employeur, sans procéder à aucune mesure d'instruction et sans se fonder sur aucun autre document qui n'ait été connu de l'employeur, de sorte que cet organisme n'était pas tenu de l'obligation d'information prévue par l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale.
Dès lors, la société NIBS n'est pas fondée à soutenir que la décision de prise en charge de l'accident de Monsieur Eddy X... au titre de la législation relative aux risques professionnels lui est inopposable.
Sur l'action récursoire de la Caisse
Selon les dispositions de l'article L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la caisse dispose d'une action récursoire lui permettant de récupérer auprès de l'employeur les montants de la majoration de rente et de la réparation des préjudices dont elle doit faire l'avance directement au bénéficiaire.
Dès lors, il y a lieu de faire droit à la demande de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lille tendant à qu'elle soit déclarée fondée à réclamer auprès de l'employeur toutes les sommes dont elle aura pu faire l'avance auprès de Monsieur Eddy X... au titre de l'accident du travail litigieux.
Sur les frais non compris dans les dépens
Au regard de l'équité, il y a lieu de ne pas laisser à Monsieur Eddy X... l'entière charge des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés en première instance et en cause d'appel et de condamner en conséquence la société NIBS sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à lui verser la somme fixée au dispositif du présente arrêt.
En revanche, l'équité ne commande pas de faire droit à la demande indemnitaire de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lille présentée sur le même fondement.
Partie perdante, la société NIBS sera également déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.
DÉCISION
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
Infirme le jugement déféré,
Et statuant à nouveau,
Dit que l'accident du travail dont Monsieur Eddy X... a été victime le 1er décembre 1997 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société NIBS ;
Fixe au maximum légal la majoration de la rente prévue à l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et dit que cette majoration devra suivre l'augmentation du taux d'incapacité permanente partielle résultant le cas échéant d'une aggravation des séquelles ;
Renvoie Monsieur Eddy X... devant la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lille pour la liquidation de ses droits à majoration de rente d'accident du travail ;
Dit que Monsieur Eddy X... a droit à une réparation intégrale des préjudices de douleurs, esthétique, d'agrément et de perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle visés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
Et avant-dire droit sur l'indemnisation de ces préjudices,
Ordonne une enquête confiée au directeur régional des affaires sanitaires et sociales aux fins de recueillir tous les éléments d'information utiles à la détermination du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ;
Dit que les résultats de cette enquête seront adressés au secrétariat-greffe de la cour d'appel par le directeur régional des affaires sanitaires et sociales dans le délai de TROIS MOIS à compter de sa saisine ;
Ordonne une expertise médicale à laquelle il appartiendra à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Cambrai de faire procéder en application des articles L. 141-1 et R. 141-1 et suivants du code de la sécurité sociale, afin d'évaluer les préjudices de souffrances physiques, esthétiques, d'agrément et de perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle ;
Condamne la société NIBS à verser à Monsieur Eddy X... une somme de 5000 € (cinq mille euros) à titre de provision à valoir sur l'indemnité qui devra lui être allouée ;
Dit que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lille pourra exiger de la société NIBS le remboursement des sommes dont elle devra faire l'avance à la victime conformément aux dispositions des articles L. 452-2 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale ;
Condamne la société NIBS à payer à Monsieur Eddy X... la somme de 1500 € (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Déboute la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lille de sa demande indemnitaire présentée sur le même fondement ;
Déboute la société NIBS de toutes ses demandes ;
Dit n'y avoir lieu au paiement du droit prévu à l'article R 144-10 du code de la sécurité sociale.