COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 27/05/2010
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N° de MINUTE :
N° RG : 08/09255
Jugement (N° 2007/198)
rendu le 14 novembre 2008
par le Tribunal de Commerce d'ARRAS
REF : CP/CP
APPELANTE
S.A.S. CAMPEOL nouvelle dénomination de la SAS BUCHE prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 2]
Représentée par la SCP THERY-LAURENT, avoués à la Cour
Assistée de Me HAUGER, avocat au Barreau de LILLE substitué par Me JEANSON
INTIMÉE
G.A.E.C. DUMINIL "GROUPEMENT AGRICOLE D'EXPLOITATION EN COMMUN DUMINIL" prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 1]
Représentée par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour
Assistée de Me Marie Paule DUMINIL, avocat au barreau d'ARRAS
DÉBATS à l'audience publique du 17 mars 2010 tenue par Christine PARENTY magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Véronique DESMET
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Christine PARENTY, Président de chambre
Jean Michel DELENEUVILLE, Conseiller
Sophie VALAY-BRIERE, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 27 mai 2010 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Christine PARENTY, Président et Véronique DESMET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 décembre 2009
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Vu le jugement contradictoire du 14 novembre 2008 du tribunal de commerce d'ARRAS ayant condamné la SAS BUCHE à payer au GAEC DUMINIL la somme de 22707,14€ avec intérêts au taux légal depuis le 14 décembre 2006 et débouté les parties de leurs plus amples demandes.
Vu l'appel interjeté le 12 décembre 2008 par la société CAMPEOL ;
Vu les conclusions déposées le 6 octobre 2009 pour la société DUMINIL ;
Vu les conclusions déposées le 3 décembre 2009 pour la société CAMPEOL ;
Vu l'ordonnance de clôture du 17 décembre 2009 ;
La société CAMPEOL venant aux droits de la société BUCHE a interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement ; elle demande à la Cour de dire que la marchandise livrée n'est pas de qualité loyale et non conforme à la commande, de prononcer la résolution de la vente à l'exception du premier camion correspondant à 29.680 kilos de pommes de terre livrées et acceptées par le client, de constater qu'elle a subi un préjudice de 7029,02€, de condamner le GAEC à les lui payer à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une somme de 2000€ sur la base de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
L'intimé sollicite la confirmation sauf en ce que le jugement l'a débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et condamné solidairement aux dépens ; il réclame 2000 € pour la première instance et 2500€ pour l'appel et la condamnation de l'appelante aux dépens.
La société BUCHE a commandé le 24 mars 2006 cinq camions de pommes de terre Ramos au prix de 170 € la tonne avec un taux de déchet de 5% à la charge du GAEC, cette marchandise devant être revendue à une société AGRATA en Allemagne ; le premier camion a été chargé le 28 mars 2006 au GAEC puis est arrivé le lendemain chez AGRATA ; la marchandise a été acceptée ; le 29 mars, le deuxième camion a été chargé mais à la livraison le lendemain, la société BUCHE fait valoir qu'il est apparu une grosse différence de qualité par rapport à la première expédition de sorte que le déchargement a été stoppé ; les trois camions suivants sont arrivés le lendemain et par télécopie la société AGRATA a prévenu la société BUCHE qu'elle refusait la marchandise.
La société BUCHE a fait faire une expertise en Allemagne qui a constaté un taux de 42 % de déchet sur le deuxième camion, 46,40 % pour le troisième, 45,20 % pour le quatrième ; puis elle a fait appel à son assureur et une expertise contradictoire a eu lieu sur place qui a constaté le 21 avril 2006 un taux de déchet de 32,02 % puis le 28 avril un taux de 60,55€.
Elle plaide le défaut de conformité de la marchandise que doit être normale, loyale et marchande, ce que les pommes de terre n'étaient pas comme l'a dit l'expert, très différentes de la marchandise examinée avant l'achat, avec un taux de déchet bien supérieur à celui prévu, que la variété Ramos est une variété destinée à la consommation fraîche qui présente une bonne résistance aux chocs, que les conditions de stockage et d'arrachage peuvent expliquer les défauts constatés, comme un stockage en tas qui provoque des points de compression (vus par l'expert [F]), ou un arrachage sans irrigation, que la société DUMINIL ne peut affirmer que la marchandise était uniforme lors de toutes les livraisons alors que les conditions d'acheminement ont été strictement identiques et le taux de déchets Variable. Elle conclut en disant que le taux de déchets de 32% a de toute façon été vu contradictoirement par les deux experts, que cela est nettement supérieur au taux contractuel, que le premier camion a été accepté et pas les autres, ce qui veut bien dire que le stock de la société DUMINIL n'était pas uniforme.
Le GAEC DUMINIL réplique que la marchandise était saine, loyale et marchande au départ de ses locaux, qu'il n'avait pas connaissance de la destination de la marchandise vendue à l'étranger, qu'il n'a pas de lien avec les sociétés allemandes qui ont refusé pour partie la marchandise, qu'il n'a pas été chargé du transport, qu'il n'a pas de lien avec le transporteur, qu'il ignorait que la société BUCHE voulait valoriser la marchandise sur le marché du frais ;
Il ajoute que la société BUCHE savait ce qu'elle achetait puisque la variété Ramos est connue pour être sensible aux coups, devoir être travaillée rapidement après le destockage pour éviter le développement des facettes de tassement (qui se développent au fur et à mesure du délai de stockage en tas), être destinée à la transformation, que la société MAC CAIN qui a acheté le solde du même stock quelques temps plus tard s'est déclarée satisfaite de la qualité ; il précise que l'ensemble de la production était stocké en vrac dans le même bâtiment, qu'il s'agit d'un stockage conventionnel pour des tubercules destinés à l'industrie, peu important les conditions et le moment de l'arrachage, que la société BUCHE savait ce qu'elle achetait et pour en avoir déjà acquis et pour avoir prélevé des échantillons sains 5 jours avant, étant rappelé que l'expertise du stock restant en avril et les livraisons ultérieures à la société MAC CAIN en avril et mai ont donné les mêmes échantillons parfaitement sains.
Il rappelle, comme l'expert [F], que seule la décision unilatérale de la société BUCHE de valoriser les tubercules sur le marché du frais est à l'origine des désordres, puisqu'elle implique une augmentation des manipulations et des chocs et une augmentation des délais de valorisation, qu'ainsi des expertises réalisées après manipulation, un trajet et des conditions de transport ignorées ont pu relever des dégradations de la marchandise.
SUR CE
IL est constant que les deux sociétés concernées se connaissaient et que jusque là les livraisons effectuées avaient satisfait la société BUCHE ; il convient de s'interroger sur la conformité de la marchandise avec la commande ; il est difficile d'incriminer les circonstances d'acheminement pour un voyage qui a duré dans tous les cas 24 h, les délais de traitement ayant été très courts.
Que disent les expertises :
- Monsieur [X], expert en la matière, du Comité Européen a examiné en Allemagne les pommes de terre des 2ème, 3ème et 4ème camions ; il conclut à des taux de déchets de 42 %, 46,40 %, 45,20 %, à des marchandises susceptibles d'être refusées, bonnes pour l'alimentation animale et qui n'ont pas été abîmées au cours du transport ;
- l'expert du GAN, assureur de la société BUCHE, au contradictoire de l'assureur du GAEC a examiné le stock encore présent dans les locaux du GAEC et la livraison en Allemagne ; il conclut à un taux de déchet de 32,02 % sur le premier échantillonnage et à un taux de 60,5 % sur le deuxième ; il en conclut que la marchandise n'est ni saine ni loyale ni marchande et que même si l'on admet une aggravation due à la manutention et au transport, on est loin de la marchandise examinée avant achat, ce qui lui permet d'affirmer que le stock n'est pas uniforme ni constant en qualité.
- l'expert [F] mandaté par l'assureur du GAEC précise que son intime conviction est qu'à l'heure du chargement le lot ne présentait pas de déchets mais des défauts, sans conséquence pour une valorisation industrielle (travail très rapide sous 12 à 15 h) mais catastrophique au fil du temps ; le lot présentait un taux important de facettes de tassement qui se développent au fur et à mesure du délai de stockage des pommes de terre en tas, qui sont dus à des chocs lors de la récolte ou à la pression des tubercules les uns sur les autres lors du stockage. Pour lui, cette marchandise est saine et loyale pour l'industrie mais n'est plus valorisable sur le marché du frais en raison de l'allongement des délais de traitement, sauf conditions spécifiques et réfrigérantes, la SAS BUCHE a sciemment vendu la marchandise en cause à un négociant sur le marché du frais, connaissant les risques qu'il prenait après 5 mois de stockage à plat et non' une sortie de champ' ; il en conclut que cette société, professionnel de la pomme de terre avait connaissance de la qualité de la marchandise et de sa destination. Il dénonce l'interprétation faite par la partie adverse des déchets puisque les tubercules présentant des facettes ne doivent pas être comptabilisés dans les déchets puisque valorisables en filière industrielle.
Cet expert ne conteste pas que la SAS BUCHE avait déjà commercialisé sans encombre sur le marché du frais des pommes de terre Ramos achetées auprès du GAEC mais en octobre 2005, soit juste après la récolte sans aucune contrainte liée au stockage. Il ajoute que les établissements BUCHE sont connus quasi exclusivement pour des transactions sur le marché du frais.
À la lecture de ces conclusions, force est de constater que chaque assureur plaide ' pour sa paroisse' ; la Cour comprend les enjeux de stockage vis à vis d'une vente éloignée de la récolte et la vraie question est de savoir si la variété Ramos peut être destinée au marché frais : si l'on en croit l'expert du GAEC, 'oui' si l'on se situe près de la récolte, non s'il y a eu stockage plus ou moins long, 'oui' si l'on en croit les ventes faites à MAC CAIN, qui sauf erreur ne nourrit pas les animaux, encore qu'en ce qui concerne cet acheteur il demeure un transformateur industriel, 'oui' si l'on en croit les fiches techniques visibles sur internet.
Il se déduit de ce qui précède que les facettes de tassement sont à relier avec des chocs initiaux plus qu'à des manipulations lors de l'acheminement, court au demeurant, et que le stock n'était pas uniforme au regard de la différence des observations faites par l'acheteur lors de sa prise d'échantillon et de celles faites sur les lots livrés et contestés.
La question qui se pose, dès lors, est : "Appartenait-il à la société BUCHE, satisfaite de son échantillonnage, de vérifier la durée du stockage, ses conditions et la valorisation du produit pour le marché frais ou appartenait t'il au GAEC de l'informer de la destination cette fois forcément industrielle de la marchandise ' ', étant rappelé que l'expert du GAEC précise lui-même que le client est connu quasi exclusivement sur le marché du frais. La Cour estime qu'il appartenait au GAEC d'interpeller son client sur la destination forcément industrielle du produit puisque c'est lui qui connaissait les conditions de récolte puis de stockage du lot, et notamment sa durée, le rendant impropre à l'usage connu et habituel de ses achats par la SAS BUCHE. Vis à vis de cet usage, la Cour considère que la marchandise livrée n'est pas saine, loyale et marchande, qu'elle ne correspond pas à la marchandise examinée par Monsieur [P] et à la commande qui s'en est suivie, que le vendeur a failli aux obligations des articles 1604 et suivants du code civil et à l'obligation de délivrer une chose conforme. La décision mérite réformation et il sera fait droit à la demande de résolution de la vente à l'exception du premier camion livré en vertu de l'article 1184 du code civil.
Il s'en suit que les demandes en paiement de factures et en indemnisation sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile formulées par le GAEC sont rejetées.
Sur le préjudice de la SAS BUCHE devenue CAMPÉOL
Elle justifie avoir subi un préjudice total de 7 029,02€ ; il convient de condamner la société DUMINIL à lui payer à titre de dommages et intérêts, le lien entre la livraison non conforme et le préjudice ne posant pas de problème.
Il est légitime d'octroyer à la société CAMPÉOL la somme de 2000 euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Déboute le GAEC DUMINIL de l'ensemble de ses demandes,
Constate qu'à l'exception du premier camion livré, la marchandise n'est pas de qualité loyale et marchande et qu'elle n'est pas conforme à la commande,
Prononce la résolution de la vente à l'exception du premier camion correspondant à 29.680 kilos de pommes de terres livrées et acceptées par le client final,
Condamne le GAEC DUMINIL à payer à la société CAMPEOL 7029,02€ à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi et au paiement d'une somme de 2000€ sur la base de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamne le GAEC DUMINIL aux dépens dont distraction au profit de la SCP THERY-LAURENT, avoués associés, conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,
Véronique DESMETChristine PARENTY