COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 07/06/2010
***
N° de MINUTE :
N° RG : 09/03819
Jugement (N° 06/1666)
rendu le 01 Avril 2009
par le Tribunal de Grande Instance de DUNKERQUE
REF : PM/AMD
APPELANT
COMPTABLE DU TRESOR
ayant son siège social [Adresse 17]
[Localité 18]
Représentée par la SCP COCHEME-KRAUT-LABADIE, avoués à la Cour
Ayant pour conseil Maître Franck GYS, avocat au barreau de DUNKERQUE
INTIMÉES
Madame [L] [K] veuve [Y]
née [Date naissance 7] 1938 à [Localité 13]
demeurant [Adresse 14]
[Localité 13]
Représentée par la SCP THERY-LAURENT, avoués à la Cour
Ayant pour conseil Maître Emmanuel DEWEES, avocat au barreau de DUNKERQUE
Madame La Directrice régionale des finances publiques de la région Nord - Pas de Calais et du département du Nord ès qualités d'administratrice provisoire de la succession non réclamée de Monsieur [Z] [Y] décédé le [Date décès 11] 2006
[Adresse 16]
[Adresse 8]
[Localité 12]
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Evelyne MERFELD, Président de chambre
Monique MARCHAND, Conseiller
Pascale METTEAU, Conseiller
---------------------
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Nicole HERMANT
DÉBATS à l'audience publique du 19 Avril 2010 après rapport oral de l'affaire par Evelyne MERFELD
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 07 Juin 2010 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Evelyne MERFELD, Président, et Nicole HERMANT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
VISA DU DU MINISTÈRE PUBLIC : 04 février 2010
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 01 mars 2010
*****
Par jugement rendu le 1er avril 1009, le tribunal de grande instance de Dunkerque a :
débouté la trésorerie de [Localité 18] de l'ensemble de ses réclamations formées à l'encontre de Mme [L] [K] veuve [Y] et l'administration des domaines, prise en la personne de M. le directeur des services fiscaux, chargé du domaine de la direction de Nord Lille, en sa qualité d'administrateur provisoire de la succession non réclamée de M. [Z] [Y] ;
condamné la trésorerie de [Localité 18] à payer à Mme [L] [K] veuve [Y] la somme de 750 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties du surplus de leurs prétentions,
condamné la trésorerie de [Localité 18] aux entiers dépens.
Le comptable du Trésor a interjeté appel de cette décision le 28 mai 2009
RAPPEL DES DONNÉES UTILES DU LITIGE :
M. [Z] [Y] et Mme [L] [K] se sont mariés le
2 août 1969 à [Localité 18], adoptant le régime de la séparation de biens selon contrat passé le 31 juillet 1969 par devant Me [I], notaire à [Localité 13].
M. [Z] [Y] a occupé les fonctions de maire de la ville de [Localité 18].
À la suite d'un contrôle de la chambre régionale des comptes diligenté à la fin de l'année 1994, une information préliminaire a été ouverte le 4 novembre 1995 notamment contre M. [Z] [Y].
Par jugement rendu le 12 mars 1999, le tribunal correctionnel de Dunkerque a déclaré M. [Z] [Y] coupable de diverses infractions (entrave à l'exercice des pouvoirs de la chambre régionale des comptes, détournements de biens publics, prise illégale d'intérêts, faux en écritures publiques et usage...), l'a condamné à trois ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis simple et au paiement d'une amende de 150.000 francs.
Par arrêt du 6 février 2001, la cour d'appel de Douai a confirmé partiellement la déclaration de culpabilité à l'encontre de M. [Z] [Y], a condamné celui-ci à une peine de trois ans d'emprisonnement dont deux avec sursis, a déclaré recevable la constitution de partie civile de la commune de [Localité 18] et condamné M. [Z] [Y] à lui payer la somme de 8.527.500 francs à titre de dommages-intérêts.
Indiquant que M. [Z] [Y] était encore redevable, soit à titre personnel soit au titre de condamnations solidaires avec d'autres personnes, de la somme de 1.349.207,84 euros, que pour échapper aux poursuites en paiement engagées par la commune de [Localité 18] il avait organisé, pendant la procédure d'instruction, son insolvabilité, M. le comptable du trésor a, par acte d'huissier du 2 août 2006, fait assigner M. [Z] [Y] et Mme [L] [K], son épouse, aux fins de voir, sur le fondement de l'article 1167 du Code civil :
- dire que les défendeurs ont agi en fraude de ses droits en procédant à la vente d'un immeuble indivis puis, avec les mêmes fonds, à l'acquisition au nom propre de l'épouse d'un immeuble, le 8 septembre 1999,
- l'autoriser à prendre une inscription d'hypothèque sur l'immeuble situé à [Localité 13], [Adresse 14],
- ordonner l'ouverture des opérations de compte liquidation partage de l'indivision ayant existé entre les époux [Y] [K] et à la vente aux enchères publiques de l'immeuble sur la mise à prix de 30.000 euros,
- rétracter le jugement du tribunal de grande instance de Dunkerque du 23 septembre 2003 ayant condamné M. [Z] [Y] à payer à Mme [L] [K] la somme de 1.524,49 euros à titre de contribution aux charges du mariage
- condamner les défendeurs à lui payer l'équivalent des sommes perçues par Mme [L] [K] à ce titre, 1.000 euros à titre de dommages et intérêts et 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [Z] [Y] est décédé le [Date décès 10] 2006 à [Localité 13]. Par ordonnance rendue le 24 mai 2007, l'administration des domaines a été désignée en qualité d'administrateur provisoire de sa succession vacante, ses héritiers ayant renoncé à la succession.
La procédure a été régularisée à l'égard de l'administration des domaines qui n'a pas constitué avocat.
La décision déférée à été rendue dans ces conditions.
Monsieur le comptable du Trésor demande à la cour de :
réformer le jugement en toutes ses dispositions,
débouter 'les défendeurs' de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
dire que M. [Z] [Y] représenté par l'administration des domaines et Mme [L] [K] épouse [Y] ont engagé leur responsabilité sur le fondement de l'action paulienne en organisant l'insolvabilité de M. [Z] [Y] consistant dans la vente de l'immeuble indivis de [Localité 18] et en rachetant un immeuble au seul nom de Mme [K], et, en procédant à une fraude au jugement par la mise en place d'une contribution aux charges du mariage fictive ayant pour seul objet de faire échapper les revenus du mari aux procédures de recouvrement forcé engagées par la requérante,
en conséquence :
concernant l'immeuble [Adresse 14] à [Localité 13] :
dire et juger que la moitié du prix d'achat de l'immeuble a été versée à l'aide de fonds propres appartenant à M. [Z] [Y],
autoriser la trésorerie municipale de [Localité 18] à inscrire une hypothèque judiciaire sur ledit immeuble dans la limite des droits et parts de M. [Z] [Y] représenté par l'administrateur des domaines, ès qualités,
ordonner les opérations de liquidation et partage de l'indivision existant entre l'administration des domaines, ès qualités d'administrateur provisoire à la succession vacante de M. [Z] [Y] et Mme [L] [K] épouse [Y],
ordonner dès à présent la mise aux enchères publiques, à la barre du tribunal de grande instance, de l'immeuble situé [Adresse 14] à [Localité 13], appartenant à Mme [L] [K] suite à l'acquisition faite suivant acte du 8 septembre 1997 de Me [O], notaire, publié au bureau des Hypothèques de [Localité 13], par le requérant, sur mise à prix de 30.000 euros avec faculté de baisse du quart à défaut d'enchérisseur,
concernant la fraude au jugement :
rétracter purement et simplement le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Dunkerque en date du 23 septembre 2003 condamnant M. [Z] [Y] à verser une contribution aux charges du mariage d'un montant de 1.524,49 euros par mois, et ce à compter du 27 mars 2003 avec indexation habituelle,
condamner Mme [L] [K] à régler au trésor public, ou pour le moins l'administration des domaines ès qualités d'administrateur provisoire à la succession vacante de M. [Z] [Y], la totalité des sommes perçues à ce titre,
condamner Mme [K] à régler la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts à la trésorerie municipale de [Localité 18] outre la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de l'instance,
condamner Mme [K] à verser à la trésorerie municipale de [Localité 18] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de première instance.
Il fait valoir que :
la trésorerie municipale de [Localité 18] est chargée de procéder au recouvrement d'une somme de 1.333.890,58 euros arrêtée au 31 mai 2006 (1.309.275,89 euros au 12 novembre 2008), créance certaine, liquide et exigible puisque résultant d'une condamnation prononcée par un arrêt de la cour d'appel de Douai en date du 6 février 2001, le pourvoi interjeté à l'encontre de cette décision ayant été rejeté par arrêt de la cour de cassation du 20 juin 2002.
Les biens appartenant encore au débiteur, M. [Z] [Y], ne sont pas de valeur suffisante pour permettre au créancier d'obtenir paiement : ses héritiers, conscients de l'insolvabilité du défunt, ont renoncé à la succession.
M. [Z] [Y] était propriétaire avec son épouse d'une maison à usage d'habitation située à [Adresse 19], acquise en indivision. Par acte notarié du 5 septembre 1997 passé en l'étude de Me [D], notaire à [Localité 13], cet immeuble a été vendu pour la somme de 670.000 francs. Le 8 septembre 1997, Mme [L] [K] a fait l'acquisition d'un immeuble situé [Adresse 14] et [Adresse 15] à [Localité 13] pour un montant de 600.417 francs, réglé comptant. En ne réclamant pas la moitié de la valeur du prix de vente de la maison soit 335 000 francs et en ne mettant pas le bien acquis en remplacement en partie à son nom, Monsieur [Z] [Y] a appauvri son patrimoine et organisé à l'avance, en vue de porter préjudice à un créancier futur, son insolvabilité. Il n'est, en effet, pas établi que la somme de 250.000 francs, versée par Mme [K] à titre de caution auprès du régisseur des avances et recettes du tribunal de grande instance de Dunkerque, provienne du patrimoine de cette dernière (qui ne justifie d'aucun revenu personnel) de sorte que la reconnaissance de dette dressée le 30 janvier 1996 par M. [Z] [Y] au profit de cette dernière est de pure complaisance et ce d'autant qu'elle n'a pas été enregistrée au centre des impôts et qu'elle n'a pas date certaine si ce n'est au 7 septembre 1997 date de sa remise entre les mains de Maître [D], notaire. De même, le testament rédigé le 29 décembre 2005 par M. [Y] ne peut justifier cette reconnaissance de dette, qui n'a pas de cause. Au surplus, Mme [K] aurait pu demander remboursement de cette caution après la comparution de son époux devant le tribunal correctionnel, ce qu'elle n'a pas fait. Elle ne peut donc affirmer que les fonds réglés pour l'appartement de [Localité 13] par Monsieur [Y] l'étaient, pour son compte, suite au remboursement d'une prétendue dette.
Dès le 4 novembre 1995, date à laquelle il a été placé en détention préventive, M. [Z] [Y] savait pertinemment qu'une condamnation interviendrait au profit de la ville de [Localité 18]. Il a donc, par cette cession d'immeuble, puis rachat au seul nom de son épouse, tenté, par fraude ,de faire échapper son patrimoine au gage de ses créanciers. Dans la mesure où la bonne foi de l'acquéreur de l'immeuble de [Localité 18] et celle du vendeur du bien de [Localité 13] ne sont pas remises en cause, l'admission de la fraude paulienne doit conduire à révoquer la donation occulte consentie à Madame [K], parfaitement consciente de la fraude, de sorte que Monsieur [Y], par la part du prix provenant de ses deniers, doit être considéré comme propriétaire de la moitié de l'immeuble de [Localité 13].
Alors que M. [Z] [Y] n'a jamais cessé d'habiter avec son épouse, il s'est fait domicilier chez le frère de son épouse dans le but de faire fixer une contribution aux charges du mariage au profit de son épouse, contribution qui sera réglée par la mise en place d'un paiement direct pour primer le recouvrement forcé mis en place par la trésorerie de [Localité 18] sur la retraite de M. [Y]. Par cette fraude, les époux [Y] ont réduit à néant la quotité saisissable pour le remboursement de la condamnation prononcée par la cour d'appel de Douai. Le jugement rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Dunkerque le 23 septembre 2003 fixant la contribution aux charges du mariage doit donc être anéanti et Mme [K] condamnée à rembourser les sommes perçues à ce titre. Le tribunal de grande instance de Dunkerque ne pouvait soulever d'office, sans rouvrir les débats, la question de sa compétence quant à cette demande alors qu'un tel problème aurait dû être soulevé in limine litis par l'une ou l'autre des parties et que Mme [K] n'a jamais invoqué cette difficulté.
Il sollicite des dommages et intérêts compte tenu du comportement abusif des époux [Y] qui, après avoir commis des détournements au détriment de la ville de [Localité 18], ont organisé leur insolvabilité pour échapper à leurs responsabilités pénales et civiles.
Mme [L] [K] sollicite la confirmation du jugement et la condamnation du comptable du trésor au paiement d'une somme de 3.000 euros application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle explique qu'à la suite de la condamnation pénale prononcée à l'encontre de son époux, le couple s'est séparé, M. [Z] [Y] emménageant dans un appartement dans la résidence « le grand Pavois » puis [Adresse 3]. Elle relève qu'elle ne disposait d'aucun revenu personnel et qu'elle a donc saisi le juge aux affaires familiales pour demander la fixation d'une contribution aux charges du mariage, ce qui lui a été accordé par jugement rendu le 23 septembre 2003 alors que M. [Y] disposait à l'époque d'une retraite de 3.659 euros mensuels.
Elle précise que les détournements de fonds publics qui ont été reprochés à son époux ne lui ont pas profité de sorte que ce dernier n'a laissé aucun actif dans sa succession et qu'elle et ses enfants ont renoncé à celle-ci.
Elle soulève l'irrecevabilité de la demande de rétractation du jugement du 23 septembre 2003 dans la mesure où seul le juge aux affaires familiales pourrait être saisi d'une telle prétention, soit à l'initiative d'une partie soit par la voie de la tierce-opposition.
Elle relève que l'action paulienne a pour effet de révoquer rétroactivement un acte passé frauduleusement aux dépens d'un créancier, qu'en l'espèce, le receveur ne demandant pas l'annulation de la vente passée le 8 septembre 1997, l'article 1167 du code civil n'est pas applicable, et que c'est l'action oblique prévue par l'article 1166 du même code qui aurait dû être introduite par l'administration, si elle voulait provoquer le partage de l'immeuble situé [Adresse 14] à [Localité 13] en le prétendant indivis.
Elle affirme que cet appartement est un bien qui lui est propre :
mariée sous le régime de séparation de biens avec M. [Z] [Y], le couple a acheté en indivision une maison à l'usage d'habitation à [Localité 18] en 1977. Elle a également acheté, en son nom personnel, une maison à l'usage de commerce et d'habitation au moyen d'un prêt consenti par la Caisse d'Epargne, à son seul nom, ce qui lui procure des revenus de 792 euros par mois.
Elle a dû, dans le cadre de la procédure pénale engagée à l'encontre de M. [Z] [Y], régler les frais de défense de ce dernier et une caution de 250 000 francs (payée par le biais d'un chèque émis depuis son compte personnel avec des fonds provenant de la revente de SICAV, d'emprunts d'état mais également d'un concours financier de sa mère) de sorte que M. [Z] [Y] a rédigé, à son profit, le 30 janvier 1996, une reconnaissances de dette, remise à Me [D], notaire, le 8 septembre 1997. Cette reconnaissance de dette a été confirmée par M. [Z] [Y] dans son testament rédigé le 9 décembre 2005.
Lors de la vente de l'immeuble de [Localité 18], M. [Z] [Y] a procédé au remboursement de cette dette; l'appartement [Adresse 14] a donc été acheté au moyen de fonds apportés par elle pour 335.000 francs (fonds provenant de la vente de la maison de [Localité 18]) et à hauteur de 250.000 francs (fonds provenant du remboursement de la caution par son époux).
Elle affirme que malgré l'affection qu'elle portait à son mari, le couple s'est réellement séparé après la condamnation pénale de M. [Z] [Y] et, en tout état de cause, que les revenus de ce dernier restaient saisissables malgré de paiement direct de la contribution aux charges du mariage fixée par le tribunal.
Elle demande donc confirmation du jugement qui a déclaré la demande de rétractation du jugement du 23 septembre 2003 irrecevable (elle souligne, sur ce point, qu'il s'agit moins d'une question de compétence de la juridiction que de recevabilité de l'action d'un tiers) et qui a estimé que l'action paulienne n'était pas fondée dans la mesure où la créance du trésor était postérieure à l'acte estimé litigieux et que le comportement des époux [Y] ne révélait pas de volonté de nuire au créancier.
Selon mémoire déposé le 2 décembre 2009, Madame la directrice régionale des finances publiques de la région Nord Pas de Calais et du département du Nord, ès qualités d'administrateur provisoire de la succession non réclamée de Monsieur [Z] [Y], précise que conformément aux dispositions de l'article 15 de l'arrêté du 2 novembre 1971, la constitution d'avoué par ses soins n'est pas obligatoire et elle demande de dire qu'elle ne peut être tenue à l'acquittement du passif de la succession de Monsieur [Y] au-delà de l'actif recueilli, que les frais provenant de l'intervention des avoués demeureront à la charge de la partie qui les a exposés.
Le dossier a été transmis à Monsieur le procureur général qui a indiqué s'en rapporter, son avis ayant été transmis aux parties le 8 février 2010.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de la de demande présentée par le comptable du Trésor concernant le jugement du 23 septembre 2003 :
Monsieur le comptable du Trésor sollicite 'l'anéantissement' du
jugement rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Dunkerque le 23 septembre 2003 et fixant au profit de Madame [L] [K] une contribution aux charges du mariage.
Il invoque une fraude au jugement mais également par l'utilisation de la procédure de paiement direct mise en place suite à ce jugement, et l'article 1167 du code civil comme fondement juridique à cette prétention.
Il ne s'agit donc pas pour lui d'obtenir une annulation, une rétractation ou une modification de la décision du juge aux affaires familiales, mais de la voir déclarée inopposable par le biais de l'action paulienne, la procédure devant, dans ces conditions, être introduite devant le tribunal de grande instance.
En conséquence, cette demande est recevable.
Sur le fond :
L'article 1167 du code civil prévoit que les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.
Monsieur le comptable du Trésor introduit une action paulienne invoquant la fraude commise par Monsieur [Z] [Y] à l'occasion de l'opération immobilière de septembre 1997 puis à l'occasion de la fixation de la contribution aux charges du mariage au profit de son épouse.
Il doit donc rapporter la preuve de ce que :
- le débiteur de la créance, à savoir Monsieur [Z] [Y], a accompli des actes d'appauvrissement de son patrimoine, le mettant dans l'impossibilité de faire face à la dette contractée,
- le débiteur de la créance avait conscience de causer un préjudice à son créancier, en sachant que, du fait de ces actes, il ne pourrait plus faire face au paiement de la dette.
Sur la fraude invoquée au moyen du jugement du 23 septembre 2003 :
Par acte d'huissier du 27 mars 2003, Madame [L] [K] a fait assigner Monsieur [Z] [Y] devant le tribunal de grande instance de Dunkerque aux fins de le voir condamné à lui payer la somme de 1830 euros à titre de contribution aux charges du mariage. Il ressort des énonciations du jugement, rendu le 23 septembre 2003, que Monsieur [Y] a proposé, par courrier, une somme de 1.524,49 euros à ce titre, et que Madame [K] a accepté cette proposition, par mention apposée sur la lettre. Madame [K] indiquait n'avoir aucun revenu.
A la date de la demande présentée au juge aux affaires familiales, Monsieur [Z] [Y] avait été condamné par la cour d'appel de Douai (le 6 février 2001) à payer la somme de 8.527.500 francs. Le pourvoi interjeté avait été rejeté, de sorte que Monsieur [Z] [Y] savait pertinemment qu'il était débiteur à l'égard du trésor d'une somme très importante, à laquelle il ne pouvait faire face, faute de disposer de biens ; une procédure de saisie de ses retraites a donc été mise en place (demande présentée au tribunal d'instance de Dunkerque en juin 2003).
La fixation de la contribution aux charges du mariage (réglée à défaut de versement spontané de Monsieur [Y] par le biais d'un procédure de paiement direct) a contribué à la diminution des montants saisis chaque mois par le trésor sur les revenus de Monsieur [Y].
Or, s'il apparaît que ce dernier était domicilié [Adresse 3], il n'était pas réellement séparé de son épouse, Madame [K] puisque:
- le relevé des consommations électriques fait pour l'appartement situé [Adresse 3] est très faible et exclut une occupation permanente du logement,
- l'enquête de voisinage effectuée a confirmé que Monsieur [Z] [Y] ne résidait pas à cette adresse ; seul Monsieur [K] y effectuait quelques séjours (ce dernier résidant habituellement en Allemagne).
- dans un courrier du 22 juin 2005 adressé à Me [C], huissier de justice, Monsieur [Y] a lui-même affirmé que cette adresse ne constituait qu'une adresse postale et non son lieu de résidence. Il affirme, dans cette lettre, être SDF, vivre du RMI (alors qu'il perçoit une retraite) et résider à tour de rôle chez ses enfants.
- s'il a bénéficié d'un suivi par le réseau de santé rue Duhan entre septembre et jusqu'au [Date décès 11] 2006, il n'en demeure pas moins qu'avant cette période très limitée, il résidait encore avec son épouse et qu'il se domiciliait régulièrement à l'adresse de cette dernière (adresse donnée lors du jugement devant le tribunal correctionnel, devant la cour d'appel, et lors de la mise en recouvrement des condamnations pénales, en 2005 lors de la rédaction de son testament). Sa présence a également été relevée dans l'appartement de son épouse, par un procès verbal de constat d'huissier du 2 août 2006.
Dans ces conditions, il apparaît que la demande de fixation de contribution aux charges du mariage présentée par Madame [K] et la mise en place de la procédure de paiement direct avaient pour unique but de faire échec à la procédure de saisie-arrêt mise en place par le Trésor (ou tout au moins de la rendre moins productive).
Madame [K], qui n'ignorait rien de la situation pénale et financière de son époux, et Monsieur [Y] avaient nécessairement conscience, par ce biais, de nuire au créancier en aggravant ainsi l'insolvabilité du débiteur.
En conséquence, l'action paulienne doit être accueillie et le jugement rendu le 23 septembre 2003 tout comme la procédure de paiement direct mise en place subséquemment doivent être déclarés inopposables au comptable du trésor (et non anéantis tel que formulé dans les écritures de ce dernier).
Madame [L] [K] sera donc condamnée à verser au
Comptable du Trésor les montants perçus dans le cadre de la procédure de paiement direct.
Sur la fraude invoquée suite à l'achat de l'immeuble situé [Adresse 14] à [Localité 13] au nom de Madame [L] [K] :
Monsieur [Z] [Y] et Madame [L] [K] étaient
propriétaires indivis d'un immeuble situé à [Localité 18], [Adresse 19] acquis les 16 mars et 19 avril 1977.
Ils ont vendu ce bien, selon acte notarié du 5 septembre 1997, moyennant un prix de 670.000 francs.
Selon acte notarié du 8 septembre 1997, Madame [L] [K] a
acheté, seule et à son nom, un immeuble situé [Adresse 14] à [Localité 13] pour un prix de 560.000 francs payé comptant. Ce montant a été réglé par les fonds propres revenus à Madame [K] suite à la vente de la maison soit 335.000 francs et au moyen de fonds remis par Monsieur [Z] [Y] pour 250.000 francs.
Madame [K] prétend que ces 250.000 francs lui seraient également propres et qu'ils seraient le remboursement d'une dette de son époux à son égard. En effet, Monsieur [Y] avait rédigé à son bénéfice, une reconnaissance de dette datée du 30 janvier 1996 (présentée à Me [D] notaire le 8 septembre 1997) selon laquelle il reconnaissait lui devoir la somme de 250.000 francs qui lui avait été prêtée pour régler la caution payée au régisseur du tribunal de grande instance de Dunkerque. Il a ainsi pu écrire dans son testament que sa dette avait été remboursée en totalité suite à la vente de la maison de [Localité 18] au moyen d'un chèque à l'ordre de Me [O], notaire, pour permettre à Madame [K] d'acquérir l'appartement de [Localité 13] qui lui appartient en propre.
Il apparaît qu'effectivement, la somme de 250.000 francs a été réglée auprès du régisseur du tribunal de grande instance de Dunkerque, par chèque du Crédit Mutuel, le 26 janvier 1996. Ce chèque, selon attestation du Crédit Mutuel du 22 juillet 1997, a été débité sur le compte '02702 20462140 Mme [Y] [L]'. Une autre attestation de la même banque établie le 8 juin 2007 précise que ce compte était ouvert aux noms de Monsieur et Madame [Y] (ce que confirme le relevé de l'année 1997, les dépôts effectués sur le compte correspondant aux revenus de Monsieur [Y]). Dès lors, alors que Madame [K] ne justifie pas qu'elle percevait des revenus locatifs, il apparaît que l'argent remis pour payer la caution provenait d'un compte joint approvisionné par Monsieur [Y] uniquement, à l'exception de sommes de 20.961,44 francs perçus lors de la vente de SICAV, de
68.469,43 francs issus de la vente d'emprunts d'état , ventes intervenues le 26 janvier 1996, les titres se trouvant antérieurement sur un compte ouvert au seul nom de Madame [K], et d'une somme de 50.000 francs qui avait été prêtée à cette dernière par sa mère (selon attestation de la fille du couple [Y]), soit un total de 139.430,87 francs.
Monsieur [Z] [Y] a donc rédigé une reconnaissance de dette pour 250.000 francs au profit de son épouse alors que cette dernière lui a prêté uniquement 139.430,87 francs de ses deniers personnels (le surplus provenant du compte joint approvisionné par Monsieur [Z] [Y], soit par des fonds personnels à ce dernier) et lui a remboursé cette somme au moyen du prix de cession d'un immeuble indivis pour lui permettre d'acheter à son seul nom un autre immeuble à la même date (cette opération constituant un montage financier inhabituel pour s'acquitter d'une dette). La reconnaissance de dette et son remboursement subséquent sont donc injustifiés pour un montant de 110.569,13 francs (soit 16.856,16 euros).
Or, si Monsieur [Z] [Y] n'avait pas encore été condamné à des dommages et intérêts au profit de la commune de [Localité 18], tant Madame [K] que lui ne pouvaient ignorer, compte tenu de l'information ouverte notamment pour détournement de fonds publics, qu'une telle condamnation serait certainement prononcée. Ainsi, même si la créance du Trésor n'était pas encore liquide et exigible, au jour de l'achat au seul nom de Madame [K] de l'appartement, le principe de cette créance existait déjà.
Par ces manoeuvres, le couple a organisé l'insolvabilité de Monsieur [Y] en mettant le patrimoine saisissable au nom de l'épouse séparée de biens. En diminuant ainsi la consistance de son patrimoine et se mettant, dès septembre 1997, dans l'impossibilité de faire face au règlement d'une condamnation, Monsieur [Y], comme Madame [K] qui était parfaitement consciente de la situation ayant dû régler la caution de son époux pour que celui-ci puisse sortir de détention provisoire, ont démontré leur intention de nuire au Trésor.
En conséquence, l'action paulienne doit être accueillie et l'acte d'achat du 8 septembre 1997, rédigé au seul nom de Madame [K] en qualité d'acquéreur, doit être déclaré inopposable au comptable du trésor.
L'immeuble situé [Adresse 14] à [Localité 13] a été acquis avec des fonds de Monsieur [Z] [Y] à hauteur de 110.569,13 francs sur le montant du prix total (560.000 francs), ce dernier ayant dès lors la qualité de propriétaire indivis à proportion de 19,74%.
Le comptable du Trésor, disposant d'un titre, pourra prendre, sur l'immeuble, dans la proportion des droits de Monsieur [Y], une inscription d'hypothèques.
Par ailleurs, en application de l'article 815-17 du code civil, le comptable du Trésor peut provoquer le partage de l'indivision existant sur le bien, au nom de son débiteur, Madame [K] ne formulant aucune proposition pour apurer la dette de Monsieur [Y] d'un montant de 1.309.275,89 euros au 12 novembre 2008. La vente de l'immeuble aux enchères publiques sera donc ordonnée selon les modalités fixées au dispositif du présent arrêt.
Dans ces conditions, le jugement déféré doit être infirmé en toutes ses dispositions.
Il sera constaté qu'aucune condamnation n'est sollicitée à l'encontre du service des domaines ès qualités d'administrateur de la succession vacante de Monsieur [Z] [Y] et qu'en tout état de cause, ce dernier ne peut être tenu au delà de l'actif recueilli.
Sur la demande de dommages et intérêts présentée par le comptable du Trésor :
Le comptable du Trésor invoque une faute de Madame [K] et de Monsieur [Y], qui ont tenté d'organiser l'insolvabilité de ce dernier. Cependant, elle n'allègue aucun préjudice subi de ce chef, de sorte que sa demande de dommages et intérêts doit être rejetée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Madame [L] [K] succombant, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il est inéquitable de laisser à al charge du comptable du Trésor les frais exposés et non compris dans les dépens. Madame [L] [K] sera condamnée à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire :
INFIRME le jugement ;
Statuant à nouveau :
DECLARE recevable l'action paulienne intentée par le comptable du Trésor concernant le jugement du 23 septembre 2003 ;
DIT que le jugement rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Dunkerque le 23 septembre 2003 est inopposable au comptable du trésor ;
CONDAMNE, en conséquence, Madame [L] [K] à rembourser au comptable du Trésor, les sommes perçues en exécution de ce jugement, par le biais de la procédure de paiement direct ;
DIT que l'acte d'achat de l'immeuble situé [Adresse 14] à [Localité 13] par Madame [L] [K] en date du 8 septembre 1997 est inopposable au comptable du trésor ;
DIT, en conséquence, que Monsieur [Z] [Y] est propriétaire indivis de cet immeuble à proportion de 19,74% ;
AUTORISE le comptable du Trésor à prendre une inscription d'hypothèque sur ce bien, à proportion des parts et droits de Monsieur [Z] [Y] ;
ORDONNE l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage de l'indivision existant entre Madame [L] [K] et Monsieur [Z] [Y] ;
DESIGNE, pour y procéder, Monsieur le Président de la chambre départementale des notaires du Nord avec faculté de délégation ;
ORDONNE la vente par licitation à la barre du tribunal de grande instance de Dunkerque, sur mise à prix de 30.000 euros avec faculté de baisse du quart puis du tiers à défaut d'enchérisseur :
- des lots 7 (20/10.000 èmes de la propriété du sol de la parcelle [Cadastre 1] cadastrée section [Cadastre 20] et les 31/100.000 èmes de la propriété du sol des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 4] cadastrées respectivement section [Cadastre 21] et [Cadastre 9]), 15 (690/10.000 èmes du sol de la parcelle [Cadastre 1] cadastrée section [Cadastre 20] et les 1.081/100.000 èmes de la propriété du sol des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 4] cadastrées respectivement section [Cadastre 21] et [Cadastre 9]) et 29 (16/10.000 èmes de la propriété du sol de la parcelle [Cadastre 1] cadastrée section [Cadastre 20] et 26/100.000 èmes de la propriété du sol des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 4] respectivement cadastrées section [Cadastre 21] et [Cadastre 9]) de l'immeuble [Adresse 14] et [Adresse 15] à [Localité 13], cadastré section [Cadastre 20]
- du lot n°5 (208/10.000 èmes de la propriété du sol de la parcelle [Cadastre 5] cadastrée section [Cadastre 22] et 669/100.000 èmes de la propriété du sol des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 4]) de l'immeuble cadastré section [Cadastre 22], situé lieudit [Adresse 6] à [Localité 13].
DIT que Madame la Directrice régionale des finances publiques de la région Nord Pas de Calais et du Département du Nord ès qualités d'administrateur provisoire de la succession de Monsieur [Z] [Y] ne peut être tenue à l'acquittement du passif au delà de l'actif recueilli ;
DEBOUTE le comptable du Trésor de sa demande de dommages et intérêts;
CONDAMNE Madame [L] [K] aux dépens de première instance et d'appel ;
DIT que la SCP COCHEME, KRAUT, LABADIE, Avoués, pourra recouvrer directement les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision;
CONDAMNE Madame [L] [K] à payer au comptable du Trésor la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier,Le Président,
N. HERMANT.E. MERFELD.