COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 16/03/2011
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N° de MINUTE :
N° RG : 09/07530
Jugement (N° 06/02065)
rendu le 10 Septembre 2009
par le Tribunal de Grande Instance de LILLE
REF : VM/AMD
APPELANTS
Monsieur [F] [K] [H] [I] [J]
né le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 5]
Madame [R] [E] [I] [T] épouse [J]
née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 5]
demeurant [Adresse 9]
[Localité 5]
Représentés par la SCP THERY-LAURENT, avoués à la Cour
Ayant pour conseil Maître Hubert SOLAND, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉS
E.U.R.L. JERLAU
ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par SES DIRIGEANTS LEGAUX
Monsieur [P] [L] pris tant en son nom personnel qu'ès qualités de gérant de l'E.U.R.L. JERLAU
né le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 5]
demeurant [Adresse 10]
[Localité 8] (BELGIQUE)
Représentés par la SELARL ERIC LAFORCE, avoués à la Cour
Assistés de Maître Jacques DUTAT, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS à l'audience publique du 19 Janvier 2011 tenue par Véronique MULLER magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Martine ZENATI, Président de chambre
Fabienne BONNEMAISON, Conseiller
Véronique MULLER, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 Mars 2011 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Martine ZENATI, Président et Claudine POPEK, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 06 janvier 2011
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FAITS ET PROCEDURE
[F] [J] et son épouse née [R] [T] sont propriétaires d'un bien immobilier comprenant une maison d'habitation et un jardin situés à [Adresse 9].
L'EURL JERLAU, ayant pour gérant [P] [L], est propriétaire de la parcelle contigue, située [Adresse 7], supportant un immeuble d'habitation dans lequel elle a fait réaliser en 1997 des travaux de réhabilitation et d'extension.
Les services d'urbanisme de la Ville de [Localité 5] sont intervenus en septembre 1997 à la demande des époux [J] pour constater que les travaux réalisés par la société JERLAU ne respectaient pas le Plan d'Occupation des Sols (POS), ce qui a donné lieu à établissement de deux procès-verbaux, l'un pour non-respect de l'obligation de création de places de stationnement, l'autre pour dépassement des hauteurs et largeurs maximum de construction. Le 5 avril 2001, le Tribunal correctionnel de LILLE a condamné la société JERLAU ' pour le non-respect de l'obligation de création de places de stationnement - à la remise en état des lieux dans un délai de 5 mois, ainsi qu'au paiement d'une amende de 1.500 euros.
Quatre années plus tard, en septembre 2005, se plaignant de la poursuite des travaux d'extension et de la pose de fenêtres donnant vue sur leur immeuble, ainsi que du non-respect des distances légales de plantation de certains végétaux, les époux [J] ont fait assigner l'EURL JERLAU et son gérant devant le Tribunal de grande instance de LILLE, aux fins de les voir condamner d'une part à procéder sous astreinte à la destruction de l'élévation de l'extension de l'immeuble, réalisée sans permis de construire, ayant eu pour conséquence la création de vues directes et obliques sur leur propriété, d'autre part à procéder à l'élagage des arbres ne respectant pas les distances légales.
Par jugement du 10 septembre 2009, le Tribunal de grande instance de LILLE a débouté les époux [J] de leurs demandes, les condamnant à payer à la société JERLAU et à [P] [L] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration reçue au greffe le 26 octobre 2009, les époux [J] ont relevé appel de ce jugement.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans leurs dernières conclusions signifiées le 15 décembre 2010, les époux [J] demandent à la Cour de :
' réformer le jugement déféré,
' constater que les travaux d'élévation de l'extension de l'immeuble du [Adresse 7] sont à l'origine de la création de vues directes sur leur propriété,
' condamner solidairement les intimés à faire procéder à la démolition de l'élévation de l'extension sous astreinte de 350 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir,
' enjoindre aux intimés de procéder à l'arrachage ou à l'élagage des plantations dont les branches dépassent sur leur toiture, en fond de jardin, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,
' condamner les intimés au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par conclusions signifiées le 21 septembre 2010, l'EURL JERLAU et son gérant [P] [L] demandent à la Cour de :
' confirmer le jugement déféré,
' condamner les époux [J] au paiement d'une somme complémentaire de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles.
' Les époux [J] font observer que les travaux réalisés par la société JERLAU ont consisté dans la division de l'immeuble en plusieurs logements, avec extension et surélévation d'un ancien bâtiment « en marteau » situé en partie arrière de la propriété.
Ils font valoir que ces travaux n'ont fait l'objet d'aucun permis de construire et qu'ils ne respectent pas les dispositions du POS, ainsi que cela ressort de trois procès-verbaux dressés par les services d'urbanisme de la ville. Ils invoquent les graves nuisances occasionnées par l'extension et la surélévation de l'immeuble, notamment la création de fenêtres donnant vue sur leur jardin les privant ainsi de toute intimité, ainsi que l'existence de nuisances sonores. Ils fondent leurs demandes d'une part sur le non-respect des distances légales en matière de servitude de vue, d'autre part sur le non-respect des règles d'urbanisme, enfin accessoirement sur la théorie du trouble anormal de voisinage.
* la société JERLAU et son gérant [P] [L] font valoir en premier lieu que les ouvertures respectent les distances légales définies aux articles 678 et 679 du code civil, contestant pour le surplus tout préjudice causé à leurs voisins, dès lors que les nouvelles vues surplombent les toits et qu'il n'existe aucune atteinte à leur intimité.
Ils font également observer que la seule infraction ayant donné lieu à poursuite pénale est celle relative à l'insuffisance de places de stationnement à laquelle il a été remédié par création de places dans un bâtiment proche.
S'agissant des autres infractions aux règles du POS, ils invoquent l'absence de lien de causalité entre ces infractions et le préjudice invoqué par les époux [J].
DISCUSSION
1 ' sur l'existence d'une faute imputable à la société JERLAU
Au cours des travaux de réhabilitation réalisés par la société JERLAU, les services d'urbanisme de la mairie de [Localité 5] ont établi trois procès verbaux.
Le procès-verbal du 16 septembre 1997 concernait le non-respect de l'obligation de création de places de stationnement du fait de la transformation de l'immeuble en 7 appartements. Il a fait l'objet d'une condamnation à l'encontre du gérant de la société JERLAU par le Tribunal correctionnel de LILLE en date du 5 avril 2001.
Les deux autres procès-verbaux concernent le défaut de permis de construire et le non-respect des dispositions du POS qui sont en cause dans le présent litige, du fait de la création d'une extension de dimensions non-conformes au POS (largeur et hauteur) comprenant des ouvertures donnant vue sur la propriété des époux [J].
Le procès-verbal du 25 septembre 2007 est ainsi rédigé :
« un immeuble de deux étages (plus exactement deux niveaux) a été construit adossé au mur de mitoyenneté...la surface créée (en prenant comme référence le plan cadastral) est de 12,50 m² de SHOB et de SHON au rez de chaussée et 47,50 m² à l'étage, soit une création totale de 60 m² de SHOB et de 57 m² de SHON. La hauteur de cette nouvelle construction s'appuyant sur le mur mitoyen est de plus de 5 mètres. Or, l'article UB 7 en zone UB indique qu'au delà de la bande des 15 mètres, la partie de construction jouxtant une limite séparative ne peut excéder 3,20 mètres. De plus, de l'autre côté de la propriété, tout point de ce bâtiment doit être à une distance du point le plus proche des limites séparatives au moins égale à 3 mètres : or, ici seulement 2 mètres séparent l'extension du mur mitoyen de M. [J].. L'ensemble de la construction devra donc être démolie. En conséquence de quoi, j'ai dressé procès-verbal pour travaux sans permis de construire, et ne respectant pas les dispositions du POS ».
Un troisième procès-verbal a été dressé le 7 juin 2001, rappelant les constatations antérieures sur les hauteur et largeur de l'extension non conformes au POS, ajoutant que le COS n'avait pas été respecté non plus.
La société JERLAU et M. [L] ne critiquent en aucune manière les constatations des services d'urbanisme quant à l'irrégularité de la construction, du fait tant de l'absence de permis de construire que de la non conformité aux règles du POS et du COS, arguant uniquement de l'inexistence du préjudice des époux [J] et de manière nécessairement subsidiaire de l'absence de lien de causalité entre le préjudice et la faute résultant de l'inobservation des règles d'urbanisme, dont la cour relève qu'elle est suffisamment établie par les procès-verbaux non contestés.
2 ' sur l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité
Les époux [J] font valoir que les fenêtres de l'extension permettent une vue directe dans certaines pièces de leur immeuble, ainsi qu'une vue plongeante dans leur jardin, les privant ainsi de toute intimité et jouissance paisible de leur immeuble.
Les intimés font pour leur part valoir que les vues occasionnées par leurs fenêtres n'ont « rien de pénalisant puisqu'elles surplombent les toits des bâtiments des époux [J] et sont fort éloignées du petit jardin situé en partie arrière de leur propriété ».
Il ressort des photographies produites aux débats que deux ouvertures ont été créées dans l'élévation (1° étage) de l'extension réalisée par la société JERLAU, l'une donnant effectivement sur les toits des bâtiments des époux [J] ainsi qu'il ressort des photographies des intimés numérotées 6,7, et 8, sans qu'il soit justifié d'un quelconque préjudice à ce titre, l'autre située à l'extrémité de l'extension donnant vue sur le jardin des époux [J].
S'agissant de cette ouverture située à l'extrémité de l'extension, il ressort des planches photographiques produites aux débats (planche numéros 27, 28 et 33 communiquées par les époux [J]) qu'elle est située à une hauteur excédant les 3,20 mètres définis au POS (1° étage), qu'elle est de grande dimension comportant deux vantaux à la française, que la construction qui la supporte ne respecte la distance minimale par rapport aux limites séparatives ( 2 mètres au lieu des 3 mètres définis au POS), et qu'enfin elle donne vue de manière oblique dans le jardin des époux [J].
Le seul fait que cette fenêtre respecte les distances légales, comme l'a relevé à juste titre le premier juge (en l'espèce 6 décimètres depuis le parement extérieur du mur jusqu'à la limite de propriété s'agissant d'une vue oblique), ne permet pas d'exonérer les intimés de leur obligation de respecter les règles d'urbanisme, et ne leur permet pas de soutenir que le préjudice des époux [J] est inexistant.
En l'espèce, les photographies produites permettent de constater que les époux [J] ne peuvent plus jouir de leur jardin de manière paisible sans être exposés à la vue irrégulière de leurs voisins, ce qui porte atteinte à leur intimité et suffit à caractériser l'existence d'un préjudice personnel certain.
Contrairement à ce que soutiennent les intimés, ce préjudice est directement lié au non-respect - par la construction supportant la fenêtre litigieuse - tant des distances la séparant de la propriété voisine, que de la hauteur maximum définies au POS.
Il s'ensuit que le préjudice personnel subi par les époux [J] est directement lié au non-respect par la société JERLAU et par M. [L] des règles d'urbanisme, de sorte que leur responsabilité est pleinement engagée.
3 ' sur la réparation du dommage subi par les époux [J]
Les époux [J] sollicitent, sous astreinte, la démolition de l'élévation de l'extension construite sans permis de construire et au mépris des règles du POS.
Compte tenu des hauteur et largeur excessives de la construction au regard des règles d'urbanisme, aucune mise en conformité autre que la démolition de l'élévation irrégulière ne peut être envisagée.
Il convient donc de faire droit aux demandes des époux [J] et d'ordonner la démolition du premier étage de l'extension de l'immeuble situé au [Adresse 7], et ce sous astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard durant trois mois, celle-ci commençant à courir 3 mois après la signification du présent arrêt.
Les époux [J] justifient avoir été troublés dans la jouissance de leur jardin depuis l'introduction de la procédure en 2005 jusqu'à la date du présent arrêt en 2011, ce trouble de jouissance devant faire l'objet d'une réparation pécuniaire que la cour estime pouvoir fixer à la somme de 4.000 euros.
4 ' sur la demande d'arrachage ou d'élagage des plantations
Les époux [J] soutiennent que certains végétaux appartenant aux intimés ne respectent pas les distances règlementaires.
Les intimés contestent ce non-respect des distances règlementaires, ajoutant que les plantations litigieuses appartiendraient en réalité au propriétaire d'une autre parcelle.
Les écritures très imprécises des époux [J] ne permettent pas d'identifier les végétaux qui seraient en infraction, ni les distances qui ne seraient pas respectées. Les seules photographies produites aux débats ne permettent pas de constater le non-respect de distances qui ne sont pas même mentionnées par l'appelant.
Le seul arbre pouvant éventuellement faire litige au regard des photographies produites (photographie 27) semble en outre avoir été abattu, puisqu'il n'apparaît plus sur la photographie identique numéro 32.
Les époux [J] n'apportant pas la preuve des faits qu'ils invoquent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté leurs demandes à ce titre.
Il sera alloué aux époux [J] la somme de 3.000 euros au titre de leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande d'élagage ou d'abattage des arbres,
Infirme le jugement déféré pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Condamne in solidum [P] [L] et la société JERLAU à procéder, sous astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard durant trois mois commençant à courir 3 mois après la signification du présent arrêt, à la démolition du premier étage de l'extension de l'immeuble situé au [Adresse 7],
Condamne in solidum [P] [L] et la société JERLAU à payer à [F] et [R] [J] la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance,
Condamne in solidum [P] [L] et la société JERLAU à payer à [F] et [R] [J] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles,
Condamne in solidum [P] [L] et la société JERLAU aux dépens de la première instance et de l'instance d'appel, avec pour ces derniers distraction au profit de la SCP THERY LAURENT, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier,Le Président,
Claudine POPEK.Martine ZENATI.