République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 04/06/2012
***
N° de MINUTE : 359/12
N° RG : 11/00428
Jugement (N° 10/00743)
rendu le 10 Décembre 2010
par le Tribunal de Grande Instance de DUNKERQUE
REF : JD/VD
APPELANTS
Monsieur [M] [U]
né le [Date naissance 4] 1962 à [Localité 16]
Madame [R] [W] épouse [U]
née le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 12]
Demeurant ensemble
[Adresse 6]
[Localité 7]
représentés par Me Philippe Georges QUIGNON, avocat au barreau de DOUAI, anciennement avoué
INTIMÉS
Monsieur [H] [T]
né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 17]
Madame [F] [Y] épouse [T]
née le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 9]
Demeurant ensemble
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentés par Me Bernard FRANCHI de la SCP FRANÇOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocats au barreau de DOUAI, anciennement avoué
assistés de Me Marianne DEVAUX, avocat au barreau de DUNKERQUE, substituée à l'audience par Me Claire LECAT, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS à l'audience publique du 02 Avril 2012, tenue par Joëlle DOAT magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Evelyne MERFELD, Président de chambre
Pascale METTEAU, Conseiller
Joëlle DOAT, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 Juin 2012 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame Evelyne MERFELD, Président et Delphine VERHAEGHE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 28 mars 2012
***
Par acte en date du 24 avril 2009, M. [H] [T] et Mme [F] [Y] épouse [T] ont vendu à M. [M] [U] et Mme [R] [U] une propriété agricole située [Adresse 15] moyennant le prix de 400 000 euros, ainsi que des biens mobiliers 'estimés à 30 000 euros'.
Il était convenu au contrat que la réalisation par acte authentique devait avoir lieu 'pour le 15 septembre 2009.'
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 1er juillet 2009, M. et Mme [T] ont mis en demeure M. et Mme [U] de leur présenter, dans le délai d'une semaine, une lettre d'acceptation de leur banque pour le prêt, faute de quoi le compromis serait annulé.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 9 octobre 2009, en l'absence de réitération de la vente, les époux [T] ont demandé aux époux [U] de leur verser la pénalité de 40 000 euros prévue au contrat.
Par acte d'huissier en date du 26 avril 2010, M. [H] [T] et Mme [F] [Y] épouse [T] ont fait assigner 'M. et Mme [U]' devant le tribunal de grande instance de DUNKERQUE, pour les voir condamner à leur payer la somme de 40 000 euros, avec intérêts à compter du 13 octobre 2009.
Par jugement réputé contradictoire en date du 10 décembre 2010, le tribunal a :
- condamné M. [M] [U] et Mme [R] [U] à payer à M. [H] [T] et Mme [F] [Y] la somme de 40 000 euros avec intérêts à compter du 13 octobre 2009 et celle de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné M. et Mme [U] aux dépens.
M. [M] [U] et Mme [R] [W] épouse [U] ont interjeté appel de ce jugement, le 19 janvier 2011.
Ils demandent à la Cour :
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions
vu l'article L 271-1 du code de la construction et de l'habitation,
- de constater l'inopposabilité du compromis de vente du 24 avril 2009 à Mme [U]
- de constater que le délai de rétractation accordé à l'acquéreur n'a pas commencé à courir en raison du défaut de notification du compromis dans les formes imposées par la loi
- de débouter les époux [T] de l'ensemble de leurs demandes
- de les condamner à leur verser la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. et Mme [U] déclarent que le compromis est inopposable à Mme [U] qui n'est pas intervenue à l'acte qu'elle n'a ni paraphé, ni signé.
Ils font valoir que le compromis de vente en date du 24 avril 2009, remis en mains propres par M. [T] à M. [U] n'a pas fait l'objet d'un envoi par lettre recommandée avec accusé de réception, que la remise en mains propres ne répond pas aux exigences de l'article 271-1 du code de la construction et de l'habitation, que le délai de sept jours accordé à l'acquéreur doit être considéré comme n'ayant pas encore commencé à courir, qu'ainsi, M. [U] peut toujours revenir sur son engagement.
Ils ajoutent que, dans leur lettre en date du 1er juillet 2009, les époux [T] font état de l'obtention d'un prêt, qu'il s'agit d'une condition suspensive qui aurait dû être insérée au compromis, ce qui n'a pas été fait alors que les conditions suspensives, tout comme les modalités de paiement, font partie des mentions obligatoires du compromis de vente.
M. et Mme [T] demandent à la Cour :
- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions
en conséquence
vu les articles 1134 alinéa 1er et 1153, 1178 et, à titre subsidiaire, 1382 du code civil,
- de condamner M. et Mme [U] au versement d'une somme de 40 000 euros en exécution de la clause de dédit stipulée au compromis de vente ou à titre de dommages et intérêts
- de dire que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2009
y ajoutant,
- de dire en tant que de besoin que la signification des présentes conclusions et des pièces qui y sont visées vaudra notification du compromis du 24 avril 2009 prévue à l'article L 271-1 du code de la construction et de l'habitation
vu l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner M. [U] à leur verser la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Ils indiquent s'en rapporter à justice sur la demande de Mme [U] tendant à être mise hors de cause.
Ils soutiennent que les dispositions de l'article L 271-1 du code de la construction et de l'habitation ne concernent que les immeubles construits ou acquis à usage d'habitation, tandis que l'immeuble que M. [U] s'est engagé à acquérir est une exploitation agricole à vocation équestre.
Ils précisent que le permis de construire cédé était destiné, non pas à la construction d'une maison à usage d'habitation, mais à celle de bureaux et sanitaires pour l'exploitation agricole.
Ils déclarent en tant que de besoin notifier le compromis de vente par les présentes conclusions, ce qui permet de faire courir le délai de rétractation prévu à l'article 271-1 du code de la construction et de l'habitation, au cas où la cour considérerait que de telles dispositions sont applicables en l'espèce, faisant observer que les époux [U] n'ont pas fait état de leur souhait de se rétracter du compromis mais ont simplement demandé qu'il soit déclaré inopposable.
Ils affirment que la loi Scrivener du 13 juillet 1979 codifiée aux articles L312-1 et suivants du code de la consommation ne concerne que le secteur protégé, c'est à dire l'achat d'un immeuble à usage d'habitation, et que la vente litigieuse n'entre pas dans le champ d'application de cette loi.
Ils font valoir qu'en tout état de cause, les époux [U] ont commis une faute en ne se manifestant plus dans le délai fixé pour la régularisation de l'acte notarié, c'est à dire avant le 15 septembre 2009, et en n'effectuant aucune diligence pour obtenir un prêt avant cette date, de sorte qu'en application de l'article 1178 du code civil, la condition est réputée réalisée et que l'acquéreur ne peut plus se prévaloir d'un refus de prêt.
Ils considèrent que le comportement fautif des époux [U] est confirmé par le fait qu'ils n'ont pas daigné répondre aux deux courriers recommandés qui leur ont été adressés, que, dès lors, ils sont bien fondés à invoquer le bénéfice de l'article 1382 du code civil et que leur préjudice s'entend alors de l'immobilisation inutile de leur bien qu'ils évaluent au montant de la clause pénale, soit 40 000 euros.
Les époux [T] soutiennent en tout état de cause que la clause relative à la pénalité de 10 % est une clause de dédit, octroyant une faculté de rétractation aux co-contractants, moyennant le versement d'une somme forfaitaire de 40 000 euros et que, par leur volonté de ne pas réitérer le contrat devant notaire, les époux [U] ont exercé leur droit de rétractation.
Ils ajoutent que, s'agissant d'une clause de dédit et non d'une clause pénale, l'indemnité contractuelle ne peut être révisée judiciairement.
SUR CE :
Aux termes du contrat intitulé compromis de vente, les vendeurs sont M. et Mme [H] et [F] [T] née [Y], et les acquéreurs M. et Mme [M] et [R] [U].
Toutefois, l'acte n'est paraphé pour l'acquéreur que des initiales 'BB' et ne comporte qu'une seule signature, celle de M. [M] [U].
Il convient en conséquence de déclarer ce contrat inopposable à Mme [R] [W] épouse [U].
L'article L 271-1 du code de la construction et de l'habitation énonce que, pour tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de sept jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte.
M. et Mme [T] ont vendu à M. [U] une propriété agricole pour l'élevage et la pension équestre de 40 boxes comprenant deux selleries, hangar et divers abris et dépendances et un mobil home, libres de toute occupation, le tout sur une superficie de 14 hectares 86 ares et 79 centiares sis [Adresse 15] et les biens mobiliers pris dans leur état garnissant le bien sus-désigné.
Il est également précisé à l'acte que M. et Mme [T] sont titulaires d'un permis de construire une maison qu'ils cèdent à l'acquéreur, le prix d'acquisition comportant le montant de cette cession.
Ce permis n'est pas produit aux débats, mais les époux [T] déclarent sans être contredits qu'il a été octroyé pour la construction d'un immeuble à usage de bureaux.
Dès lors que la promesse synallagmatique de vente porte sur une exploitation agricole et qu'elle n'a pas pour objet la construction d'un immeuble à usage d'habitation, elle n'entre pas dans le champ d'application de l'article L 271-1 du code de la construction et de l'habitation.
Le contrat signé le 24 avril 2009 ne contient pas de condition suspensive relative à l'obtention d'un prêt.
S'agissant de la vente d'une exploitation agricole et non pas d'un immeuble à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation, les dispositions de l'article L 312-15 du code de la consommation selon lesquelles l'acte écrit ayant pour objet de constater l'acquisition doit indiquer si le prix sera payé directement ou indirectement, même en partie, avec ou sans l'aide d'un ou plusieurs prêts, ne sont pas applicables.
En conséquence, la demande de M. [U] tendant à voir dire que le délai de rétractation n'a pas commencé à courir, en l'absence de notification dans les formes imposées par la loi, n'est pas fondée et doit être rejetée.
Le contrat en date du 24 avril 2004 stipule que :
'L'acquéreur sera propriétaire de la propriété en pleine jouissance à compter du jour de la réalisation de la vente par acte authentique qui doit avoir lieu pour le 15 septembre 2009.
La partie qui renonce à l'accomplissement de la vente aura une pénalité de 10 % du prix de vente.'
Cette clause qui reprend expressément le terme de 'pénalité' doit être analysée comme une clause pénale destinée à sanctionner le manquement de l'une des deux parties à l'exécution de ses obligations contractuelles et non pas comme une clause de dédit conférant au vendeur ou à l'acquéreur, moyennant une somme déterminée, la faculté de ne pas exécuter son engagement de vendre ou d'acquérir.
En effet, aux termes de l'article 1226 du code civil, la clause pénale est celle par laquelle une personne, pour assurer l'exécution d'une convention, s'engage à quelque chose en cas d'inexécution.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 9 octobre 2009, l'avocat des époux [T] a rappelé aux époux [U] qu'ils ne s'étaient plus manifestés depuis la signature du compromis du 24 avril 2009, de sorte que la cession n'avait pu être régularisée le 15 septembre 2009, de leur fait, et il les a informés que leur comportement équivalait à une renonciation à l'accomplissement de la vente donnant droit au versement d'une pénalité de 10 % du prix de vente, soit la somme de 40 000 euros.
L'article 1152 alinéa 1er du code civil énonce que lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme, à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre.
Les conditions d'application de la clause pénale contractuelle étant réunies, il convient de confirmer le jugement qui a condamné M. [M] [U] à payer à M. et Mme [T] la somme de 40 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2009, date de réception de la mise en demeure, mais de l'infirmer en ce qu'il a également condamné Mme [R] [U] au paiement de cette somme.
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives au paiement des frais irrépétibles, dont il a fait une juste appréciation, et aux dépens, mais infirmé en ce que ces condamnations ont été prononcées à l'encontre de Mme [R] [U].
Les demandes des époux [T] étant accueillies à l'égard de M. [M] [U], tandis que Mme [U] figurait sur le compromis de vente, bien que ne l'ayant pas signé, la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par les époux [U] n'est pas fondée et doit être rejetée.
Il y a lieu de mettre à la charge de M. [M] [U] les frais irrépétibles d'appel supportés par M. et Mme [T] à hauteur de 1 600 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire :
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a prononcé des condamnations à l'encontre de Mme [R] [U]
L'INFIRME sur ce point
STATUANT à nouveau,
DIT que l'acte en date du 24 avril 2009 est inopposable à Mme [R] [W] épouse [U]
DEBOUTE M. et Mme [T] de leurs demandes dirigées contre elle
DEBOUTE M. et Mme [U] de leur demande en dommages et intérêts pour procédure abusive
CONDAMNE M. [M] [U] aux dépens d'appel
AUTORISE s'ils en ont fait l'avance sans avoir reçu provision, la SCP DELEFORGE ET FRANCHI, avoué, au titre des actes accomplis antérieurement au 1er janvier 2012, et Maître FRANCHI, avocat, au titre des actes accomplis à compter du 1er janvier 2012, à les recouvrer, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
CONDAMNE M. [M] [U] à payer à M. et Mme [T] la somme de 1 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Le Greffier,Le Président,
D. VERHAEGHEE. MERFELD