République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 19/12/2013
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N° de MINUTE :
N° RG : 12/07643
Jugement (N° 12/01066) rendu le 20 Novembre 2012
par le Tribunal de Grande Instance de BÉTHUNE
REF : DD/PC/VC
APPELANTE
AG2R PRÉVOYANCE, institution de prévoyance
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 2]
élisant domicile en son centre de gestion administrative sis [Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Maître Philippe JANNEAU, avocat au barreau de DOUAI
assistée de Maître Jacques BARTHELEMY membre de la SELAS BARTHELEMY et associés, avocats au barreau de LILLE.
INTIMÉ
Monsieur [R] [C]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 3]
[Adresse 3]
Déclaration d'appel signifiée le 26/02/2013 à sa personne - n'ayant pas constitué avocat
DÉBATS à l'audience publique du 17 Septembre 2013
tenue par Dominique DUPERRIER magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Gisèle GOSSELIN, Président de chambre
Fabienne BONNEMAISON, Conseiller
Dominique DUPERRIER, Conseiller
ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 Décembre 2013 après prorogation du délibéré du 29 octobre 2013 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Gisèle GOSSELIN, Président et Claudine POPEK, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 27 août 2013
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L'AG2R Prévoyance, institution de prévoyance régie par le code de la sécurité sociale, a relevé appel du jugement rendu le 20 novembre 2012 par le tribunal de grande instance de Béthune, dans le litige l'opposant à [R] [C], lequel a rejeté ses demandes tendant à obtenir la condamnation de ce dernier :
à régulariser son adhésion en retournant dûment complété et signé l'état nominatif du personnel ainsi que les bulletins individuels d'affiliation de tous les salariés accompagnés de tous les justificatifs permettant d'enregistrer les affiliations et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
se réserver la liquidation de l'astreinte,
à lui payer dans un délai de quinze jours à compter de la réception de l'appel de cotisations, les cotisations de l'ensemble de ses salariés prévues à l'avenant numéro 83 du 24 avril 2006 et dues depuis le 1er janvier 2007,
et à lui payer les sommes de :
2.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
2.000,00 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
et les entiers dépens ;
AG2R sollicite l'infirmation de ce jugement en toutes ses dispositions et demande à la cour de :
dire et juger que l'adhésion de Monsieur [C] à AG2R Prévoyance est obligatoire,
condamner Monsieur [C] à lui payer les sommes de :
4.557,41 euros, sauf à parfaire, au titre de la totalité des cotisations dues depuis le 1er janvier 2007, sauf à parfaire, outre intérêts de retard à compter du 21 juin 2011, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
2.000,00 euros à titre d'indemnité pour résistance abusive,
2.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
et les dépens dont distraction au profit de maître Philippe Janneau, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
AG2R fonde ses prétentions sur :
l'avenant n° 83 du 24 avril 2006,
l'arrêté d'extension du 16 octobre 2006,
la décision du Conseil d'Etat lue le 19 mai 2008,
la décision de la CJUE du 3 mars 2011,
les articles L. 911-1 et L. 912-1 du code de la sécurité sociale,
et en déduit que l'affiliation à son régime de prévoyance est obligatoire de sorte que les cotisations émises sont dues par Monsieur [R] [C] ;
Ce dernier régulièrement assigné à sa personne et auquel les conclusions adverses ont été régulièrement signifiées n'a pas constitué avocat ;
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 août 2013 ;
Sur ce :
1. sur l'appel principal :
En cause d'appel l'AG2R Prévoyance produit aux débats, outre les documents énoncés ci-dessus, quatre documents relatifs à la situation d'[R] [C] :
un extrait de relevé d'immatriculation au registre du commerce du tribunal de commerce d'Arras daté du 18 décembre 2012 duquel il résulte que Monsieur [R] [C] exerce au [Adresse 3] une activité de Boulangerie Pâtisserie Confiserie depuis le 2 juin 2008,
un relevé de situation au répertoire Sirene daté du 22 novembre 2012,
un relevé de cotisations forfaitaires établi par AG2R La Mondiale daté du 18 décembre 2012,
une mise en demeure par courrier recommandé du 21 juin 2011 ;
Aux termes de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond ; le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée ;
Attendu que les représentants des employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de ce secteur, ont conclu le 24 avril 2006 un avenant n° 83 à cette convention collective par lequel ils ont décidé de mettre en 'uvre un régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé pour les salariés entrant dans le champ d'application de ce secteur ;
Attendu que l'institution de prévoyance AG2R Prévoyance a été désignée aux termes de l'article 13 de l'avenant pour gérer ce régime ; que l'article 14 a imposé à toutes les entreprises entrant dans le champ d'application de l'avenant n° 83 de souscrire les garanties qu'il prévoit à compter du 1er janvier 2007 ; que l'accord a été étendu au plan national par arrêté ministériel du 16 octobre 2006 à toute la branche de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie ;
Attendu qu'en raison de la primauté du droit communautaire sur le droit interne, il convient d'analyser la validité des articles 13 et 14 de l'avenant n° 83 au regard des articles 101, 102 et 106 du Traité de fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) ;
Attendu que l'article 13 de l'avenant - dit clause de désignation - a désigné AG2R Prévoyance comme organisme assureur du régime remboursements complémentaires des frais de soins de santé ; que l'article 14 - dit clause de migration- a rendu obligatoire l'adhésion de toutes les entreprises relevant du champ d'application de la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie à ce régime, y compris pour les entreprises ayant un contrat complémentaire santé auprès d'un autre organisme assureur avec des garanties identiques ou supérieures à celles définies par l'avenant ;
Attendu que l'article l'article 101 du TFUE dispose que sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ;
Que l'article 102 dispose qu'est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ;
Que l'article 106 paragraphe 1 dispose que les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité et paragraphe 2 que les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur est impartie ;
Attendu que par arrêt du 3 mars 2011, la CJUE, saisie d'une demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal de grande instance de Périgueux dans le cadre d'un litige opposant la sarl Beaudout Père et Fils à AG2R Prévoyance dans les mêmes circonstances, a dit pour droit que l'article 101 du TFUE lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3 du TUE, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande des organisations représentatives des employeurs et des salariés d'un secteur d'activité déterminé, un accord issu de négociations collectives qui prévoit l'affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé pour l'ensemble des entreprises du secteur concerné, sans possibilité de dispense ; que cette décision est motivée par le fait que l'avenant litigieux résulte d'une négociation collective et contribue à l'amélioration des conditions de travail des salariés en leur garantissant les moyens nécessaires pour faire face à des frais liés à une maladie, un accident du travail, à une maladie professionnelle ou encore à une maternité, mais également en réduisant les dépenses qui, à défaut d'un tel accord, auraient dû être supportés par les salariés ; qu'un tel accord ne relève donc pas, en raison de sa nature et de son objet, de l'article 101 du TFUE ;
Attendu que ce même arrêt a dit pour droit que, pour autant que l'activité consistant dans la gestion d'un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui en cause doit être qualifiée d'économique, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, les articles 102 et 106 du TFUE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d'activité concerné d'être dispensées de s'affilier audit régime ;
Attendu que l'interprétation de l'article 102 TFUE nécessite préalablement que soit reconnue à AG2R la qualification d'entreprise qui comprend, dans le contexte du droit de la concurrence de l'Union, toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, laquelle se définit comme une activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné ; qu'en l'occurrence, il résulte de l'article L. 931-1 du code de la sécurité sociale qu'AG2R, en tant qu'institution de prévoyance relevant de ce code, est une personne de droit privé ayant un but non lucratif et dont l'objet est la couverture des dommages corporels liés aux accidents et à la maladie ; que la finalité sociale du régime de protection sociale complémentaire obligatoire pour tous les salariés d'un secteur économique n'est néanmoins pas suffisante pour exclure la qualification d'activité économique, exclusion possible seulement si le régime concerné met en 'uvre le principe de solidarité et s'il est soumis au contrôle de l'Etat qui l'a instauré ;
Attendu qu'AG2R met en 'uvre un principe de solidarité dès lors que la nature des prestations servies ainsi que l'étendue de la couverture accordée ne sont pas proportionnelles au montant des cotisations et sont servies, dans certains cas, indépendamment du paiement des cotisations dues ; que si les circonstances dans lesquelles AG2R a pu bénéficier ou non d'une marge de négociation quant aux modalités de son engagement ne sont pas renseignées, il convient néanmoins de prendre en considération le fait que l'avenant n° 83 reconnaît un rôle prépondérant aux partenaires sociaux dans la détermination et le réexamen des garanties collectives dont bénéficient les salariés, de sorte que le contrôle de l'Etat n'est pas établi ; qu'il s'ensuit que le caractère économique de l'activité d'AG2R étant reconnu, la clause de migration stipulée à l'avenant n° 83 est conforme aux articles 102 et 106 TFUE qui lui sont applicables ;
Attendu néanmoins que les circonstances dans lesquelles AG2R a été désignée par cet avenant ne sont pas connues, alors que l'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale et l'article 1er de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 telle que modifiée par la loi n° 94-678 du 8 août 1994, prévoient que les garanties collectives complémentaires dont bénéficient les salariés peuvent être instaurées de différentes manières et que les activités de prévoyance peuvent être confiées non seulement à des institutions de prévoyance et de mutualisation, mais également à des entreprises d'assurance, et alors qu'aucune autre entreprise qu'AG2R ne peut avoir accès au marché ;
Attendu que le principe de solidarité qui caractérise le fonctionnement du régime complémentaire géré par AG2R, mais également la nature économique de son activité, permettent de retenir qu'elle est investie d'une mission d'intérêt économique général au sens de l'article 106 paragraphe 2 TFUE qui prévoit que les entreprises chargées de la gestion de ces services sont soumises aux règles de la concurrence, alors qu'il n'est pas démontré qu'AG2R puisse invoquer la limitation prévue par cet article pour le cas où l'application de ces règles feraient échec en droit ou en fait à l'accomplissement de la mission particulière qui lui a été impartie ;
Or, attendu que AG2R, entreprise exerçant une activité économique se devait d'être choisie par les partenaires sociaux sur la base de considérations financières et économiques, parmi d'autres entreprises avec lesquelles elle est en concurrence sur le marché des services et de prévoyance qu'elle propose ; que faute de justifier de cette mise en concurrence, sa désignation ne respecte pas les prescriptions de l'article du TFUE sus visé ; que AG2R n'est dès lors pas fondée à demander l'adhésion forcée de Monsieur [R] [C] ni sa condamnation à paiement d'arriérés de cotisations ;
Il s'en suit, que ne rapportant pas la preuve du bien-fondé de ses prétentions, le jugement déféré mérite confirmation en ce qu'il a débouté la société AG2R de l'intégralité de ses demandes ;
2. sur les mesures accessoires :
L'AG2R Prévoyance, partie perdante, supportera les dépens qu'elle a exposés en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Laisse à la société AG2R la charge des dépens de l'instance.
Le GreffierLe Président,
C. POPEKG. GOSSELIN