République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 05/03/2014
***
N° de MINUTE : 14/
N° RG : 13/03359
Jugement (N° 2012-04128)
rendu le 02 Mai 2013
par le Tribunal de Commerce de BOULOGNE SUR MER
REF : PB/KH
Interdiction de gérer et insuffisance d'actif
APPELANT
Monsieur [X] [Y]
né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 1]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Virginie LEVASSEUR, avocat au barreau de DOUAI
Assistée de Me Nicolas DRANCOURT, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE
SELAS BERNARD ET NICOLAS SOINNE représentée par Me [X] [Z]
ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL ETA DANVIN
DA et conclusions signifiées à personne habilitée le 12.09.2013
ayant son siège social [Adresse 1]
[Adresse 1]
N'ayant pas constitué d'avocat
DÉBATS à l'audience publique du 08 Janvier 2014 tenue par Philippe BRUNEL magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Caroline NORMAND
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Christine PARENTY, Président de chambre
Philippe BRUNEL, Conseiller
Sandrine DELATTRE, Conseiller
ARRÊT RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2014 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Philippe BRUNEL, Conseiller en remplacement de Christine PARENTY, Président empêché en vertu de l'article 456 du code de procédure civile et Caroline NORMAND, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC :
Cf réquisitions du 27 décembre 2013
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 19 décembre 2013
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Vu le jugement du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer en date du 2 mai 2013 condamnant M. [X] [Y] à régler à la société d'exercice libéral [Z] en sa qualité de liquidateur de la société ETA DANVIN N. la somme de 700 000 € à titre de contribution du dirigeant au passif social et condamnant en outre M. [Y] à une interdiction de gérer d'une durée de 10 ans ; le tribunal a retenu à la charge de M. [Y] un défaut de comptabilité complète et fiable, un défaut de collaboration avec le mandataire judiciaire, un défaut de remise des renseignements exigés en application de l'article L622-6 du code de commerce et un défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours ;
Vu la déclaration d'appel de M. [Y] en date du 10 juin 2013 ;
Vu la signification à la société d'exercice libéral SOINNE de la déclaration d'appel et des conclusions d'appelant en date du 12 septembre 2013, signification faite à personne ;
Vu les conclusions de M. [Y] notifiées le 10 septembre 2013 visant à la réformation du jugement et au rejet des demandes du liquidateur ; il conteste la réalité des griefs relatif, à l'absence de coopération avec les organes de la procédure et à l'absence de remise des renseignements exigés par l'article L622-6 du code de commerce; il observe qu'en toute hypothèse il ne s'agit pas là de faits antérieurs à l'ouverture de la procédure collective et qu'ils ne peuvent donc justifier une condamnation au titre de l'insuffisance d'actif ; il soutient par ailleurs avoir tenu une comptabilité conforme et que le défaut de respect du délai de 45 jours pour procéder à une déclaration de cessation des paiements n'est pas établi ; il estime que la liquidation de la société ETA DANVIN N. relève d'une mauvaise conjoncture liée à un redressement fiscal, à une créance impayée et à un défaut de paiement d'une indemnité d'assurance dont il reproche au mandataire de ne pas avoir recherché le recouvrement ;
Vu les observations écrites du ministère public en date du 27 décembre 2013 demandant la confirmation du jugement, l'appelant ne démontrant pas avoir produit une comptabilité complète ni avoir coopéré avec le mandataire judiciaire ni avoir procédé à une déclaration de cessation des paiements, le montant de la contribution à l'insuffisance d'actif étant justifié ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 19 décembre 2013 ;
MOTIFS
Attendu qu'il y a lieu de révoquer l'ordonnance de clôture et de fixer celle ci au jour des plaidoiries, le conseil de l'appelant ayant déclaré à l'audience avoir eu connaissance des conclusions du ministère public transmises par le greffe;
Attendu que les éléments de fait ont été complètement et exactement énoncés dans le jugement déféré auquel la cour entend en conséquence renvoyer à ce titre ; qu'il sera seulement rappelé que la société ETA DANVIN N., créée en juin 2002, ayant une activité de travaux agricoles, a fait l'objet d'un jugement de redressement judiciaire le 20 octobre 2009, converti en liquidation par jugement du 10 décembre 2009 ; que la date de cessation des paiements a été fixée au 15 septembre 2008 ; que l'état des créances déposé fait apparaître un passif de 740 329,32 € dont 144 433,46 € à titre privilégié ; que l'actif recouvré s'étant élevé à 8818,37 €, il en est résulté une insuffisance d'actif de 731 510,95 € ;
Attendu que, aux termes de l'article 472 du code de procédure civile: « Si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond.
Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée. »; qu'il en résulte que, en cause d'appel, le défaut de constitution d'avocat du liquidateur judiciaire ne saurait de plein droit aboutir à ce que la cour estime l'action en comblement et en sanction engagée par lui non fondée;
Sur l'action en comblement de l'insuffisance d'actif ;
Attendu que, aux termes de l'article L651-2 du code de commerce: « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. »
Attendu que, devant le premier juge, le liquidateur judiciaire a imputé à M. [Y] quatre fautes de gestion relevant selon lui de l'article L651 ' 2 du code de commerce ; que la première est relative à l'absence de collaboration avec les organes de la procédure ; qu'il est reproché à ce titre à M. [Y] de ne pas avoir répondu aux convocations du mandataire judiciaire et du liquidateur et d'avoir donné de fausses indications ayant fait obstacle au bon déroulement de l'inventaire du matériel ; que toutefois, les faits ainsi imputés étant postérieurs à l'ouverture de la procédure collective, il n'est pas démontré qu'ils aient pu contribuer à l'insuffisance d'actif ; qu'il en va de même du défaut de transmission des documents visés à l'article L622-6 du code de commerce ; que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu l'un et l'autre de ses griefs à titre de fautes de gestion ;
Attendu en revanche que le tribunal a retenu à juste titre que constituait une faute de gestion, d'une part, le fait de ne pas avoir tenu une comptabilité complète et, d'autre part, le fait de ne pas avoir procédé à une déclaration de cessation des paiements dans le délai légal ; que s'agissant de l'absence de comptabilité complète, le tribunal a relevé que M. [Y] n'avait remis au liquidateur qu'un seul bilan simplifié et un compte de résultat concernant l'exercice clôt au 31 mars 2009, comportant seulement deux pages ; que M. [Y] ne conteste d'ailleurs pas ce fait puisque dans ses conclusions, il indique qu'il a « tenu une comptabilité conforme de la société et a remis au mandataire le bilan et le compte de résultat simplifiés pour l'année 2009 » ; que, s'il indique également avoir tenu l'ensemble de la comptabilité à la disposition du mandataire, il ne produit lui-même devant la cour aucun élément comptable ; il n'établit pas ni même n'allègue avoir donner mission à un expert comptable; qu'enfin, il ne donne devant la cour aucune explication quant au poste du bilan simplifié clos au 31 mars 2009 faisant ressortir un poste « autres créances » de 120 879,16 € dont le tribunal a relevé qu'il pouvait correspondre à un compte courant d'associé et que la demande d'éclaircissement du liquidateur concernant cette créance était restée sans réponse ; qu'en toute hypothèse, le tribunal a relevé à juste titre que, faute de comptabilité complète et, en conséquence, d'outils fiables de gestion et de moyens permettant le suivi de la comptabilité, le dirigeant s'était privé d'une visibilité satisfaisante quant à la situation de celle-ci ; qu'il s'agit là d'une faute de gestion ayant directement contribué à la constitution du passif et à l'insuffisance d'actif ;
Que, s'agissant du défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours, il n'est pas contesté que le jugement de redressement judiciaire a fixé au 15 septembre 2008 la date de cessation des paiements ; qu'en application de l'article R653 -1 alinéa deux du code de commerce, et contrairement à ce que soutient M. [Y] devant la cour, cette date ne peut être remise en cause pour l'application de l'article L653 - 8 de ce même code relatif à l'interdiction de gérer et, par voie de conséquence, pour l'appréciation de la réalité de la faute de gestion en résultant; qu'en l'espèce, il résulte des explications données par le liquidateur judiciaire dans l'assignation introductive d'instance et non utilement contredites devant la cour que la procédure de redressement judiciaire a été ouverte sur assignation d'une société fournisseur, que la Mutualité sociale agricole avait assigné aux mêmes fins la société ETA DANVIN N. le 22 mars 2007 pour défaut de paiement de cotisations remontant à l'année 2006 pour une somme de 52 297,55 € ; qu'il est donc manifeste que M. [Y] n'a pas procédé à la déclaration de cessation des paiements qui lui incombait dans le délai légal de 45 jours; qu'une telle carence constitue une faute de gestion qui, au regard notamment du délai écoulé entre la date de cessation des paiements et la date d'ouverture de la procédure collective, a nécessairement eu pour effet une augmentation de l'insuffisance d'actif;
Attendu que, pour contester la condamnation au paiement de l'insuffisance d'actif, M. [Y] soutient que la procédure collective ayant affecté la société résulte de facteurs conjoncturels ; qu'il entend se prévaloir du redressement fiscal dont a fait l'objet la société, finalement abandonné par l'administration fiscale dans le cadre de l'instance ouverte devant la cour administrative d'appel ; que toutefois, les pièces produites par M. [Y] devant la cour n'établissent pas que la mise en recouvrement du redressement soit intervenue avant la date de cessation des paiements et ait pu avoir un rôle significatif au regard de son montant allégué à savoir 39 687 € et du montant du passif de la société soit 740 329,32 € ; que, s'agissant des instance contentieuses ayant opposé la société ETA DANVIN N. d'une part à l'un de ses fournisseurs et d'autre part à son assureur Generali Assurances, il n'est pas démontré que leur aboutissement aurait permis à la société ETA DANVIN N. d'obtenir les sommes réclamées par elle ; qu'il n'est donc pas démontré que le défaut de constitution d'avocat par le mandataire judiciaire en cause d'appel, qui est en outre largement imputable à l'attitude non coopérative de M [Y], ait été constitutif d'une perte de chance ; qu'en toute hypothèse, les circonstances conjoncturelles ainsi évoquées par M. [Y] ne sont pas de nature à l'exonérer de la responsabilité qu'il encourt au titre des deux fautes de gestion ci-dessus retenues ;
Attendu en conséquence que le jugement sera confirmé sur le principe de la condamnation de M. [Y] à supporter l'insuffisance d'actif ; qu'il sera en revanche infirmé sur le montant de la condamnation dès lors que la cour écarte deux des quatre griefs soutenus par le liquidateur judiciaire et retenus par le premier juge ; que, au regard des deux fautes de gestion finalement imputables à M. [Y] et à leur contribution à l'insuffisance d'actif, le montant de la condamnation sera ramené à la somme de 300 000 € ;
Sur la condamnation à une mesure d'interdiction de gérer ;
Attendu que les faits de défaut de comptabilité complète et de défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal ci-dessus analysés et retenus sont de nature à justifier légalement une mesure d'interdiction de gérer par application des articles L653 ' 5,6° et L653 - 8 du code de commerce ; que le tribunal a également retenu, à la demande du liquidateur, l'absence de collaboration avec les organes de la procédure et l'absence de remise des renseignements requis en application de l'article L622-6 du code de commerce ; que, pour retenir le défaut de collaboration avec les organes de la procédure, le tribunal a notamment relevé que M. [Y] avait fait obstacle au bon déroulement de l'inventaire du matériel en ne transmettant notamment pas au commissaire-priseur les documents demandés et en ne se présentant à aucun rendez-vous fixé par celui-ci ; que, devant la cour, M. [Y] se contente de soutenir qu'il s'agit là de faits allégués et non démontrés ; que toutefois, il ne développe aucune argumentation pour réfuter les explications et les pièces produites par le liquidateur en première instance et dont le tribunal a tenu compte; que, s'agissant du défaut de remise des renseignements requis article L622- 6 du code de commerce, il ne saurait en contester la réalité puisqu'il indique lui-même dans ses conclusions que le mandataire a pu avoir connaissance de l'ensemble des éléments en interrogeant les administrations concernées; que par application des articles L653 ' 5, 5° et L653 - 8 , de tels faits justifient légalement le prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer ; qu'en fixant la durée de cette mesure à 10 ans, le tribunal a fait une juste appréciation des circonstances de fait; que le jugement sera confirmé à ce titre ;
Attendu en conséquence qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré sauf quant au montant de la condamnation prononcée au titre de la contribution du dirigeant au passif social qui sera limitée à la somme de 300 000 € ;
Attendu que, même s'il est fait droit très partiellement à l'argumentation de M. [Y], l'équité ne commande pas qu'il soit fait droit à la demande présentée par lui au titre des frais irrépétibles ; que sa demande sera rejetée ;
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,
Révoque l'ordonnance de clôture et fixe la clôture au 8 janvier 2014,
Confirme le jugement déféré sauf quant au montant de la condamnation prononcée au titre de la contribution au passif social et,statuant à nouveau sur ce seul point,
Condamne M. [X] [Y] à payer à la société d'exercice libéral [Z] es qualité de liquidateur de la société ETA DANVIN N. la somme de 300 000 € à titre de contribution du dirigeant au passif social,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne [X] [Y] aux dépens.
Le GreffierLe Conseiller
pour le Président empêché
C. NORMANDP. BRUNEL