République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 20/03/2014
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N° de MINUTE : 14/
N° RG : 13/01090
Jugement rendu le 20 janvier 2010 par le Tribunal de Commerce d'ARRAS
Arrêt (N° 10/01509) rendu le 26 mai 2011 par la Cour d'appel de DOUAI
Arrêt (N° 1186 F-P+B) rendu le 27 Novembre 2012 par le Cour de Cassation de PARIS
REF : PB/KH
Renvoi après cassation
Expertise
APPELANTES
SA VINS ERDE SA LES VINS ERDE
ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 3]
Représentée par Me Stéphane CAMPAGNE, avocat au barreau de BETHUNE, substitué par Me Alexandra TANCRE, collaboratrice
SELURL [G] [I] ès qualitès de liquidateur de la SA LES VINS ERDE
ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Stéphane CAMPAGNE, avocat au barreau de BETHUNE, substitué par Me Alexandra TANCRE, collaboratrice
INTIMÉE
SA CIC NORD OUEST SOCIETE ANONYME BANQUE CIC NORD OUEST anciennement dénommée CIC BANQUE SCALBERT DUPONT CIN Au capital de 230 000 000 euros
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Anne-Corinne SANDEVOIR-LACHAUDRU, avocat au barreau de BETHUNE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Patrick BIROLLEAU, Président de chambre
Sandrine DELATTRE, Conseiller
Stéphanie BARBOT, Conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marguerite-Marie HAINAUT
DÉBATS à l'audience publique du 23 Janvier 2014 après rapport oral de l'affaire par Patrick BIROLLEAU
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 20 Mars 2014 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Patrick BIROLLEAU, Président, et Marguerite-Marie HAINAUT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 décembre 2013
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Par jugement contradictoire du 20 janvier 2010 du tribunal de commerce d'Arras a débouté la SA LES VINS ERDE de ses demandes, a confirmé le bien fondé des productions de la CIC BANQUE SCALBERT DUPONT CIN à la procédure collective en son principe et sur le quantum, accordé à la CIC BANQUE SCALBERT DUPONT CIN le bénéfice de sa demande reconventionnelle pour 3.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que le bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour 3 000,00 euros.
Sur appel de la SELARL DUQUESNOY ET ASSOCIÉS, la cour de ce siège, par arrêt rendu le 26 mai 2011, a déclaré irrecevable l'appel principal interjeté par la SELARL DUQUESNOY ET ASSOCIÉS, en sa qualité de liquidateur de la société LES VINS ERDE, constaté l'absence d'appel incident, mis fin à l'instance et condamné la SELURL [G] [I], représentée par Maître [I] [G], venant aux droits de la SELARL DUQUESNOY ET ASSOCIÉS, en sa qualité de liquidateur de la société LES VINS ERDE, aux dépens d'appel.
Sur pourvoi de la SELURL [G] [I] et de la société LES VINS ERDE, la Cour de cassation, par arrêt du 27 novembre 2012, a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 26 mai 2011 et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Douai autrement composée.
La SELURL [G] [I] ès qualités et la société LES VINS ERDE ont saisi la cour de renvoi le 21 février 2013.
Par dernières conclusions remises au greffe de la cour le 11 septembre 2013, elles demandent :
- à titre principal :
- de condamner la société CIC NORD OUEST au paiement de la somme de 167.915,08 euros (67.915,08 euros au titre du débit du compte bancaire et 100.000,00 euros au titre du préjudice commercial) de dommages et intérêts pour rupture abusive des concours bancaires accordés à la société LES VINS ERDE, outre le remboursement de l'ensemble des frais de justice, de redressement et liquidation judiciaires, honoraires d'administrateur, mandataire et liquidateur judiciaires, ordonner la compensation de cette condamnation avec les sommes dues par la débiteur principal en paiement du solde débiteur du compte courant ;
- de condamner la banque au paiement de la somme de 26.804,98 euros correspondant aux sommes surfacturées par le CIC et dire que le montant de la créance de la banque sera minoré de ce montant ;
- subsidiairement, d'ordonner une expertise judiciaire avec pour mission notamment de déterminer le montant du découvert en compte autorisé tacitement par la banque, de dire si les frais, intérêts, commissions et accessoires de toute nature prélevés par la banque correspondent à ceux prévus par la convention entre les parties ou à ceux fixés par les lois et règlements, de déterminer si le taux effectif global pratiqué par la banque dans le cadre de la convention d'ouverture de compte et du découvert autorisé correspond à celui fixé contradictoirement entre les parties, le cas échéant de chiffrer le montant des intérêts, commissions et accessoires de toute nature prélevés par la banque ;
- en tout état de cause, de condamner le CIC au paiement de la somme de 10.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils soutiennent que la faute de la banque est établie puisque c'est sans avertissement que la banque a rejeté plusieurs dizaines de chèques et c'est sans préavis que le CIC a, le 31 mai 2006, dénoncé le découvert autorisé, ramené à la somme de 35.000,00 euros. Ils précisent que, contrairement à ce qu'affirme la banque, le découvert tacitement autorisé n'était pas atteint - le solde débiteur du compte intégrant des frais prohibitifs et intérêts indûment prélevés et ne prenant pas en compte des effets et chèques en cours d'encaissement - et aurait permis de payer un certain nombre de chèques et d'effets. Les appelants ajoutent qu'ainsi que l'a indiqué l'administrateur judiciaire, c'est le rejet de certains chèques en mai 2006 qui a provoqué la cessation des paiements de la société LES VINS ERDE, de sorte que le préjudice subi par cette société correspond au rejet des chèques et moyens de paiement et au discrédit commercial qui a entamé les résultats de l'entreprise.
La société LES VINS ERDE et le liquidateur judiciaire exposent par ailleurs :
- que la banque n'a pas respecté la convention de compte courant en ce qu'elle a appliqué un TEG inexact, à caractère usuraire, en majorant le dénominateur par application d'un diviseur de 360 jours (référence non prévue par le contrat), au lieu de 365, et en minorant le numérateur (assiette constituée des intérêts et frais) ;
- que l'application d'un TEG erroné entraîne la nullité de la stipulation des intérêts conventionnels et l'application du seul taux d'intérêt légal ;
- que le préjudice dont ils demandent réparation correspond d'une part au trop perçu d'intérêts et de frais, soit, aux termes de l'étude du cabinet DELAPORTE, la différence entre les agios calculés sur la base du TEG erroné et les agios calculés sur la base du taux d'intérêt légal (7.374,76 euros), d'autre part au préjudice commercial (19430,22 euros).
La société CIC NORD OUEST, par conclusions remises au greffe de la cour le 21 juin 2013, sollicite la confirmation du jugement entrepris, de dire le rapport du cabinet DELAPORTE inopposable au CIC et de condamner la SELARL [G] ès qualités au paiement des sommes de 6.000,00 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire et de 5.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Elle fait valoir que le rejet des chèques a été justifié par l'augmentation du découvert à un niveau hors de proportion avec le découvert tacite autorisé de 100.000,00 euros, que les chèques remis le 6 mars 2006 auraient, s'ils avaient été payés, porté le solde débiteur du compte à - 147.735,32 euros. Elle précise qu'elle s'est conformée aux dispositions de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier en adressant à sa cliente des courriers les 6 mars et 29 mai 2006 et que les rejets de chèques et d'escomptes ne sont, en tout état de cause, pas assimilables à une rupture des concours bancaires, la banque ayant seulement refusé d'augmenter les facilités accordées à sa cliente, de sorte qu'aucune faute ne peut lui être reprochée. Sur le calcul des intérêts et des frais, elle invoque à la fois l'inopposabilité du rapport établi par le cabinet DELAPORTE à la demande de la société LES VINS ERDE, en l'absence de respect du contradictoire et en raison des erreurs qu'il contient ; elle prétend que le montant de sa créance est justifié par la communication au client du TEG et que ses calculs ne sont affectés d'aucune erreur ni sur le calcul des intérêts - le nombre de jours décomptés étant conforme à la pratique bancaire - ni sur les dates de valeur en matière d'escompte, dont la validité a été reconnue par la jurisprudence de la cour de cassation.
DISCUSSION
Attendu que, le 30 septembre 2004, la société LES VINS ERDE a conclu une convention d'ouverture d'un compte courant avec la banque SCALBERT DUPONT (la Banque) lui autorisant un découvert de 75.000,00 euros ; que la Banque a, le 10 mars 2006, rejeté pour absence de provision préalable, 33 chèques pour un montant total de 58.755,71 euros ; que, le 30 mai 2006, 46 chèques ont été rejetés pour absence de provision préalable pour un montant total de 133.068,75 euros ; que la société LES VINS ERDE a sollicité, du président de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Béthune, la désignation d'un mandataire ad hoc ; qu'elle a, le 6 juin 2006, effectué la déclaration de sa cessation des paiements ; que le tribunal de grande instance de Béthune a ouvert le redressement judiciaire de la société LES VINS ERDE le 9 juin 2006, désignant Maître [C] en qualité d'administrateur judiciaire et la SELARL DUQUESNOY comme mandataire judiciaire ; que la banque a, le 24 juillet 2006, déclaré au passif de la société LES VINS ERDE une créance de 82.915,08 euros correspondant au solde débiteur du compte courant ouvert en ses livres, réduite à 67.915,08 euros le 11 septembre 2006 ; que, par jugement du 8 juin 2007, le tribunal a entériné le plan de continuation avec apurement du passif en dix ans élaboré par la débitrice et son administrateur judiciaire ; que, par acte du 28 janvier 2008, la société LES VINS ERDE a assigné la Banque en vue d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 250.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des concours et prélèvements de frais injustifiés ; que, par jugement du 30 mai 2008, le tribunal a ouvert la liquidation judiciaire de la société LES VINS ERDE, la SELARL DUQUESNOY étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire ;
Sur la responsabilité de la banque au titre des rejets de chèques
Attendu que la SELURL [G] [I] ès qualités et la société LES VINS ERDE font grief à la banque d'avoir manqué à son obligation de bonne foi en rejetant, sans aucune information préalable telle que prévue par l'article L. 131-73 du code monétaire et financier, plusieurs dizaines de chèques et en mettant ainsi fin au découvert autorisé ;
Attendu qu'aux termes de l'article L 131-73, alinéa 1er, du code monétaire et financier, 'le banquier tiré peut, après avoir informé par tout moyen approprié mis à disposition par lui le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, refuser le paiement d'un chèque pour défaut de provision suffisante. Il doit enjoindre au titulaire du compte de restituer à tous les banquiers dont il est le client les formules en sa possession et en celle de ses mandataires et de ne plus émettre des chèques autres que ceux qui permettent exclusivement le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés. Le banquier tiré en informe dans le même temps les mandataires de son client' ; que ces dispositions prévoient un avertissement de la banque au titulaire du compte, préalable au rejet du chèque, destiné à faciliter une régularisation ;
Attendu que, le 6 mars 2006, la BSD a informé la société LES VINS ERDE que 'la position du compte ne permettait pas d'effectuer le règlement d'un chèque' ; que cette lettre n'identifie pas le chèque en cause ; qu'aucun avertissement n'a été adressé par la banque pour les 32 autres chèques rejetés le 10 mars 2006 ; que, le 29 mai 2006, la banque a indiqué à la société LES VINS ERDE que 'la position du compte ne permettait pas d'effectuer le règlement des chèques venant d'être présentés' ; que cette lettre n'identifie aucun des chèques concernés ; que, l'avertissement prévu par l'article L. 131-73 devant être adressé pour tous les chèques concernés, préalablement à leur rejet, la BSD, en transmettant à sa cliente des courriers dépourvus de précision suffisante, ne s'est pas conformée aux dispositions de cet article ; que la banque a, dans ces conditions, engagé sa responsabilité envers la société LES VINS ERDE ;
Attendu que la société LES VINS ERDE présente une demande de dommages et intérêts correspondant d'une part au débit du compte bancaire, d'autre part à son préjudice commercial ; que les appelants sont fondés à obtenir réparation du préjudice né du rejet indu des chèques en cause ; que le CIC NORD OUEST sera condamné à payer à la SELURL [G] [I] ès qualités, à titre de dommages et intérêts, la somme de 67.915,08 euros dont le montant n'est pas discuté par la banque ; qu'en revanche, la cour confirmera le jugement entrepris sur le rejet de la demande d'indemnisation au titre d'un préjudice commercial dont les appelants ne justifient par aucun élément ;
Sur la responsabilité de la banque au titre de la surfacturation de frais, commissions et intérêts
Attendu que le cabinet DELAPORTE, dont le rapport a été établi à la demande de la société LES VINS ERDE, conclut que la banque n'a pas respecté les dispositions régissant le TEG, applique, dans le calcul des intérêts débiteurs, un 'coefficient 360", et non un coefficient correspondant au nombre de jours composant l'année civile, et applique de manière indifférenciée les jours de valeur dans le calcul de sintérêts débiteurs ; que le CIC conteste ces conclusions ; que cet élément justifie le recours à la mesure d'expertise sollicitée ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SA LES VINS ERDE de sa demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau,
Condamne la SA CIC NORD OUEST à payer à la SELURL [G] [I] ès qualités la somme de 67.915,08 euros,
Avant dire droit sur la demande de la SELURL [G] [I] ès qualités et de la SA LES VINS ERDE relative à la surfacturation de frais, commissions et intérêts;
Ordonne une expertise et désignons pour y procéder A.C.E.A. Audit Expertise Conseil, expert près la cour d'appel de Douai, [Adresse 1] ([Courriel 1]),
avec pour mission de :
- dire si les frais, intérêts, commissions et accessoires de toute nature prélevés par la banque correspondent à ceux prévus par la convention conclue entre les parties ou à ceux fixés par les lois et règlements ;
- déterminer si le taux effectif global pratiqué par la banque dans le cadre de la convention d'ouverture de compte et du découvert autorisé correspond à celui fixé contradictoirement entre les parties ;
- chiffrer le montant des intérêts, commissions et accessoires de toute nature prélevés par la banque ;
- le cas échéant, fixer le préjudice subi par la SA LES VINS ERDE,
Dit que le contrôle de l'expertise ordonnée est dévolu au président de la 2ème chambre section 2 de la cour d'appel de Douai,
Fixe à 2.500,00 euros la provision à valoir sur les honoraires d'expertise qui
devra être versée au greffe de la cour de la cour d'appel de Douai par la SELURL [G] [I] ès qualités dans le mois de l'envoi de l'avis du greffier invitant ces parties à consigner,
Dit que l'expert devra déposer au greffe de la cour d'appel de Douai le rapport de ses opérations dans le délai de 4 mois à dater de l'avis de la consignation, sauf prorogation dûment autorisée, et qu'il en délivrera lui-même copie à chacune des parties en cause,
Dit qu'au cas où les parties viendraient à se concilier, il devra constater que sa
mission est devenue sans objet et en faire rapport,
Dit qu'en cas d'empêchement, refus ou négligence, l'expert commis pourra être
remplacé par ordonnance rendue sur simple requête présentée par la partie la plus diligente au président de la 2ème chambre section 2 de la cour d'appel de Douai,
Réserve les dépens.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
M.M. HAINAUTP. BIROLLEAU