République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 21/05/2015
***
N° de MINUTE : 15/
N° RG : 14/06130
Jugement (N° 13/05170)
rendu le 26 Mai 2014
par le Tribunal de Grande Instance de LILLE
REF : PB/KH
APPELANT
Maître [O] [T] ès qualités de liquidateur judiciaire de Madame [Z] [L] épouse [X]
ayant son siège social [Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par Me Olivier BERNE, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE
SARL FONCIERE DES ARTS PATRIMOINE Prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Yves MARCHAL, avocat au barreau de LILLE, substitué par Me
VERITE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Christine PARENTY, Président de chambre
Philippe BRUNEL, Conseiller
Sandrine DELATTRE, Conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Sylvie HURBAIN
DÉBATS à l'audience publique du 26 Mars 2015 après rapport oral de l'affaire par Philippe BRUNEL
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 21 Mai 2015 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Christine PARENTY, Président, et Sylvie HURBAIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 février 2015
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Vu le jugement du tribunal de grande instance de Lille en date du 26 mai 2014 qui, faisant droit à la demande présentée par la société Foncière des arts patrimoine a, après avoir écarté la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à un arrêt de cette cour en date du 30 octobre 2012 qui avait rejeté l'action en revendication présentée par la même société et écarté l'argumentation du liquidateur relative au défaut de validité de la clause notamment au regard du droit des procédures collectives, a fait obligation à Me [T] en sa qualité de liquidateur du patrimoine de Madame [X] de transférer la propriété de la licence de quatrième catégorie à la société Foncière des arts patrimoine dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement ;
Vu la déclaration d'appel de M [T] ès qualités en date du 8 octobre 2014 ;
Vu les conclusions de M [T] en date du 5 novembre 2014 et du 29 janvier 2015 demandant la réformation du jugement ; il fait valoir à titre principal que la demande de transfert de la licence en vertu d'une clause spécifique du bail serait irrecevable comme contraire au principe de l'autorité de la chose jugée et au principe de concentration des moyens dès lors qu'une demande identique, présentée dans le cadre d'une action en revendication, a été rejetée précédemment par ordonnance du juge-commissaire puis sur recours par jugement du tribunal de commerce confirmé par arrêt de la cour d'appel du 30 octobre 2013 ; à titre subsidiaire, sur le fond, il estime la demande mal fondée ; il fait valoir à ce titre que la clause litigieuse ne peut recevoir application dès lors que la rupture du contrat de bail résulte non pas d'une inexécution mais de la décision, résultant de la liquidation judiciaire, de ne pas poursuivre le contrat ; il soutient également que la clause serait nulle pour défaut d'objet dès lors qu'elle se cumule avec une autre clause pénale stipulée au contrat de bail à savoir l'attribution au bailleur du dépôt de garantie ; il estime qu'en toute hypothèse la clause doit être réputée non écrite comme contraire à l'article 1231 du Code civil dès lors qu'il s'agit d'une clause pénale prévoyant une réparation en nature pour un contrat à exécution successive qui a reçu exécution pendant plus de 10 ans et qu'elle interdit au juge d'exercer son pouvoir modérateur; il fait enfin valoir qu' une telle clause ne peut recevoir application au regard du droit des procédures collectives puisque, en premier lieu, elle aboutit de façon irrégulière au paiement d'une dette qui n'est pas née pour les besoins de la procédure ou en contrepartie d'une prestation, qu'en deuxième lieu, elle crée de fait un privilège non autorisé par la loi au bénéfice du bailleur et qu'enfin, elle contourne les règles d'ordre public relatives à la réalisation des actifs ; à titre très subsidiaire est demandée la réduction de la clause pénale à la somme symbolique de un euro ; estimant la procédure abusive, le liquidateur demande la condamnation de la société Foncière des arts patrimoine au paiement d'une somme de 3000 € à titre de dommages-intérêts ;
Vu les conclusions de M [T] ès qualités en date du 11 février 2015 demandant que soient écartées des débats les pièces versées par la société Foncière des arts patrimoine le 9 février 2015 dès lors que, celle-ci n'ayant pas conclu dans le délai de deux mois de l'article 909 du code de procédure civile, ses conclusions ne sont pas recevables et par voie de conséquence la production de pièces ne peut être admise, celles-ci ayant en outre été produites très peu de temps avant l'ordonnance de clôture ;
Vu les conclusions en réponse de la société Foncière des arts patrimoine soutenant que le délai de deux mois de l'article 909 concerne uniquement les conclusions et non pas les pièces ; elle fait valoir que Me [T], ayant conclu les 29 janvier 2015 une nouvelle fois, se trouverait « malvenu » de s'opposer à la communication de pièces;
Vu l'ordonnance de clôture du 12 février 2015 ;
MOTIFS
Attendu que les éléments de fait ont été complètement et exactement énoncés dans le jugement déféré auquel la cour entend en conséquence renvoyer à ce titre ; qu'il sera seulement rappelé que la société Brasserie développement patrimoine ultérieurement devenue Foncière des arts patrimoine a consenti un bail commercial aux époux [X] concernant un immeuble situé [Adresse 1] ; qu'une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de Madame [X] par jugement du 19 septembre 2002 ; qu'un plan de redressement a été ultérieurement arrêté ; que par ordonnance de référé du 13 octobre 2009, les époux [X] ont été condamnés au paiement d'une somme de 4382,50 € au titre des loyers et charges, des délais de paiement et une suspension de la clause résolutoire étant toutefois ordonnés ; qu'à défaut de respect de l'échéancier prévu par l'ordonnance, un commandement de quitter les lieux a été signifié le 18 novembre 2009 ; que par jugement du 24 novembre 2009, le tribunal de commerce de Lille a prononcé la liquidation judiciaire du patrimoine de Madame [X] après résolution du plan ; que par courrier du 1er décembre 2009, le liquidateur judiciaire a fait savoir à la société bailleresse qu'il n'entendait pas s'opposer à la résiliation du contrat de bail ; que finalement les locaux ont été restitués au bailleur le 21 décembre 2009 ;
Attendu que la société Foncière des arts patrimoine a déposé une requête en revendication de la licence attachée au fonds auprès du juge-commissaire le 15 février 2010 ; que cette requête était fondée sur une stipulation spécifique du bail relative à cette licence en vertu de laquelle : « Au cas de résiliation du bail du fait du preneur, quelle qu'en soit la cause, il s'engage à en transférer la propriété au bailleur ou à toute autre personne désignée par lui, sans pouvoir prétendre à aucune sorte d'indemnité et ce, à titre de dommages et intérêts, ce qui est expressément accepté par le preneur. Il s'agit là d'une condition essentielle sans laquelle le présent bail n'aurait pas été consenti. » ; que cette requête a été rejetée par le juge-commissaire qui a estimé que la clause était nulle pour absence de cause ; que l'ordonnance a été confirmée par jugement du tribunal de commerce du 22 mars 2011 qui a considéré que l'absence d'obligation à la charge du bailleur en contrepartie du transfert de propriété de la licence privait ce transfert de toute cause; que ce jugement a été lui-même confirmé par arrêt de cette cour du 30 octobre ; que toutefois la confirmation est intervenue par substitution de motifs, la cour d'appel ayant écarté l'argumentation du liquidateur relative à la nullité de la clause tant au regard de l'absence de cause qu'au regard du fait qu'elle constituerait une clause pénale illicite ou encore qu'elle serait contraire au principe d'égalité des créanciers ; que la cour a en réalité confirmé le jugement au motif que la clause litigieuse n'avait pu trouver application, le transfert de propriété de la licence n'étant pas réalisé à la date du jugement d'ouverture, le bail n'ayant été résilié que postérieurement ;
Attendu que c'est dans ces conditions que, par acte du 30 mai 2013, la société Foncière des arts patrimoine a assigné le liquidateur devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins d'obtenir transfert de la licence à son profit et que ce tribunal a rendu le jugement déféré ;
Sur les pièces communiquées par la société Foncière des arts patrimoine ;
Attendu qu'aux termes de l'article 906 du code de procédure civile : « Les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie; ... » ; qu'il en résulte que les pièces qui sont produites viennent nécessairement à l'appui des conclusions qui seules sont de nature à saisir la cour des moyens et demandes ; que, dès lors que la société Foncière des arts patrimoine n'a pas conclu, la production par elle de pièces est sans objet ; que ces pièces seront écartées des débats dans les conditions demandées par l'appelant ;
Sur la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée ;
Attendu en premier lieu que Me [T] entend soutenir l'irrecevabilité de la demande de la société Foncière des arts patrimoine au motif qu'elle se heurterait à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de cette cour en date du 30 octobre 2012 ; que toutefois, une telle fin de non recevoir ne peut être retenue ; qu'en effet, cet arrêt, s'il a été rendu entre les mêmes parties et avait pour objet la revendication de la propriété de la licence quatre attachée au fond, avait toutefois pour cadre la procédure spécifique de revendication qui, au-delà de ses aspects procéduraux particuliers, a pour objet l'appréciation de la qualité de propriétaire du bien par le revendiquant au jour de l'ouverture de la procédure collective ; que c'est d'ailleurs au motif que la société Foncière des arts patrimoine n'était pas propriétaire de la licence, faute de résiliation du bail à cette date, que l'arrêt, par substitution de motifs, a confirmé le jugement rejetant l'action en revendication ; que l'instance introduite devant le TGI a pour cadre une action en revendication de propriété étrangère à la procédure de revendication exposée aux articles L624-9 et suivants du code de commerce ; qu'elle fait suite à la rupture du contrat de bail qui constitue un élément de fait nouveau ;
Qu'il y a lieu en conséquence d'écarter la fin de non recevoir ainsi soulevée ;
Sur la validité de la clause attribuant à la société foncière des arts patrimoine la propriété de la licence quatre ;
Attendu que cette clause, dont le libellé a été ci-dessus reproduit, est analysée par l'une et l'autre des parties comme une clause pénale ;
Attendu que le liquidateur fait valoir en premier lieu que la clause litigieuse ne pourrait trouver application en l'espèce au motif qu'il n'y aurait pas eu résiliation du contrat de bail mais que celui-ci aurait seulement pris fin par la décision du liquidateur de ne pas poursuivre ce contrat ; que toutefois, force est de constater que, comme l'indique lui-même le liquidateur, l'article L641-12 du code de commerce fait usage du terme « résiliation » pour désigner la situation résultant de la décision du liquidateur de ne pas continuer le bail; qu'il ne peut donc être tiré argument de l'utilisation de ce terme dans le bail pour indiquer qu'il exclurait le défaut de continuation du contrat ; qu'en réalité, la clause litigieuse, en visant la « résiliation de bail du fait du preneur quelle qu'en soit la cause », vise toute rupture de la relation contractuelle imputable au preneur ou à son représentant, même si cette rupture ne présente aucun caractère fautif ; que l'argumentation ainsi développée ne peut être retenue ;
Attendu que le liquidateur soutient en deuxième lieu que de la clause serait dépourvue d'objet ; qu'il entend en réalité contester le fait que le bail prévoit deux clauses pénales assortissant la résiliation du contrat, d'une part, l'attribution au bailleur du dépôt de garantie et, d'autre part, la clause litigieuse ; que, toutefois, aucune disposition ne prohibe la stipulation de deux clauses pénales dans un même contrat, même lorsqu'elles sanctionnent une seule et même obligation dès lors que le juge peut en tous les cas exercer son pouvoir modérateur par application de l'article 1152 du Code civil sur l'une et l'autre de ces clauses ;
Attendu que le liquidateur soutient en troisième lieu que la clause litigieuse, prévoyant non pas le paiement d'une somme d'argent mais une obligation de faire serait « indivisible » et ainsi contraire aux dispositions de l'article 1231 du Code civil en ce qu'elle empêcherait l'exercice du pouvoir modérateur du juge alors que le contrat de bail a reçu exécution pendant plus de 10 ans ; que toutefois, d'une part, les dispositions de l'article 1226 du Code civil visant en tant que clause pénale tout engagement à « quelque chose », ne la limitent pas à une obligation de paiement et, d'autre part, les dispositions de l'article 1152 alinéa deux de ce même code ouvrent au juge la possibilité d'une modération de la peine ; que ce pouvoir modérateur s'exerce non seulement s'agissant d'une obligation de paiement expressément visée par l'article 1152 alinéa deux mais également lorsqu'il s'agit d'une obligation de faire visée par les articles 1231 et suivants ;
Attendu en conséquence que le liquidateur ne peut utilement demander que la clause soit considérée comme nulle ou non écrite ;
Sur l'opposabilité de la clause à la procédure collective ;
Attendu en revanche que, comme le soutient en dernier lieu le liquidateur, la clause, indépendamment de sa validité, ne saurait avoir d'effet lorsque le preneur est en procédure collective ; qu'en effet, l'attribution d'un élément de l'actif du preneur en état de liquidation judiciaire par le jeu d'une clause contractuelle antérieure aboutit à conférer au bailleur un privilège dépourvu de fondement légal et à contourner les dispositions d'ordre public du code de commerce régissant les modalités de réalisation de l'actif sous la conduite du liquidateur judiciaire et le contrôle du tribunal de commerce ;
Attendu que le liquidateur est donc fondé à soutenir que la clause est inopposable à la procédure collective ; qu'en conséquence, la demande de la société Foncière des arts visant au transfert de la licence à son profit doit être rejetée ;
Que le jugement sera ainsi infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande ;
Attendu que Me [T] n'établit pas que l'action engagée par la société Foncière des arts patrimoine soit constitutive d'un abus du droit d'ester en justice; que la demande de dommages intérêts présentée par lui à ce titre doit être rejetée;
Attendu qu'il serait inéquitable que Me [T] ès-qualités conserve à sa charge le montant des frais irrépétibles engagés pour les besoins de la présente instance ; que la société Foncière des arts patrimoine sera condamnée à lui payer la somme de 5000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant publiquement et contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe,
Écarte des débats les pièces communiquées par la société Foncière des arts le 9 février 2015 sous les numéros 26 à 36,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a écarté la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée,
Déclare inopposable à la procédure collective la clause du bail prévoyant le transfert de propriété de la licence IV,
Rejette en conséquence la demande de la société Foncière des arts patrimoine visant à obtenir le transfert de propriété de cette licence,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société Foncière des arts patrimoine à payer à Me [T] ès-qualités la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Foncière des arts patrimoine aux dépens qui pourront être recouvrés directement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
S. HURBAINC. PARENTY