République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 22/02/2018
***
N° de MINUTE :
N° RG : 16/07077
Jugement (N° 16/06327)
rendu le 10 novembre 2016 par le tribunal de grande instance de Lille
APPELANTE
SARL Cap Recouvrement
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 1]
représentée et assistée de Me Hadrien Debacker, membre du cabinet Eloquence (SELAS Six Debacker & Associés) avocat au barreau de Lille
INTIMÉE
SELAS Pathologie Nord-Unilabs
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Bernard Franchi, membre de la SCP Deleforge Franchi, avocat au barreau de Douai
assistée de Me Gilles Grammont, avocat au barreau de Chalon sur Saône
DÉBATS à l'audience publique du 12 octobre 2017 tenue par Emmanuelle Boutié magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Maurice Zavaro, président de chambre
Bruno Poupet, conseiller
Emmanuelle Boutié, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 février 2018 après prorogation du délibéré en date du 07 décembre 2017 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, conseiller en remplacement de Maurice Zavaro, président empêché et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 21 septembre 2017
***
La SELAS Pathologie Nord Unilabs est une société spécialisée en anatomie et cytologie pathologique et la société Cap Recouvrement est une société spécialisée dans le recouvrement de créances.
Le 8 juin 1993, la SCP [X] et Associés, dont les droits seront repris par la société Pathologie Nord Unilabs, et la SARL Cap Plus dont les droits seront repris par la société Cap Recouvrement ont conclu un contrat de prestation de services de recouvrement.
Autorisée par ordonnance du Président du tribunal de grande instance de Lille en date du 4 juillet 2016, par acte d'huissier en date du 7 juillet 2016, la SARL Cap Recouvrement a fait assigner à jour fixe la société Pathologie Nord Unilabs aux fins de rechercher sa responsabilité quasi-délictuelle au titre d'une brusque rupture de relation d'affaire établie et obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 320 013,65 euros en réparation de son préjudice outre 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par jugement en date du 10 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Lille a :
- rejeté la demande de renvoi à la mise en état ;
- rejeté l'intégralité des demandes ;
- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SARL Cap Recouvrement aux dépens ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.
Par déclaration en date du 23 novembre 2016, la SARL Cap Recouvrement a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 septembre 2016, elle sollicite l'infirmation de la décision entreprise et à titre principal, demande à la cour, statuant à nouveau, de dire que la société Pathologie Nord Unilabs a commis une faute en rompant brutalement, sans respecter de préavis, la relation d'affaire suivie et en conséquent, de la condamner au paiement de la somme de 307 312,99 euros au titre du préjudice résultant de la rupture brutale des relations d'affaires établies outre celle de 8 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
A titre subsidiaire, elle sollicite la condamnation de la société Pathologie Nord Unilabs à lui verser la somme de 83 784,96 euros en application des dispositions contractuelles relatives à la durée de la convention outre celle de 15 000 euros en indemnisation du préjudice résultant de la déloyauté et de la mauvaise foi de la société Pathologie Nord Unilabs dans l'exécution du contrat.
Elle fait valoir que :
- l'auteur d'une rupture brutale de relations d'affaires, même s'il n'a pas le statut de société commerciale, ne peut échapper à la réparation intégrale du préjudice de la victime ;
- la relation commerciale établie peut résulter d'une relation contractuelle non formalisée, d'une suite de contrat à durée déterminée ou d'un contrat à durée indéterminée sans qu'il n'y ait de différence à établir ;
- ce n'est pas la rupture en elle-même qui est en cause mais les circonstances de cette rupture et son caractère brutal qui ne peuvent être sanctionnés que sur un fondement délictuel ;
- l'existence d'une relation d'affaires établie depuis 1993, soit plus de 22 ans, est incontestable ;
- la rupture est intervenue le 8 décembre 2015 et a consisté en l'arrêt brutal de la transmission de nouveaux dossiers ;
- les dossiers confiés par la société Pathologie Nord Unilabs, son client le plus important, représentaient 30 % de son chiffre d'affaire, cette perte entraînant d'importantes difficultés économiques ;
- elle a découvert l'existence du contrôle de la DGCCRF avec les pièces communiquées par son adversaire sans que la preuve de l'existence de 'pratiques douteuses' ne soit rapportée aux débats ;
- il ne ressort pas des pièces produites aux débats qu'une consultation nationale ait été lancée ni qu'elle en ait été informée ;
- au vu de l'ancienneté des relations d'affaires établies et de l'intensité de celles-ci représentant 30 du chiffre d'affaire et compte tenu de la jurisprudence en la matière, un préavis de 22 mois aurait dû être respecté.
Par ses dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2017, la société Pathologie Nord Unilabs (Autrefois Nordpathologie) sollicite, à titre principal, la confirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions. A titre subsidiaire, elle conclut au débouté de l'appelante en toutes ses prétentions et à titre reconventionnel, sollicite sa condamnation au paiement de la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec distraction au profit de Me Franchi en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle soutient que :
- seul le régime de la responsabilité contractuelle pouvait être invoqué en l'espèce en vertu du principe du non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles, le non-respect d'un préavis ou du terme d'un contrat à durée déterminée étant sanctionné sur le fondement de l'article 1134 du code civil ;
- seul l'article L.442-6 I 5° du code de commerce, texte spécial et d'ordre public économique, donne au juge le pouvoir exorbitant d'estimer la durée du préavis sans être tenu par les stipulations du contrat ;
- la demande de la société Cap Recouvrement sur le fondement de l'article 1240 du code civil (anciennement 1382) est irrecevable ;
- en aucun cas, les dispositions spéciales du code de commerce ne peuvent être invoquées en dehors de leur champ d'application : ni le caractère écrit du préavis, ni la durée fixée en fonction des usages du commerce ne peuvent déroger à cette règle ;
- en l'espèce, un contrat écrit était en cours d'exécution ainsi que l'a justement rappelé le tribunal ;
- la société Cap Recouvrement omet sciemment d'évoquer le litige qui l'opposait à la société Pathologie Nord Unilabs avant la rupture du contrat s'agissant de la révélation de pratiques douteuses et illégales dans le cadre du recouvrement des créances ;
- la société Cap Recouvrement a continué à facturer des prestations au cours de l'année 2016 de sorte que la baisse progressive du chiffre d'affaire ainsi que la persistance d'un chiffre d'affaire est incompatible avec la notion de brutalité.
MOTIVATION
L'article L.442-6 du code de commerce dispose que tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers engage sa responsabilité en cas de rupture brutale de relations commerciales établies.
Il en est ainsi même si les relations des parties s'inscrivent dans un cadre contractuel.
Cependant, la société Cap Recouvrement expose elle-même que la société Nord Pathologie Unilabs, laboratoire d'analyse biologique médicale soumis aux articles L.6212-1 et suivants du code de la santé publique, est une société civile à laquelle les dispositions de l'article L.442-6 susvisées ne sont pas applicables et fonde, à titre principal, ses demandes sur les dispositions de l'article 1240 (anciennement 1382) du code civil, faisant valoir qu'en rompant brutalement leur relation d'affaire suivie depuis vingt-deux ans, la société Nord Pathologie Unilabs a commis une faute délictuelle.
Or, il est constant que ledit article 1240 (ex 1382), qui dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et définit la responsabilité dite délictuelle ne peut être invoqué comme fondement d'une demande de réparation d'un dommage se rattachant à l'exécution d'un engagement contractuel, qui fait l'objet de dispositions spécifiques dans le code civil (responsabilité contractuelle).
Il est acquis aux débats que les parties étaient liées par un contrat à la date de la rupture litigieuse de leurs relations (décembre 2015).
Par conséquent, la réparation du préjudice susceptible de résulter de cette rupture ne peut être demandée que sur le fondement des règles de la responsabilité contractuelle et c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes de la société Cap Recouvrement alors fondées exclusivement sur la responsabilité délictuelle.
Il convient néanmoins d'examiner ces demandes dès lors que, devant la cour, elles sont également fondées à titre subsidiaire sur la responsabilité contractuelle, étant ici rappelé que l'article 563 du code de procédure civile autorise les parties à invoquer des moyens nouveaux pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge.
Le code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise ; qu'elles doivent être exécutées de bonne foi.
Le mandat de recouvrement régularisé entre les parties le 3 juillet 2013 prévoit en son article 6 : 'La présente convention est conclue pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, à compter de la signature de la présente convention, sauf dénonciation par l'une ou l'autre partie, en respectant toutefois un préavis de deux mois, et ce par lettre recommandée avec accusé de réception; le point de départ du préavis est fixé à la date de l'accusé de réception. Dans ce cas, les dossiers restant en cours à l'expiration de la convention continueront à être gérés par Cap Recouvrement jusqu'à leur clôture définitive. Cap Recouvrement s'engage à apporter tous ses soins à cette gestion et le client s'engage à en accepter les conséquences, ceci en conformité avec les conditions de traitement initialement prévues et dans le cadre des conditions générales Cap Recouvrement'.
La société Pathologie Nord Unilabs ne conteste pas ne pas avoir notifié de préavis à la société Cap Recouvrement ni avoir cessé ses relations contractuelles avec cette dernière à compter du 8 décembre 2015, conduisant la société Cap Recouvrement à prendre acte de le rupture des relations contractuelles par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 5 avril 2016.
L'existence d'un litige avec la société Cap Recouvrement portant sur la possibilité de demander des frais de recouvrement dans la phase amiable, dont fait état la société Nord Pathologies, ne l'autorisait pas à s'affranchir des stipulations contractuelles pour rompre leurs relations.
Elle a donc commis une faute et il lui appartient de réparer, le cas échéant, le préjudice en résultant pour la société Cap Recouvrement.
Toutefois, contrairement à ce qu'indique l'appelante dans ses conclusions, la clause précitée du contrat ne prévoit pas que la dénonciation puisse seulement intervenir, par courrier recommandé, deux mois 'avant le terme'.
Elle doit donc se comprendre non pas comme offrant seulement la possibilité d'une dénonciation au terme annuel du contrat sous réserve du respect d'un préavis de deux mois mais comme prévoyant, chaque année à sa date anniversaire, la tacite reconduction pour un an sauf dénonciation par l'une ou l'autre partie en respectant un préavis de deux mois, et autorisant par conséquent une dénonciation à tout moment à condition de respecter un préavis de deux mois.
Il en résulte que le préjudice subi par la société Cap Recouvrement se limite au manque à gagner pour les deux mois du préavis non respecté.
Or, d'une part, l'intimée fait valoir à juste titre que ce n'est pas le chiffre d'affaires mais seulement la marge réalisée par l'appelante avec les dossiers qui lui sont confiés qui doit être prise en compte. Si la société Cap Recouvrement affirme qu'elle réalisait une marge représentant 96 % d'un chiffre d'affaires mensuel moyen de 14 546 euros, elle n'en justifie pas.
D'autre part, la clause précitée stipule que les dossiers restant en cours à l'expiration de la convention continueront à être gérés par Cap Recouvrement jusqu'à leur clôture définitive, il n'est pas démontré ni même soutenu qu'il n'en ait pas été ainsi, il ressort d'ailleurs des conclusions de l'appelante (page 6) que la rupture dont elle fait état est caractérisée par le fait qu'à partir du 8 décembre 2015, la société Nord Pathologies a cessé de lui adresser la liste hebdomadaire de créances à recouvrer qu'elle lui faisait parvenir jusqu'alors. Le préjudice ne peut donc s'apprécier que par rapport aux dossiers nouveaux que l'appelante aurait pu recevoir pendant les deux mois du préavis.
Les pièces produites par la société Cap Recouvrement ne permettent pas à la cour de déterminer le préjudice, ainsi délimité, à la réparation duquel elle est susceptible de prétendre.
Elle ne peut donc qu'être déboutée de sa demande au titre du préjudice financier.
En revanche, la société Cap Recouvrement demande également réparation du préjudice 'résultant de la déloyauté et de la mauvaise foi' de la société Pathologies Nord-Unilabs, ce qui s'analyse en un préjudice moral dont il est acquis que les personnes morales peuvent se prévaloir.
La rupture, par la société Pathologies Nord-Unilabs, de relations anciennes (vingt-deux ans) sans même respecter le préavis contractuellement prévu, même en présence d'un litige opposant les parties dont la cour n'a pas à connaître et qui, en tout état de cause et comme cela a été dit ci-dessus, n'autorisait pas l'intimée à s'affranchir des stipulations du contrat, permet de reconnaître le préjudice allégué par l'appelante et de faire droit à concurrence de cinq mille euros à sa demande de ce chef.
Les considérations qui précèdent, vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, conduisent à mettre les dépens à la charge de l'appelante, dont les demandes étaient mal fondées en première instance et ne prospèrent que très partiellement en cause d'appel, et de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour
infirme le jugement entrepris,
condamne la société Pathologies Nord-Unilabs à payer à la société Cap Recouvrement la somme de cinq mille euros (5 000) en réparation de son préjudice moral,
déboute les parties de leurs autres demandes,
condamne la société Cap Recouvrement aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier,Pour le président,
Delphine Verhaeghe.Bruno Poupet.