République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 31/05/2018
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N° de MINUTE : 18/229
N° RG : 16/01257 jonction avec le 16/1260 et 17/2448
Offre FIVA du 05 Janvier 2016
DEMANDERESSE
Madame Ghislaine X... veuve Y...,
née le [...]
de nationalité française
[...]
Assistée de Romain Bouvet, avocat au barreau de Paris substituant Me Michel Z..., avocat au barreau de Paris
DÉFENDEUR
Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante
[...]
[...]
Assisté de Me Mario A..., avocat au barreau de Lille
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Benoît Pety, conseiller faisant fonction de président
Sara Lamotte, conseiller
Claire Bertin, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé
DÉBATS à l'audience publique du 22 Mars 2018
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Benoît Pety, conseiller faisant fonction de président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties:
Le diagnostic de cancer broncho-pulmonaire a été posé le 30 juin 2004 pour M. Y.... Son organisme de sécurité sociale, la Caisse Nationale de Retraite des Agents des Collectivités locales, a pris en charge cette pathologie au titre du tableau 30 B et lui a accordé une rente sur un taux d'incapacité de 60 %.
M. Y... est décédé le [...] des suites de cette maladie.
Ses ayants-droit ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (ci-après dénommé le FIVA) d'une demande d'indemnisation des préjudices subis par leur auteur de son vivant et de leurs préjudices personnels.
Le Fonds leur a fait parvenir les offres suivantes qu'ils ont acceptées:
-au titre de l'action successorale:
'préjudice fonctionnel (taux de 100 % à compter du 30 juin 2004): entièrement pris en charge du chef des sommes versées par l'organisme social,
'préjudice moral: 72000 euros,
'préjudice physique: 26000 euros,
'préjudice d'agrément: 22000 euros,
'préjudice esthétique: 500 euros,
'frais funéraires: 2874,33 euros,
-à titre personnel:
'pour Mme Y..., sa veuve: 30000 euros,
'pour M. Laurent Y..., son fils: 8000 euros,
'pour M. C... Y..., son fils: 8000 euros,
'pour M. Cédric Y..., son fils: 8000 euros,
'pour M. David Y..., son fils: 8000 euros,
'pour M. Vincent Y..., son fils: 8000 euros,
'pour chacun de ses petits-enfants: 3000 euros.
Les consorts Y... ont à nouveau saisi le FIVA le 2 juillet 2015 d'une demande d'indemnisation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne et du préjudice économique subi par la veuve de M. Y... suite à son décès.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 janvier 2016, le FIVA a notifié aux demandeurs une décision de rejet d'indemnisation du recours à l'assistance d'une tierce personne, cette demande étant prescrite.
Les consorts Y... ont contesté cette décision, querellant aussi par ce biais la décision implicite du Fonds de ne pas indemniser le préjudice économique de Mme Y....
En l'état de leurs dernières écritures adressées à la cour le 21 novembre 2017 et soutenues oralement à l'audience du 22 mars 2018, les consorts Y... demandent à la juridiction du second degré de:
-Ordonner la jonction des procédures 17/2448 et 16/1257 dans le souci d'une bonne administration de la justice,
-Dire que le délai de prescription de dix ans opposable à leur demande d'indemnisation de l'intégralité des préjudices subis par M. Y... de son vivant a été interrompu par les offres présentées par le FIVA les 14 février et 15 mars 2007 ainsi que le 29 mai 2008,
-En conséquence, constater que la demande d'indemnisation des consorts Y... déposée le 2 juillet 2015 au titre de l'indemnisation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne subi par M. Y... de son vivant n'est pas prescrite,
-A titre subsidiaire, dire que le délai de prescription de dix ans opposable à la demande tendant à l'indemnisation de l'intégralité des préjudices subis par M. Y... de son vivant a été interrompu par le règlement des sommes proposées par le FIVA dans son offre du 14 février 2007,
-Dire que le délai de prescription de dix ans opposable à la demande tendant à l'indemnisation de l'intégralité des préjudices subis par M. Y... de son vivant a été interrompu par le règlement des sommes proposées par le FIVA dans son offre du 29 mai 2009,
-Constater que la demande d'indemnisation des consorts Y... déposée le 2 juillet 2015 au titre de l'indemnisation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne subi par M. Y... de son vivant n'est pas prescrite,
-En tout état de cause, dire qu'il convient de retenir un besoin en tierce personne de six heures par jour pour la période du 5 mai 2005 au 2 juillet 2005,
-Dire qu'il convient de retenir un taux horaire de 20 euros, charges sociales comprises,
-Fixer l'indemnisation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne à la somme de 6240 euros,
-Dire que les sommes proposées par le FIVA dans son offre du 17 février 2017 au titre du préjudice économique subi par Mme Y... sont insuffisantes,
-En conséquence, dire qu'il convient de retenir une part de consommation de 67 %,
-Dire que le revenu de référence utilisé comme base de calcul du préjudice économique subi par Mme Y... du fait du décès de son époux est de 25858,62 euros [...],
-Dire que le revenu de référence utilisé comme base de calcul du préjudice économique subi par Mme Y... du fait du décès de son mari est de 20842,15 euros à compter du [...],
-Dire que ce revenu de référence sera revalorisé chaque année selon l'indice INSEE des prix à la consommation «ensemble des ménages hors tabac» selon la formule suivante:
revenu de référence x indice de revalorisation (n)
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Indice (n ' 1)
-Dire qu'il convient d'intégrer au calcul du préjudice économique de Mme Y... le montant de la rente FIVA valeur 2017, soit 19015 euros,
-Dire que le préjudice lié à l'incapacité fonctionnelle future doit être capitalisé en fonction de la table de capitalisation publiée par la Gazette du Palais en 2016,
En conséquence,
-Fixer à la somme de 40317,80 euros l'indemnisation du préjudice économique subi par Mme Guislaine Y... du 3 juillet 2005 au 3 juillet 2015,
-Fixer à la somme de 83071,35 euros l'indemnisation du préjudice économique de Mme Y... à compter du 1er janvier 2016,
-Dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
-Condamner le FIVA au paiement d'une somme de 3000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Relativement à la prescription qui leur est opposée par le Fonds, les consorts Y... exposent que leur demande relative à l'indemnisation du préjudice lié au recours à l'assistance d'une tierce personne n'est pas prescrite. Le délai de prescription applicable, qui est effectivement de dix ans à compter du 5 octobre 2014, est soumis aux règles du droit commun, c'est à-dire à l'article 2240 du code civil. C'est dire que le recours aux dispositions de la loi du 31 décembre 1968 n'est pas justifié.
En l'espèce, les consorts Y... ont saisi le FIVA le 15 mars 2006 d'une demande d'indemnisation, soit dans les dix ans suivant la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de leur auteur. Le Fonds a émis le 14 février 2007 une offre indemnitaire partielle qui constitue une reconnaissance par cette partie de sa créance constituée par la réparation intégrale des préjudices subis par M. Y... de son vivant et en lien avec sa maladie professionnelle, mais aussi des préjudices personnels de ses ayants droit. Il s'agit bien d'une interruption du délai de prescription. Une reconnaissance partielle du droit indemnitaire engendre un effet interruptif pour la totalité de la créance. Un nouveau délai de dix ans a donc commencé à courir jusqu'au 14 février 2017.
Il est ajouté par les demandeurs que le FIVA, par courrier du 15 mars 2017, a considéré que le préjudice lié à l'incapacité fonctionnelle de M. Y... était intégralement indemnisé par la rente servie par son organisme social, ce qui n'a pas été contesté par les consorts Y.... Le rejet d'indemnisation de ce poste de préjudice est aussi de nature à interrompre le délai de prescription décennale. Une troisième interruption de ce délai est survenue le 29 mai 2008 dans la mesure où le FIVA a émis une offre de remboursement des frais d'obsèques, offre qui a été acceptée par les consorts Y.... Ces derniers avaient jusqu'au 29 mai 2018 pour saisir le Fonds d'une demande indemnitaire complémentaire.
A titre subsidiaire, si les dispositions de la loi du 31 décembre 1968 devaient trouver à s'appliquer en l'espèce, la cour devrait considérer que le règlement de l'offre présentée par le Fonds le 14 février 2007 a interrompu le délai de prescription (cf. article 2 de cette loi). Les consorts Y... ont accepté cette offre le 6 mars 2007. Un nouveau délai de dix ans a donc commencé à courir à compter de cette date.
Relativement à l'indemnisation du recours à l'assistance d'une tierce personne, les demandeurs exposent que leur auteur a recouru à cette aide dès le 5 mai 2005, ce que lui imposait son état de santé dégradé. Le dossier médical du défunt confirme cela, en particulier le développement d'un cancer neuro-endocrine multi métastasé avec développement cérébral, d'où les paralysies faciales. En outre, la chimiothérapie a été mal tolérée par M. Y.... Cela est repris par le docteur B... dans un certificat médical rédigé par ses soins. Les demandeurs établissent ainsi leur calcul de ce poste de préjudice sur la base d'un besoin d'assistance de 6 heures par jour du 5 mai au 2 juillet 2005, soit pendant 58 jours dont à déduire 6 jours d'hospitalisation. Ils réclament une indemnisation de ce poste de préjudice sur la base de 20 euros de l'heure s'agissant d'une aide non spécialisée.
Sur le préjudice économique de Mme Y..., la demanderesse a recours au barème du FIVA pour évaluer ce poste de préjudice. Elle retient la somme de 15594 euros comme revenu de référence pour le défunt et 10264,62 euros pour Mme Y..., soit un montant de 25858,62 euros pour l'année 2004. Mme Y... a été mise à la retraite à taux plein à compter du mois d'août 2006, soit un revenu de référence de 4720,27 euros (retraite de base + retraite complémentaire) en ce qui la concerne à compter de cette date. Le nouveau revenu de référence du foyer était donc de 20842,15 euros à compter du 1er août 2006. Ce montant doit être revalorisé chaque année.
Pour ce qui relève de l'intégration au calcul de la rente FIVA, la demanderesse sollicite de la cour qu'elle retienne le montant de cette rente valeur année 2017, soit 19015 euros, ce qui correspond au montant de la rente au jour où la juridiction liquide ce poste de préjudice.
Mme Y... demande aussi à la cour de faire application du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2016 pour calculer son indemnisation à compter du 1er janvier 2016.
* * * *
Le FIVA demande pour sa part à la cour de:
Sur le recours à l'assistance d'une tierce personne:
-Prendre acte de l'accord des parties sur le point de départ du délai de prescription, soit le 5 octobre 2004,
-Constater que, par lettre du 15 mars 2006, les consorts Y... ont expressément saisi le FIVA d'une demande d'indemnisation des préjudices d'incapacité, physique, moral et d'agrément subis par M. Y... de son vivant,
-Constater que le Fonds n'a pas été mis en mesure ni d'identifier ni d'évaluer le préjudice prétendument subi par M. Y... lié à l'assistance d'une tierce personne lors du dépôt de la demande d'indemnisation présentée par les requérants le 15 mars 2006,
-Dire que les offres formulées par le Fonds les 14 février et 15 mars 2007 ainsi que le 29 mai 2008 s'agissant des préjudices fonctionnel, physique, moral et d'agrément et au titre du remboursement des frais funéraires subis par M. Y... de son vivant ne constituent pas des causes interruptives du délai de prescription,
-En conséquence, confirmer sa décision du 5 février 2016, la demande adverse étant prescrite,
-A titre subsidiaire, rejeter la demande des consorts Y... au titre de la réparation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne, celle-ci n'étant pas fondée,
Sur le préjudice économique par ricochet (arrérages),
-Prendre acte de l'accord des parties selon lequel le revenu de référence de M. Y... correspond aux revenus déclarés par ce dernier la dernière année pleine avant décès, soit 15594 euros [...],
-Confirmer que le revenu de référence de Mme Y... doit correspondre aux revenus perçus par cette dernière les trois années avant la date de première constatation médicale de son époux, soit les années 2001, 2002 et 2003,
-Confirmer qu'en l'absence d'avis d'imposition pour l'année 2001, le revenu de référence de Mme Y... correspond à la moyenne des revenus perçus en 2002 et 2003, soit 9727,07 euros,
-Prendre acte de l'accord des parties selon lequel la retraite à une incidence sur le calcul du revenu de référence et, en conséquence, que le revenu de référence de la demanderesse doit être réévalué à compter du 1er août 2006,
-Prendre acte de l'accord des parties selon lequel le revenu de référence ainsi réévalué est de 4720,27 euros,
-Prendre acte de l'accord des parties s'agissant de la méthode de revalorisation des revenus de référence selon l'indice des prix à la consommation, établi sur une série dont le chef du ménage est ouvrier ou employé hors tabac depuis 1998 retenue par le FIVA,
-Dire qu'il convient de retenir les coefficients OCDE pour déterminer la part de consommation de Mme Y... dans les revenus du foyer,
-En conséquence, confirmer le coefficient de «1,5» attribué au foyer de Mme Y...,
-Constater l'accord des parties sur l'intégration de la rente déterminée par le FIVA au titre de l'incapacité fonctionnelle dans le calcul du préjudice économique,
-Rejeter la demande d'actualisation de la rente déterminée par le FIVA au titre de l'incapacité fonctionnelle sollicitée par Mme Y...,
-Prendre acte de ce que Mme Y... ne s'oppose pas à la déduction de l'ensemble de ses revenus de substitution, à savoir ses revenus déclarés au titre du régime de l'impôt sur le revenu ainsi que sa rente d'ayant-droit versée par l'organisme social,
-Prendre acte de l'accord des parties selon lequel il convient de déduire le capital-décès versé par la MGEN à concurrence de 19900 euros
-En conséquence, confirmer la décision du FIVA du 17 février 2017 selon laquelle le préjudice économique de Mme Y... du 3 juillet 2005 au 31 décembre 2015 s'élève à la somme de 31483,28 euros,
Sur le préjudice économique par ricochet (préjudice futur):
-Confirmer que le préjudice économique de Mme Y... doit être calculé en fonction de l'espérance de vie de son défunt mari,
-Dire qu'il convient d'appliquer la table de mortalité 2008-2010 de l'INSEE établie sur des projections arrêtées au 31 décembre 2011 en vue de la détermination de l'espérance de vie de la victime,
-Dire que le préjudice économique futur de Mme Y... doit être calculé en multipliant le préjudice calculé et obtenu sur la dernière année par le nombre d'années de vie théorique du défunt,
-Dire qu'il convient de déduire du nombre d'années de vie théorique du défunt le nombre d'années d'arriérés déjà indemnisés,
-Dire que le préjudice économique futur doit être versé sous forme d'une rente calculée selon l'espérance de vie de Mme Y...,
-En conséquence, confirmer l'offre du FIVA émise le 17 février 2017 au titre du préjudice économique de Mme Y... à compter du 1er janvier 2016 à concurrence d'une rente trimestrielle de 827,59 euros,
-A titre subsidiaire, si la cour estimait que le versement sous forme de rente n'est pas adapté à la situation de la demanderesse, confirmer la méthode de calcul du préjudice économique telle que retenue par le FIVA et confirmer également que son préjudice économique s'élève à la somme de 62896,99 euros,
-A titre infiniment subsidiaire, sur l'évaluation du préjudice économique futur d'après une table de capitalisation, confirmer que le préjudice économique futur de la requérante à compter du 1er janvier 2016 doit s'établir sur la base de l'espérance de vie de la victime à cette date,
-Confirmer que la table de capitalisation à retenir sera celle appliquée par le FIVA à compter du 1er avril 2015 fondée sur des projections pour l'année 2012 établies par l'INSEE dans la table 2007-2060 et un taux d'intérêt de 1,97 %,
-Dire que le préjudice économique futur de Mme Y... doit être calculé en multipliant le préjudice calculé et obtenu sur la dernière année, en l'occurrence 2015,
-En conséquence, confirmer que le préjudice économique futur de Mme Y... s'élèverait à la somme de 64904,86 euros,
-En tout état de cause, débouter les requérants de leur demande articulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le FIVA maintient que les consorts Y... avaient jusqu'au 5 octobre 2014 pour le saisir d'une demande d'indemnisation de l'assistance par tierce personne. Or, ils ont saisi le Fonds le 6 juillet 2015. Ils sont donc hors délai et leur demande est prescrite. Le Fonds conteste l'assertion des demandeurs selon laquelle les causes interruptives du délai de prescription applicables aux présentes demandes relèveraient du droit commun. En effet, à défaut de précision dans l'article 53 III bis de la loi du 23 décembre 2000, les causes interruptives et suspensives du délai de prescription relèvent des articles 2 à 3 de la loi du 31 décembre 1968 sur les créances de l'Etat. Le Fonds ajoute que ses offres ne peuvent pas être considérées comme des causes interruptives du délai de prescription décennale. Il a certes pour mission de réparer intégralement les préjudices subis par les demandeurs. Mais encore faut-il qu'il ait été en mesure d'évaluer en l'espèce le recours à l'assistance d'une tierce personne quand les consorts Y... ont manifesté leur volonté d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis par leur auteur. Or, dans leur lettre du 15 mars 2006, ils ne font pas état de cette aide tierce et le FIVA n'avait aucun élément pour constater l'existence d'un tel préjudice et l'évaluer. Ce n'est que le 2 juillet 2015 que les consorts Y... vont demander expressément au FIVA d'indemniser le recours à l'assistance d'une tierce personne. Une demande non chiffrée ou pour laquelle l'administration n'a pas été mise en état d'évaluer le ou les préjudices déjà révélés ne saurait présenter un caractère interruptif. Aucune des offres du Fonds datées des 14 février et 15 mars 2007 comme du 29 mai 2008 n'a interrompu le délai de prescription décennal applicable. Les consorts Y... avaient jusqu'au 5 octobre 2014 pour former leur demande indemnitaire, ce qui n'a été régularisé que le 2 juillet 2015. Ils étaient bien hors délai et leur demande est prescrite.
Sur le fond, le FIVA rappelle que la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne ne peut être justifiée par des considérations d'ordre général ni s'induire de la nature de la pathologie dont a souffert le défunt. Les consorts Y... ne fournissent en l'état aucun certificat médical contemporain du besoin. Le certificat du docteur B... a été rédigé plus de dix ans après le décès de M. Y.... Ce document présente donc une valeur probante limitée puisqu'il est établi sur les déclarations de la veuve. Par ailleurs, aucune précision n'émane de ce certificat quant à l'étendue des besoins de M. Y... ou la tâche nécessaire. Le FIVA s'oppose en cela à toute indemnisation de ce poste de préjudice. Par ailleurs, aucun bulletin d'hospitalisation n'est produit.
* * * *
Motifs de la décision:
-Sur la jonction des procédures:
Attendu que les procédures RG 16/1257, RG 16/1260 et RG 17/2448 ont toutes trait à l'indemnisation de préjudices éprouvés par M. Y... de son vivant ou par sa veuve à compter de son décès, ces instances présentant un lien tel qu'il relève d'une bonne administration de la justice de les joindre pour qu'il soit statué dans ces procédures aux termes d'une seule et même décision;
-Sur la demande d'indemnisation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne:
Attendu, dans un premier temps sur la prescription de l'action aux fins d'indemnisation de ce poste de préjudice, qu'en application de l'article 53 III bis de la loi du 23 décembre 2000 introduit par l'article 92 de la loi n°2010-1594 du 20 décembre 2010, les droits à l'indemnisation des préjudices des victimes de l'inhalation de poussières d'amiante se prescrivent par dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante, ce même délai courant à l'égard des ayants droit à compter du premier certificat médical établissant le lien entre le décès et l'exposition à l'amiante;
Qu'en l'occurrence, les parties conviennent du point de départ du délai de dix ans à compter du certificat médical du 5 octobre 2004;
Que si le FIVA est assurément un établissement public administratif doté d'un comptable public, la loi du 20 décembre 2010, en instituant une prescription spécifique pour les affections relatives à l'indemnisation des victimes de l'amiante, a écarté l'application de la loi du 31 décembre 1968 tant en ce qui concerne le délai de prescription que pour ce qui a trait au régime de la prescription et notamment les causes d'interruption;
Qu'il en résulte que les règles de droit commun des articles 2240 et suivants du code civil trouvent à s'appliquer aux demandes présentées par les victimes d'une exposition à l'amiante ou de leurs ayants droit devant le FIVA de sorte que ce dernier ne peut utilement opposer à Mme Y... les dispositions de la loi du 31 décembre 1968;
Qu'en application de l'article 2240 du code civil, «la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription»;
Que, dès lors que le formulaire approuvé par le conseil d'administration du Fonds ne donne pas au demandeur la possibilité d'indiquer le montant de l'indemnisation souhaitée, ni même les différents chefs de préjudice dont la réparation est demandée, le FIVA est mal-fondé à opposer aux consorts Y... la circonstance qu'ils n'auraient pas réclamé en son temps l'indemnisation du préjudice lié au recours à une tierce personne pour assister durant sa maladie leur auteur, et ce dès la saisine initiale;
Qu'en cela, le FIVA, qui a l'obligation d'assurer la réparation intégrale des préjudices des victimes d'une exposition à l'amiante et de leurs ayants droit, et qui a notifié le 14 février 2007 aux consorts Y... une offre indemnitaire qui n'était que partielle, a reconnu le droit à indemnisation des demandeurs de sorte qu'un nouveau délai de dix ans a bien commencé à courir à compter de cette date et ce jusqu'au 14 février 2017;
Qu'en saisissant le 6 juillet 2015 le FIVA d'une demande d'indemnisation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne, les consorts Y... ont agi de manière utile sans qu'aucune prescription leur soit opposable, leur action à cette fin étant assurément recevable contrairement à ce que soutient le Fonds;
Attendu, sur le fond de la demande, que Mme Y... produit aux débats au soutien de leur prétention, un certificat rédigé le 9 avril 2015 par le docteur B... dans les termes qui suivent: «Je soussigné certifie que Mr Pierre Jean Y... est devenu totalement dépendant de son épouse à compter du 5 mai 2005 jusqu'à son décès survenu [...] de la même année. Son épouse a rempli les fonctions de tierce personne pendant cette période»;
Qu'il faut observer à la lecture de ce document établi presque dix ans après le décès de M. Y... que le praticien rédacteur n'explicite rien des besoins exacts du malade, cette pièce n'étant pas suffisante pour liquider le poste de préjudice requis;
Qu'il importe en ce cas de s'en tenir à une indemnisation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne sur la base d'un besoin de 4 heures du 5 mai au 4 juin 2005 puis de 8 heures du 5 juin au 2 juillet, le calcul devant être opéré sur la base d'un taux horaire de 18 euros avec majoration de l'indemnité de 10% pour tenir compte du surcoût inhérent aux fins de semaine et aux périodes de congés, soit les développements qui suivent:
'du 5 mai au 4 juin 2005: [(26 + 4 jours) ' 2 jours d'hospitalisation] x 4 heures x 18 euros = 2 016 euros,
'du 5 mai au 2 juillet 2005: [(26 + 2 jours) ' 4 jours d'hospitalisation) x 8 heures x 18 euros = 3456 euros,
soit une somme totale de 5472 euros majorée de 10 %, ce qui fait apparaître un montant définitif de 6019,20 euros;
-Sur l'indemnisation du préjudice économique de Mme Y...:
Attendu que les parties s'accordent à ce propos sur le principe de la réévaluation du revenu de référence du foyer selon l'indice de révision INSEE, l'intégration au calcul du préjudice économique de la rente FIVA et la déduction des revenus du conjoint survivant comme du capital décès le cas échéant versé par l'organisme social;
Qu'en ce qui concerne la détermination du revenu de référence, tant Mme Y... que le FIVA évaluent le revenu de M. Y... à partir de ses gains en 2004 pour une somme annuelle de 15594 euros;
Que, relativement au revenu de référence de Mme Y..., le FIVA entend voir retenir les gains déclarés par l'intéressée au cours des années 2002 et 2003 et propose ainsi de retenir la somme annuelle moyenne de 9727,07, le Fonds retenant que la détermination du revenu de référence doit ici se faire en rapport au fait dommageable que constitue l'apparition de la maladie du défunt;
Que, pour autant, le fait dommageable pour liquider le préjudice économique n'est pas l'apparition de la maladie mais bien le décès de M. Y... le [...] si bien que le fait que Mme Y... se réfère à ses gains déclarés à l'administration fiscale en 2002, 2003 et 2004 est justifié pour la somme annuelle moyenne de 10264,62 euros arrêtée à partir des éléments suivants:
'année 2002: 4542 euros à revaloriser en 2004 à 4688,50 euros (4542 x 1,015 x 1,017),
'année 2003: 14844 euros à revaloriser en 2004 à 15096,35 euros (14844 x 1,017),
'année 2004: 11009 euros;
Qu'il s'ensuit que le revenu de référence du foyer en 2004 est d'un montant de 25858,62 euros (15594 + 10264,62);
Qu'il n'est pas discuté par les parties que Mme Y... a fait valoir ses droits à la retraite (à taux plein) avec effet au 1er août 2006 de sorte qu'à compter de cette date, elle a bénéficié de sa retraite principale pour la somme de 4341,62 euros nets, outre 378,65 euros de retraite complémentaire, soit un revenu de référence pour la demanderesse à compter du 1er août 2006 de 4720,27 euros, ce qui établit un nouveau revenu de référence du foyer à compter de cette même date pour la somme de 20842,15 euros (16121,88 euros revalorisés pour M. Y... et 4720,27 euros pour la veuve);
Que si les parties s'accordent pour voir intégrer au calcul la rente FIVA, elles s'opposent toutefois sur son montant, Mme Y... proposant de retenir la valeur de cette rente année 2017, soit 19015 euros, le Fonds préconisant de retenir la valeur de rente année par année;
Que la cour devant indemniser le préjudice de Mme Y... en l'appréciant au jour où elle statue, il lui faut assurément retenir la valeur de la rente FIVA du montant au jour où elle statue en sorte que la somme de 19015 euros proposée par la demanderesse est justifiée;
Qu'ainsi, pour les arrérages du 3 juillet 2005 (lendemain du décès de M. Y...) au [...] comme sollicité par les parties, la liquidation du préjudice économique sera ainsi réalisée en retenant pour la part de consommation du conjoint survivant non pas l'échelle OCDE mais le pourcentage de 67 % pour un conjoint seul selon le barème du FIVA, ce qui s'avère plus favorable à la victime:
'du 3 juillet au 31 décembre 2005: [(25858,62 x 111,2/109,3) + 19015] x 67 % x 182/365 = 15141,35 euros, dont à déduire 7041 euros de revenus déclarés et 2109,70 euros de rente de conjoint survivant, soit un solde de 5990,65 euros,
'année 2006:
+ jusqu'à la mise à la retraite de Mme Y...): [(26308,13 x 113/111,2) + 19015] x 67 % x 212/365 = 17803,25 euros,
+ à compter de la mise à la retraite de Mme Y...): (20842,15 + 19015) x 67 % x 152/365 = 11120,69 euros,
dont à déduire 17971 euros de revenus déclarés et 5154,42 euros de rente de conjoint survivant, soit un solde de 5798,52 euros,
'année 2007: [(20842,15 x 114,72/113) + 19015] x 67 % = 26916,84 euros, dont à déduire 16449 euros de revenus déclarés et 5247,20 euros de rente de conjoint survivant, soit un solde de 5220,64 euros,
'année 2008: [(21159,39 x 117,86/114,72) + 19015) x 67 % = 27304,87 euros, dont à déduire 15841 euros de revenus déclarés et 5319,06 euros de rente de conjoint survivant, soit un solde de 6144,81 euros,
'année 2009: [(21738,54 x 118,02/117,86) + 19015] x 67 % = 27324,64 euros, dont à déduire 16040 euros de revenus déclarés et 5387,46 euros d rente de conjoint survivant, soit un solde de 5897,18 euros,
'année 2010: [(21768,05 x 119,71/118,02) + 19015] x 67 % = 27533,49 euros, dont à déduire 16254 euros de revenus déclarés et 5437,29 euros de rente de conjoint survivant, soit un solde de 5842,20 euros,
'année 2011: [(22079,76 x 122,09/119,71) + 19015] x 67 % = 27827,61 euros, dont à déduire 16534 euros de revenus déclarés et 5535,27 euros de rente de conjoint survivant, soit un solde de 5758,34 euros,
'année 2012: [(22518,74 x 124,33/122,09) + 19015] x 67 % = 28104,42 euros, dont à déduire 16885 euros de revenus déclarés et 5651,51 euros de rente de conjoint survivant, soit un solde de 5567,91 euros,
'année 2013: [(22931,89 x 125,23/124,33) + 19015] x 67 % = 28215,64 euros, dont à déduire 18535 euros de revenus déclarés et 5736,10 euros de rente de conjoint survivant, soit un solde de 3944,54 euros,
'année 2014: [(23097,89 x 125,73/125,23) + 19015] x 67 % = 28277,42 euros, dont à déduire 17465 euros de revenus déclarés et 5780,46 euros de rente de conjoint survivant, soit un solde de 5031,96 euros,
'année 2015: [(23190,11 x 125,79/125,73) + 19015] x 67 % = 28284,84 euros, dont à déduire 17466 euros de revenus déclarés et 5789,09 euros de rente de conjoint survivant, soit un solde de 5029,75 euros,
ce qui fait apparaître un montant total de 60226,50 euros dont il fait encore déduire le capital-décès de 19900 euros reçu par Mme Y... de l'organisme social, l'indemnité lui revenant du chef du préjudice économique échu étant d'un montant de 40326,50 euros, étant précisé que la demanderesse limitant sa prétention à la somme de 40317,80 euros, c'est bien ce seul et dernier montant indemnitaire qui sera retenu;
Attendu qu'à compter du 1er janvier 2016, Mme Y... est fondée à obtenir une indemnisation de son préjudice économique sous forme de capital et non de rente, le calcul devant être développé à partir du montant du préjudice économique subi l'année précédente en 2015, soit 5029,75 euros et en multipliant ce nombre par l'euro de rente viagère d'un homme de 70 ans selon le barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2016 dont la demanderesse sollicite l'application, c'est-à-dire un euro de rente de 12,729, ce qui fait apparaître une créance de64023,69 euros;
Qu'en effet, le préjudice économique à réparer correspond au préjudice éprouvé par Mme Y... au jour du décès prématuré de son mari du fait de l'inhalation de poussières d'amiante jusqu'à l'âge de la mort naturelle de ce dernier selon les tables de mortalité utilisées pour établir ce barème;
Que le FIVA offrant dans cette occurrence une somme de 64904,86 euros, c'est bien ce seul et dernier montant qui doit en définitive être retenu;
-Sur les frais irrépétibles:
Attendu que l'équité commande d'arrêter en faveur des consorts Y... une indemnité de procédure de 1200 euros conformément à l'article 700 du code de procédure civile;
* * * *
Par ces motifs,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
-Ordonne la jonction des procédures RG 17/2448, RG 16/1260 et RG 16/1257 sous ce seul et dernier numéro de répertoire général;
-Déclare recevable l'action de Mme X... veuve Y... aux fins d'indemnisation du préjudice lié à l'assistance de leur auteur par une tierce personne;
-Fixe à la somme de 6019,20 euros l'indemnisation du préjudice éprouvé de son vivant par le défunt du chef du recours à l'assistance d'une tierce personne;
-Alloue à Mme X... veuve Y... la somme 40317,80 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice économique entre les 3 juillet 2005 et 31 décembre 2015;
-Alloue à Mme X... veuve Y... la somme de 64904,86 euros en réparation de son préjudice économique à compter du 1er janvier 2016;
-Dit que ces indemnités produiront des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt;
-Précise que toute provision amiablement versée par le FIVA sera le cas échéant déduite des précédentes indemnités;
-Accorde à Mme X... veuve Y... une indemnité de procédure de 1200 euros;
-Laisse au FIVA la charge des entiers dépens de la cause.
Le GreffierLe Conseiller faisant fonction de Président
F. DufosséB. Pety