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06/12/2018 | FRANCE | N°18/01566

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 06 décembre 2018, 18/01566


République Française


Au nom du Peuple Français








COUR D'APPEL DE DOUAI





TROISIEME CHAMBRE





ARRÊT DU 06/12/2018








N° de MINUTE : 18/484


N° RG : 18/01566 - N° Portalis DBVT-V-B7C-RNUN





Jugement (N° 15/02315) rendu le 15 Décembre 2016 par le tribunal de grande instance de Valenciennes








APPELANTS





Monsieur Dominique X...


né le [...] à Strasbourg (67000)


de n

ationalité française


[...]





Monsieur Pascal R...


né le [...] à Saint Cloud (92210)


de nationalité française


[...]





Madame Sylvie S... épouse Y...


née le [...] à Menin (Belgique)


de nationalité française


[...]





Monsieu...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 06/12/2018

N° de MINUTE : 18/484

N° RG : 18/01566 - N° Portalis DBVT-V-B7C-RNUN

Jugement (N° 15/02315) rendu le 15 Décembre 2016 par le tribunal de grande instance de Valenciennes

APPELANTS

Monsieur Dominique X...

né le [...] à Strasbourg (67000)

de nationalité française

[...]

Monsieur Pascal R...

né le [...] à Saint Cloud (92210)

de nationalité française

[...]

Madame Sylvie S... épouse Y...

née le [...] à Menin (Belgique)

de nationalité française

[...]

Monsieur François Z...

né le [...] à Roubaix (59100)

de nationalité française

[...]

Monsieur Benoît A...

né le [...] à Lille

de nationalité française

[...]

Monsieur André B...

né le [...] à Bad Krozingen (Allemagne)

de nationalité française

[...]

Monsieur Hervé C...

né le [...] à Lille (59000)

de nationalité française

[...]

Madame Marielle D... épouse Z...

née le [...] à Armentieres

de nationalité française

[...]

Madame Marie E... épouse R...

née le [...] à Olivura (Portugal)

de nationalité française

[...]

Madame Marie Pascale F... épouse A...

née le [...] à Mazingarbe (62670)

de nationalité française

[...]

Monsieur Gilles G...

né le [...] à Lille

de nationalité française

[...]

Madame Elisabeth H... épouse C...

née le [...] à Issoudun

de nationalité française

[...]

SARL Sanama

[...]

SARL FGD

[...]

SARL GPMCF

[...]

SARL IBEC

[...]

Représentés par Me Stephane I..., avocat au barreau de Valenciennes constitué aux lieu et place de Me Martine J..., avocat au barreau de Valenciennes et de Me Philippe K..., avocat au barreau S...

INTIMÉE

SCP L... M... venant aux droits de la SCP Delacourt N... représentée par son représentant légal domicilié [...]

Représentée par Me Véronique T..., avocate au barreau de Lille

DÉBATS à l'audience publique du 11 Octobre 2018 tenue par Hélène O... et Sara P..., magistrates chargées d'instruire l'affaire qui ont entendu les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du Code de procédure civile)

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIÈRE LORS DES DÉBATS : Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Hélène O..., première présidente de chambre

Benoît Pety, conseiller

Sara P..., conseillère

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 Décembre 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Hélène O..., présidente, et Harmony Poyteau, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 13 octobre 2017

Communiquées aux parties le 16 octobre 2017

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 septembre 2018

***

Exposé du litige

M. Hervé C... et Mme Elisabeth H..., son épouse, M. Dominique X..., M. Pascal R... et Mme Marie E..., son épouse, la société FGD, Mme Sylvie S... épouse Y..., la société GPMCF, M. François Z... et Mme Marielle D..., son épouse, la société IBEC, M. Benoît A... et Mme Marie-Pascale F..., son épouse, la société SANAMA, M. André B... et M. Gilles G... sont copropriétaires de chambres à usage d'habitation d'un immeuble sis [...] , dans le cadre d'une vente à la découpe de l'établissement, (ci-après les copropriétaires), les différents actes de vente portant sur les lots de copropriété ayant été réitérés par actes reçus par Maître N... notaire au sein de la SCP Patrick Delacourt et Dominique N... les 19, 22, 30 et 31 décembre 2008 et 11 mai 2009.

L'immeuble est constitué par un ensemble de locaux et organisé en copropriété soumis au régime de la loi du 10 juillet 1965 et destiné à l'exploitation d'un Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) dénommé 'Le Moulin de la Vallière'.

Chaque copropriétaire a consenti sous seing privé une promesse de bail commercial portant sur les lots de copropriété de l'immeuble, laquelle précisait que le preneur renonçait à la faculté de donner congé à l'expiration de chaque période triennale.

Les promesses de bail commercial ont été réitérées devant l'étude notariale Delacourt-N... au profit de la société Au Bon Accueil, concomitamment à la vente des lots de copropriété, et il était stipulé dans ces actes notariés que le preneur avait la faculté de donner congé à l'expiration de chaque période triennale.

A compter du 4e trimestre 2012 et du 1er trimestre 2013, la société Au Bon Accueil, a cessé de régler aux copropriétaires les loyers afférents aux différents lots de copropriété.

Par différents actes d'huissier signifiés entre le 20 mai et le 6 juin 2014, la société Au Bon Accueil, a fait délivrer congé à chacun des copropriétaires bailleurs, soit en décembre 2014, fin d'une période triennale.

Selon jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 23 octobre 2014, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Au Bon Accueil.

Selon jugement du 17 mars (et non mai, comme indiqué dans les conclusions de l'intimée), 2015, le tribunal de commerce de Toulouse a homologué l'offre de reprise de la société Au Bon Accueil, formée par la société ORPEA, sans maintien de l'activité de l'EHPAD dans l'immeuble sis [...] appartenant aux copropriétaires.

Par jugement du même jour, le tribunal de commerce de Toulouse a ensuite prononcé la liquidation judiciaire de la société Au Bon Accueil.

Par actes du 9 juillet 2015, chacun des copropriétaires, à l'exception de la société SANAMA a fait assigner la SCP L... M..., notaire venant aux droits de la SCP Delacourt N..., aux fins de voir engager la responsabilité du notaire aux motifs qu'il a manqué à son obligation de garantir l'efficacité des actes et à son devoir de conseil en modifiant la clause relative à la faculté de donner congé par le preneur.

Selon jugement du 15 décembre 2016, le tribunal de grande instance de Valenciennes a débouté chacun des copropriétaires de leurs demandes, les a condamnés in solidum aux dépens et à payer à la SCP L... M... la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Suivant déclaration du 16 janvier 2017, les copropriétaires ont relevé appel de ce jugement.

Dans son avis du 13 octobre 2017, le ministère public s'en rapporte à la sagesse de la cour aux fins d'apprécier si la perte occasionnée pour les appelants résulte des difficultés financières liées à la gestion de l'immeuble ou est en lien avec la faute invoquée qui avait été commise par l'office notarial.

Selon ordonnance du 22 février 2018, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné d'office la radiation de l'affaire au motif que les avocats avaient demandé le renvoi de l'affaire alors qu'ils avaient reçu l'avis de fixation à l'audience du 22 février 2018 depuis le 10 octobre 2017.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 9 mars 2018, les copropriétaires demandent à la cour, au visa des articles L. 145-35, R. 145-10, L. 145-4 et L. 145-9 du code du commerce, l'article 1382 du code civil, l'article 383 du code de procédure civile de :

- ordonner le rétablissement au rôle de l'affaire et fixer une nouvelle date d'audience des plaidoiries,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il retient la faute commise par la SCP L... M...,

- l'infirmer en ce qu'il a débouté les appelants de toutes leurs demandes, et statuant à nouveau,

* dire que la faute de la SCP L... M... leur a causé un préjudice,

* dire qu'il existe un lien de causalité entre cette faute et leur préjudice,

- en conséquence, condamner la SCP L... M... venant aux droits de la SCP N...- Delacourt à verser, au titre du préjudice subi par chacun des bailleurs sur le fondement à titre principal du gain manqué ou à titre subsidiaire de la perte de chance, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir :

1/ M. Hervé C... et Mme Elisabeth H..., son épouse, la somme de 191 444,52 euros,

2/ M. Dominique X... la somme de 59 934,16 euros,

3/ M. Pascal R... et Mme Marie E..., son épouse la somme de

183 676,22 euros,

4/ la société FGD la somme de 123 324,20 euros,

5/Mme Sylvie S... épouse Y... la somme de 185 834,18 euros,

6/ la société GPMCF la somme de 152 712,08 euros,

7/ M. François Z... et Mme Marielle D..., son épouse , la somme de 202 577,71 euros,

8/ la société IBEC la somme de 145 908,12 euros,

9/ M. Benoît A... et Mme Marie-Pascale F..., son épouse, la somme de 135 730,30 euros,

10/ la société SANAMA la somme de 143 016,40 euros,

11/ M. André B... la somme de 147 232,63 euros,

12/ M. Gilles G... la somme de 94 491,13 euros,

- en tout état de cause, condamner la SCP L... M... venant aux droits de la SCP N...- Delacourt à verser à chaque appelant la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont recouvrement au profit de la SCP PDGB.

Sur la faute du notaire, les copropriétaires font valoir qu'elle consiste en un manquement à son devoir d'efficacité de l'acte et de conseil et d'information vis-à-vis des parties, qui engage sa responsabilité délictuelle. Ils précisent que cette obligation d'efficacité des actes est indissociable du devoir de conseil.

Ils demandent que le jugement soit confirmé sur la faute du notaire dès lors qu'elle résulte de l'aveu même de l'étude notariale qu'une erreur s'est insérée dans les contrats de baux et que les notaires n'en contestent pas l'existence. Ils ajoutent que :

- l'étude notariale a rédigé l'ensemble des actes réitératifs résultants des promesses de bail commercial ;

- le notaire a omis de réitérer dans l'acte authentique les conditions essentielles de la clause 'durée' stipulé dans les promesses de bail commercial ;

- il n'a attiré leur attention sur cette modification significative ;

- aucune lecture de l'acte ne leur a été faite le jour de signature de l'acte réitératif puisqu'ils avaient donné un pouvoir à M. L... ou M. M..., notaires stagiaires au moment des faits ;

- en réponse à un courriel de M. R... , Maître M... s'est engagé, par mail du 27 mars 2009, à lui communiquer un avenant ajoutant un paragraphe indiquant que le preneur renonce à la faculté de résiliation triennale.

Ils font donc valoir que le notaire a manqué à son obligation de garantir l'efficacité du bail commercial parce qu'il devait retranscrire dans son acte authentique l'absence de résiliation triennale au profit du preneur. Ils précisent que la conclusion d'un bail commercial ferme de 11 ans et 9 mois était essentielle pour eux pour amortir leur investissement, compte tenu de la difficulté de réaffecter des locaux monovalents et pour pouvoir bénéficier d'avantages fiscaux. Ils font enfin valoir que le notaire aurait dû les éclairer sur la portée, les effets et les risques de la modification au moment de l'authentification.

Sur le lien de causalité, ils font valoir que les notaires ayant commis une faute doivent réparer les préjudices qui découlent de l'omission de leurs devoirs professionnels. Ils avancent qu'en matière de manquement à l'obligation de garantir l'efficacité des actes, le notaire commet une faute en relation causale directe avec le préjudice subi par la victime. Ils expliquent que la faute du notaire a entraîné la perte d'un droit de créance de percevoir les loyers jusqu'au terme des baux et ce, indépendamment des circonstances factuelles retenues par les premiers juges à savoir les difficultés de trésorerie de la société Au Bon Accueil et les suites qui en ont découlées.

Ils avancent que sans la faute du notaire :

- la société Au Bon Accueil n'aurait pas été en mesure de délivrer les congés régulièrement ou aurait dû payer les loyers jusqu'à leurs termes ;

- le repreneur n'aurait pas conclu la promesse de cession car il aurait dû intégrer dans son offre de reprise, le versement des loyers jusqu'au terme des baux.

Ils font encore valoir que l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ne fait pas disparaître l'existence d'un lien de causalité car en raison de la faute du notaire :

- les créances de loyers à échoir des appelants n'ont pas été admises au passif de la société Au Bon Accueil ;

- l'ouverture de la procédure en redressement judiciaire n'a eu aucune incidence sur la responsabilité du notaire dans la mesure où la société M. Benoît A... et Mme Marie-Pascale F..., son épouse, avait conclu le 28 juillet 2014 une promesse synallagmatique de cessions des autorisations d'exploitation de l'EHPAD au profit du repreneur ;

- les baux, actifs de la société M. Benoît A... et Mme Marie-Pascale F..., son épouse, auraient dû être repris au même titre que les autorisations d'exploitation ;

- l'offre présentée par l'autre repreneur aurait eu toutes ses chances d'être retenue par le tribunal de commerce de Toulouse.

Ils font en conséquence valoir qu'il importe peu de savoir si la société a connu des difficultés financières puisque leur préjudice, caractérisé par la perte de leur droit de créance, est survenu par la délivrance des congés. Ils soutiennent ainsi que la faute du notaire a créé nécessairement un lien de causalité direct avec leur préjudice puisqu'elle a conduit à anéantir leur droit de créance portant sur 6 ans de loyers. Ils précisent encore que la faute du notaire a joué un rôle prépondérant dans la survenance du préjudice subi.

Ils contestent les moyens soulevés par le notaire en ce que :

- les baux n'ont pas été résiliés par décision de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur judiciaire, mais bien par le preneur ;

- l'ouverture d'une procédure collective n'a eu aucune incidence sur la responsabilité du notaire.

Les époux A..., font valoir que la société leur a délivré un congé alors que leur bail commercial stipulait bien une durée ferme sans possibilité de résiliation triennale. Ils soutiennent en conséquence que la faute du notaire leur a causé un préjudice par ricochet en provoquant la fermeture anticipée de l'EHPAD par l'effet de congés adressés valablement aux autres copropriétaires.

Sur le préjudice, ils font valoir à titre principal qu'il correspond au gain manqué puisque les loyers auraient dû être perçus de la conclusion des différents baux commerciaux jusqu'à leurs différents termes. Ils avancent que la sanction du départ irrégulier du locataire avant le terme du bail, notamment en cas de délivrance d'un congé avant la date d'expiration du bail, consiste dans le paiement des loyers et des charges jusqu'à la fin de la période. Ils avancent que le notaire les a privé de leur droit de créance de percevoir les loyers jusqu'aux termes des baux, et soulignent que l'administrateur leur a versé les loyers pour le 4e trimestre 2014, et le liquidateur pour la période du 1er janvier au 19 février 2015.

A titre subsidiaire, ils font valoir que leur préjudice consiste en une perte de chance de percevoir les loyers jusqu'aux termes des baux. Ils précisent que les baux commerciaux avaient de fortes chances d'être poursuivis jusqu'à leurs termes par un repreneur. Ils en concluent que cette perte de chance est extrêmement probable car si la société Au Bon Accueil n'avait pas refinancé son établissement, elle l'aurait cédé avec les baux en cours à un autre repreneur solvable qui aurait certainement payé les loyers jusqu'à leurs termes.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 2 octobre 2017, la SCP L...-M... demande à la cour de confirmer le jugement dont appel et en conséquence :

- rejeter les demandes des copropriétaires,

- les condamner in solidum au paiement d'une somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.

Sur l'absence de faute de sa part, la SCP L...-M... fait valoir que :

- le notaire n'a pas participé aux négociations menées préalablement à la conclusion des promesses de bail commercial qui ont été régularisées sous seing privé directement entre les différents copropriétaires et le preneur désigné comme étant la société Aloha Gestion;

- chacun des copropriétaires a consenti au notaire un mandat de donner à bail commercial à la société Au Bon Accueil, lequel précisait que les parties ne pourront donner congé avant l'expiration de la durée du bail ;

- c'est du fait d'une erreur matérielle de rédaction que la clause de durée contenue dans les différents baux commerciaux a prévu une possibilité de révision triennale ;

- la preuve n'est pas rapportée par les copropriétaires que la conclusion d'un bail ferme était une condition essentielle et déterminante de leur consentement.

Sur l'absence de lien de causalité, elle fait valoir que la clause incluse dans le contrat de bail commercial offrant la possibilité au preneur de donner congé au bailleur à l'issue de la période triennale n'est pas à l'origine du non-paiement des loyers pour la période du 1er janvier 2015 au 30 septembre 2020. Elle précise d'ailleurs que le liquidateur judiciaire a procédé à la résiliation de l'intégralité des baux commerciaux de la résidence, comme la loi lui en donne le pouvoir.

Elle précise également que compte tenu de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, le mandataire judiciaire se serait prononcé sur la poursuite des contrats de baux commerciaux.

Elle soutient encore, au vu des éléments de la procédure collective, que c'est vainement qu'il est soutenu par les copropriétaires que l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire n'aurait eu aucune incidence sur la responsabilité du notaire dans la mesure où la société Au Bon Accueil a conclu le 28 juillet 2014 une promesse synallagmatique de vente des autorisations d'exploitation de l'EHPAD au profit de la société ORPEA et que cette cession n'aurait pas été remise en cause par la procédure de redressement judiciaire. Elle en conclut que le lien de causalité entre les manquements imputés au notaire et la cession au repreneur ne poursuivant pas l'exploitation sur le site, et donc privant les copropriétaires des loyers, n'est pas démontrée. Elle précise aussi que les copropriétaires ne peuvent sérieusement soutenir que leur assignation en redressement judiciaire de la société Au Bon Accueil avait pour objectif de trouver un repreneur qui maintiendrait l'activité sur le site et conclurait de nouveaux baux commerciaux.

Sur le préjudice, elle fait valoir que quand bien même le bail commercial n'aurait pas contenu de clause permettant au preneur de donner congé aux termes de la première période triennale, rien ne permet d'affirmer que le repreneur aurait procédé au règlement des loyers jusqu'à la fin du bail commercial le 30 septembre 2020. Elle ajoute que cette situation est hypothétique. Elle soutient ensuite qu'en tout état de cause, le préjudice des copropriétaires s'analyse en une perte de chance de percevoir les loyers commerciaux, de sorte que leur demande tendant à l'indemnisation des gains manqués est infondée. Elle soutient enfin que les copropriétaires ne rapportent pas la preuve de la chance qu'ils avaient de percevoir les loyers dont ils réclament le règlement au titre de la réparation à l'encontre du notaire entre le 1er janvier 2015 et le 19 septembre 2020. Elle précise qu'au vu de l'état de cessation des paiements de la société Au Bon Accueil, il est incontestable qu'aucune chance n'a été perdue.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 septembre 2018, l'affaire plaidée le 11 octobre 2018 et mise en délibéré au 6 décembre 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1° Sur la faute du notaire

Aux termes de l'article 1382 du code civil, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Ce texte a été repris dans les mêmes termes dans l'article nouveau 1240 nouveau du code civil.

Lorsqu'il est reproché au notaire d'enfreindre une obligation tenant à sa qualité d'officier public, dans l'exercice strictement entendu de sa mission légale, sa responsabilité ne peut être que délictuelle ou quasi délictuelle.

Ce fondement trouve sa justification dans la considération que ce professionnel est investi d'une mission définie par un statut d'ordre public, et que son intervention ne s'inscrit pas véritablement dans une relation contractuelle librement consentie.

Il appartient en conséquence aux appelants de rapporter la preuve d'une faute de la SCP Delacourt-N... aux droits de laquelle vient la SCP L... M..., d'un préjudice, et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

En l'espèce, la mission de service public confiée au notaire a consisté en la rédaction de baux commerciaux entre les appelants qui avaient la qualité de bailleurs et la SARL Au bon Accueil locataire, ces actes authentiques faisant suite à des promesses de baux commerciaux sous seing privé.

Or, il résulte de la lecture des promesses de bail commercial de locaux meublés et prêt à usage conclus avec la société Aloha Gestion en qualité de preneur et en qualité de bailleur par

M. Hervé C... et Mme Elisabeth H..., son épouse,

M. Pascal R... et Mme Marie E..., son épouse

la société FGD

Mme Sylvie S... épouse Y...

la société GPMCF

M. François Z... et Mme Marielle D..., son épouse

la société IBEC

M. André B...

M. Gilles G...

M. Benoît A... et Mme Marie-Pascale F...,

versés aux débats, que ces baux étaient consentis et acceptés pour une durée de onze années entières et consécutives et neuf mois commençant à courir à compter de l'acte authentique, qu'à défaut de résiliation de la part des parties, le bail sera reconduit de plein droit et que le preneur conformément aux dispositions de l'article L.145-3 du code de commerce (article 3-1 du décret n°53-960 du 30 septembre 1953) renonçait à la faculté de donner congé à l'expiration de chaque période triennale.

Par ailleurs, si les promesses de bail commercial de locaux meublées et prêt à usage conclus par M. Dominique X... et la société SANAMA ne sont pas versées aux débats, la société intimée ne conteste pas qu'elles comportaient une clause identique relative à la durée du bail et à la renonciation par le preneur à la faculté de donner congé à l'expiration de chaque période triennale.

Or, les baux commerciaux établis par acte authentique dressé par Maître Dominique N... notaire associé au sein de la SCP Patrick Delacourt et Dominique N...

titulaire d'un office notarial à Valenciennes entre la S.A.R.L. Au Bon Accueil et

M. Hervé C... et Mme Elisabeth H..., son épouse, le 31 décembre 2008

M. Pascal R... et Mme Marie E..., son épouse le 19 décembre 2008

la société FGD le 19 décembre 2008

Mme Sylvie S... épouse Y... le 19 décembre 2008

la société GPMCF le 22 décembre 2008

M. François Z... et Mme Marielle D..., son épouse le 22 décembre 2008

la société IBEC le 19 décembre 2008

M. André B... le 31 décembre 2008

M. Gilles G...

M. Dominique X... le 30 décembre 2008

M. Benoît A... et Mme Marie-Pascale F..., le 11 mai 2009

prévoient tous au contraire que le preneur a conformément aux dispositions de l'article L. 145-4 et L. 145-9 du code de commerce, la faculté de donner congé à l'expiration de chaque période triennale et ce par exploit d'huissier adressé au bailleur au moins six mois avant la fin de la période triennale.

La lecture de ces actes authentiques nous apprend qu'aucun des bailleurs n'étaient pas présents lors de la signature, tous étant représentés par un clerc de notaire auquel ils avaient donné procuration, de sorte qu'ils n'ont pu consentir à cette modification des conditions du bail, dont ils n'ont pas été avisés avant la signature par leur mandataire, précision faite que ces modifications étaient substantielles dès lors pour tous les bailleurs, il s'agissait d'un investissement locatif dont ils attendaient des avantages fiscaux et une rentabilité certaine qui étaient liés à une durée longue de location, la spécificité des lieux destinés à un EHPAD rendant plus difficile la recherche de nouveaux locataires.

Maître Maxime M... a d'ailleurs reconnu dans le courriel adressé à M. R... le 27 mars 2009 que l'acte authentique régularisant le bail commercial au profit de la société Au Bon Accueil comportait des discordances avec la promesse de bail et se prenait l'engagement d'adjoindre par avenant notamment un paragraphe indiquant que le preneur renonçait à la faculté de résiliation triennale, engagement qu'il n'a pas tenu, ne justifiant même d'aucune démarche en ce sens.

Le fait d'avoir rédigé des actes authentiques de baux commerciaux avec des clauses défavorables aux bailleurs et différentes de celles qui avaient été prévues dans les promesses de baux commerciaux dont le notaire avait eu communication constitue une faute engageant sa responsabilité.

Dans la mesure où le bail authentique en date du 11 mai 2009 signé par la société Au Bon Accueil au profit de M. Benoît A... et Mme Marie-Pascale F..., son épouse, est conforme à la promesse de bail commercial qui avait été signée, aucune faute ne peut être reprochée au notaire lors de la rédaction de cet acte.

Les époux A... F... entendent toutefois faire juger qu'ils sont subi un préjudice par ricochet à raison de la faute commise par la société intimée à l'égard des autres appelants ; cette demande sera examinée dans le cadre de l'analyse de leur préjudice.

2° Sur le préjudice et le lien de causalité avec la faute

Les appelants réclament en réparation de leur préjudice la condamnation de la SCP intimée à leur payer l'intégralité des loyers qui auraient du leur être payés jusqu'au terme de leur bail, arguant du fait que la délivrance d'un congé avant l'expiration du bail est sanctionné par le paiement des loyers et des charges jusqu'à la fin de la période et que la faute du notaire les a privés du droit de créance de percevoir les loyers jusqu'au terme des baux.

La présente juridiction note toutefois qu'avant même la délivrance des congés en mai et juin 2014, la société Au Bon Accueil avait cessé de régler les loyers dus aux appelants, et ce depuis le 4° trimestre 2012 vis à vis des SARL Sanama, Ibec, FGD et de M. Gilles G..., du 1° trimestre 2013 vis à vis des époux A..., C..., X..., de Mme Sylvie Y..., du 2° trimestre 2013 vis à vis des époux Z..., du 3° trimestre 2013 vis à vis des époux U... et du 4° trimestre 2013 vis à vis de M. B..., ce qui avait d'ailleurs conduit ces bailleurs à assigner la société Au Bon Accueil en redressement judiciaire devant le tribunal de commerce de Nice faisant valoir qu'elle se trouvait en état de cessation de paiement, avant que cette société ne prenne l'initiative de se déclarer en cessation de paiement devant le tribunal de commerce de Toulouse qui connaissait déjà depuis le 10 juillet 2014 de la procédure de redressement judiciaire de la SARL Cantou dont elle était une filiale.

Ce sont donc les difficultés financières de la société Au bon Accueil qui ont conduit à la cessation du paiement des loyers jusqu'au prononcé du redressement judiciaire, les appelants ayant été ensuite réglés des loyers et indemnités d'occupation dus du jour du redressement judiciaire jusqu'au 19 février 2015, date à compter de laquelle ils ont renoncé à la perception des loyers jusqu'à décision ordonnant la cession, tel que cela résulte du courrier adressé par leur avocat au liquidateur judiciaire le 26 juin 2015 et qu'il verse eux mêmes aux débats, les sommes qu'ils déduisent au titre des versements reçus de Maître Q... liquidateur correspondant aux sommes dont ils réclamaient paiement dans ce courrier.

Pour ce qui concerne les loyers dus postérieurement au 17 mars 2015 date de la décision de cession, les appelants justifient certes que le tribunal de commerce de Toulouse a ordonné la cession du fonds de commerce de la société Au Bon Accueil au profit de la société Orpea qui bénéficiait d'un compromis de cession signé le 28 juillet 2014 préalablement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire avec la société Au Bon Accueil après que cette société ait adressé ses congés aux bailleurs, la société Orpea n'étant pas intéressée par les baux puisqu'elle ne souhaitait pas continuer l'exploitation dans les locaux donnés à bail.

Ils justifient également que la société Bel Age qui avait déposé une offre concurrente à celle déposée par la société Orpea entendait reprendre les baux.

Il sera précisé néanmoins que la société Bel Age avait obtenu des bailleurs la promesse d'une diminution des loyers soit 223 136,07 euros au lieu de 296 122,99 euros et que la société Bel Age ne s'engageait que dans le cadre de baux avec résiliation triennale, de sorte que les bailleurs sont en tout état de cause mal fondés à réclamer réparation d'un préjudice à hauteur du montant des loyers initiaux jusqu'à la fin initiale des baux.

Surtout, contrairement à ce que soutiennent les appelants, il résulte de la motivation expresse du jugement de cession, que le choix de la société Orpea au préjudice de la société Bel Age ne s'est pas fait à raison de la promesse de cession du 28 juillet 2014 dont bénéficiait la société Orpea, promesse qui avait été rendue possible à raison de la faute du notaire qui avait laissé à la société Au Bon Accueil la possibilité de donner congé après une première période triennale, mais bien sur le fondement des dispositions des articles L. 642-1 et suivants du code de commerce.

Le tribunal comparant les offres respectives des sociétés Orpea et Bel Age a retenu que l'offre d'Orpea était la plus satisfaisante au regard :

- du maintien de l'activité et de l'emploi, dès lors que la société Bel Age ne garantissait le maintien de l'activité sur le site a minima que pendant trois ans, alors que la société Orpea avait déjà obtenu le droit au bénéfice des arrêtés des 9 avril et 7 août 1994 portant autorisation de création et d'exploitation d'un EHPAD de 41 lits,

- de l'apurement du passif, la société Orpea proposant 1 800 000 euros au lieu de

1 300 000 euros pour la société Bel Age.

La perte de chance d'une perception des loyers postérieurement au jugement de cession n'est pas donc pas consécutive à la faute du notaire, mais au choix du cessionnaire opéré par le tribunal de commerce.

Seront en conséquence rejetées les demandes d'indemnisation formées par les appelants.

Parties perdantes, les appelants seront condamnés au paiement des dépens d'appel, la décision de première instance étant confirmée en ce qu'elle les a condamnés au paiement des dépens de première instance.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la SCP L...-M... les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés dans le cadre tant de la procédure de première instance que de la procédure d'appel, la décision de première instance étant infirmée du chef de l'indemnité d'article 700 du code de procédure civile. Les appelants seront déboutés de leur demande d'indemnité d'article 700 du code de procédure civile formée en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Valenciennes du 15 décembre 2016 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné les demandeurs au paiement d'une indemnité d'article 700 du code de procédure civile à la SCP L...-M...,

Statuant à nouveau

Dit n'y avoir lieu à condamner les demandeurs au paiement d'une indemnité d'article 700 du code de procédure civile à la SCP L...-M...,

Y ajoutant

Condamne les appelants aux dépens d'appel,

Rejette les demandes respectives des parties formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

La Greffière La Présidente

Harmony Poyteau Hélène O...


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 18/01566
Date de la décision : 06/12/2018

Références :

Cour d'appel de Douai 03, arrêt n°18/01566 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-12-06;18.01566 ?
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