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25/10/2019 | FRANCE | N°16/03752

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 3, 25 octobre 2019, 16/03752


ARRÊT DU

25 Octobre 2019







N° 1737/19



N° RG 16/03752 - N° Portalis DBVT-V-B7A-QEPW



PR/AL

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE

en date du

24 Mars 2015

(RG 14/00493 -section )







































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GROSSE



le 25/10/19



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-









APPELANTE :



Mme [J] [T]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Présente et assistée de Me Claire DAVAINE-MARCINIAK, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE :



Société CNH COMPTA CONSEIL venant aux droits de W.N.H....

ARRÊT DU

25 Octobre 2019

N° 1737/19

N° RG 16/03752 - N° Portalis DBVT-V-B7A-QEPW

PR/AL

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE

en date du

24 Mars 2015

(RG 14/00493 -section )

GROSSE

le 25/10/19

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [J] [T]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Présente et assistée de Me Claire DAVAINE-MARCINIAK, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Société CNH COMPTA CONSEIL venant aux droits de W.N.H. EXPERTISE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Patricia VIANE-CAUVAIN, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS :à l'audience publique du 10 Septembre 2019

Tenue par Patrick REMY

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Serge LAWECKI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphane MEYER

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Béatrice REGNIER

: CONSEILLER

Patrick REMY

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 Octobre 2019,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Stéphane MEYER, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [J] [T] a été embauchée par le cabinet d'expertise comptable [B] à compter du 16 mars 1984 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité d'assistante comptable.

Le 5 mai 2010, Mme [T] a été promue assistante principale affectée au service social, niveau 4, coefficient 5 de la convention collective nationale des cabinets d'expertise comptable et de commissariat aux comptes.

En septembre 2011, le cabinet [B] qui comptait 9 salariés, dont 2 au service social, à savoir Mme [T] et Mme [H], a été repris par le Cabinet WNH Compta Conseil, dont Mme [E] était gérante, reprise qui a donné lieu à la création de la société LNH Expertise.

Le 5 septembre 2011, le contrat de travail de Mme [T] a été transféré, avec les autres contrats de travail du cabinet [B], à la société LNH Expertise aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société WNH Expertise.

Par courrier du 18 janvier 2012, Mme [T] a dénoncé auprès de Mme [E], le comportement et les propos injurieux à son égard de M.[E], chef de groupe de l'équipe sociale, et conjoint de la cogérante.

Par courrier du 7 février 2012, Mme [E] a répondu à Mme [T] qu'elle l'invitait à un entretien le lundi 13 et que les propos qu'elle a relevés font référence à la réunion du vendredi 13 janvier qu'elle a provoquée pour faire le point sur l'avancement des travaux dans les dossiers de Mme [T], compte tenu des retards constatés.

Par courrier du 20 février 2012, Mme [T] a été convoquée à un entretien préalable en vue du prononcé d'une sanction disciplinaire.

Le 2 mars 2012, Mme [T] a été en arrêt de travail de 7 jours pour « syndrome anxio dépressif ».

Le 12 mars 2012, Mme [T] s'est vue notifier une mise à pied disciplinaire de 12 jours au motif notamment qu'elle n'avait marqué aucune volonté de s'adapter aux nouvelles méthodes de travail et d'organisation et au risque de mettre en difficulté le cabinet face au travail à rendre vis-à-vis des clients.

Par un courrier du 22 mars 2012, Mme [T] a contesté cette sanction disciplinaire.

S'en est suivie une correspondance entre Mme [T] et son employeur au cours de laquelle chaque partie a campé sur ses positions.

A compter du 13 mars 2012, Mme [T] a de nouveau été en arrêt de travail pour « dépression et harcèlement professionnel illicite », lequel arrêt a été prolongé à de nombreuses reprises.

Suite à une seconde visite de reprise du 18 juin 2012, Mme [T] a été déclarée inapte à son poste, à tout poste de travail dans l'établissement avec un reclassement professionnel vers un autre secteur d'activité hors de l'environnement actuel.

Le 12 juillet 2012, Mme [T] s'est vue notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 29 juillet 2014, Mme [T] a, après un jugement d'incompétence du conseil de prud'hommes de Lille, saisi le conseil de prud'hommes de Béthune en vue d'obtenir l'annulation de sa mise à pied disciplinaire et de son licenciement pour inaptitude ainsi que des rappels de salaire et des dommages et intérêts à plusieurs titres.

Par jugement du 24 mars 2015, auquel il y a lieu de se reporter pour l'exposé des faits, prétentions et moyens antérieurs des parties, le conseil de prud'hommes de Béthune a :

Annulé la mise à pied disciplinaire de Mme [T] pour la période du 13 au 14 mars 2012 et condamné en conséquence la société LNH expertises à lui verser 888 euros brut à titre de rappel de salaire et 8,88 brut au titre des congés payés afférents,

Confirmé l'ordonnance rendue par le conseil de prud'hommes de Lille du 12 octobre 2012 et constaté qu'elle a été exécutée,

Condamné la société LNH Expertise à verser à Mme [T] les sommes suivantes :

- 33,91 euros brut à titre de rappel sur erreur de majoration des heures supplémentaires,

- 162,50 euros brut à titre de rappel sur l'indemnité compensatrice de congés payés,

Condamné la société LNH Expertise à remettre à Mme [T], sous astreinte de 5 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification du présent jugement et durant un délai de trente jours :

- l'attestation Pôle emploi rectifiée mentionnant l'ancienneté réelle à compter de la date d'entrée de Mme [T] au Cabinet [B], soit le 16 mars 1984,

- les fiches de paie et le certificat de travail rectifiés, conformes au présent jugement,

Condamné la société LNH Expertise à verser à Mme [T] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

Dit n'y avoir lieu à capitalisation des intérêts,

Débouté Mme [T] du surplus de ses prétentions,

Débouté la société LNH Expertise de ses demandes reconventionnelles,

Condamné la société LNH Expertise aux dépens,

Mme [T] a interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée le 23 avril 2015.

Aux termes de ses conclusions soutenues oralement à l'audience du 10 septembre 2019, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, Mme [T] demande à la cour de :

A titre principal,

Dire et juger que son inaptitude est d'origine professionnelle en raison du harcèlement moral qu'elle a subi,

En conséquence, annuler son licenciement pour inaptitude,

Condamner la société CNH Compta Conseil à lui payer les sommes suivantes :

- 5 063,06 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 506,30 euros à titre de congés payés afférents,

- 20 391,38 euros d'indemnité spéciale de licenciement,

- 121 513,44 euros de dommages et intérêts pour nullité de licenciement,

- 15 189,18 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

A titre subsidiaire,

Constater le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

Constater le manquement à son obligation de reclassement,

Dire le licenciement intervenu dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamner la société CNH Compta Conseil à lui payer les sommes de :

- 5 063,06 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 506,30 euros à titre de congés payés afférents,

- 121 513,44 euros de dommages et intérêts pour nullité de licenciement,

- 15 189,18 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

En tout état de cause, fixer la moyenne des salaires à la somme brute de 2 531,53 euros

Condamner également la société CNH Compta Conseil sous astreinte de 15 euros par jour de retard à compter du 8ème jour de la notification l'arrêt à intervenir, à lui remettre: - un bulletin de paie portant mention des condamnations prononcées,

- l'attestation Pôle emploi rectifiée,

- le certificat de travail rectifiée,

La condamner à lui payer 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamner en outre aux entiers dépens.

Ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1154 du code civil.

Aux termes de ses conclusions soutenues oralement à l'audience du 10 septembre 2019, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, la société WNH Expertise demande à la cour de :

Confirmer la décision du conseil de prud'hommes de Béthune en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande de prononcé de la nullité de son licenciement,

Infirmer la décision en ce qu'elle a prononcé la nullité de la mise à pied disciplinaire,

Constater, dire et juger que l'inaptitude de Mme [T] n'est pas d'origine professionnelle,

Constater, dire et juger que le licenciement pour inaptitude de Mme [T] est parfaitement justifié,

Débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

Condamner Mme [T] au paiement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le harcèlement moral

Mme [T] soutient que son licenciement est nul en raison du harcèlement moral dont elle a été victime.

Selon l'article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du Code du travail que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutient du harcèlement moral dont elle se prétend victime, Mme [T] invoque plusieurs agissements, dont il convient d'abord de vérifier s'ils sont matériellement établis avant de voir si ceux qui le sont permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

S'agissant de la réalité des agissements invoqués

Mme [T] invoque plusieurs agissements :

- les injures de M. [E] à son égard, la réaction inappropriée de Mme [E] à son courrier de dénonciation

La cour relève que les injures qui sont attribuées à M.[E] à l'égard de Mme [T] (« vous me faites chier, vous n'êtes qu'une connase ») reposent sur les seules affirmations de cette dernière et que ces injures ne sont pas prouvées.

La cour relève aussi que revenant sur cet incident et ces injures dans le courrier du 27 avril 2012 qu'ils ont adressé à Mme [T] en réponse à ses propres courriers, Mme [E] et M.[B] se sont contentés d'indiquer, de façon éloquente, qu'il ne validaient « pas l'ensemble des propos que vous relevez et la manière dont vous les rapportez qui amènent volontairement une confusion ».

La cour considère que si la réalité des injures n'est pas prouvée, il n'est pas davantage établi que Mme [T] a menti.

En tout état de cause, Mme [T] ayant dénoncé de telles injures par un courrier du 18 janvier 2012 reçu le 20 janvier 2012 par Mme [E], celle-ci ne pouvait attendre le 7 février 2012 comme elle l'a fait pour l'inviter à un entretien le 13 février et se contenter de lui répondre qu'elle lui laissait « le soin de réfléchir à la justification que vous apporterez à votre réaction compte-tenu de que j'étais présente à cette réunion. Je souhaite en effet comprendre votre attitude ».

La cour considère en effet qu'en demandant ainsi à Mme [T] de se justifier alors que celle-ci a dénoncé des injures d'un autres salarié, au demeurant celles de son conjoint, Mme [E] a eu une réaction à tout le moins inappropriée et qu'elle a ce faisant manqué à son obligation de prévention, sauf pour elle à prouver, ce qu'elle ne fait pas, que les propos de Mme [T] sont mensongers.

- la mise à pied disciplinaire de 12 jours fondée sur de prétendus manquements professionnels et qui serait une rétorsion à sa dénonciation

La cour relève que par cette mise à pied disciplinaire de 12 jours, il est essentiellement reproché à Mme [T] un retard dans le traitement des dossiers, une absence de transmission des informations auprès de son responsable rendant difficile la visibilité indispensable en cette période sociale et de fait à contribuer à désorganiser le service et générer une mauvaise ambiance.

Au vu de l'ensemble des pièces versées aux débat et en sachant que les attestations des salariés produites par la société doivent être appréhendées avec la plus grande circonspection en l'espèce, la cour considère que le retard qui est reproché à Mme [T] dans le traitement de ses dossiers est établi, mais qu'il est en grande partie imputable à sa charge de travail rendue excessive.

Ainsi, si Mme [E] a préparé en amont avec M.[B] ce transfert de façon à ce qu'il s'effectue dans les meilleures conditions possibles, il est établi que Mme [T] restait tenue par M.[B] de traiter en priorité les paies des clients déjà facturés du cabinet, de telle sorte qu'elle ne pouvait pas effectuer de façon anticipée la migration de tous les dossiers qui lui était demandée.

En outre, il est établi que Mme [H], l'autre salarié du service social du Cabinet [B], a démissionné, ce qui a également contribué à accroître la charge de travail de Mme [T] et donc son retard dans le traitement des dossiers.

Et si Mme [E] a effectivement prévu, en plus de la formation au nouveau Progiciel qui concernait tous les salariés, des mesures spécifiques de compensation et de soutien pour Mme [T], celles-ci n'ont pas été à la hauteur des difficultés que celle-ci a rencontrées et dont la société avait connaissance.

De façon générale, si Mme [T] a bénéficié de mesures de renfort et d'assistance technique de la part d'autres salariés de la société LNH expertises, celles-ci ont été mobilisées tardivement, principalement au début du mois de janvier 2012, une fois que Mme [T] ne pouvait plus rattraper son retard et uniquement dans le but de pouvoir satisfaire aux échéances fiscales et sociales de la société qui étaient imminentes.

Enfin, la cour considère que si Mme [T] pouvait parfois être catégorique au vu de sa connaissance du métier et de son expérience, il n'est en revanche pas établi qu'elle aurait fait preuve de provocation vis-à vis de M. [E], ni de façon générale de mauvaise volonté de s'intégrer dans la nouvelle structure, les attestations des salariés versées aux débats par la société étant trop partiales pour pouvoir être retenues à cet égard.

En particulier, la société LNH Expertise affirme mais ne prouve pas, ni que Mme [T] a communiqué tardivement son tableau de charges, ni même d'ailleurs qu'il lui ait été demandé de remplir un tel tableau ayant pour finalité d'estimer sa charge de travail, les tableaux de suivi des clients et des opérations qu'elle devait remplir ayant un autre objet.

La cour en déduit que les faits qui sont reprochés à Mme [T] dans la mise à pied disciplinaire du 12 mars 2012 n'étant soit pas établis, soit pas imputables à Mme [T], il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé la mise à disciplinaire de Mme [T] du 12 mars 2012.

La cour précise qu'en plus d'être injustifiée, cette mise à pied de 12 jours est en l'espèce disproportionnée.

La cour ajoute que, comme le soutient Mme [T], sa mise à pied a été prononcée en rétorsion de la lettre qu'elle a envoyée à Mme [E] le 18 janvier 2012 pour dénoncer les agissements dont elle a été victime.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a annulé la mise à pied disciplinaire de Mme [T] et condamné la société WNH Expertise à lui verser 888 euros de rappel de salaire à ce titre, ainsi que les congés payés afférents.

- son affectation par M. [E] à son retour le 12 mars 2012 et le fait qu'il lui ait donné un dossier comptable

La cour considère que la « mise au placard » telle qu'elle est invoquée par Mme [T] n'est pas établie, mais qu'en revanche elle s'est vue confier, à son retour dans l'entreprise, le 12 mars 2012, un dossier comptable à gérer.

Si la société pouvait, sur le fondement de son pouvoir de direction, confier à Mme [T] un tel dossier comptable, il n'en demeure pas moins qu'une telle attribution au retour de sa mise à pied disciplinaire apparaît comme une provocation de la société dès lors que Mme [T] relevait jusqu'ici du service paie.

Il ressort d'ailleurs des pièces versées aux débats par la société elle-même que si Mme [T] a suivi des heures formations Cegid, celles-ci ne concernaient que la paie et pas la « gestion interne » qui avait été suivie par d'autres salariés.

La cour en déduit que la société a confié à Mme [T] un travail pour lequel elle ne disposait pas des compétences requises.

- plusieurs certificats médicaux

Il ressort des pièces versées aux débats que Mme [T] a été en arrêt maladie à compter du 2 mars 2012 pour syndrome anxio-dépressif d'origine professionnelle, à nouveau à compter du 13 mars 2012 pour dépression et harcèlement illicite, avec de nombreuses prolongations.

Mme [T] produit en outre un certificat médical du docteur [F], psychiatre, du 17 avril 2012 qui est adressé au médecin du travail et qui atteste qu'elle présente des symptômes dépressifs et anxieux qui ont nécessité un arrêt de travail, que dans sa logorrhée, il n'est question que de ses soucis au travail alors qu'elle n'avait aucun antécédent psychiatrique ni psychologique et qu'elle affirme que ses symptômes sont directement réactionnels à des difficultés et à un stress à son travail (').

Enfin, elle verse également aux débats des prescriptions médicales d'anti-dépresseurs datant d'octobre 2012.

S'agissant de savoir si les agissements établis permettent de présumer un harcèlement moral

La cour rappelle que si, comme le souligne la société WNH Expertise, les certificats médicaux ne suffisent pas en soi à présumer l'existence d'un harcèlement moral, en l'espèce la réaction inappropriée de la société au courrier de dénonciation de Mme [T], sa mise à pied disciplinaire à la fois injustifiée et disproportionnée ainsi que le fait de lui attribuer des tâches qui ne relevaient ni de son champ d'intervention, ni de ses compétences sont, avec l'imposition d'une charge de travail excessive, autant d'agissements répétés qui sont matériellement établis et qui, appréciés dans leur ensemble en prenant en compte les documents médicaux, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

La cour constate qu'en réponse, la société LNH Expertise se contente d'affirmer qu'à supposer que des faits permettent de laisser présumer l'existence d'une harcèlement moral, elle démontre qu'elle n'a à aucun moment brimé, agressé, mis au placard Mme [T].

La cour en déduit que, ce faisant, l'employeur se contente de nier la réalité d'agissements, dont certains ne sont d'ailleurs pas retenus, et qu'il ne prouve donc pas que les agissements qui sont matériellement établis ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Sur les conséquences du harcèlement moral sur le licenciement

Il résulte de l'article L.1152-3 du Code du travail que toute rupture du contrat du travail qui résulte d'un harcèlement moral est nulle de plein droit.

En l'espèce, Mme [T] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement suite à un avis d'inaptitude du 18 juin 2012 qui indiquait que Mme [T] était « inapte à ce poste de travail. Inapte à tout autre poste de travail de l'établissement, un reclassement professionnel vers un autre secteur d'activité hors de l'environnement actuel s'avère indispensable ».

La cour déduit de cet avis et de l'ensemble des constatations qui précèdent que l'inaptitude définitive de Mme [T] est l'aboutissement de la dégradation de son état de santé qui est elle-même un élément constitutif du harcèlement moral dont elle a été victime.

La cour en conclut que l'inaptitude de Mme [T] est d'origine professionnelle et que son licenciement pour inaptitude est nul.

*S'agissant de l'indemnité compensatrice de préavis

L'inaptitude de Mme [T] étant d'origine professionnelle, il y a lieu de condamner la société WNH Expertise venant aux droits de la société LNH Expertise à payer à Mme [T] la somme qu'elle réclame et dont le quantum n'est pas contesté, à savoir la somme de 5 063,06 euros outre 506,30 de congés payés afférents.

*S'agissant de l'indemnité spéciale de licenciement

La cour relève que Mme [T] demande 20 391,38 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement, mais sans s'expliquer sur ce montant, et qu'elle a déjà perçu une somme de 11 718,69 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement qui a été correctement calculée.

La cour en conclut que la société WNH Expertise venant aux droits de la société LNH Expertise doit être condamnée à lui payer la somme de 11 718,69 euros au titre de reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement.

*Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

En considération de l'ancienneté de Mme [T] (28 ans), de sa rémunération brute mensuelle (2 531 euros), de son âge, de sa formation, mais aussi du fait qu'elle a très rapidement retrouvé un emploi conforme à ses attentes, il convient de lui allouer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il y a donc lieu de condamner la société WNH Expertise venant aux droits de la société LNH Expertise à payer à Mme [T] la somme de 45 000 euros de dommages et intérêts au titre de son licenciement nul.

Sur la violation de l'obligation de sécurité

Mme [T] soutient que son employeur a également manqué à son obligation de sécurité dès lors que Mme [E] a été alertée à plusieurs reprises du comportement injurieux de son mari et n'a pris aucune mesure destinée à résoudre les difficultés exposées. Son employeur a donc manqué à son obligation de prévention, ce qui lui a causé un préjudice moral qu'elle évalue à la somme de 15 189,18 euros.

La société LNH Expertise conclut au débouté

La cour relève d'abord que cette demande de Mme [T] de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ne figure à titre principal que dans le dispositif de ses écritures et que les moyens propres à cette demande ne sont soulevés que de façon subsidiaire dans les motifs.

En tout état de cause, il résulte des articles L.1152-1 et L.1152-4 du code du travail que l'obligation pour l'employeur de prendre des mesures de prévention du harcèlement moral et l'interdiction d'un tel harcèlement à l'encontre de salariés sont des obligations distinctes, de sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques.

En l'espèce, la cour considère que la société LNH Expertise a manqué à son obligation de prévention et donc à son obligation de sécurité, mais que Mme [T] n'apporte pas la preuve du préjudice distinct qu'elle a subi et qui n'a pas déjà été réparé au titre des dommages et intérêts qu'elle a obtenus au titre de la nullité de son licenciement consécutif à son harcèlement moral.

Il y a donc lieu de débouter Mme [T] de sa demande et de confirmer le jugement déféré de ce chef.

Sur la remise des documents sociaux

Il y a lieu d'ordonner à la société WNH Expertise de remettre à Mme [T] un bulletin de paie, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés conformément au présent arrêt.

En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cet ordre d'une astreinte.

Sur les intérêts et leur capitalisation

Les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision qui les prononce.

Les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le jugement sera confirmé de ces deux chefs et compte tenu de l'issue du litige, la société WNH Expertise venant aux droits de la société LNH Expertise sera en outre condamnée à payer à Mme [T] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Béthune du 24 mars 2015, sauf en ce qu'il a débouté Mme [J] [T] de sa demande de nullité de licenciement pour harcèlement moral et d'indemnités au titre de son licenciement nul pour inaptitude professionnelle,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

Juge que l'inaptitude de Mme [J] [T] trouve son origine dans le harcèlement moral dont elle a été l'objet,

Juge en conséquence que l'inaptitude de Mme [J] [T] est professionnelle et que son licenciement est nul,

Condamne la société WNH Expertise qui vient aux droits de la société LNH Expertise à payer les sommes suivantes à Mme [J] [T] :

- 5 063,06 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 506,30 de congés payés afférents,

- 11 718,69 euros au titre de reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 45 000 euros de dommages et intérêts au titre de son licenciement nul,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Ordonne à la société WNH Expertise qui vient aux droits de la société LNH Expertise de remettre à Mme [T] un bulletin de paie, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés conformément au présent arrêt.

Dit n'y avoir lieu d'assortir cet ordre d'une astreinte.

Rappelle que les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision qui les prononce.

Dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil

Déboute Mme [J] [T] du surplus de ses demandes,

Déboute la société WNH Expertise qui vient aux droits de la société LNH Expertise de l'ensemble de ses demandes,

Condamne la société WNH Expertise qui vient aux droits de la société LNH Expertise aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

S. STIEVENARD S. MEYER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale a salle 3
Numéro d'arrêt : 16/03752
Date de la décision : 25/10/2019

Références :

Cour d'appel de Douai A3, arrêt n°16/03752 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-25;16.03752 ?
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