ARRÊT DU
08 Juillet 2022
N° 1213/22
N° RG 19/01995 - N° Portalis DBVT-V-B7D-ST74
MLBR/AL
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES
en date du
05 Septembre 2019
(RG 18/00017 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 08 Juillet 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
Mme [Z] [F]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Virginie LEVASSEUR, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Pascal HOLLENSETT, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE :
SAS LES LABORATOIRES SUPER DIET
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Gontran DE JAEGHERE, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS :à l'audience publique du 12 Mai 2022
Tenue par [C] [A]
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Annie LESIEUR
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
[C] [A]
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Pierre NOUBEL
: PRESIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 24 Juin 2022 au 08 Juillet 2022 pour plus ample délibéré
ARRÊT :Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 08 Juillet 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par [C] [A], Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20 Janvier 2022
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société Les laboratoires Super Diet a pour activité la fabrication de produits pharmaceutiques, parapharmaceutiques et de compléments nutritionnels. Ses ateliers de production sont situés à Wavrechain.
Le 27 mai 1991, Mme [Z] [F] a été embauchée en qualité de conditionneuse dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Elle est par la suite devenue chef de ligne, avec un statut ouvrier coefficient 174.
A la suite de la signature d'un avenant contractuel en date du 1er octobre 2010, l'emploi de Mme [F] a correspondu à la qualification de chef d'équipe selon la classification applicable au sein de l'entreprise.
Suite à un accident du travail survenu le 17 mai 2017, Mme [F] a été arrêtée jusqu'au 5 juin 2017. Elle a par la suite à nouveau été arrêtée en juillet 2017 et ne devait reprendre qu'en septembre 2017.
Par courrier du 1er septembre 2017, la société Les Laboratoires Super Diet a informé Mme [F] qu'elle initiait à son encontre une procédure disciplinaire avec mise à pied à titre conservatoire à compter de la date prévue de sa reprise du travail, et l'a convoquée à un entretien préalable fixé au 12 septembre 2017.
Mme [F] a reçu notification de son licenciement pour faute grave suivant courrier du 18 septembre 2017 aux termes duquel la société Les laboratoires Super Diet lui a reproché un comportement professionnel qu'elle qualifie à la fois de contraire à la bonne organisation de l'atelier dont elle avait la charge et contraire à l'intérêt du service en ce qu'il était 'totalement anormal, constitutif d'harcèlement moral à l'égard des salariés' travaillant sous sa responsabilité.
Par requête du 17 janvier 2018, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Valenciennes afin de faire reconnaître l'absence de cause réelle et sérieuse à son licenciement, et obtenir le paiement de diverses indemnités.
Par jugement contradictoire rendu le 5 septembre 2019, le conseil de prud'hommes de Valenciennes a :
- dit que le licenciement pour faute grave de Mme [F] est fondé,
- débouté Mme [F] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné Mme [F] à payer à la société Les laboratoires Super Diet la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Mme [F] a interjeté appel du jugement par une déclaration reçue au greffe le 9 octobre 2019, selon les termes qui suivent : 'appel limité aux chefs expresséments critiqués. Cf déclaration d'appel pièce jointe', mention étant faite dans ladite annexe qu'elle sollicitait 'la réformation du jugement du 5 septembre 2019 et notifié aux parties le 9 septembre 2019 en toutes ses dispositions' ainsi que du détail de ses prétentions.
Dans ses dernières conclusions déposées le 11 janvier 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [F] demande à la cour de :
- dire son appel recevable et bien fondé
Vu l'article 562 du code de procédure civile,
- rejeter les demandes de la société Les laboratoires Super Diet tendant à dire que la cour n'est saisie d'aucun chef de jugement et à constater l'absence d'effet dévolutif,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
- condamner la société Les laboratoires Super Diet au paiement des sommes suivantes:
* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 53 568 euros
* indemnité conventionnelle de préavis : 4 464 euros,
* indemnité conventionnelle de licenciement (article 5 de la convention collective) : 23 138,40 euros,
* congés payés sur préavis : 446,50 euros,
* dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement : 2 232 euros,
* préjudice moral pour licenciement intervenu dans des conditions particulièrement vexatoires : 10 000 euros,
* dommages et intérêts pour non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité : 5 000 euros
* intérêt au taux légal à compter du dépôt de la requête,
* article 700 du code de procédure civile : 3 500 euros,
* outre les entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions déposées le 18 janvier 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Les Laboratoires Super Diet demande à la cour de :
à titre principal :
- dire qu'elle n'est saisie d'aucun chef de jugement,
- dire que l'appel est privé d'effet dévolutif,
à titre subsidiaire :
- sur la communication de pièces : constater que les pièces 34 et 35 n'ont été communiquées que très tardivement au regard de leur contenu, et les écarter des débats au visa des articles 15 et 16 du code de procédure civile,
sur le fond :
- constater la régularité de la procédure de licenciement de Mme [F] ;
- débouter Mme [F] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure ;
- constater les faits et griefs constitutifs de fautes graves de Mme [F] ;
- dire et juger le licenciement pour fautes graves de Mme [F] comme étant justifié ;
- débouter Mme [F] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité de préavis et de congés payés sur préavis ;
- dire et juger non soutenues les demandes d'indemnisation au titre d'un préjudice moral pour licenciement dans des conditions vexatoires et pour non-respect d'une obligation de sécurité ; - débouter, en conséquence, Mme [F] de ses demandes de préjudice moral intervenu dans des conditions particulièrement vexatoires et de dommages et intérêts pour non-respect de son obligation de non sécurité ;
- débouter Mme [F] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- confirmer en conséquence en tout point le jugement entrepris ainsi que la condamnation de Mme [F] à hauteur de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
en toute hypothèse,
- condamner Mme [F] à hauteur de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 janvier 2022.
Par arrêt avant dire droit du 29 mars 2022, la cour a réouvert les débats pour demander aux parties leurs observations sur le moyen de droit relevé d'office relatif à l'incidence du décret n°2022-245 du 25 février 2022 et de l'arrêté du 25 février 2022 sur l'effet dévolutif de l'acte d'appel de Mme [F] déposé le 9 octobre 2019 et de sa pièce jointe en annexe.
Mme [F] a présenté ses observations sur le moyen soulevé d'office par des conclusions déposées le 4 mai 2022, et la la société Les laboratoires Super Diet par des conclusions reçues le 3 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il convient en liminaire de préciser qu'en l'absence de révocation de l'ordonnance de clôture, la réouverture des débats n'ayant eu pour objet que de recueillir les observations des parties sur le moyen de droit soulevé d'office par la cour, il sera statué sur le fond du litige au vu des seuls prétentions et moyens des parties développés dans leurs dernières conclusions antérieures à la clôture telles que visées plus haut.
Sont donc irrecevables les éventuels moyens de droit ou de fait nouveaux présentés par Mme [F] à l'appui de ses prétentions au fond dans ses conclusions ultérieures à la réouverture des débats, seules ses observations sur le moyen de droit soulevé par la cour étant recevables.
- sur l'effet dévolutif de l'appel de Mme [F] :
La société Les Laboratoires Super Diet soutient qu'en l'absence de mention dans la déclaration d'appel de Mme [F] des chefs de jugement critiqués, l'effet dévolutif de l'appel n'a pas opéré.
Elle précise que Mme [F] ne peut se prévaloir de la pièce jointe en annexe de sa déclaration d'appel pour soutenir que son recours n'est pas privé d'effet dévolutif, dans la mesure où le recours à une telle annexe n'est autorisé par une circulaire du 4 août 2017 que dans l'hypothèse où le nombre de caractères nécessaires à l'énoncé des chefs de jugement critiqués dépasse le maximum techniquement autorisé de 4080 caractères, ce qui n'est selon elle pas le cas en l'espèce (407 caractères).
En réponse au moyen soulevé d'office par cette cour, elle prétend que le décret du 25 février 2022 qui prévoit désormais que l'acte d'appel peut comporter 'le cas échéant une annexe', ne remet pas en cause cette analyse, le recours à une pièce jointe à la déclaration d'appel demeurant selon elle toujours conditionnée au fait que le nombre de caractères nécessaires à l'énoncé des chefs de jugement critiqués dépasse le maximum techniquement autorisé de 4080 caractères.
Par suite, elle considère que l'arrêté du 25 février 2022 est sans portée dès lors que la jonction d'une pièce annexe à la déclaration d'appel n'était pas possible pour Mme [F].
Cette dernière fait valoir en réponse que l'article 901 modifié par le décret du 25 février 2022 admet désormais la jonction d'une pièce annexe à la déclaration d'appel et que la sienne est donc parfaitement régulière dès lors qu'elle renvoie expressément, conformément aux dispositions de l'arrêté du 25 février 2022, à sa pièce jointe en annexe dont le contenu est par ailleurs suffisamment précis quant aux chefs de jugement critiqués pour que l'effet dévolutif de l'appel s'opère. Elle soutient qu'en tout état de cause, il était matériellement impossible d'indiquer l'ensemble des chefs de demandes dans l'acte principal, ce qui a justifié le recours à cette annexe.
Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Seul l'acte d'appel dont le contenu est défini par l'article 901 du même code opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.
C'est à bon droit que l'appelante se prévaut de l'article 1er 16° du décret du 25 février 2022 qui a modifié l'article 901 du code de procédure civile et de l'arrêté du même jour portant modification de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, pour soutenir que son appel a eu un effet dévolutif.
En effet, l'article 901 du code de procédure civile dans sa version issue de l'article 1er 16° du décret du 25 février 2022 précise désormais que l'acte de déclaration d'appel comprend 'le cas échéant une annexe' qui fait dès lors corps avec elle, sachant qu'il se déduit de cette formulation que la jonction d'une pièce jointe est certe facultative, mais pas qu'elle n'est admise que sous certaines conditions.
En outre, l'article 3 de l'arrêté du 20 mai 2020 modifié par l'article 1er de l'arrêté du 25 février 2022 dispose que le fichier portant déclaration d'appel 'comprend obligatoirement les mentions des alinéas 1 à 4 de l'article 901 du code de procédure civile'.
Cette obligation ne concerne donc pas la mention des chefs du jugement critiqués visée à l'alinéa 5 de l'article 901 qui peut donc uniquement figurer dans l'annexe de la déclaration d'appel, à la condition cependant que celle-ci y renvoie expressément conformément au nouvel article 4 alinéa 1er de l'arrêté du 20 mai 2020 issu de l'arrêté du 25 février 2022.
Enfin et surtout, il sera relevé que contrairement à ce que soutient la société Les Laboratoires Super Diet, aucun de ces textes ne conditionne la jonction d'une annexe à la déclaration d'appel à l'existence d'un empêchement technique tiré d'un dépassement du nombre de caractères, sachant que la circulaire du 4 août 2017 qui seule envisageait cette hypothèse n'a aucune valeur normative et donc contraignante à l'égard de Mme [F].
Est sur ce point inopérant la référence faite par la société Les Laboratoires Super Diet à l'arrêt de la Cour de cassation en date du 13 janvier 2022 dès lors que cette décision se fonde sur le droit antérieur à l'arrêté du 20 mai 2020 et aux décret et arrêté du 25 février 2022, qui ne reconnaissait pas alors l'existence et la valeur juridique d'une pièce annexée à la déclaration d'appel.
Ce serait donc ajouter aux textes actuellement en vigueur que de conditionner la possibilité pour l'appelante de joindre une annexe à sa déclaration d'appel à l'existence d'un empêchement technique.
Force est de constater en l'espèce que dans sa déclaration d'appel, Mme [F] a expressément renvoyé à ' Cf déclaration d'appel pièce jointe' s'agissant de l'objet et la portée de son appel, annexe dans laquelle sont précisément listés les chefs de jugement critiqués, notamment ceux disant son licenciement pour faute grave fondé et la déboutant de l'intégralité de ses demandes.
Cette annexe faisant corps avec sa déclaration d'appel, l'appel de Mme [F] a donc régulièrement opéré la dévolution à la cour des chefs critiqués du jugement au sens de l'article 562 du code de procédure civile, de sorte que le moyen de procédure soulevé par la société Les Laboratoires Super Diet sera rejeté.
- sur la régularité de la procédure de licenciement de Mme [F] :
Mme [F] dénonce l'irrégularité de la procédure de licenciement initiée par la société Les Laboratoires Super Diet en faisant valoir que :
- la lettre de convocation a été signée par M. [U], directeur général, en vue d'un entretien préalable dans le bureau de M. [I], directeur administratif et financier, de sorte qu'elle ne savait pas avec qui elle avait réellement rendez-vous, M. [I] et M. [U] ne pouvant selon elle être par ailleurs considérés comme représentant son employeur,
- la lettre de licenciement a été signée par M. [I] dont il n'a pas été justifié du mandat donné par la société Les Laboratoires Super Diet à cet effet, sa qualité de directeur administratif et financier n'impliquant pas nécessairement qu'il soit également chargé de la gestion des ressources humaines et les attestations produites, en l'absence de délégation de pouvoirs, étant insuffisantes pour l'établir.
Toutefois, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, une délégation de pouvoir écrite n'est pas exigée pour la signature de la convocation à l'entretien préalable, la tenue de cet entretien et la signature de la lettre de licenciement dès lors que la délégation de celui qui y a procédé en tant que représentant de l'employeur découle des fonctions qu'il exerce au sein de l'entreprise.
Pour ces motifs, à la fois M. [U], directeur général de la société Les Laboratoires Super Diet et M. [I], directeur administratif et financier, avaient le pouvoir d'une part, s'agissant du premier dont les fonctions impliquent un pouvoir de représentation générale de la société, d'initier la procédure en signant la lettre de convocation, et d'autre part, s'agissant de M. [I], de mener l'entretien et de signer la lettre de licenciement, la société Les Laboratoires Super Diet produisant de nombreuses attestations ainsi qu'une subdélégation de pouvoir établie en juin 2017 en faveur de l'intéressé confirmant qu'il assurait la gestion des ressources humaines sur le site de [Localité 1] où travaillait Mme [F] et ce faisant, avait notamment dans le cadre de ses attributions la charge du recrutement du personnel et de l'application des règles en matière de droit du travail au sein de cet établissement.
Est en outre sans incidence le fait que l'entretien préalable n'ait pas été mené par le signataire de la lettre de convocation dès lors que M. [I] avait, pour les motifs susvisés, le pouvoir de réaliser cet entretien en tant que représentant de la société Les Laboratoires Super Diet.
Pour l'ensemble de ces raisons, le jugement sera confirmé de ce chef et en ce qu'il a débouté Mme [F] de sa demande indemnitaire pour non-respect de la procédure de licenciement.
- sur les motifs du licenciement :
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave privative du préavis prévu à l'article L1234-1 du même code est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend immédiatement impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis.
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la gravité de la faute alléguée, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés ne constituent pas néanmoins une cause réelle et sérieuse du licenciement, le doute subsistant alors devant profiter au salarié.
Il est en l'espèce constant que Mme [F] a été licenciée pour faute grave, son employeur lui reprochant aux termes de la lettre de licenciement du 18 septembre 2017 qui fixe les limites du litige :
- des agissements contraires à ses attributions de chef de ligne ainsi qu'à la bonne organisation, la rentabilité et la fiabilité de la ligne de production dont elle avait la charge, à savoir :
* de nombreux appels téléphoniques pendant le temps de travail à partir de la ligne fixe de l'atelier ainsi que de nombreux messages via les 'conversations Lync', qui est un réseau interne, dont les contenus n'avaient aucun caractère professionnel, ces discussions avec sa fille se faisant au détriment de l'exercice de sa fonction de chef de ligne et constituant un comportement contraire à l'exemplarité dont elle doit faire preuve à ce titre,
* un défaut délibéré d'attention quant à la qualité des produits élaborés, à la sortie de la ligne de production,
* un non-respect des ordres de fabrication et des plannings afin de réduire et même supprimer les tâches de nettoyage lui incombant,
* le non-port de la tenue de travail pourtant obligatoire pour des motifs d'hygiène,
* l'absence d'effort pour concourir à la réalisation des objectifs de l'ensemble de la ligne de production, en ralentissant sa propre activité dès que son quota est atteint, ou en s'absentant de son poste sans raison valable,
- un comportement anormal, constitutif d'harcèlement moral, à l'égard des salariés travaillant sous sa responsabilité, illustré comme suit :
* un climat délétère du fait de colportage de 'cancans' sur certains salariés,
* des attitudes impolies contraires aux usages et au besoin de cohésion de l'équipe,
* l'imputabilité de l'incident du 17 mai 2017 dont elle a été victime à un collègue de travail dont elle est la supérieure et l'exonération de toute responsabilité concernant un autre incident dont elle se serait même réjouie,
* des messages à sa fille concernant des collègues placés sous son autorité avec des propos dévalorisants.
Mme [F] conteste les griefs ainsi allégués ainsi que leur gravité au regard de ses 26 années d'ancienneté au sein de l'entreprise, soutenant que son employeur a en fait eu l'intention de se séparer d'elle depuis son retour le 5 juin 2017 de son arrêt lié à l'accident du travail du 17 mai 2017, et qu'il lui a mis la pression à tel point qu'elle a fait un malaise vagal le 25 juillet 2017 à la suite duquel elle a été de nouveau arrêtée.
Elle fait observer qu'avant le 5 juin 2017, elle n'a fait l'objet d'aucune observation concernant son travail.
Mme [F] reproche également à la société Les Laboratoires Super Diet de ne pas avoir précisément daté les faits allégués et se faisant, de ne pas établir qu'ils auraient été commis après le 4 juillet 2017, soit dans un temps non prescrit.
En substance, elle considère qu'il n'y a aucun fait précis qui lui serait directement imputable.
Elle estime ainsi surprenant d'être accusée de harcèlement moral, se disant elle-même victime d'une violation par son employeur de son obligation de sécurité, et mettant en avant des échanges de SMS 'agréables et sympathiques' avec les personnes supposées harcelées qui ont pris de ses nouvelles après son accident. Elle verse par ailleurs aux débats les attestations de salariés ayant apprécié travailler avec elle.
Elle dénonce la non-conformité à l'article 202 du code de procédure civile des attestations adverses et critique plus particulièrement la valeur probante de l'attestion de M. [B], délégué syndical selon elle 'à la botte de l'employeur', ou encore celle de Mme [Y] qui se contredit par rapport à ses SMS.
Mme [F] soutient également qu'il ne peut lui être reproché d'avoir abusé des outils de communication à disposition de tous au sein de l'atelier, faisant aussi valoir qu'aucune preuve n'est établie qu'elle est à l'origine des messages à sa fille, et que la charte informatique antérieure au 1er septembre 2017 n'interdisait pas les communications internes.
Il sera d'abord rappelé qu'il n'est pas exigé de l'employeur que les faits soient précisément datés dans la lettre de licenciement dès lors que les fautes reprochées sont suffisamment circonstanciées pour en vérifier l'exactitude.
En outre, si, comme le soutient Mme [F], aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement d'une procédure de licenciement pour faute grave au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, il ressort des pièces produites par la société Les Laboratoires Super Diet que c'est postérieurement au 1er juillet 2017, voir au 4 juillet 2017 que la société Les Laboratoires Super Diet a eu une connaissance suffisamment précise des agissements de Mme [F] et de leur gravité pour envisager une procédure de licenciement à son encontre.
En effet, il est acquis aux débats qu'une réunion de service a été organisée courant juin 2017 par Mme [E], responsable de fabrication, avec les membres de l'équipe de fabrication 'forme liquide ampoules' placée sous la responsabilité de Mme [F], compte tenu de la dégradation de l'ambiance de travail, tensions dont l'existence est au demeurant reconnue par l'appelante elle-même.
Ainsi que l'explique Mme [K] dans son attestation suffisamment circonstanciée et sobre pour être retenue comme présentant les garanties d'objectivité, Mme [E] a alors décidé d'organiser des entretiens individuels pour tenter de comprendre l'origine du malaise ambiant.
Ce n'est donc qu'à l'issue de ces entretiens menés entre les 4 et 20 juillet 2017 au vu des compte-rendus versés aux débats, que la société Les Laboratoires Super Diet a eu connaissance de manière plus précise des comportements de Mme [F] susceptibles de constituer une faute, sachant qu'aucune pièce produite par celle-ci ne vient démontrer que son employeur en avait déjà été informé avant lesdits entretiens.
En outre, ainsi que la société Les Laboratoires Super Diet l'indique dans la lettre de licenciement, elle a, en parallèle à ces vérifications internes, été alertée du fort taux d'absentéisme au sein de ce service par les représentants du personnel lors de la réunion du 20 juillet 2017 ainsi que cela ressort du compte-rendu de cette réunion au cours de laquelle la direction a été interrogée sur l'état des arrêts maladie et du courriel du 25 juillet 2017 portant la liste des personnes arrêtées au sein du service animé par Mme [F].
Enfin, à travers sa pièce 13, la société Les Laboratoires Super Diet justifie que le contenu des messages litigieux échangés entre Mme [F] et sa fille n'ont été portés à sa connaissance par M. [L], que le 21 juillet 2017, soit le lendemain de la réunion des représentants du personnel.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, non contredits par les pièces adverses, que la société Les Laboratoires Super Diet a eu une connaissance suffisamment précise des agissements susceptibles d'être reprochés à Mme [F] qu'à l'issue de ces vérifications entreprises courant juillet 2017, soit dans le délai de 2 mois précédant l'envoi le 1er septembre 2017 de la convocation à l'entretien préalable, de sorte que le moyen tiré de la prescription des faits fautifs allégués ne peut prospérer.
Sans les reprendre de manière exhaustive, il ressort par ailleurs de manière concordante et précise des compte-rendus d'entretien menés par Mme [E] avec 6 agents de l'équipe de Mme [F] (pièce 12 de l'intimée), les témoignages suivants :
- Mme [F] est à l'origine de 'cancans', notamment entre Mme [J] [M] et une dénommée [W] (pièces 12/1, 12/2, 12/3,12/5),
- Mme [F] ne dit plus bonjour, ni 'fait la bise à certains' depuis la réunion de service du 12 juin 2017 (pièces 12/2, 12/3,12/4,12/5),
- Mme [F] envoie de nombreux message spontanés à sa fille, notamment sur les erreurs faites par les collègues ou en les insultant (pièces 12/2,12/5, 12/6),
- Mme [F] ne respecte pas les plannings pour ne pas être d'après-midi et faire les nettoyages; elle délègue des tâches lui incombant, 'ne donne pas de coup de main', 'on a l'impression de faire le travail à sa place', 'choisit ce qui l'arrange le matin sans tenir compte des plannings', 'on démarre parfois à 9h du matin car [Z] prend son temps puis après elle charge la ligne à fond (cadence infernale)..je cours sans cesse', 'pas de confiance sur la gestion du travail quand je suis du matin', 'elle réalise les OF(ordre de fabrication) qui l'arrangent et qui nécessitent peu de nettoyage' (pièces 12/2, 12/3, 12/4,12/5, 12/6),
- Mme [F] n'est pas toujours à son poste, s'absente longtemps et 'on la cherche' (pièces 12/3, 12/4, 12/5, 12/2),
- Mme [F] fait beaucoup de reproches aux agents alors qu'elle ne fait pas bien son travail, ne connaît pas bien sa machine, 'se venge quand on lui fait une remarque', 'vérifie à outrance ce qu'on fait' (12/3, 12/4, 12/5, 12/6).
Plusieurs d'entre eux évoquent également l'incident le 17 juillet 2017 lors de la fabrication d'ampoules d'artichaut dont elle a rejeté la responsabilité sur un autre agent, M. [S], ou encore des consignes pour laisser passer des ampoules non conformes, ces 2 incidents étant visés dans la lettre de licenciement.
Enfin, il résulte des copies de messages (pièce 14) échangés avec sa fille sur le réseau interne, qu'elle parle de ses collègues en des propos parfois humiliants ' le squelette', 'conne et fainéante', 'sandy pue de la bouche, elle ne se brosse pas les dents', et enfin s'agissant de l'incident 'je suis contente hier après-midi ils ont fait une erreur et c'est mois qui l'ai vu ce matin', 'fréderic [S], il en chie,.., je chante lol, je lui dis fais ça, mets ton masque, il est dégoûté, lol'.
Peu importe le contenu de la charte informatique applicable à l'époque, la teneur de ces messages est à l'évidence incompatible avec le respect qui est dû par chacun à l'égard de ses collègues et des agents placés sous sa hiérarchie.
Ils confortent également la crédibilité de l'attestation de M. [B], délégué syndical, peu importe qu'elle ne soit pas conforme au formalisme de l'article 202 du code de procédure civile, lorsqu'il atteste que 'des échanges portent sur des attaques personnels sur le physique et le mental de personnes travaillant dans ledit atelier; que la responsable d'atelier se réjouissait que ses équipes aient fait une erreur pendant son absence' ainsi que certaines doléances des agents lors des entretiens précités.
Mme [K] a d'ailleurs attesté qu'à la suite de ces échanges visibles de tous en interne, M. [S] était venu la voir en pleurant pour lui remettre les documents de la messagerie relevant les propos tenus par Mme [F].
Il ressort en outre du compte rendu de l'entretien préalable établi par M. [L], qui a assisté Mme [F], que celle-ci a 'reconnu avoir envoyé les messages via Lync à [C] [R]'., qui n'est autre que sa fille, et 'avoir été maladroite', ce qui rend inopérant le moyen tiré de la prétendue absence de preuve qu'elle serait à l'origine des messages destinés à sa fille, étant relevé que cette dernière confirme également dans son attestation l'utilisation de la messagerie interne pour communiquer entre elles.
Il ressort du compte-rendu de l'entretien préalable que Mme [F] admet aussi:
- l'incident des ampoules non conformes et avoir donné instruction de trier le plus gros en sortie de ligne, 'la Fréville (machine de conditionnement) allant s'occuper du tri final', même si elle en minimise l'importance,
- le fait que la chef de fabrication lui ait déjà reproché plusieurs fois ses modifications de plannings des ordres de fabrication,
ce qui conforte également les déclarations des agents recueillies par l'employeur.
Lors de l'entretien préalable et dans ses conclusions, Mme [F] se défend en avançant l'hypothèse d'un complot de ses collègues à son égard et en dénonçant la pression qu'elle subit et le manquement de son employeur à son obligation de sécurité.
Toutefois, sa fillese borne à attester qu'elle était 'à bout' sans autre précision sur l'origine de ces tensions, et Mme [W] [T] qui atteste que 'certaines personnes de l'équipe se sont pris de vengeance et de rébellion à l'encontre de Mme [F]', était elle-même en arrêt de travail depuis le 12 juin 2017 et tout le mois de juillet 2017, et donc absente du service pendant la période litigieuse (pièce 10 de l'intimée).
Sont également insuffisantes à combattre les pièces adverses, les attestations de 2 anciennes collègues, Mme [X] et Mme [N], dont la société Les Laboratoires Super Diet établit qu'elles ont cessé de travailler au sein de l'entreprise au plus tard en 2015 (pièce 30).
Il en est de même des copies d'échanges de SMS ou de messages de collègues produits par l'appelante dans la mesure où il s'agit soit de discussions amicales avec des personnes n'appartenant pas au service et qui sont de surcroît très postérieures aux faits litigieux (décembre 2017, courant 2018), soit au contraire de messages très anciens (juillet 2016, janvier et mars 2017) et pour tous, sans lien avec les faits relatés par les agents de son service.
Mme [F] n'allègue en outre d'aucun élément précis relativement à la pression qu'elle dit avoir subie à l'époque et du supposé manquement de l'intimée à son obligation de sécurité, étant relevé sur ce dernier point qu'au contraire, celle-ci a pris l'initiative de réunir l'équipe et d'organiser des entretiens individuels dès qu'elle a été informée des tensions existantes et de la dégradation de l'ambiance de travail, Mme [F] ayant elle-même été entendue le 25 juillet 2017.
Au regard de l'ensemble de ces éléments et plus particulièrement des faits précis et concordants évoqués par les agents qui ont été entendus, la société Les Laboratoires Super Diet rapporte la preuve d'agissements fautifs commis par Mme [F], notamment :
- la tenue de propos désobligeants et irrespectueux à l'égard des agents placés sous son autorité,
- le non-respect des plannings d'ordres de fabrication et des règles de contrôle qualité,
- le désengagement dans l'encadrement et le soutien de son équipe, ainsi que dans le travail à accomplir,
- l'entretien d'un climat tendu et délétère à travers ses critiques, 'cancans' et attitudes impolies.
Par leur nature, ces comportements sont contraires aux responsabilités et attributions de Mme [F] en tant que chef d'équipe telles que décrites dans sa fiche de poste, et ont contribué à dégrader fortement les conditions de travail des agents placés sous son autorité, de sorte qu'à eux seuls, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, ils présentent une gravité telle qu'ils rendaient impossible la poursuite de la relation de travail même pendant le temps limité du préavis, et ce peu importe que Mme [F] n'ait jusqu'alors fait l'objet d'aucune observation au cours de sa longue carrière.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que le licenciement pour faute grave de Mme [F] est fondé et a débouté l'intéressée de l'ensemble de ses demandes indemnitaires.
- sur les demandes accessoires :
Au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, Mme [F] devra également supporter la charge des dépens d'appel et sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande en revanche de débouter la société Les Laboratoires Super Diet de sa demande sur ce même fondement au titre des frais exposés en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
REJETTE le moyen tiré de l'absence d'effet dévolutif de l'appel, soulevé par la société Les Laboratoires Super Diet ;
CONFIRME le jugement entrepris en date du 5 septembre 2019 en toutes ses dispositions ;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
DIT que Mme [Z] [F] supportera les dépens d'appel.
LE GREFFIER
Nadine BERLY
LE PRESIDENT
[C] [A]