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17/11/2022 | FRANCE | N°20/04985

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 8 section 4, 17 novembre 2022, 20/04985


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 8 SECTION 4

ARRÊT DU 17/11/2022



N° de MINUTE : 22/967

N° RG 20/04985 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TKGA

Jugement (N° 51-19-0007) rendu le 30 Octobre 2020 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de Hazebrouck





APPELANTE



Madame [P] [N] épouse [C]

née le 22 Mai 1973 à [Localité 4] - de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Représentée par Me Jean-Philippe Vérague

, avocat au barreau d'Arras



INTIMÉ



Monsieur [U] [N]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représenté par Me Yann Leupe, avocat au barreau de Dunkerque




...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 8 SECTION 4

ARRÊT DU 17/11/2022

N° de MINUTE : 22/967

N° RG 20/04985 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TKGA

Jugement (N° 51-19-0007) rendu le 30 Octobre 2020 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de Hazebrouck

APPELANTE

Madame [P] [N] épouse [C]

née le 22 Mai 1973 à [Localité 4] - de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Jean-Philippe Vérague, avocat au barreau d'Arras

INTIMÉ

Monsieur [U] [N]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Yann Leupe, avocat au barreau de Dunkerque

DÉBATS à l'audience publique du 22 septembre 2022 tenue par Véronique Dellelis et Emmanuelle Boutié magistrates chargées d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, ont entendu les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en ont rendu compte à la cour dans leur délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS Ismérie Capiez

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Véronique Dellelis, président de chambre

Emmanuelle Boutié, conseiller

Catherine Ménegaire, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Véronique Dellelis, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Par requête enregistrée au greffe du tribunal paritaire des baux ruraux d'Hazebrouck le 7 mars 2019, Mme [P] [N] épouse [C] a sollicité la convocation en conciliation de M. [U] [N].

Il a été procédé à la tentative de conciliation lors de l'audience non publique du 11 octobre 2019 et aucun accord n'a pu être trouvé. L'affaire a été renvoyée en audience de jugement.

Lors de l'audience de plaidoiries devant les premiers juges , Mme [N] épouse [C] expose être propriétaire d'une parcelle située à [Localité 5], cadastrée section ZO [Cadastre 1], d'une superficie de 97 ares et 90 centiares, occupé par son cousin, M.[U] [N]. Elle soutient que ce dernier l'occupe de manière purement gratuite, de sorte que le régime applicable est celui des prêts à usage. Elle invoque la mise en demeure qui a été faite à ce dernier de quitter les lieux.

Elle précise qu'aucune contrepartie onéreuse n'est établie, et que même à supposer qu'un bail puisse être reconnu à M. [U] [N], il serait nul au visa de l'article L.331-6 du code rural et de la pêche maritime. Elle sollicite, sur le fondement des dispositions des articles L.411-1 et L.411-35 du code précité, qu'il soit dit et jugé que M. [N] est occupant sans droit ni titre, ainsi que la condamnation de ce dernier à procéder à la libération de la parcelle en cause dans le délai d'un mois à compter de la date du jugement et, passé ce délai, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Elle sollicite en outre sa condamnation au paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et que soit ordonnée l'exécution provisoire du jugement.

Par jugement en date du 30 octobre 2020, le tribunal paritaire des baux ruraux d'Hazebrouck a :

- débouté Mme [P] [N] épouse [C] de sa demande tendant à ce que M. [U] [N] procède à la libération de la parcelle en cause et de sa demande d'indemnité de procédure,

- condamné Mme [P] [N] épouse [C] à payer à M. [U] [N] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Mme [P] [N] épouse [C] a interjeté appel de cette décision, la déclaration d'appel visant l'ensemble des dispositions du jugement entrepris.

Lors de l'audience devant cette cour, Mme [P] [N] épouse [C], représentée par son conseil, soutient ses conclusions déposées lors de l'audience par lesquelles elle demande à cette cour d'infirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux d'Hazebrouck en date du 30 octobre 2020 et demande à la cour, statuant à nouveau de :

- dire et juger qu'il n'y a pu avoir aucune cession de bail entre M. [J] [N] et M. [U] [N],

- dire nul et de nul effet le document daté du 12 décembre 1985,

- constater que M. [U] [N] ne rapporte pas la preuve d'une contrepartie onéreuse,

En toute hypothèse,

- A supposer qu'un bail existe, dire et juger que ce bail est nul pour violation des dispositions de l'article L.331-6 du code rural et de la pêche maritime,

- dire et juger que M. [U] [N] ne justifie d'aucune occupation à titre onéreuse de la parcelle cadastrée ZO[Cadastre 1] sur la commune de [Localité 5],

En conséquence,

- dire et juger que M. [U] [N] est occupant sans droit ni titre,

- condamner M. [U] [N] à procéder à la libération de la parcelle susvisée dans le délai d'un mois à compter de la date de la décision à intervenir et passé ce délai sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

- condamner M. [N] au paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Mme [P] [N] épouse [C] soutient essentiellement que l'existence d'un bail rural suppose que l'occupation des terres ait été acceptée et voulue par le propriétaire et que l'existence d'une contrepartie onéreuse à cette occupation doit être prouvée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Elle précise qu'alors qu'un bail rural est par nature incessible et intransmissible conformément aux dispositions de l'article L.411-35 du code rural et de la pêche maritime, il ne pouvait pas y avoir de cession entre [J] [N] et [U] [N], son neveu, le document daté du 12 décembre 1985 étant nul et de nul effet.

Elle ajoute qu'aucune des pièces versées aux débats ne démontre l'existence d'une contrepartie onéreuse réglée par M. [U] [N] et que les documents produits aux débats, intitulés 'déclaration souscrite en vue de la perception du droit au bail', sont rédigés et signés par M. [U] [N] et constituent des faux.

En outre, l'appelante fait valoir qu'en toute hypothèse, à supposer qu'un bail puisse être reconnu au profit de M. [U] [N], ce bail est nul au visa des dispositions de l'article L.331-6 du code rural et de la pêche maritime, M. [U] [N] ne disposant pas d'une autorisation administrative d'exploiter sur les parcelles concernées.

Lors de l'audience devant cette cour, M. [U] [N], représenté par son conseil, soutient ses conclusions déposées lors de l'audience par lesquelles il demande à cette cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le tribunal paritaire des baux ruraux d'Hazebrouck le 30 octobre 2020 et, y ajoutant, condamner Mme [P] [N] épouse [C] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

M. [N] soutient que le propriétaire bailleur, M.[X] [N], son grand-père, avait donné l'autorisation à son fils [J], oncle de [U], de céder le bail rural à son profit. Il expose que suite au décès de M. [X] [N], le 8 avril 1991, les biens fonciers de l'indivision [N] ont fait l'objet d'une vente par licitation, M. [S] [N], son oncle, remportant l'enchère concernant la parcelle litigieuse. Il précise qu'un litige l'a ensuite opposé à M. [S] [N], celui-ci ne contestant pas sa qualité de locataire mais la possibilité pour un locataire de préempter, s'agissant d'une licitation dans le cadre d'une indivision successorale et qu'en 2004, M. [S] [N] l'a mis en demeure de procéder au règlement des fermages afférents pour l'occupation de la parcelle depuis 1999.

Il ajoute que la relation contractuelle qui l'unit à Mme [P] [N] épouse [C], fille de M. [S] [N], ne répond pas à la définition de la convention d'occupation précaire.

En outre, il fait valoir que M. [X] [N] a consenti à l'origine un bail à son fils [J] et qu'il a ensuite autorisé [J] à céder son bail à [U], neveu de [J] et petit-fils de [X] [N], bailleur, en 1985 et qu'en 1991, M. [S] [N], devenu propriétaire, a poursuivi le bail et a clairement établi les modalités de réglement du fermage, et n'a jamais contesté la qualité de preneur de M. [U] [N].

Enfin, l'intimé expose que par un courrier du 19 juin 2018, Mme [P] [N] épouse [C] lui écrit expressément à propos du fermage, indiquant que si les conditions du bail ne sont pas respectées, il sera mis fin à la location.

Il est pour le surplus renvoyé aux écritures des parties pour un exposé complet de leurs moyens et arguments.

SUR CE ,

Aux termes des dispositions de l'article L.411-1 du code rural et de la pêche maritime, toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'articl L.311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l'article L.411-2. Cette disposition est d'ordre public. Il en est de même, sous réserve que le cédant ou le propriétaire ne démontre que le contrat n'a pas été conclu en vue d'une utilisation continue ou répétée des biens et dans l'intention de faire obstacle à l'application du présent titre :

- de toute cession exclusive des fruits de l'exploitation lorsqu'il appartient à l'acquéreur de les recueillir ou de les faire recueillir;

- des contrats conclus en vue de la prise en pension d'animaux par le propriétaire d'un fonds à usage agricole lorsque les dispositions du présent titre sont mises à la charge du propriétaire des animaux. La preuve de l'existence des contrats visés dans le présent article peut être rapportée par tous moyens.

L'article L.411-35 du même code dispose que sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial prévues au chapitre VIII du présent titre et nonobstant les dispositions de l'article 1717 du code civil, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.

Mme [P] [N] épouse [C] soutient qu'aucune cession de bail n'a pu intervenir entre M. [J] [N] et M. [U] [N], s'agissant d'une cession intervenue entre un oncle et son neveu qui n'est pas conforme aux dispositions de l'article L.411-35 susvisé, de sorte que le document en date du 12 décembre 1985, attribué à M. [X] [N], est nul et de nul effet. Par ailleurs, elle ajoute qu'aucun élément ne vient prouver l'existence d'une contrepartie onéreuse versée à M. [X] [N] ni à M. [S] [N], son père.

Le tribunal a justement relevé que si la cession d'un bail entre un oncle et un neveu ne pouvait valablement être régularisée, en violation de l'interdiction de cession au profit d'autres personnes que le conjoint du preneur participant à l'exploitation ou un descendant du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipé en application des dispositions de l'article L.411-35 susvisé, la sanction de cette interdiction ne peut être qu'une résiliation du bail en application des dispositions de l'article L.411-31 II 1° du code rural et de la pêche maritime.

En outre, alors que Mme [N] épouse [C] conteste l'authenticité de l'attestation en date du 12 décembre 1985, établie au nom de M. [X] [N], aux termes de laquelle ce dernier a autorisé son fils [J] [N] à céder son droit au bail verbal ou écrit sur la parcelle litigieuse à partir du 1er décembre 1985 à M. [U] [N], agriculteur à [Localité 5], force est de constater que l'existence et l'authenticité de cette autorisation est confortée par le document intitulé 'Autorisation de cession' en date du 1er décembre 1985 signé par M. [J] [N], par lequel ce dernier a autorisé M. [U] [N] à reprendre la parcelle en cause pour la somme de 16 000 francs l'hectare à compter du 1er décembre 1985, dont l'authenticité n'est pas contestée ainsi que par les déclarations souscrites par M. [U] [N] en 1987, 1988, 1989 et 1991 en vue de la perception du droit de bail au titre de l'exploitation de la parcelle litigieuse.

En outre, il ne résulte pas des éléments du dossier que M. [S] [N], devenu propriétaire de la parcelle cadastrée section ZO n°[Cadastre 1] sise à [Localité 5] après le décès de M. [X] [N] en 1991, ait contesté l'existence d'un bail rural au profit de M. [U] [N] ni celle de sa qualité de preneur à bail, une mise en demeure de procéder au règlement des fermages afférents à l'occupation de cette parcelle depuis 1999 et faisant expressément mention du versement de loyers, ayant été adressée à M. [U] [N] par l'intermédiaire de son conseil par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 juillet 2004.

Par ailleurs, le courrier en date du 19 juin 2018 établi par Mme [P] [N] épouse [C] fait aussi référence au 'paiement d'un fermage' et indique qu'en l'absence de réglement d'un fermage par M. [U] [N], 'les conditions d'un bail ne sont pas respectées'.

Ainsi, il est établi que M. [U] [N] exploite de manière continue la parcelle en cause depuis le 1er décembre 1985, le bail s'étant tacitement renouvelé par périodes successives de neuf ans, le tribunal ayant justement relevé d'une part, que le fait que les fermages aient été impayés est sans incidence sur la qualification de bail rural et, d'autre part, qu'il résulte de l'arrêté préfectoral portant refus relatif à une demande d'autorisation préalable d'exploiter en date du 3 avril 2019 que l'exploitation de M. [U] [N] met en valeur une superficie de 28,1050 ha de sorte qu'il n'est pas soumis au contrôle des structures.

En conséquence, la preuve de l'existence d'un bail rural consenti au profit de M. [U] [N] est rapportée en l'espèce depuis le 1er décembre 1985 sur la parcelle ZO [Cadastre 1] située à [Localité 5] et il y a lieu de débouter Mme [P] [N] épouse [C] de l'ensemble de ses demandes.

La décision entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions.

Mme [P] [N] épouse [C], partie perdante, sera condamnée à supporter les dépens d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable de la condamner à verser à M. [U] [N] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [P] [N] épouse [C] à payer à M. [U] [N] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [P] [N] épouse [C] aux entiers dépens.

Le greffier

Ismérie CAPIEZ

Le président

Véronique DELLELIS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 8 section 4
Numéro d'arrêt : 20/04985
Date de la décision : 17/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-17;20.04985 ?
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