La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/02/2023 | FRANCE | N°20/01695

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 1, 17 février 2023, 20/01695


ARRÊT DU

17 Février 2023







N° 346/23



N° RG 20/01695 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TEMG



SHF/AA

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARRAS

en date du

09 Juillet 2020

(RG 19/00273 -section )











































GROSSE :



aux avocats



le 17 Février 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [L] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Yamin AMARA,avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE:



S.A.R.L. STAPHYT

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représe...

ARRÊT DU

17 Février 2023

N° 346/23

N° RG 20/01695 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TEMG

SHF/AA

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARRAS

en date du

09 Juillet 2020

(RG 19/00273 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 17 Février 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [L] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Yamin AMARA,avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE:

S.A.R.L. STAPHYT

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Maud SIEDLECKI,avocate au barreau d'ARRAS

DÉBATS : à l'audience publique du 07 Décembre 2022

Tenue par Soleine HUNTER-FALCK

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 06/12/2022

La SARL STAPHYT qui a une activité de prestation de services dans le domaine des agrosciences et du conseil réglementaire est soumise à la convention collective des entreprises du négoce et de l'industrie des produits du sol, engrais et produits connexes; elle comprend plus de 10 salariés.

Mme [L] [J] née [C], née en 1961, a été engagée par contrat à durée indéterminée par la SARL STAPHYT le 27.02.2014 sur le poste de Directrice administrative et financière, statut cadre, niveau 1 coefficient 520 à temps complet (35 h par semaine), sous forme de travail annualisé avec 214 jours de travail ainsi que 13 jours de RTT outre les congés payés.

En dernier lieu elle occupait la position de Directrice administrative et financière cadre niveau II coefficient 520.

La moyenne mensuelle des salaires de Mme [L] [J] s'établit à 5250 €.

Par courriel du 16.02.2017, Mme [L] [J] a proposé à son employeur une sortie avec rupture conventionnelle, procédure restée sans suite.

Mme [L] [J] a bénéficié d'un premier arrêt maladie du 19.02 au 04.03.2018 pour soigner un cancer.

Le 21.04.2018, Mme [L] [J] a alerté MM. [S], Gérant, et [A], Directeur général, en évoquant son épuisement professionnel après un incident survenu avec M. [S] le 18.04.2018.

Puis la salariée a été placée en arrêt de travail du 20.04.2018 jusqu'au 27.01.2019 pour un 'état dépressif lié à stress au travail'.

Le 02.07.2018 le conseil des prud'hommes de Arras a été saisi par Mme [L] [J] en résiliation judiciaire du contrat de travail, indemnisation des préjudices subis et pour diverses demandes liées à l'exécution du contrat de travail.

Une demande de reconnaissance de maladie professionnelle a été faite le 02.07.2018 auprès de la MSA qui dans le premier temps le 25.01.2019 a opposé un refus dans l'attente de la décision du Comité régional de reconnaissance de maladie professionnelle (CRRMP) du Nord, avant de confirmer ce refus le 23.04.2019 mais d'accueillir cette demande favorablement le 29.04.2019. La SARL STAPHYT a formé un recours auprès de la Commission de recours amiable à l'encontre de l'avis rendu le 29.04.2019 par le CRRMP.

Le médecin du travail a délivré le 17.12.2018 un avis d'inaptitude au poste en précisant: 'Peut occuper un poste différent ou identique dans une autre entreprise que STAPHYT'.

Le bureau de conciliation a rejeté les demandes provisionnelles formée par la salariée par ordonnance rendue le 06.06.2019.

Le 17.01.2019, l'employeur a adressé à la salariée la liste des emplois disponibles.

Le 29.01.2019 le CSE a été consulté et a suivi l'avis donné par le médecin du travail sur les 5 postes proposés soit 'Les différents postes que vous m'avez listés ne correspondent pas pour moi aux capacités restantes émises.'

Mme [L] [J] a été convoquée par lettre du 30.01.2019 à un entretien préalable fixé le 08.02.2019, l'employeur lui faisant part de l'impossibilité de la reclasser, puis licenciée par son employeur le 15.02.2019 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 20.06.2019, Mme [L] [J] a saisi la formation de référé du conseil des prud'hommes d'Arras en paiement du complément d'indemnité spéciale de licenciement et d'indemnité compensatrice, avec la délivrance sous astreinte des documents de fin de contrat ; ces demandes ont été rejetées par ordonnance du 09.08.2019.

Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d'appel de Douai le 12.08.2020 par Mme [L] [J] à l'encontre du jugement rendu le 09.07.2020 par le conseil de prud'hommes de Arras section Encadrement, notifié le 16.07.2020, qui a :

- DECLARE irrecevables les demandes présentées apr Mme [L] [J] liées au harcèlement moral, au non respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire et des durées maximales de travail, au paiement de l'intéressement et de la participation et de congés payés

- DIT ET JUGE que Madame [J] était soumise aux conditions de mise en 'uvre de l'accord d'entreprise sur les 35 heures ;

- DIT ET JUGE que Madame [J] a effectué des heures supplémentaires

- DEBOUTE Madame [J] de ses demandes de rappels d'heures supplémentaires et de la demande incidente de dommage et intérêts pour repos compensateurs, le conseil de prud'hommes ne pouvant apprécier au vu des éléments communiqués, le quantum de heures supplémentaires prétendument réalisées.

- DEBOUTE Madame [J] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé

- DEBOUTE Madame [J] de sa demande de paiement de la prime bonus

- DEBOUTE Madame [J] de sa demande de dommages et intérêts pour manquements de l'employeur à son obligation de sécurité

- PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- CONDAMNE la SARL STAPHYT à payer à Madame [L] [J] la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour résiliation judiciaire du contrat de travail;

- CONDAMNE la SARL STAPHYT à payer à Madame [L] [J] la somme de 15 750 € bruts à titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 1 575 € bruts de congés payés afférents.

- DEBOUTE Madame [J] de sa demande de complément au titre de l'indemnité spéciale de licenciement.

- CONDAMNE la SARL STAPHYT à payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- DEBOUTE Mme [L] [J] de sa demande au titre de l'article 700 du cpc

- PRECISE que conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal :

. À compter de la demande de réception de la convocation du défendeur devant le bureau de conciliation soit le 04/07/2018 pour toutes les sommes de nature salariale

. À compter du prononcé du jugement pour toute autre somme

- DIT qu'en application des dispositions de l'article R1454-28 du code du travail, la décision est exécutoire dans la limite de 9 mois de salaires pour les sommes visées à l'article R1454-15 du code du travail calculés sur la base du salaire moyen des trois derniers mois soit 5250 €

- CONDAMNE la SARL STAPHYT aux entiers dépens de la procédure.

Vu les conclusions transmises par RPVA le 05.12.2022 par Mme [L] [J] qui demande à la cour de :

Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a :

- Déclaré irrecevables les demandes présentées par Madame [J] liées au harcèlement moral, au non-respect des temps de repos quotidien et hebdomadaires et des durées maximales de travail, au paiement de l'intéressement et de la participation et de congés payés ;

- Débouté Madame [L] [J] de ses demandes de rappels d'heures supplémentaires et de demande incidente de dommages et intérêts pour repos compensateurs, au motif le quantum des heures supplémentaires réalisées n'aurait pas pu être apprécié précisément ;

- Débouté Madame [J] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, au motif qu'elle n'a réclamé le paiement d'heures supplémentaires « que dans le cadre du présent litige » ;

- Débouté Madame [J] de sa demande de paiement de la prime bonus ;

- Débouté Madame [J] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;

- Limité la condamnation de la société à payer à Madame [J] la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur ;

- Limité la condamnation de la société à payer à Madame [J] la somme de 15 750 € bruts outre la somme de 1 575 € bruts à titre de congés payés y afférents ;

- Débouté Madame [J] de sa demande d'indemnité spéciale de licenciement ;

Et statuant à nouveau de :

- DECLARER recevable l'ensemble des demandes de Madame [J], y compris les demandes tendant à la réparation des préjudices liés au harcèlement moral, au préjudice lié au non-respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire, au paiement de l'intéressement et de la participation et de congés payés.

- DEDOUTER la société de sa demande de réouverture des débats ;

Sur les heures supplémentaires :

- DIRE et JUGER que la durée du travail de Madame [J] s'apprécie sur la base de 1600 heures annuelles conformément aux dispositions combinées de son contrat de travail et de l'accord d'entreprise applicable, et que les heures au-delà doivent être rémunérées au titre des heures supplémentaires.

- CONDAMNER la société au paiement de la somme de 230 855,67 € bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre la somme de 23 085,57 € à titre de congés payés afférents ;

- A titre subsidiaire,

o CONSTATER que Madame [J] n'était pas cadre dirigeant ;

o CONSTATER que la convention de forfait annuel en jours est nulle ;

Sur les repos compensateurs :

- CONDAMNER la société au paiement de la somme de 154 181,36 € nets à titre de dommages et intérêts pour repos compensateurs ;

- CONSTATER que Madame [J] n'a pu bénéficier ni du repos compensateur ni de la perception de l'indemnité compensatrice de repos compensateur ;

Sur le travail dissimulé :

- CONDAMNER la société STAPHYT au paiement de la somme de 42 410 € nets correspondant à l'indemnité forfaitaire de 6 mois en application de l'article L.8223-1 du code du travail ;

Sur le non-respect des temps de repos hebdomadaires et des durées maximales de travail:

- CONSTATER que la société STAPHYT n'a pas respecter les temps de repos minima obligatoires de 11heures ni les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail ;

- CONSTATER l'absence de contestation par la société sur le bien-fondé des demandes de Madame [J] ;

- CONDAMNER la société STAPHYT au paiement de la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect des temps de repos hebdomadaire de 11 heures et des durées maximales quotidiennes et hebdomadaire de travail ;

Sur le paiement des bonus dus à Madame [J] :

- CONSTATER que la société a refusé d'effectuer le règlement des bonus octroyés à Madame [J] ;

- CONDAMNER la société STAPHYT au paiement des bonus restant dus à Madame [J] pour un montant de 6 951,29 € nets.

- CONDAMNER la société STAPHYT au paiement de la somme de 1 500 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Sur le harcèlement moral subi par Madame [J] :

- CONSTATER que Madame [J] a subi une situation de harcèlement moral ;

- CONSTATER l'absence de contestation par la société sur le bien-fondé des demandes de Madame [J] ;

- CONDAMNER la société STAPHYT au paiement de la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur :

- CONSTATER que la société STAPHYT a manqué à son obligation légale de sécurité prévue aux articles L.4121-1 et suivants du code du travail ;

- CONDAMNER la société au paiement de la somme de 42 410 € nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;

Sur la rupture du contrat de travail :

1° A titre principal, CONSTATER que :

o l'employeur a gravement manqué à ses obligations ;

o ces manquements justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 15 février 2019, aux torts exclusifs de l'employeurs ;

o la résiliation judiciaire du contrat produit les effets d'un licenciement nul en raison du harcèlement moral subi par la salarié ;

Par conséquent, CONDAMNER la société STAPHYT au paiement des sommes de :

o 28 851,43 € à titre de complément d'indemnité de licenciement ;

o 43 069,56 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 4 306,95 € à titre de congés payées

afférents ;

o 85 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

2° A titre subsidiaire :

- CONSTATER que le licenciement pour inaptitude a pour origine la situation de harcèlement subie par Madame [J] ;

- Par conséquent, REQUALIFIER le licenciement pour inaptitude en licenciement nul;

- CONDAMNER la société STAPHYT au paiement des sommes de :

o 28 851,43 € à titre de complément d'indemnité de licenciement ;

o 43 069,56 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 4 306,95 € à titre de congés payées

afférents ;

o 85 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Sur le paiement de l'intéressement, la participation et les congés payés à raison de la maladie professionnelle

- CONSTATER que Madame [J] n'a pas été destinataire de la prime d'intéressement et de participation pour l'année 2018 ;

- CONSTATER que Madame [J] a été absente en raison d'une maladie d'origine professionnelle ;

- Par conséquent, que son absence est assimilable à du temps de travail effectif pour le paiement de l'intéressement, la participation et l'acquisition des congés payés;

- CONSTATER que la société n'a pas payé à Madame [J] son intéressement et sa participation pour l'année 2018 et 2019, ni indemnisé les congés payés acquis pendant la période: - Par conséquent, CONDAMNER la société STAPHYT au paiement de la somme de :

o 25 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement aux obligations d'informations et de versement des primes d'intéressement et de participation ;

o 11 963,76 € à titre de d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période courant du 20 avril 2018 au 15 février 2019.

- CONDAMNER la société au paiement de la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ORDONNER sous astreinte de 50€ par document et par jour de retard à compter du jugement à intervenir, la communication des fiches de paye rectifiées conformément au dispositif du jugement ;

Vu les conclusions transmises par RPVA le 05.12.2022 par la SARL STAPHYT qui demande de :

- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Arras sauf en ce qu'il a :

o Considéré que Madame [J] avait accompli des heures supplémentaires

o Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail

o Accordé à Madame [J] le paiement d'une somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur

o Accordé à Madame [J] le paiement d'une somme de 15 750 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1575 euros bruts à titre de congés payés sur cette même indemnité

o Condamné la société STAPHYT à verser à Madame [J] une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC

- STATUANT A NOUVEAU ET ACCEUILLANT L'APPEL INCIDENT DE LA SOCIETE STAPHYT,

- INFIRMER LE JUGEMENT SUR LES POINTS CRITIQUES ET :

o DIRE N'Y AVOIR LIEU à résiliation judiciaire du contrat de travail ou, au paiement d'heures supplémentaires ou au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du

CPC au profit de Madame [L] [J]

o DEBOUTER Madame [J] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce qu'elles sont soit mal fondées, soit prescrites, soit irrecevables, soit injustifiées.

o Condamner Madame [L] [J] à rembourser les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire à savoir 15 750 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1 575 euros bruts au titre des congés payés y afférent.

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

- Condamner Madame [J] à verser à la société STAPHYT une somme de 6000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 06.12.2022 prise au visa de l'article 907 du code de procédure civile ;

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

A l'issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION :

EN LA FORME :

Sur la recevabilité des demandes liées au harcèlement moral, au non-respect des temps de repos quotidien et hebdomadaires et des durées maximales de travail, au paiement de l'intéressement et de la participation et de congés payés :

La SARL STAPHYT déclare que ces demandes ont été formées par conclusions postérieurement au dépôt de la requête présentée au conseil des prud'hommes de Arras le 21.10.2019, sans faire l'objet d'une requête distincte alors qu'il s'agissait de demandes additionnelles au sens de l'article 65 du code de procédure civile.

Mme [L] [J] estime que ces demandes, conformément à l'article 70 du code procédure civile, présentent un lien suffisant avec les demandes d'origine, puisqu'elles établissent des manquements de l'employeur et se rattachent à la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail ; par ailleurs la demande de harcèlement moral est en lien avec le comportement de l'employeur, comme celle relative au manquement à l'obligation de sécurité, celles concernant le non-respect des temps de repos quotidien et hebdomadaires et des durées maximales de travail sont le corollaire d'une demande en paiement d'heures supplémentaires, et celles relatives à l'intéressement, à la participation et aux congés payés, découlent de l'arrêt maladie reconnu comme maladie professionnelle.

Selon l'article R. 1452-2 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, la requête est faite, remise ou adressée au greffe du conseil de prud'hommes.

Elle comporte les mentions prescrites à peine de nullité à l'article 58 du code de procédure civile. En outre, elle contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci. Elle est accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l'appui de ses prétentions. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé.

La règle de l'unicité de l'instance, a été abrogée par la loi n°2015-990 du 06.08.2015 et son décret d'application (D. n°2016-660, 20.05.2016). En conséquence, l'article R. 1452-7 du code du travail qui autorisait la présentation de demandes nouvelles même en cause d'appel a été lui aussi abrogé.

Par application de l'article 70 du code de procédure civile, il est possible de présenter des demandes additionnelles si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant, ce qui relève du pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond.

- La demande relative au harcèlement moral ne figurait pas dans la requête présentée par Mme [L] [J] au conseil des prud'hommes, ni dans la requête et les conclusions déposées en vue de l'audience du 16.05.2019 ; elle est venue compléter les demandes formées par la salariée devant le bureau de jugement du conseil des prud'hommes à l'audience du 12.12.2019 et la question a été débattue à cette audience.

Cette demande a un fondement certes distinct de la demande initiale concernant le manquement à l'obligation de résultat, mais elle se rattache à cette demande par un lien suffisant, s'agissant de manquements de l'employeur ayant chacun pour effet la dégradation de l'état de santé du salarié du fait de la dégradation de ses conditions de travail et définis comme des risques psychosociaux.

Cette demande sera déclarée recevable et le jugement infirmé.

- La demande relative au non-respect des temps de repos quotidien et hebdomadaires et des durées maximales de travail, dans les mêmes conditions d'introduction devant le juge prud'homal, se rattache à la demande de rappel d'heures supplémentaires par un lien suffisant s'agissant d'une demande complémentaire.

Cette demande sera déclarée recevable et le jugement infirmé.

- En revanche en ce qui concerne le paiement de l'intéressement et de la participation et de congés payés, ces demandes, qui sont d'ailleurs présentées seulement in fine des conclusions de l'appelante, ne se rattachent à aucune demande figurant dans les requêtes présentées par la salariée par un lien suffisant.

Cette demande sera déclarée irrecevable et le jugement confirmé.

AU FOND :

Sur l'exécution du contrat de travail :

a) Sur les heures supplémentaires :

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il appartient donc au salarié de présenter à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis au sens de l'article 6 du code civil quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences aux dispositions légales et réglementaires déjà rappelées.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Il résulte des dispositions des articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, lus à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que de l'article 4, paragraphe 1, de l'article 11, paragraphe 3, et de l'article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, qu'il incombe à l'employeur, l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.'

Pour justifier de sa demande qui porte de l'année 2015 à l'année 2018, la salariée rappelle que son contrat de travail prévoyait un travail annualisé de 214 jours avec 13 jours de RTT outre les congés ; elle rappelle également les dispositions de l'accord d'entreprise du 02.02.1998 qui stipulait en son article 9 les modalités de la durée du travail s'étalant sur 1600 heures annuelles à raison de 213 jours de 7h50, avec 13 jours de récupération en RTT.

Elle fait valoir des heures supplémentaires sur les heures prestées au delà des 35 heures hebdomadaires en affirmant avoir travaillé régulièrement de 12 à 14 h par jour, l'amplitude horaire de son travail ayant été reconnu par l'employeur lors de l'entretien annuel du 10.11.2016 qui lui a indiqué 'ça ne peut pas continuer comme ceci pour toi' en mentionnant 'une très grosse année effectuée avec une charge de travail très forte' ; cette question a encore été mentionnée dans le courriel du 24.05.2017 adressé à M. [A], le Directeur général, qui lui a répondu 'Il faut effectivement que vous vous reposiez et que vous leviez le pied c'est + que nécessaire' mais encore le 25.10.2017, cette question étant récurrente dans l'entreprise et ayant provoqué le départ inopiné de 4 salariés ainsi qu'il résulte des échanges de courriels de juillet 2017. La salariée expose en effet que cette surcharge est la conséquence de la forte expansion de l'entreprise à partir de 2014, qui est passée en sa présence de 9 entités morales à 21 filiales, l'effectif passant quant à lui de 150 salariés à 450 en 2018. Il en ressort de manière explicite que l'employeur était au courant de sa charge de travail.

Au soutien de sa demande elle produit l'extraction de sa messagerie qui établit entre 2014 et 2018 son amplitude horaire avec des messages envoyés au delà des horaires de travail et même le week end, complété par son agenda professionnel, qui viennent étayer les décomptes produits et le récapitulatif de la demande. Elle constate que la société a reconnu dans ses écritures qu'il n'avait pas été tenu de décompte journalier du temps de travail.

En réplique, Mme [L] [J] conteste avoir eu le statut de cadre dirigeant alors qu'elle bénéficiait d'une convention individuelle de forfait jours, ce qui est évoqué dans les conclusions adverses ; elle oppose en outre le montant de sa rémunération de 4700€ brut à l'embauche ainsi qu'une autonomie réduite ; le société ne peut pas faire valoir le tempérament de la salariée qui l'aurait conduite à un'sur investissement professionnel' alors même qu'il appartenait à l'employeur de contrôler la durée du travail qu'elle réalisait pour son compte ; en toute hypothèse, l'accord d'entreprise devait garantir le contrôle de la charge et de l'amplitude de travail à défaut de quoi la durée du travail devait être fixée à 35h par semaine ; les éléments produits sont des justificatifs pertinents et cohérents notamment pour la semaine 2 de l'année 2018.

Mme [L] [J] précise que la demande prud'homale ayant été introduire le 02.07.2018, ses demandes peuvent remonter trois ans auparavant en application des règles de la prescription triennale, soit au 02.07.2015, alors même que le temps de travail étant annualisé, la salariée n'avait connaissance des heures supplémentaires qu'en fin d'année ce qui autorise la prise en compte de la période antérieure.

La SARL STAPHYT oppose la prescription triennale pour contester les demandes antérieures au 02.07.2015.

La salariée était de fait un cadre dirigeant en application des dispositions de l'article L 3111-2 du code du travail, et elle n'était pas soumise à la législation sur la durée du travail ; elle exerçait les fonctions de Directrice administrative et financière cadre au niveau 1 coefficient 520 de la convention collective, en étant placée sous la hiérarchie directe du Directeur général, et en dirigeant 6 services ; sa rémunération mensuelle figurait parmi les plus élevées de l'entreprise avec celle du Directeur technique et du Directeur commercial ; elle gérait en toute indépendance son emploi du temps ce qui lui permettait de prendre des rendez vous privés sans autorisation d'absence ce dont il est justifié, et elle faisait régulièrement du télétravail.

La société relève que l'agenda professionnel ne fait pas état d'heures supplémentaires ou de travail le week end ; le tableau récapitulatif se borne à mentionner un montant forfaitaire et identique chaque semaine ce qui n'est pas crédible ; il comporte des erreurs eu égard aux congés payés, aux rendez vous personnels pris en pleine journée, à l'absence de tâches mentionnées dans l'agenda professionnel ; Mme [L] [J] avait accès à ses courriels en permanence depuis son téléphone portable ce qui ne justifiait pas une amplitude continue de travail.

Sur ce, le forfait jours n'est pas applicable aux dirigeants et la société n'est donc pas en mesure d'opposer le statut de cadre dirigeant à la salariée pour combattre la demande formée au titre des heures supplémentaires eu égard aux dispositions contractuelles ; en outre, même si elle occupait les fonctions fonctions de Directrice administrative et financière cadre, et si elle était placée directement sous la hiérarchie du Directeur général, son autonomie de décision n'est pas démontrée, la société se prévalant uniquement d'une autonomie en terme d'organisation du temps de travail, étant précisé que le télétravail largement répandu n'est pas un critère suffisant.

En revanche en ce qui concerne la prescription de la demande, c'est à bon droit que la société fait valoir la prescription triennale dès lors que le calcul des heures supplémentaires se fait à la semaine même si le décompte annuel, s'agissant d'un temps de travail annualisé. est présenté en fin d'année.

Les tableaux et courriels produits par la salariée constituent des éléments suffisamment précis et détaillés pour permettre à l'employeur d'y répondre, ce qu'il fait, Mme [L] [J] apportant de son côté des répliques pertinentes dans ses dernières conclusions. S'il appartenait à l'employeur de mettre en place un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier, il n'en n'est pas justifié.

Néanmoins, les heures supplémentaires se décomptent par semaine civile, en application de l'article L.3121-20 du code du travail, et il appartenait à la salariée de transmettre un décompte cohérent avec son emploi du temps qui comprenait des rendez vous personnels ainsi qu'il a été démontré par l'employeur, et qui ne pouvait pas se traduire par un nombre d'heures supplémentaires constant chaque semaine tout au long de la période, même si d'évidence son travail ne se limitait pas à la transmission des courriels qui étaient tracés dans la messagerie.

Il en résulte que la demande formée par Mme [L] [J] sera réduite en conséquence pour s'établir à la somme de :

- 2015 : 17.008,79 €

- 2016 : 57.352,58 €

- 2017 : 53.624,88 €

- 2018 : 18.348 €

Soit un total de 146.334,25 €

somme au paiement de laquelle il convient de condamner la société outre les congés payés afférents.

b) Sur les repos compensateurs :

Mme [L] [J] fait valoir des repos compensateurs dès lors qu'elle a dépassé le contingent annuel de 130h par an d'heures supplémentaires.

La société conteste cette demande en l'absence d'heures supplémentaires, et en raison de la prescription partielle de la demande ; elle déclare que la société n'avait pas sollicité la réalisation d'heures supplémentaires.

Cependant, il résulte explicitement des différents courriels produits et adressés au Directeur général à plusieurs reprises durant l'exécution du contrat de travail, ainsi que des termes de l'évaluation professionnelle de 2016, que non seulement l'employeur était informé de l'important dépassement horaire réalisé régulièrement par la salariée, mais qu'il s'est borné à l'inciter par écrit à réduire son rythme de travail sans pour autant alléger sa charge de travail ni donner à la salariée suffisamment de moyens pour y faire face.

La SARL STAPHYT sera condamnée à verser au titre des repos compensateurs :

- 2015 262,21 h - 130 = 132,21 h : 6.164,32 €

- 2016 873,30 h - 130 = 743,30 h : 34.652,64 €

- 2017 820,50 h -130 = 690,50 h : 32.191,10 €

- 2018 277,35h - 130 = 147,35 h : 6.870,23 €

soit au total 79.878,29 € outre les congés payés.

c) Sur le travail dissimulé :

Est interdit le travail totalement ou partiellement dissimulé tel que défini aux articles L 8221-3 et L 8221-5 du code du travail. Cependant il appartient au salarié de démontrer l'intention frauduleuse de l'employeur ce qu'il ne fait pas, cette intention frauduleuse ne pouvant découler du seul fait que le salarié a accompli des heures supplémentaires.

Mme [L] [J] invoque sa surcharge de travail continuelle et connue de l'employeur, le non respect des dispositions contractuelles et conventionnelles.

La société se défend d'avoir intentionnellement mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réalisé, en l'absence de réclamation de la salariée.

Or il est constant que la salariée bénéficiait d'une grande autonomie dans l'organisation de son travail et pouvait prendre des rendez vous personnels en journée, son agenda professionnel n'ayant pas fait mention des dépassements horaires réitérés, même s'il en est justifé par ailleurs.

L'intention frauduleuse n'est donc pas démontrée et la demande sera rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

d) Sur le non respect des temps de repos hebdomadaires et des durées maximales de travail :

Il est constant, au vu des documents produits, que les dispositions de l'article L 3131-1 du code du travail relatif au temps de repos quotidien obligatoire de 11 heures n'a pas été respecté régulièrement, et qu'en outre la salarié a été contrainte de travailler certains week ends.

Peu importe que la salariée n'ait réclamé que tardivement la réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de sa charge de travail trop élevée et l'ayant contrainte à réaliser des horaires de travail excessifs, son préjudice est de ce fait établi et il résulte en outre de la dégradation de son état de santé qui est établi par ailleurs. Il sera justement réparé par l'octroi de la somme de 5.000 € et le jugement sera infirmé.

e) Sur les bonus :

Mme [L] [J] fait valoir l'existence d'un système de bonus dont la réalité est démontrée par le courriel reçu le 24.03.2014 l'informant du système en place dans l'entreprise, mais aussi celui du 13.06.2014 demandant aux managers leur avis afin d'organiser la distribution en fonction des performances, celui émanant de Mme [B], RRH du 25.02.2015 : 'Voici le lien du fichier concernant les Bonus', de même que celui du 10.11.2015, et tout particulièrement celui du Directeur général concernant son propre bonus le 30.06.2015 et d'autres courriels sont encore produits sur ce sujet jusqu'au 19.03.2018.

Le principe même de l'attribution de bonus dans l'entreprise est acquis, les responsables de chaque service faisant des propositions d'attribution à chaque salarié du service, eux même recevant leurs bonus fixés par la Direction.

En ce qui concerne la salariée, elle justifie de l'existence d'un fichier partagé intitulé 'BKR' à compter de novembre 2015 ; elle a formé une dernière demande par un courriel du 23.04.2018.

Cependant dans le courrier adressé le 19.12.2018, la SARL STAPHYT déclare qu'il n'a jamais été question de versement de primes exceptionnelles depuis son entrée dans la société, ce que réfute la salariée dans le courriel du 31.01.2019 dans lequel elle récapitule les modalités du versement des bonus annuels.

Mme [L] [J] verse aux débats le fichier BKR au mois d'avril 2018 faisant apparaître un solde en sa faveur de 6.951,29 € et qui mentionne explicitement à son crédit le versement de prime / prime bonus exceptionnel / bonus 2017.

Elle n'a pas produit ses bulletins de paie, cependant la société expose ne pas avoir versé ces bonus, qui sont dus ; la société sera donc condamnée au paiement de la somme réclamée et le jugement sera infirmé, précision étant faite que la somme sera allouée en brut à défaut pour la salariée de démontrer qu'elle aurait bénéficié de cette créance salariale en net auparavant.

Pour le surplus, Mme [L] [J] ne démontre pas la réalité du préjudice subi, distinct des intérêts moratoires, du fait de la résistance de l'employeur ; la demande sera écartée et le jugement confirmé.

f) Sur le harcèlement moral :

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral. Le juge ne doit pas seulement examiner chaque fait invoqué par le salarié de façon isolée mais également les analyser dans leur ensemble, c'est-à-dire les apprécier dans leur globalité, puisque des éléments, qui isolément paraissent insignifiants, peuvent une fois réunis, constituer une situation de harcèlement.

Si la preuve est libre en matière prud'homale, le salarié qui s'estime victime de harcèlement moral est tenu d'établir la matérialité des éléments de faits précis et concordants qu'il présente au soutien de ses allégations afin de mettre en mesure la partie défenderesse de s'expliquer sur les agissements qui lui sont reprochés.

A l'appui de sa demande, Mme [L] [J] invoque la surcharge de travail non remise en cause par l'employeur resté dans l'inaction devant les difficultés qu'elle signalait, cette surcharge constituant un mode de fonctionnement dans l'entreprise ainsi qu'il ressort des échanges de courriels sur la colère de certains salariés en avril 2018 ou le départ d'une équipe entière en CZ en juillet 2017 ; elle rappelle avoir régulièrement dénoncé cette surcharge notamment lors de son entretien du 10.11.2016, sans s'opposer au recrutement d'un contrôleur de gestion, processus qui a pris du temps entre juin et décembre 2017 ; elle invoque ses courriels dénonçant explicitement cette surcharge et la réponse de l'employeur en mai 2017. Mme [D], coordinatrice manager anciennement assistante RH, atteste de l'altercation survenue le 18.04.2018, Mme [L] [J] quittant le bureau de M. [S] en pleurs, ce que celle ci a dénoncé par courriel du 21 avril, et ce qui est confirmé par M. [N]. Compte tenu de la dégradation de ses conditions de travail, sa santé a été atteinte, ainsi qu'il est établi par le long arrêt maladie qui a suivi en lien avec son épuisement professionnel ; elle a été contrainte d'être suivie par un médecin psychiatre à partir d'avril 2018 ; elle a été licenciée pour inaptitude, le caractère professionnel de la maladie ayant été reconnu par la MSA.

Ces éléments précis et concordants sont matériellement établis et peuvent laisser présumer, pris dans leur ensemble, l'existence d'un harcèlement moral.

En réponse, la société fait valoir à titre subsidiaire que Mme [L] [J] ne présente aucun élément sérieux permettant de mettre en évidence le harcèlement moral.

La salariée précise néanmoins que tous subissaient une surcharge de travail qui était généralisée dans l'entreprise, ce qui a conduit à la démission de l'équipe en République Tchèque (la CZ), le Directeur technique indiquant que cette situation devait 'servir de leçon et de catalyseur pour que d'autres équipes en souffrance ne nous fassent pas subir d'autres déconvenues rapidement'; cette situation est encore dénoncée notamment par M. [X] 'responsable technique seeds' le 16.04.2018, par Mme [Y] le 30.03.2018 qui a également quitté la société, par M. [N] notamment, la salariée ayant fait remonter ces difficultés le 24.05.2017. Elle conteste l'attestation délivrée par Mme [E] qui prétend ne pas avoir entendu le ton agressif adopté par M. [S] à son encontre le 20.04.2018, alors que l'altercation est intervenue le 18 avril, et qu'elle justifie de courriels de soutien de collègues en date du jour même.

En raison de l'existence d'une surcharge de travail généralisée dans l'entreprise sur les années 2017 et 2018, sont établis les agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité des salariés concernés et plus particulièrement de Mme [L] [J], et d'altérer sa santé physique ou mentale.

En réparation du préjudice subi, la SARL STAPHYT sera condamnée au paiement de la somme de 5.000 € ; le jugement sera infirmé.

g) Sur le manquement à l'obligation de sécurité :

L'employeur prend, en application de l'article L 4121-1 du code du travail, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : des actions de prévention des risques professionnels ; des actions d'information et de formation ; la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En conséquence la responsabilité de l'employeur est engagée sauf à prouver : la faute exclusive de la victime ou l'existence de circonstances relevant de la force majeure, imprévisibles, irrésistibles et extérieures. Il suffit que l'employeur manque à l'une de ses obligations en matière de sécurité pour qu'il engage sa responsabilité civile même s'il n'en est résulté ni accident du travail ni maladie professionnelle. Pour satisfaire à son obligation de résultat l'employeur doit vérifier : les risques présentés par l'environnement de travail, les contraintes et dangers liés aux postes de travail, les effets de l'organisation du travail, la santé des salariés, les relations du travail.

La simple constatation du manquement à l'obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l'employeur. Mais encore faut-il que la victime apporte la preuve de l'existence de deux éléments': la conscience du danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur (ou son préposé substitué) auquel il exposait ses salariés'; l'absence de mesures de prévention et de protection.

De même Mme [L] [J] fait valoir l'inertie de son employeur, le non respect des temps de repos quotidiens et des durées maximales de travail, l'absence de suivi et d'aménagement de la charge de travail, et de mesures de prévention et d'information sur le lieu de travail, les agissements dont elle a été victime ; elle déclare que le préjudice subi résulte des manquements de l'employeur qui généraient par eux même un préjudice.

Selon la SARL STAPHYT, c'est Mme [L] [J] elle même qui manifestait une attitude vindicative à l'encontre de Mme [B], responsable RH, ainsi que le rapporte Mme [E] ; la société conteste tout incident le 18.04.2018 au vu du témoignage de Mme [E], les messages de Mme [D] et de M. [N] étant manipulés pour les besoins de la cause ; elle rappelle que la salariée avait été soignée pour un cancer fin 2017 ce qui a pu justifier la prise de médicaments antidépresseurs ainsi que la demande de rupture conventionnelle ; la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation sur les maladies professionnelle est toujours contestée devant la Commission de recours amiable. La société, pour établir les bonnes pratiques au sein de l'entreprise, mentionne le sondage 'bien être' auquel il a été procédé en 2017 auprès de 19 salariés qui se sont déclarés satisfaits à 83%, ce qui est confirmé par les attestations délivrées par MM. [W], [M], [U], [N], et Mme [K]. Pour soulager Mme [L] [J], il lui a été proposé de recourir au télétravail 2 à 3 jours par semaine, les réunions n'étaient pas programmées tôt le matin ni tard le soir ainsi que cela ressort de l'agenda de la salariée, certaines de ses missions ont été externalisées : il a été décidé d'externaliser la paie en janvier 2017, le projet ERP a été délégué à M. A. [S] fin 2017 ; en outre des salariés ont été recrutés de 2016 à 2018 (Mme [F], Mme [T], M. [V]), et Mme [B] RRH est passée à temps complet. La société évoque les carences professionnelles de Mme [L] [J] qui n'a pas su gérer ses priorités ni s'organiser.

Cependant, la société ayant été informée des problèmes de santé de sa salariée fin 2017, mais bien plus, de la surcharge de travail existant dans l'entreprise,et dont celle-ci se plaignait qui est démontrée ne serait ce que par les courriels et constats de la Direction, n'a pas pris les moyens suffisants pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de Mme [L] [J] avant son arrêt maladie en avril 2018 ; les attestations de MM. [W] et [M] n'ont été établies qu'à la fin de l'année 2018, celle de Mme [K] mentionne qu'il y a bien eu des années plus compliquées que d'autres dans cette entreprise en pleine croissance.

Le manquement de l'employeur est établi ; la dégradation de l'état de santé de la salariée également, qui a été considéré comme relevant d'un maladie professionnel au présent stade de la procédure ; le préjudice est donc également démontré. La société sera condamnée au paiement de la somme de 3.000 € en réparation du préjudice subi et le jugement sera infirmé.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

La demande de résiliation judiciaire étant antérieure au licenciement, son bien fondé doit être vérifié dans un premier temps et, seulement si elle s'avère infondée, le licenciement sera examiné.

En cas d'inexécution de ses obligations contractuelles par l'employeur, le salarié peut saisir le conseil des prud'hommes afin d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat aux torts de l'employeur sur le fondement des articles 1224 à 1230 nouveaux (article 1184 ancien du code civil).

Lorsque les manquements sont établis et d'une gravité suffisante, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Lorsqu'en revanche, les manquements invoqués par le salarié ne sont pas établis ou ne présentent pas un caractère de gravité suffisant, le juge doit purement et simplement débouter le salarié de sa demande. Le contrat de travail n'étant pas résilié, son exécution se poursuivra.

La résiliation judiciaire produit effet au jour où le juge la prononce, dès lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur.

En présence d'un harcèlement moral reconnu judiciairement, mais également d'un manquement à l'obligation de sécurité, et enfin du non paiement conséquent d'heures supplémentaires, la résiliation du contrat de travail aux torts de la SARL STAPHYT doit être prononcée ; il produira les effets d'un licenciement nul à la date du licenciement soit le 15.02.2019.

Mme [L] [J] a droit aux indemnités de rupture (licenciement et préavis) qui tiendront compte des heures supplémentaires reconnues, et à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail, ainsi qu'il est prévu au présent dispositif. Il sera fait droit en l'état au doublement de l'indemnité de licenciement en application de l'article L 1226-14 du code du travail, avec déduction du montant déjà versé soit en réalité la somme de 6.772,50 €. Il sera fait droit enfin à la demande d'indemnité pour licenciement nul, limitée à 6 mois de salaire comme réclamée, cette somme à caractère indemnitaire étant nette de tous prélèvements sociaux.

Il est fait droit à la demande de remise des fiches de paie rectifiées sous forme d'un bulletin de paie récapitulatif, sans que l'astreinte soit nécessaire.

Il serait inéquitable que Mme [L] [J] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SARL STAPHYT qui succombe doit en être déboutée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Confirme le jugement rendu le 09.07.2020 par le conseil de prud'hommes de Arras section Encadrement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes en paiement de l'intéressement et de la participation et de congés payés, en ce qu'il a rejeté la demande au titre du travail dissimulé, du préjudice pour non versement des bonus,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevables les demandes liées au harcèlement moral, et au non-respect des temps de repos quotidien et hebdomadaires et des durées maximales de travail ;

Condamne en conséquence la société STAPHYT à payer à Mme [L] [J] les sommes de:

- 146.334,25 € au titre des heures supplémentaires, outre 14.633,42 € pour les congés payés afférents ;

- 79.878,29 € au titre des repos compensateurs, outre 7.987,82 € pour les congés payés;

- 5.000 € en réparation du préjudice subi du fait du non respect des temps de repos hebdomadaires et des durées maximales de travail ;

- 6.951,29 € au titre des bonus impayés ;

- 5.000 € au titre du harcèlement moral ;

- 3.000 € au titre du manquement à l'obligation de sécurité ;

- 28.523,30 € à titre de complément d'indemnité de licenciement ;

- 43.069,56 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 4.306,95 € à titre de congés payées afférents ;

- 85.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire, à compter du présent arrêt ;

Dit que la société STAPHYT devra transmettre à Mme [L] [J] dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision un bulletin de salaire récapitulatif ;

Rejette les autres demandes ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société STAPHYT à payer à Mme [L] [J] la somme de 3.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamne la société STAPHYT aux dépens.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Soleine HUNTER-FALCK


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 1
Numéro d'arrêt : 20/01695
Date de la décision : 17/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-17;20.01695 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award