AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
COUR D'APPEL DE DOUAI
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT EN MATIÈRE
DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
minute n° 10/23
n° RG : 22/0016
A l'audience publique du 12 avril 2023 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :
Sur la requête de :
M. [V] [G], né le [Date naissance 2] 1972, à [Localité 7] (Belgique)
demeurant [Adresse 1] (BELGIQUE)
ayant pour avocat Me Thierry CHAMON, avocat au barreau du Val de Marne, demeurant [Adresse 4]
Les débats ayant eu lieu à l'audience du 22 mars 2023, à 10 heures
L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;
En présence de :
MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,
représenté par M. Michel REGNIER, avocat général
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Direction des affaires juridiques
dont le siège est situé Sous Direction du Droit Privé
[Adresse 5]
[Localité 3]
ayant pour avocat Me Dimitri DEREGNAUCOURT, avocat au barreau de Douai
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Exposé de la cause
Par requête reçue au greffe de la cour d'appel le 25 mai 2022, M. [V] [G] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.
Par ordonnance en date du 9 mars 2016, M. [G] a été mis en examen et placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Lille pour :
- association de malfaiteurs en vue de la commission de délits punis de dix ans d'emprisonnement ;
- escroqueries et tentative d'escroquerie en bande organisée ;
- blanchiment en bande organisée d'un crime ou d'un délit.
Par ordonnance en date du 21 juin 2016, M. [G] a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Par ordonnance en date du 11 août 2021, le magistrat instructeur du tribunal judiciaire de Lille a dit d'y avoir lieu à suivre contre quiconque.
La détention provisoire de M. [G] a donc duré du 10 mars 2016 (date de l'écrou) au 21 juin suivant (date de la remise en liberté), soit pendant 104 jours.
Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :
- 50.000 € en réparation de son préjudice moral ;
- 12.000 € en réparation de son préjudice matériel ;
- 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions reçues au greffe de la cour d'appel, l'agent judiciaire de l'Etat propose que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 8.000 €, que son préjudice matériel le soit à hauteur de 6.000 € et conclut, par ailleurs, à la minoration de l'indemnisation sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions en date du 26 octobre 2022, le ministère public requiert que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 8.000 € et indique s'en rapporter aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat s'agissant des autres demandes.
Au terme des débats tenus le 22 mars 2023, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 12 avril 2023.
Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,
vidant son délibéré à l'audience de ce jour,
SUR CE,
Sur la recevabilité :
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.
En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.
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En l'espèce, la décision prononçant le non-lieu à poursuivre rendue le 11 août 2021 n'a pas été frappée d'appel comme l'atteste le certificat de non-appel en date du 20 février 2023 établi par le greffier du tribunal judiciaire de Lille. Cette décision est donc définitive. M. [G] a déposé sa requête en indemnisation le 25 mai 2022, soit postérieurement au délai de 6 mois prévu par les textes.
Toutefois, il convient de relever que la décision ne vise pas les dispositions des articles 149 et suivants du code de procédure pénale, conformément à l'article R. 26 du même code, de sorte que le délai de 6 mois ne peut être opposé au requérant. De plus, M. [G] a, dans le délai de 6 mois, formulé une demande d'aide juridictionnelle, qui lui a été accordée le 24 janvier 2022.
En conséquence, la décision susvisée du 11 août 2021 est définitive et la requête de M. [G] est recevable
Sur le préjudice moral :
Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.
La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.
En l'espèce, il y a lieu de tenir compte de l'âge de M. [G] (34 ans) au moment de son incarcération. Il convient aussi de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire français de M. [G] ne porte mention d'aucune condamnation de sorte qu'il s'agissait effectivement d'une première incarcération en France. Bien qu'il ait été fait mention lors des débats d'un casier judiciaire belge non vierge, l'absence de cette pièce au dossier ne permet pas d'établir un passé carcéral de nature à minorer le préjudice.
De plus, l'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public relèvent que M. [G] aurait été incarcéré dans la même cellule que ses cousins, MM. [I] [C] et [Z] [G]. Néanmoins, aucune pièce du dossier ne permet de le vérifier.
Le requérant, de nationalité belge, fait aussi valoir que son préjudice s'est trouvé aggravé par la privation de vie privée et l'éloignement familial. Il soutient que sa famille, notamment sa mère malade, est restée en Belgique et qu'il n'a reçu aucune visite du fait de cet éloignement géographique. Il ajoute qu'avant son incarcération, il s'occupait de sa mère, frappée par la maladie d'Alzheimer, ce qui a rendu sa détention d'autant plus difficile. Ces éléments sont effectivement de nature à aggraver son préjudice moral.
En outre, M. [G] soutient avoir subi des conditions de détention dégradantes en raison d'une surpopulation carcérale et de mauvaises conditions d'hygiène et de salubrité au sein de la maison d'arrêt de [Localité 8]. Cependant, à l'appui de ses allégations, il ne produit pas de pièce justificative. Dès lors, le requérant ne démontre pas le caractère particulièrement difficile de ses conditions de détention.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [G] la somme de 12.000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel :
Au titre du préjudice matériel, M. [G] demande l'indemnisation au titre de ses frais de défense.
Les honoraires et frais annexes de l'avocat, au titre du préjudice causé par une détention injustifiée, peuvent être indemnisés pour autant qu'ils rémunèrent ou défraient des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin.
En l'espèce, deux factures de Me Thierry CHAMON sont versées aux débats :
- la facture n° 10.03.2016 en date du 24 mars 2016 d'un montant de 6.000 euros TTC intitulée « Procédure d'instruction correctionnelle (J.I.R.S [Localité 6]) » faisant état de « frais d'ouverture de dossier », « demande de copie de dossier », « étude du dossier », « visite maison d'arrêt de [Localité 6]-[Localité 8] » et « préparation et assistances aux interrogatoires de fond à venir » ;
- la facture n° 12.06.2016 en date du 22 juin 2016 d'un montant de 6.000 euros TTC intitulée « contentieux de la liberté » faisant état de « demande de mis en liberté », « diligences aux fins d'exercer la voie d'appel, rédaction d'un mémoire par devant la cour d'appel de Douai »,
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- « audience du 18 mai 2016 ' chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai », « débat contradictoire du 20 juin 2016 par devant le juge des libertés et de la détention ».
Il apparaît que la facture n° 10.03.2016 mentionne des diligences qui ne sont pas directement liées aux contentieux de privation de liberté et ne peut donc pas donner lieu à indemnisation.
En revanche, la facture n° 12.06.2016 mentionne différentes diligences portant toutes sur la remise en liberté de M. [G].
En conséquence, il y a lieu d'allouer à M. [G] la somme de 6.000 € au titre des frais de défense.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il sera alloué à M. [G] la somme de mille euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.
Sur les dépens :
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS,
Après débats en audience publique,
statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARONS recevable la requête de M. [V] [G];
ALLOUONS à M. [V] [G] la somme de douze mille euros (12.000 €) au titre de son préjudice moral;
ALLOUONS à M. [V] [G] la somme de six mille euros (6.000 €) au titre des frais de défense ;
ALLOUONS à M. [V] [G] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 12 avril 2023,
en présence de M. Michel REGNIER, avocat général,
assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.
le greffier Le premier président
C. BERQUET J. SEITHER