AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
COUR D'APPEL DE DOUAI
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT EN MATIÈRE
DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
minute n° 09/23
n° RG : 22/0017
A l'audience publique du 12 avril 2023 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :
Sur la requête de :
M. [H] [Z], né le [Date naissance 1] 1995, à [Localité 4] (Afghanistan)
domicilié au cabinet de son avocat Me [M] [E] demeurant [Adresse 2]
ayant pour avocat Me Salim BENMBAREK, avocat au barreau d'Avesnes sur Helpe, demeurant [Adresse 2]
Les débats ayant eu lieu à l'audience du 15 février 2023 à 10 heures
L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;
En présence de :
MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,
représenté par M. Michel REGNIER, avocat général
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Direction des affaires juridiques
dont le siège est situé Sous Direction du Droit Privé
[Adresse 3]
[Adresse 3]
ayant pour avocat Me Dimitri DEREGNAUCOURT, avocat au barreau de Douai
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Exposé de la cause
Par requête reçue au greffe de la cour d'appel de Douai le 27 mai 2022, M. [H] [Z] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.
M. [Z] a été mis en examen pour :
- actes de pénétration sexuelle par violence sur mineur de moins de 15 ans ;
- tentative de pénétration sexuelle sur mineur de moins de 15 ans.
Par ordonnance en date du 30 septembre 2019, il a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Valenciennes.
Par ordonnance en date du 21 août 2020, M. [Z] a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Par ordonnance en date du 29 novembre 2021, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Valenciennes a prononcé un non-lieu à poursuites.
La détention provisoire de M. [Z] a donc duré du 30 septembre 2019 (date du placement en détention provisoire) au 21 août 2020 (date du placement sous contrôle judiciaire), soit pendant 327 jours.
Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :
- 60.000 € en réparation de son préjudice moral ;
- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions reçues au greffe de la cour d'appel, l'agent judiciaire de l'Etat conclut à l'irrecevabilité de la requête faute de production du certificat de non appel.
A titre subsidiaire, il propose que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 21.000 € et conclut, par ailleurs, à la minoration de l'indemnisation sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions en date du 26 octobre 2022, le ministère public requiert qu'en l'état, et à défaut de production de certificat de non-appel, la requête soit déclarée irrecevable en la forme.
Subsidiairement, si le caractère définitif de la décision venait à être justifié, il propose que le préjudice moral de M. [Z] soit indemnisé à hauteur de 25.000 € et indique s'en rapporter aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat s'agissant des autres demandes.
Au terme des débats tenus le 15 février 2023, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 12 avril 2023.
Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,
vidant son délibéré à l'audience de ce jour,
SUR CE,
Sur la recevabilité :
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.
En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant
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que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.
En l'espèce, la requête a été déposée le 27 mai 2022, soit dans le délai de six mois suivant l'ordonnance de non-lieu du tribunal judiciaire de Valenciennes rendue le 29 novembre 2021.
Figure au dossier un certificat en date du 15 février 2023 établi par le greffier du tribunal judiciaire de Valenciennes attestant qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre de la décision précitée.
En conséquence, la décision est définitive et la requête ayant été présentée dans le délai légal, il y a lieu de la déclarer recevable.
Sur le préjudice moral :
Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.
La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée.
Par ailleurs, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération est minorée par le passé carcéral de la personne détenue.
En l'espèce, M. [Z] expose qu'il était âgé de 24 ans et 8 mois lors de son incarcération.
Il convient, tout d'abord, de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de M. [Z] ne porte mention d'aucune condamnation de sorte qu'il s'agissait effectivement d'une première incarcération. La souffrance morale résultant du choc d'un premier placement en détention s'en est donc trouvée aggravée.
Il convient, ensuite, de rappeler que tout placement en détention provisoire entraîne l'isolement moral et la confrontation avec un milieu carcéral difficile.
M. [Z] soutient avoir souffert de conditions de détention difficiles au sein de la maison d'arrêt de [Localité 5]. Il fait valoir qu'il avait froid et qu'il partageait sa cellule de 9m² avec un autre détenu. Cependant, M. [Z] ne produit pas aux débats la démonstration d'une situation exceptionnelle et personnelle de nature à dépasser les conséquences inéluctables mais habituelles d'une incarcération. Il en est de même des allégations de racket et d'agressions de la part des autres détenus même si les motifs de la détention provisoire - une infraction sexuelle - expose souvent leurs auteurs à des brimades.
Il fait valoir que son préjudice s'est trouvé aggravé par la privation de vie privée et l'éloignement familial étant précisé que sa famille est restée en Afghanistan et qu'il n'a pas bénéficié de visite durant l'intégralité de sa détention. L'éloignement familial ainsi que son jeune âge sont de nature à aggraver le préjudice de M. [Z].
Il s'est également retrouvé isolé de ses codétenus et du personnel pénitentiaire en raison de sa nationalité étrangère et de son incapacité à communiquer en langue française. L'isolement linguistique et culturel est aussi de nature à majorer le préjudice moral.
Enfin, M. [Z] fait valoir que sa souffrance psychologique liée à la privation de liberté n'a pu être traitée par un psychologue lors de son incarcération du fait qu'il ne parlait français. Ce point n'est pas contesté.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [Z] la somme de 27.000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il sera alloué à M. [H] [Z] la somme de mille euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.
Sur les dépens :
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.
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PAR CES MOTIFS,
Après débats en audience publique,
statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARONS recevable la requête de M. [H] [Z] ;
ALLOUONS à M. [H] [Z] la somme de vingt-sept mille euros (27.000 €) au titre de son préjudice moral ;
ALLOUONS à M. [H] [Z] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 12 avril 2023,
en présence de M. Michel REGNIER, avocat général,
assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.
Le greffier Le premier président
C. BERQUET J. SEITHER