AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
COUR D'APPEL DE DOUAI
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT EN MATIÈRE
DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
minute n° 12/23
n° RG : 22/0020
A l'audience publique du 12 avril 2023 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :
Sur la requête de :
M. [L] [K], né le [Date naissance 2] 1982, à [Localité 5]
demeurant [Adresse 1]
ayant pour avocat Me Tiffany DHUIEGE, avocat au barreau de Lille, demeurant [Adresse 6]
Les débats ayant eu lieu à l'audience du 22 mars 2023, à 10 heures
L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;
En présence de :
MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,
représenté par M. Michel REGNIER, avocat général
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Direction des affaires juridiques
dont le siège est situé [Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
ayant pour avocat Me Dimitri DEREGNAUCOURT, avocat au barreau de Douai
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Exposé de la cause
Par requête reçue au greffe de la cour d'appel le 23 juin 2022, M. [L] [K] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.
Par ordonnance en date du 28 avril 2018, M. [K] a été mis en examen et placé en détention provisoire pour :
- complicité d'importation non autorisée de stupéfiants ;
- complicité de détention non autorisée de stupéfiants ;
- participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement.
Par ordonnance en date du 25 juin 2018, M. [K] a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Par jugement en date du 27 avril 2022, le tribunal correctionnel de Lille l'a relaxé des fins de la poursuite.
La détention provisoire du requérant a donc duré du 28 avril 2018 (date du placement en détention provisoire) au 25 juin suivant (date de libération et de placement sous contrôle judiciaire), soit pendant 59 jours.
Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :
- 11.600 € en réparation de son préjudice moral ;
- 2.900 € en réparation de son préjudice matériel ;
- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions reçues au greffe de la cour d'appel le 5 octobre 2022, l'agent judiciaire de l'Etat propose que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 4.500 €, qu'il soit débouté de sa demande au titre du préjudice matériel et conclut, par ailleurs, à la minoration de l'indemnisation sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions en date du 18 octobre 2022, le ministère public requiert que le préjudice moral de M. [K] soit indemnisé à hauteur de 4.500 € et indique s'en rapporter aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat s'agissant des autres demandes.
Au terme des débats tenus le 22 mars 2023, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 12 avril 2023.
Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,
vidant son délibéré à l'audience de ce jour,
SUR CE,
Sur la recevabilité :
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.
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En l'espèce, la décision de relaxe du tribunal correctionnel de Lille en date du 27 avril 2022 ne vise pas les dispositions des articles 149 et suivants du code de procédure pénale, conformément à l'article R. 26 du même code, de sorte que le délai de 6 mois ne saurait être exigé.
Figure au dossier un certificat en date du 25 octobre 2022 établi par le greffier du tribunal
judiciaire de Lille attestant qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre de la décision précitée.
En conséquence, la décision de relaxe du 27 avril 2022 est définitive et la requête est recevable.
Sur le préjudice moral :
Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.
La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.
Il convient, tout d'abord, de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de M. [K] porte mention de onze condamnations :
- le 27 octobre 2000, par le tribunal correctionnel d'Avignon, à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis pour des faits de vol aggravé par deux circonstances et port prohibé d'arme de catégorie 6 ;
- le 13 décembre 2000, par le tribunal correctionnel de Béziers, à une peine de 5.000 francs d'amende pour des faits de vol ;
- le 19 mars 2002, par le tribunal correctionnel de Caen, à une peine de confiscation de l'objet de l'infraction à titre principal pour des faits d'acquisition de chien d'attaque et détention de chien d'attaque non stérilisé ;
- le 18 septembre 2002, par la même juridiction, à une peine de 6 mois d'emprisonnement pour des faits de vol ;
- le 3 avril 2003, par la même juridiction, à une peine d'un an d'emprisonnement pour des faits de dégradation du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, vol en réunion et port prohibé d'arme de catégorie 6 ;
- le 20 mai 2003, par le tribunal correctionnel de Cherbourg, à une peine d'un an d'emprisonnement pour des faits de destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, vol en réunion et vol aggravé par deux circonstances ;
- le 21 janvier 2004, par le tribunal correctionnel de Caen, à une peine de 6 mois d'emprisonnement dont 2 mois avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pendant 1 an et 6 mois pour des faits de vol à l'aide d'une effraction ;
- le 18 avril 2006, par la même juridiction, à une peine de 200 euros d'amende pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis ;
- le 24 octobre 2008, par le tribunal correctionnel du Havre, à une peine de 60 jours-amende à 5 euros à titre principal pour des faits d'usage de stupéfiants ;
- le 17 juin 2010, par la même juridiction, à une peine de 6 mois d'emprisonnement pour des faits de violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacité supérieure à 8 jours ;
- le 26 mars 2019, par le président du tribunal de grande instance de Lisieux, à une peine de 100 euros d'amende pour des faits de conduite d'un véhicule en ayant fait usage de substances stupéfiantes et usage illicite de stupéfiants.
Il en résulte que cinq de ces condamnations ont donné lieu à des peines d'emprisonnement ferme mises à exécution, de sorte que lorsque M. [K] a été placé en détention le 28 avril 2018, il ne s'agissait pas d'une première incarcération.
Il convient, ensuite, de rappeler que tout placement en détention provisoire entraîne l'isolement moral et la confrontation avec un milieu carcéral difficile.
Le requérant fait valoir que son préjudice s'est trouvé aggravé par la privation de vie privée et l'éloignement familial. Il soutient avoir eu des difficultés à maintenir des liens avec ses proches lors de sa détention, notamment du fait de l'éloignement géographique. Il ajoute avoir refusé les parloirs avec sa famille en raison de menaces de codétenus.
M. [K] produit aux débats une attestation de Mme [R] [K], sa tante, qui atteste n'avoir pas pu lui rendre visite lors de son incarcération et précise : « la distance entre mon domicile et son lieu de détention était un obstacle, mais surtout [L] [K] subissait des pressions à l'intérieur de la prison et se sentait en danger. Il craignait également pour moi, qui était pourtant à l'extérieur. Il
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m'avait demandé d'éviter de venir ce qui a été très dur moralement pour moi de le savoir dans une telle situation. ».
Cependant, cette attestation ne respecte pas les formes exigées par l'article 202 du code de procédure civile en ce qu'elle n'est pas accompagnée d'une photocopie d'un document d'identité et ne mentionne pas que le document peut être produit en justice et que sa rédactrice s'expose à des sanctions pénales en cas de fausse déclaration.
En l'absence d'autres éléments de preuve, elle ne saurait suffire à établir les menaces alléguées.
En outre, M. [K] soulève avoir subi une détention dégradante en raison d'une surpopulation carcérale et de mauvaises conditions d'hygiène et de salubrité au sein de la maison d'arrêt d'Ann'ullin sans produire de rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté contemporain à sa détention et permettant de confirmer ces allégations. Dès lors, le requérant ne démontre pas le caractère particulièrement difficile de ses conditions de détention.
M. [K] expose également avoir été victime de souffrances psychologiques résultant de la pression de codétenus. Il indique avoir insisté afin d'obtenir un soutien psychologique en détention et souffrir encore actuellement de troubles du sommeil. Néanmoins, le requérant ne produit aucune pièce aux débats de nature à corroborer ces allégations.
Enfin, M. [K] fait valoir qu'il a dû déménager à la suite de deux cambriolages. Cependant, leur lien avec la détention n'est pas établi.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [K] la somme de 6.000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel :
Sur la perte de chance de percevoir des revenus :
M. [K] sollicite la somme de 2.900 € au titre de la perte de chance de percevoir des revenus. Or, il ne peut prétendre à une indemnisation égale aux sommes qu'il aurait perçues si cette chance s'était réalisée.
Le requérant ne produit aux débats qu'une attestation de formation ne permettant pas de justifier d'une chance de percevoir des revenus mensuels à hauteur de 1.500 € par mois.
En conséquence, M. [K] sera débouté de sa demande présentée au titre de la perte de chance de percevoir des revenus.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il sera alloué à M. [K] la somme de mille euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.
Sur les dépens :
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS,
Après débats en audience publique
statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARONS recevable la requête de M. [L] [K] ;
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DECLARONS recevable la requête de M. [L] [K] ;
ALLOUONS à M. [K] la somme de six mille euros (6.000 €) au titre de son préjudice moral ;
DEBOUTONS M. [K] de sa demande présentée au titre de son préjudice matériel ;
ALLOUONS à M. [K] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 12 avril 2023,
en présence de M. Michel REGNIER, avocat général,
assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.
Le greffier Le premier président
C. BERQUET J. SEITHER