AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
COUR D'APPEL DE DOUAI
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT EN MATIÈRE
DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
minute n° 13/23
n° RG : 22/0021
A l'audience publique du 12 avril 2023 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :
Sur la requête de :
M. [Y] [H], né le [Date naissance 2] 1985, à [Localité 6]
demeurant [Adresse 1]
ayant pour avocat Me Diana TIR, avocat au barreau de Douai, demeurant [Adresse 3]
Les débats ayant eu lieu à l'audience du 22 mars 2023, à 10 heures
L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;
En présence de :
MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,
représenté par M. Michel REGNIER, avocat général
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Direction des affaires juridiques
dont le siège est situé Sous Direction du Droit Privé
[Adresse 4]
[Adresse 4]
ayant pour avocat Me Dimitri DEREGNAUCOURT, avocat au barreau de Douai
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Exposé de la cause
Par requête reçue au greffe de la cour d'appel le 27 juillet 2022, M. [Y] [H] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.
Par ordonnance en date du 4 mai 2019, M. [H] a été mis en examen et placé en détention provisoire pour assassinat par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Douai.
Par ordonnance en date du 28 juin 2019, M. [H] a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Par ordonnance en date du 16 juin 2022, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Douai dit n'y avoir lieu à poursuivre M. [H] du chef d'assassinat.
La détention provisoire de M. [H] a donc duré du 4 mai (date du placement en détention provisoire) au 28 juin 2019 (date de remise en liberté et de placement sous contrôle judiciaire), soit pendant 56 jours.
Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :
- 15.000 € en réparation de son préjudice moral ;
- 2.400 € au titre des frais de défense ;
- 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions reçues au greffe de la cour d'appel le 5 octobre 2022, l'agent judiciaire de l'Etat propose que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 6.000 €, que les frais de défense le soient à hauteur de 2.400 € et conclut, par ailleurs, à la minoration de l'indemnisation sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions en date du 19 octobre 2022, le ministère public requiert que le préjudice moral de M. [H] soit indemnisé à hauteur de 5.000 € et indique s'en rapporter aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat s'agissant des autres demandes.
Au terme des débats tenus le 22 mars 2023, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 12 avril 2023.
Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,
vidant son délibéré à l'audience de ce jour,
SUR CE,
Sur la recevabilité :
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.
En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.
En l'espèce, la requête a été déposée le 27 juillet 2022, soit dans le délai de six mois suivant l'ordonnance de non-lieu du tribunal judiciaire de Douai rendue le 16 juin 2022.
Figure au dossier un certificat en date du 18 octobre 2022 établi par le greffier du tribunal judiciaire de Douai attestant qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre de cette ordonnance.
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En conséquence, la décision est définitive et la requête ayant été présentée dans le délai légal, il y a lieu de la déclarer recevable.
Sur le préjudice moral :
Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.
La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.
En l'espèce, M. [H] expose qu'il était âgé de 34 ans lors de son incarcération.
Il convient, tout d'abord, de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de M. [H] porte mention de cinq condamnations antérieures à son incarcération :
- le 3 avril 2007, par le tribunal correctionnel d'Arras, à 80 € d'amende pour des faits de port prohibé d'arme de catégorie 6 ;
- le 13 décembre 2007, par le tribunal correctionnel de Douai, à une peine de deux ans d'emprisonnement dont six mois avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pendant 3 ans pour des faits d'importation non autorisée de stupéfiants, transport non autorisé de stupéfiants, détention non autorisée de stupéfiants et offre ou cession non autorisée de stupéfiants ;
- le 10 décembre 2010, par la même juridiction, à une amende de 100 € pour des faits de délit de fuite après un accident par conducteur de véhicule terrestre et circulation avec un véhicule terrestre à moteur sans assurance ;
- le 16 décembre 2011, par la même juridiction, à une peine de 150 heures de travail d'intérêt général pour conduite de véhicule sous l'empire d'un état alcoolique ;
- le 6 novembre 2014, par le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence, à une amende de 400 € pour des faits d'usage illicite de stupéfiants.
Il en résulte que l'une de ces condamnations a donné lieu à une peine d'emprisonnement ferme mise à exécution, de sorte que lorsque M. [H] a été placé en détention le 4 mai 2019, il ne s'agissait pas d'une première incarcération.
Il convient, ensuite, de rappeler que tout placement en détention provisoire entraîne l'isolement moral et la confrontation avec un milieu carcéral difficile.
Le requérant fait valoir que son préjudice s'est trouvé aggravé par le retentissement médiatique de l'affaire. Cependant l'atteinte à la réputation résultant de la publicité donnée dans les médias à la mesure privative de liberté ne saurait en tant que telle constituer une circonstance susceptible d'accroître le préjudice consécutif à une détention injustifiée, sauf en cas de démonstration, non établie en la circonstance, d'un lien exclusif et direct avec la détention.
En outre, M. [H] soutient qu'alors qu'il était en couple depuis 9 ans, la détention a largement entamé la relation avec sa compagne et a conduit à la séparation du couple. Cependant, il ne produit aux débats aucun élément de nature à établir un lien direct entre cette séparation et sa détention.
De la même façon, le requérant fait valoir qu'il a dû quitter la région pour s'installer à [Localité 5] sans établir le lien direct entre cet éloignement et la détention. Il ressort, en effet, de l'ordonnance de rejet d'une demande de modification de contrôle judiciaire en date du 5 décembre 2019 produit aux débats que M. [H] a « sollicité l'autorisation de s'établir à [Localité 5], faisant valoir que sa compagne y aurait trouvé un emploi ». Dès lors, l'argument invoqué selon lequel le déménagement a aggravé le préjudice moral ne saurait être retenu dans l'évaluation de ce préjudice.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [H] la somme de 7.000 euros en réparation de son préjudice moral.
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Sur le préjudice matériel :
Sur les frais de défense :
M. [H] produit aux débats une facture d'un montant de 2.400 € en date du 20 juillet 2019 distinguant et détaillant les prestations suivantes :
- honoraires mémoire appel DML-16/5/19 ;
- honoraires sur audience chambre de l'instruction DML-16/5/19 ;
- honoraires mémoire appel DML-6/6/19 ;
- honoraires sur audience chambre de l'instruction DML-6/6/19.
Il convient de relever que ces prestations portent toutes sur le contentieux lié à la privation de liberté. En conséquence, il sera alloué à M. [H] la somme de 2.400 € au titre de ses frais de défense.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il sera alloué à M. [H] la somme de mille euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.
Sur les dépens :
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS,
Après débats en audience publique,
statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARONS recevable la requête de M. [Y] [H];
ALLOUONS à M. [Y] [H] la somme de sept mille euros (7.000 €) au titre de son préjudice moral ;
ALLOUONS à M. [Y] [H] la somme de deux mille quatre cents euros (2.400 €) au titre de ses frais de défense ;
ALLOUONS à M. [Y] [H] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 12 avril 2023,
en présence de M. Michel REGNIER, avocat général,
assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.
Le greffier Le premier président
C. BERQUET J. SEITHER